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mercredi, 31 mai 2006

Questions que je n’ai pas posées à Nathalie Léger

    L’auteur des très émouvantes Vies silencieuses de Samuel Beckett a donné hier soir une belle lecture d’extraits de son livre, et répondu avec douceur et maestria aux questions, pour une séance joliment ouverte par Laurent, le libraire du Livre, qui avait écrit un texte d'ouverture très réussi et qui semblait pétrifié par le trac, alors que, m’a-t-il semblé, il n’y avait là qu’une trentaine d’habitués – je ne vais, pour ma part, presque jamais à ce genre de rencontres, non par manque d’intérêt mais parce que je n’y pense pas (hier soir, j’y ai pensé), mais les personnes présentes se connaissaient toutes, se faisaient la bise, sont restées pour le verre de clôture, vous bousculaient aimablement car c’était de ne même pas s’apercevoir de votre existence – qui ne pouvaient en aucun cas le mettre dans cet état (on dira que c’était la présence, étrangement envoûtante, il est vrai, de Nathalie Léger à ses côtés).

N’ayant pas pris de notes, je ne saurais que mentir ou approximer dans mes rafistolages de souvenirs, mais je vais poursuivre le dialogue, au moins dans cet espace neutre et public, en couchant par écrit quelques questions que je n’ai pas posées à Nathalie Léger. Je peux dire que j’ai posé une question sur la méthode (mais j’aurais voulu aussi la lier à sa remarque antérieure sur le jeu de Glenn Gould et suggérer la notion d’improvisation à la Michel Butor) et une question sur l’épigraphe des “Précisions” sur lesquelles s’achève l’ouvrage. Pour le compte rendu, il faudra une meilleure mémoire ou une plume plus alerte que la mienne.

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Son ouvrage – ni essai, ni témoignage, ni autobiographie, ni rêverie, mais tout cela à la fois – est d’une lecture très agréable, que je vous recommande.

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J’ai dû mal poser ma question sur le rôle joué par les photographies, car Nathalie Léger a surtout répondu à la question des archives et du rôle de déclencheur d’écriture. En fait, ce qui me paraissait intéressant, c’était sa fascination pour certaines photographies plutôt que pour d’autres, d’autant que, dans sa réponse à la première question de Laurent, elle a longuement parlé – mais sans référence aux portraits de Beckett – du punctum et du studium barthésiens. Donc, mieux formulée, la question serait : « quelle est la part agissante de l’imagination dans votre écriture à partir de photographies, notamment dans la mesure où vous vous mettez à la place (dans la peau) du photographe, plutôt que de Beckett lui-même ? » (Je pense notamment aux pages 85 à 87, à propos de Jerry Bauer.)

Autre question, comme vous parlez à propos du couple improbable formé par Beckett et Suzanne, chère Nathalie Léger, de « l’immanquable numéro de clown de la conjugalité » (p. 90), diriez-vous qu’il y a quelque chose de clownesque dans l’œuvre – même non théâtrale – de Beckett ?

Autre question encore, comme vous évoquiez, tant dans le texte (p. 24) que dans l’une de vos réponses, le grabat, que pensez-vous de l’analogie possible entre le mot birth, dont vous rappelez l’impossible traduction selon Beckett lui-même (p. 12), et le substantif berth, qui désigne la couchette étroite des marins, espace clos, espace de navigation, worstward ho !?

(On comprend que je n’aie pu poser cette question de cette façon-là ou dans cette syntaxe là, au risque de paraître définitivement fou. (D’autant que, pour être complet, il faudrait ajouter, sur cette question de la naissance, une remarque à propos du statut d’enfant sans enfants de Beckett, mais aussi sur sa demeure d’Ussy, que le livre de Nathalie Léger évoque souvent, et dont le nom se prête à l’inversion significative : Ussy est l’inverse de l’issue, le sans issue, ou la possibilité d’avoir une issue… ? (D’autant que, pour être complet, il faudrait faire remarquer que Pinget commence à employer le verbe “issir” après sa rencontre avec Beckett, etc.)))

Autre question encore, Deirdre Bair rappelant la formule récurrente de Beckett au sujet du travail biographique qu’elle entreprenait, “I will neither help nor hinder you”, vous semblez n’avoir retenu, de l’influence de Beckett sur vous, que le caractère suggestif, fertile, secourable (helping), et nullement un quelconque obstacle (hindrance) à la parole ou à la prise de parole.

Autre remarque, votre essai témoigne d’une véritable écriture, d’une voix d’auteur. Ce qui m’a le plus frappé, ce sont les phrases courtes, qui sont très rares. Il y a aussi, s’agissant de la rencontre entre Beckett et Carl Einstein, votre belle métaphore, qui décrit « la pensée de Beckett marchant dans les traces de celle d’Einstein » (p. 37). Elle rejoint, en la contredisant partiellement, la question d’une personne de l’assistance, relative aux lieux et à la claustration dans l’œuvre de Beckett. L’œuvre de Beckett me semble se prêter, au contraire, à l’écho, fait de pérégrinations et de déambulations, que vous en donnez.

Autre question encore, comme votre livre retrace, de manière fictionnelle, la rencontre entre Beckett et Bram van Velde, quel est votre avis sur les deux ouvrages que Charles Juliet a consacrés à ses rencontres respectives avec l’un et l’autre ? (Nathalie Léger a aussi évoqué Cézanne, à propos de la citation de Rilke qui lui paraît emblématique de son projet d’écriture ; or, Juliet vient de publier une lettre à Cézanne intitulée Cézanne un grand vivant…)

(L’intertextualité est un passionnant jeu de fous, où s’invente la quadrature du cercle.)

J’en finis là de mes questions, chère Nathalie Léger, en sachant que d’autres, en grand nombre, restent en suspens.

09:49 Publié dans Unissons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Ligérienne

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