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mardi, 25 décembre 2012

9594 – 10338

    Vœu de pauvreté, tu parles. Depuis qu’il sait qu’il n’en saura rien, ou qu’il n’en veut rien savoir, il est découragé. Mon roman doit parler de pauvreté, d’indigence de l’âme. Mais comment en écrire si j’ignore tout de la misère ? Il s’isole un peu plus, ne veut plus parler avec les miséreux, et pas même croiser le regard du SDF à qui il remet (dans la sébile de qui il dépose) une pièce d’un euro à l’entrée du Lidl, homme au visage doux et souriant qui semble moins clochardisé ou vulgaire que les trois-quarts des clients du supermarché dont il est la vitrine. En regardant son texte, il ne voit, coups de poignard, que les apostrophes et les accents aigus. Rétine en sang, il ne sait rien de la pauvreté, de la misère, ni de leurs accents.

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lundi, 24 décembre 2012

8850 – 9593

    La fin du monde n’a pas eu lieu. Comme tous en parlent, il se sent contraint d’en parler aussi. D’écrire, plutôt. Tel ironise, tel autre fait de l’humour « au second degré », tel autre encore dessine, croque, et tous d’y aller de leurs petites plaisanteries. On en riait avant le 21 décembre, on a vite fini de s’en gausser après. N’y a-t-il pas là quelque intéressante analogie avec le coït ? Il paraît d’ailleurs que le solstice d’hiver correspondait à la journée de l’orgasme. Il y a bien longtemps que tout cela ne me concerne plus, écrivit-il. Donc la fin du monde a eu lieu très brièvement, puis cette apocalypse elle-même s’est effritée, a fait comme la vaguelette qui ne parvient pas même à effrayer le galet. Je voudrais être à Ondres.

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dimanche, 23 décembre 2012

8107 – 8849

    Il se rend à la boulangerie. Le mercredi, pour 3 baguettes rustiques achetées, la 4ème offerte. C’est pratique d’avoir un congélateur. Ou de se bourrer de pain comme un gros abruti pendant deux jours, avant de faire diète plus ou moins, les autres jours de la semaine, en attendant le mercredi. Non, rien de tout cela n’est probable, ni souhaitable. Si j’étais réduit à la misère, ou très indigent, je ne ferais pas ça. Je vivrais dans un studio chichiteux chauffé à 14°, ça, c’est sûr (à moins que l’appartement ne soit chauffé par les voisins – après tout, j’ai vécu en appartement et j’aurais voulu qu’il fasse moins chaud, je ne chauffais jamais, alors que le F4 faisait 82 m², c’était en Picardie en plus). Je ne sais rien de la pauvreté.

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samedi, 22 décembre 2012

7365 – 8106

    Le mot bone ? On trouve la chair dans l’os même. Pas la moelle, la chair. Il sait, en s’enfonçant le poinçon dans l’avant-bras, délivré, que le son on est le plus beau de la langue française, une diphtongue royale, majestueuse, dont il ornera désormais ses récits. Quel dommage, se dit-il aussi, que les mots roman récit nouvelle ne contiennent pas ce son, tandis que conte ou continent l’offrent à l’œil autant qu’à l’oreille. Par ailleurs, se dit-il encore, la suite de lettres o + n n’est jamais muette en français, ce qui ne va pas de soi pour cette langue. On trouve donc la chair dans l’os même, pas la moelle, pense-t-il encore.

Au réveil, c’est à peine s’il se rappelle qu’il ne parle pas français et qu’il écrit ses livres en bulgare.

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vendredi, 21 décembre 2012

6624 – 7364

    Je connais un bar, écrit-il, je connais une sorte de petit restaurant ou de café étrange, où l’on joue au tarot, au poker, où les patronnes invitent d’éclectiques formations de musiciens qui se rassemblent autour du piano Callas, tandis que les clients, sirotant qui une Loburg, qui une Leffe, qui un verre de claret chaud, les écoutent, guettant les mouvements du chapeau électrisé (avec ses ampoules), dans une ambiance feutrée et tranquille de fin du monde, clients qui se hissent sur les tabourets, contre le comptoir, ou se vautrent sur les poufs de diverses couleurs pastel, jeunes filles vêtues de pulls marins seyants, adolescents déjà vieux aux chevelures remarquables, un bar où le piano Callas semblait s’enivrer sous les volutes.

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jeudi, 20 décembre 2012

5884 – 6623

    Les deux néfliers, jumeaux approximatifs, n’avaient plus, en ce jour de solstice, que quelques nèfles à offrir au regard. Leurs branches noires de pluie s’entrecroisaient, on y imaginait encore la présence spectrale de l’épais feuillage. Dans l’antre de l’écrivain, où il n’a pas fini de mettre en bocaux la dernière fournée de gelée de nèfles, on trouve à présent, sur son bureau, ouverts, épars, des volumes de l’Encyclopaedia Britannica, du dictionnaire Langenscheidt et plusieurs dictionnaires de rimes étalés au sol. Il a dû lui prendre la fantaisie d’écrire une vie imaginaire de Nietzsche ou de Robert Walser, ce qui ne manque jamais d’arriver quand, le ciel gris, les branches noires des néfliers dégoulinantes, il se sent en panne.

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mercredi, 19 décembre 2012

5145 – 5883

    Pétrarque a salué, en Urbain V, un très grand homme, un esprit d’une force exceptionnelle. On ne manque pas, quand on visite Uzès, de s’intéresser aussi à lui – mais aussi à Charles Gide. Puis on croit confondre avec Uzeste, et Clément V (qui se prénommait… Bertrand). Quand on finit par s’apercevoir qu’en fait la farce moyenâgeuse (« salut la gueuse ! ») avait eu lieu, le 14 juillet 2006, par une belle chaleur, à Uzerche, on est définitivement découragé de tant de recoupements – détours – conflagrations – croisements – paronymes par myriades. Un soldat de fer, dégingandé et squelettique, mimait l’histoire de Don Quichotte, à moins que je ne confonde encore. Peste foutre. Parfois, dans votre antre, ça sent le chou ou la chipolata.

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mardi, 18 décembre 2012

4407 – 5144

    L’intervalle n’est jamais secondaire. Chaque paragraphe constitue une masse blanche qui s’interpose entre les intervalles. Le texte fait grise mine. L’auteur – le « scripteur anonyme de la table du fond » n’est jamais très loin – puise dans la matière diverse de ses jours (écrits, discussions, souvenirs, fantasmes, fanatismes) de quoi alimenter ces sortes de romans tout à fait incongrus et conventionnels. À force d’abuser des adjectifs, il a réussi à décourager ses éditeurs, qui ne le lisent que d’un œil, ou se contentent de demander au service juridique de vérifier qu’il n’y a rien de contentieux entre ses pages. Alors, dans la masse blanche, apparaissent des ponctuations grises, noires, caduques, l’illusion d’aller de l’avant.

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lundi, 17 décembre 2012

3670 – 4406

    De retour chez vous, jeune homme, vous enlevez vos souliers, appuyez sur la touche PLAY du magnétophone à cassettes, qui joue, invariablement, Je suis une guitare de Moustaki ou Banlieue nord de Manset. Vous dansez dans le couloir, allez jusqu’au balcon. Ce ne sera rien, il ne faut qu’un souffle de vent pour vous asseoir là, près de la baie, et vous vous attellerez à une version latine. Vous avez dans les narines l’odeur persistante d’encaustique qui vous accompagne dans l’ascension des trois étages. Bien que vous n’aimiez pas la danse classique, vous ne cessez d’en revenir à l’idée que votre vie est un ballet. Vous attendrez quelques années avant de reprendre l’avion, à destination de Singapour. En attendant, vous valsez seul.

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dimanche, 16 décembre 2012

2934 – 3669

    Parfois, dans votre antre, ça sent la saucisse cuite ; d’autres fois, le chou-fleur. Si des amis viennent vous voir, ils ne manquent pas de remarquer, au moins à part eux, que, pour un vieux célibataire endurci, vous ne vous nourrissez pas exclusivement de pizzas et de croque-monsieur. L’autre jour, lors de l’enterrement de l’écrivain, vous aviez mis votre veston rapiécé, celui aux reflets moirés, et vous avez eu honte. Un peu. La honte passée, ne vous est resté qu’une durable impression d’inappartenance, et le sentiment de la vanité des choses. De retour chez vous, vous avez remisé le veston dans le placard de l’entrée, passé l’aspirateur, vous vous êtes allongé sur le sofa. Cela ne sentait pas le brûlé, toujours ça de pris. 

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samedi, 15 décembre 2012

2199 — 2933

    Puis vient un moment où il faut cesser les ronds-de-jambe, les arguties, et surtout de poser des questions. Y aller, franco. Se jeter à l’eau. Quand ce qui prend le plus de temps, c’est de relire pour d’infimes pattes-de-mouche, à quoi bon. Que j’écris sans point d’interrogation, ce qui vous fera les pieds. (Il se disait que ce ne serait pas un roman sur le sujet kantien qui a les mains blanches parce qu’il est manchot.) Vous avez enfilé un frac, bien vous en a pris, vous avez une fière allure, une mine étincelante dans cette queue-de-pie ; d’ailleurs, depuis notre arrivée dans ce château, nous avons été traités comme des coqs en pâte (si ce n’est l’incident malencontreux de votre avant-bras brûlé vif quand éclata l’ampoule).

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vendredi, 14 décembre 2012

1465 —2198

    L’intervalle n’est jamais secondaire. Chaque paragraphe constitue une masse blanche qui s’interpose entre les intervalles. On croirait que ce fou parle de musique, il n’en est rien puisqu’il n’en sait rien. Dans de tels blocs, déblocages, la moindre coquille ou faute d’orthographe est un grain de sable susceptible, à lui seul, d’enrayer la machine en imposant la question : faut-il corriger ? comment estomper ? n’est-il pas préférable (plus facile) de tout réécrire ? si le verbe égrener, qu’il s’obstine à employer alors qu’il fait partie des mots qu’il orthographie mal, fait apparaître (quel est le verbe correspondant au nom irruption ? n’y a-t-il que surgir ?) des vaguelettes rouges sous la ligne, y a-t-il risque de noyade ?

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jeudi, 13 décembre 2012

733 — 1465

    Il avait donc pris la route à rebours, après avoir déjà égrené quelques élucubrations sur un périple imaginaire, tout entier de mots, chemin sur les bords de Loire en direction de l’estuaire. Ce chantier-là, comme tant d’autres, était au point mort. Pourtant, si on comptait bien, il en avait noirci, des pages, des écrans. Rien, de tout cela, n’avait, pour lui, d’importance. C’était un homme de virgules, donc du genre à n’avoir d’intérêt que pour ce qui adviendrait, la prochaine étape, the next move. Assis dans un fauteuil de bureau, vêtu d’un pull moutarde, entre des murs d’azur brume, il n’avait pas l’air malin. D’ailleurs, comme on – le lecteur, cette hypothèse ? – n’allait pas tarder à s’en apercevoir, il ne l’était pas.

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mercredi, 12 décembre 2012

1 — 732

    Dans la vérité du jour, dans la vérité du monde, dans la vérité des chiffres, il avait cherché à reconfigurer la dynastie de ses écrits épars selon le principe incrémentiel, et démentiel, d'un long livre dont le premier jalon compterait 732 signes (sept-cent-trente-deux signes). Il devint fou, bien sûr. Une telle entreprise n’était pas à la portée du premier tombé, et on en voit chaque jour, de ces fidèles plumitifs partant fleur au fusil pour quelque territoire qui leur semble profondément original, et ils tomberont comme des mouches – ça y est, ils ont chu, ils churent, trépassèrent. Quand il en eut fini d’un premier paragraphe à la temporalité alambiquée, il se sentit ragaillardi. Il n’y avait pas de quoi, bien entendu.

 

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