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lundi, 10 février 2020

100–Dallorto–Piano

 

    Geste épique, de se donner les gants d’y aller franchement, dans la queue de renard comme naguère dans la nèfle. Ouvrir tout grands les battants de l’imaginaire, que c’est difficile quand on ne sait rien d’autre que se payer de mots, encore et toujours ça. Une stratégie, non. Pas peur d’échapper aux mots, mais bien davantage : incapacité à peindre, impossibilité de tenir la distance avec les seules images, la suscitation – si ce mot existe – d’images pourtant mémorisées. Il y a un livre (un essai ?) à écrire sur ces écrivain·es inaptes à partir d’autre chose que des mots, de même que, pour moi, la scène de jeudi dernier figure fort dans ma vie quotidienne mais peine à se convertir en scène d’écriture, ou en tout cas à s’y apposer hors du recours au langage. Le clavier, après tout, est constitué de lettres, propres à l’acrostiche.

 

09:15 Publié dans Brille de mille yeux, Élugubrations, lactations : déSastre | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 07 mars 2017

Marche grise

    On a jeté la bouteille en plastique dans la poubelle jaune, les peaux de bananes dans la poubelle verte, fini de récurer le fond de la poubelle grise, puis on a pris la route, à pied, après avoir enfilé les souliers avec le chausse-pied, qui est, techniquement parlant, une corne à chaussures allongée. Une corne en métal, toutefois. Les travaux dans le terrain vague où quelques dames faisaient auparavant courir leur labrador ou leur berger allemand, semblent bien partis, avec les pelleteuses orange, pour ajouter une résidence affreuse dans le paysage urbain, de sorte qu'il n'y aura bientôt plus le moindre carré d'herbe, au mépris certainement de la législation. Mais tout le monde finit par penser que la législation n'existe plus. C'est comme ça que tout s'achève.

Il n'y a pas de lapin qui gambade, ce matin, derrière les clôtures de Touraine Habitat. En revanche, des employés municipaux en gilet orange s'affairent sur le vaste rond-point à nettoyer les nombreuses branches tombées suite à ce nouveau coup de vent d'hier et d'avant-hier. La route n'est jamais longue, et on a beau rêver qu'il suffirait de poursuivre la marche et d'aller de l'avant, jamais on ne ferait demi-tour, jamais on ne le fait.

Au début de la rue Arthur Rimbaud, l'espèce de bunker ensauvagé est, plus que jamais, recouvert de petits arbustes qui donnent à voir, plus que jamais, la sauvagerie grise du béton mangé par le temps, et pourtant immortel. On n'a jamais vu personne pique-niquer à l'une des trois tables en bois, dans le “parc” du Quick Palace.

La mémoire manque au promeneur, c'est le lot de tout marche grise.

12:02 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 30 janvier 2017

Détumescence

    Quand on a soudain l'idée de composer un texte à la façon de Benjamin Péret, ou plutôt sur un modèle proposé par Benjamin Péret, mieux vaut se lancer carrément, au lieu de nourrir une fausse mauvaise conscience vis-à-vis de Robert Walser. Le 30 janvier a parfois été un jour de neige, qu'on abdique devant le ciel, qu'on recherche la terre sous la grisaille douce des averses, alors — les vélos qui descendent les rails du tramway, cela ne peut pas nous faire grand-chose.

 

Je vois tous ces cous tranchés, dans une matière que je ne connais pas, et et ornés de tant de fariboles, la plupart hideuses d'ailleurs. La vitrine comme réceptacle de piété sans objet. Peut-être que ces colliers, ces statuettes, ces bâtons, ces vases, n'ont jamais vu personne. Le mal de tête revient toujours quand on le pensait liquidé. La nuit tombe très vite dans ces parages.

C'est dur, la descente du temps dans des parfums qui n'ont pas de sens. C'est dur, si j'ose le dire, la détumescence. C'est dur, si j'ose dire, la détumescence. Un loup ancien sépare la phrase. C'est dur si j'ose,  détumescence. 

Après le triomphe du théâtre on ne peut plus rien attendre car il y aura bientôt là une salle de sport, ou un club de gym, c'est tout comme.

Est-ce que je peux déjà savoir la manière dont je m'effondrai ?

Pourquoi ai-je la sensation, avec le mal qui tiraille les cuisses, que je me trouve, non à un carrefour, plutôt sur un rebord. En tout cas, rien à voir avec l'impression de délivrance douloureuse quand on descend de sa selle. Sur un rebord. Ce n'est pas un robot, ou une capote (rubber). Quelle est encore cette étonnante statue et dans quelle matière ? Le coiffeur se met en boule, le sculpteur en fait des tonnes. Pas l'ombre d'une allégorie, la castagne contre les temples, les motifs infiniment répétés comme le ballet infini et vrombissant des voitures dont les roues crissent dans les flaques. Les tempes prêtes à se battre.

 

Crise d'anatomie pour cette expérience.

 

(Il y avait, il y a une photographie, d'une des vitrines.)

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samedi, 21 janvier 2017

Plein

19 janvier

    Pourquoi ce maniganceur de première commençait-il toujours ses discours par une question ? Avait-il un quelconque intérêt à cela, s'était-il aperçu que c'était plus efficace, où était-ce juste de la paresse, une forme de faiblesse stylistique ?

Quand on se retrouve avec le recto verso imprimé du mauvais côté, on doit chercher pendant des heures dans le pilote de l'imprimante comment modifier cela. En fait, les heures ont duré 90 secondes.

Les heures passent plus ou moins vite, la nuit descend sur les néons déjà allumés, mais quand on écrit ce genre de phrase c'est toujours un soleil immense sur les parkings surpeuplés. D'ailleurs, à force de faire des phrases, on n'est plus compris par personne, on est comme sur un sentier rude de montagne, assoiffé,  affamé, sans plus pouvoir respirer, mal au cœur, mal au ventre, et ça finit toujours mal, quand on fait comme ça des phrases.

Et comme ça ne pas savoir, déambuler, ne rien savoir, ne rien voir, déambuler encore, épouser les méandres du fleuve, se scandaliser d'employer de pareils clichés, comment peut-on épouser un méandre, comme ça, on n'épouse pas un contour géographique, on n'épouse pas le trajet sinueux qui vous précède de plusieurs millénaires, ce n'est pas parce que l'on part marcher que l'on épouse, ce n'est pas parce que l'on parle à tort et à travers que l'on épouse, ce n'est pas parce qu'il y a un fleuve et des méandres, ce n'est pas parce que la ligne droite n'est jamais droite qu'on épouse. Comme ça, le type avec ces questions à deux balles pour ouvrir ses discours peut la fermer pour de bon, plein la tronche de nos affirmations marcheuses. Plein les bottes de nos méandres. Plein le dos de nos textes approximatifs qui dégoisent dans le vide.

10:32 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 16 janvier 2017

La Possibilité d'une crypte

    Dans ce salon de thé, il y aura eu, à toutes les tablées, une conversation sur “les chinois”. Ou plutôt on parle çà et là des chinois : investissements aux States, les copies de médicaments, etc. Comme je suis seul à être seul, je suis seul à entendre sans les épier ces conversations où surgit çà et là le mot “chinois”.

D'ailleurs ai-je le droit d'être là seul, moi qui n'ai pas dit une seule fois le mot chinois ? Je me rattrape avec ce texte au smartphone, on me dira ça.

On va peut-être quand même me jeter dehors. Il semblerait que tout le monde ici soit accompagné d'une vieille dame à cheveux blancs ou d'un quadragénaire à col roulé. Aurais-je insciemment enfreint une règle non écrite en entrant ici ? J'ai oublié mon col roulé. Et puis je n'accompagne personne. J'ai oublié ma vieille dame. Je ne vais tout de même pas ressortir dans la rue en kidnapper une ; en plus aura-t-elle les cheveux blancs tirant sur le gris souris ou sur le jaune goéland ?

Kidnapper une vieille dame est, de surcroît, la chose la plus malaisée du monde. Il faudrait l'avoir enlevée déjà enfant, et je n'étais pas né.

J'attendrai donc ici d'être devenu un vieux monsieur, je commanderai un col roulé avec mon prochain chocolat chaud, je ferai semblant que le poète que je lis parle d'Istanbul mais d'une façon chinoise.

Le livre, d'ici là, je le saurai par cœur. Dites à ma femme qu'elle ne s'inquiète pas.

 

(5 janvier, vers 18 h)

09:00 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

dimanche, 15 janvier 2017

Pas plus moins de 8

    8 minutes, ça peut être très long si toute une vie bascule. 8 minutes, c'est très long pour un solo de flûte. 8 minutes, c'est ainsi que diminue le débit du fleuve le long duquel on se promène en berne, le moral désaxé, accaparé à observer les péniches  qui se noient.

8 minutes, bref instant pour la digestion du serpent. 8 minutes, toute une éternité pour l'éphémère qui vibrionne le long du mur. Les râleurs n'ont pas l'occasion de déguster leur propre colère, et ce motard énervé avec son casque GoPro, que fait-il le soir quand il n'arrive pas à s'endormir ?

14 bébés blonds naissent toutes les 8 minutes,  des millions d'hommes avec la peur dans leurs yeux éjaculent toutes les huit minutes.

Pas de quartier.

8 minutes, le temps que je décide à pile ou face de l'avenir. 8 minutes, le temps que je décrive ce très haut cèdre le long de la rue du Colombier. Le temps qu'il faut pour un orgasme absolument fantastique. 8 minutes, le temps de lire un poème de La Physique amusante en relisant les plus beaux vers, en reliant entre eux les mots les plus résonnants. Le temps qu'il faut pour faire ce que l'on fait en 8 minutes, ce que l'on dit en 8 minutes, ce que l'on s'abstient de faire ou de dire ou de penser ou de regarder ou de s'abstraire en 8 minutes. S'abstenir d'être abstrait comme d'être concret. Prendre 8 minutes entières, seconde par seconde, pour jouir de ces 8 minutes. Se demander tout ce temps-là si la lettre vaut mieux que le nombre.

Pas de quartier. Un standard de jazz calibré des années 60 envahit la rue du Colombier, et même le très haut cèdre n'y est pas insensible.

Il y a cent ans, à 8 minutes près, Robert Walser publiait Der Spaziergang.

Une promenade peut durer sans temps, 8 minutes, de s'éterniser sur des journées comme un texte. Une promenade qui n'a pas de quartier, qui ne laisse pas de hasard, qui ne fait pas de quartier.

Une promenade passée en dessous de la barre des 8 minutes.

(11-12 janvier)

10:09 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (2)

mardi, 10 janvier 2017

Pas commode

9 janvier, 14 h, bld Béranger

 

    Pour ne pas vagabonder, j'ai dormi dans le creux des arbres. La nuit, plus jaunâtre que le jour, je me forçais à m'endormir en me collant des beignes. La nuit, moins noire qu'on ne le croit habituellement, je me forçais à entrevoir comme des étincelles bleues dans les feuillages.

Tout ça, je ne sais plus si je l'ai dit, c'était pour ne pas vagabonder. Mon principe absolu était d'être, autant que possible, sédentaire, ce qui était difficile étant donné que demeurer dans une maison m'avait été interdit. L'heure tourne toujours trop vite au zénith, ce moment glauque de l'automne, quand on croit discerner le long du ruisseau le vacarme d'un boulevard surpeuplé. Ainsi, et je dois le préciser car sans cela vous ne comprendriez pas ma situation, tout ça pour éviter de vagabonder.

Prendre l'odeur de l'écorce, attraper des rhumatismes, s'ennuyer comme un rat mort, se vêtir d'un manteau de taupe, tout ça était préférable au vagabondage. Pourtant, je n'ai jamais rien tant aimé que marcher au vent, et si je sais encore écrire, c'est parce que j'ai beaucoup aimé marcher. Ne pouvoir ni demeurer en place, avoir une situation stable, ni vagabonder, ce n'est pas commode, c'est moi qui vous le dis.

Au point où j'en suis, je peux vous faire une confidence importante, quelque chose que je n'ai jamais dit à personne, et compter sur vous pour que vous ne répétiez pas cela. Je vois dans votre regard que je peux vous faire confiance. Ma situation était tout à fait singulière, car il m'était interdit avant tout de vagabonder. Je sais que cela doit vous choquer, a-t-on jamais entendu parler d'une pareille interdiction ?

Pas ici, en tout cas. Pas ici où je demeure. On achève bien les taupes, on chasse bien les vagabonds.

Dans le creux des arbres, quoique j'aie eu le temps de méditer et d'observer la marche du ciel — plutôt que celle du monde —, j'ai beaucoup dormi, et j'ai pensé à rien, de sorte que, me retrouvant dans la position du vagabond occupé à marcher sans trop souffrir, j'étais comme un vagabond dans le creux de mon arbre, et dans le creux des arbres, totalement immobile, j'avais fini par vagabonder, alors que je ne devais pas vagabonder.

17:59 Publié dans Aujourd'hier, Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 07 décembre 2016

Parpaings empilés près de la statue

    Je disais à Stéphane Mallarmé, dans mon sommeil profond, que les divagations ne sont pas le miroir des journées, mais plutôt cet empilement de parpaings au milieu d'une cour déserte. Il ne me répondait pas, il avait mieux à faire que de s'intéresser à mes élucubrations.

Je disais à Stéphane Mallarmé qu'en marchant on trouvait le Poème, mais lui ne pensait pas un traître mot, ou peut-être s'en souciait-il comme d'une guigne, d'une nèfle, et il pensait sans doute qu'on trouve le Poème au fond d' une alcôve enfumée, entre des lambris de bois brûlé, des lampes éclairant faiblement la nuit.

Je disais à Stéphane Mallarmé, merde, bordel, il n'y a pas que toi au monde, pourquoi tu me pourris la vie comme ça. Même ainsi, dans mon sommeil profond, tandis que je marchais en cherchant le poème, Stéphane Mallarmé restait de marbre, muet, pareil à ces statues de polystyrène sculptées par Jean Dubuffet.

Je disais à Stéphane Mallarmé, bordel de merde, c'est à cause de toi que l'on s'égare, que l'on ne marche pas droit, c'est tant mieux, c'est grâce à toi, bordel de chiottes. Comme une balayeuse passe sur les trottoirs, comme une cycliste ralentit à l'approche du poids lourd,  comme le diamant énigmatique de la bibliothèque municipale cherche à s'ériger vers le ciel, c'est ta faute, disais-je a Stéphane Mallarmé.

06:26 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 05 novembre 2016

Cadavre gobelet

    Feuilles dans le caniveau. Dalles recouvertes de feuilles pourries. Monde perdu ou ignoré dans les nids de poules. Souffle trop froid pas si classique du vent qui incite à se sentir vivant. Longue chevelure, la plus belle, des trois saules pleureurs du square. Incendie magnifique des dernières feuilles des merisiers. Jaune persistant des bambous malingres. Emballages plastiques comme étonnés d'être là, abandonnés, condamnés à volonté le long des trottoirs.

Le temps d'une désespérance vaine n'était pas arrivé, n'avait pas pu advenir sous une tonnelle chaleureuse, vaine entreprise, dans l'embrouillamini du décor, dans le brouhaha des grues de chantier, dans le maillage atroce des caddies isolés sur le parking défoncé, et pourtant la désespérance ne pouvait s'affirmer, l'optimisme, la vivacité demeurait à l'ordre du jour, on ne pouvait pas du tout savoir pourquoi. Il fallait presque tout réécrire. Ce que l'on reprend après une pause n'a plus le même sens, est noyé sous le bruit furieux des feuilles de platane sèches que le pied maladroit foule, maillage ou quadrillage d'un futur emprisonné, engoncé sous trop de lainages. Citron de ménage.

Soudain, au milieu des feuilles de platane, au milieu, un cadavre de rat. Non, c'était un gobelet en plastique.

Par le hublot du texte, jamais le ciel n'avait semblé aussi éloigné.

Camelote que toutes ces bicoques.

14:36 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (1)

mercredi, 12 octobre 2016

Peinturlurage

11 octobre, circa 23 h.

    La noirceur est parfois éclairée de brumes anodines. On remonte une rue comme le cours du temps, sauf que le sens jamais le même. Les grilles les grilles ont des beautés de jeune fille. Ce n'est pas grand-chose, et pourtant la noirceur se satisfait de cela, peut-être parce qu'un lampadaire éteint n'aura jamais le charme d'une grille où s'exprime quelque idéal oublié.

On frôle une rambarde dans la nuit, mais ce n'est pas ça, la noirceur. La noirceur n'est pas dans la main, elle est dans les pensées. Il se peut qu'elle soit dans un geste farceur.

Quel temps fait résonner la noirceur à 50 %. Si tu ne fais pas les choses à moitié, alors ce sera ta main qui prendra la contagion. La chaîne du vélo semble tintinnabuler, mais pas du tout, rien de tel, la ville est déjà endormie alors que le soleil est à peine couché. C'est le long du cours du temps, comme on bat le pavé en remontant la rue, que s'agite éternellement cette petite clochette gracile et douloureuse, l'âme en émoi, la noirceur, à remonter, comme on remonte les ponts, comme on remonte les pendules.

Que vois-je avant le pont ? Même la noirceur est peinturlurée en rose et en bleu, en sommeil en souffrance, en rien du tout.

Mieux vaut faire un film, s'en tenir à faire un film, ne pas lever les yeux vers la collégiale, oublier la marche du temps, la noirceur incompréhensible et absente.

10:44 Publié dans Aujourd'hier, Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

dimanche, 02 octobre 2016

Alep heures noires

    S'affranchir de tous ces habits jumeaux, multiples, dissemblables.

On les a retrouvés au portemanteau, dans le mastodonte, et comme ils avaient fini par envahir totalement le placard du couloir, on s'est dit que l'invasion ne pouvait plus continuer. Les tergiversations. Les rodomontades de ces manteaux, gilets, blousons, vestons, vestes, même tenus à l'écart au sous-sol, dans le mastodonte, ces rodomontades avaient assez duré.

Bien sûr, on avait tenté de raisonner tout cela en rappelant que dans cette région le climat était doux, tempéré, et qu'il n'y avait finalement qu'une sorte de longue demi-saison. D'où ce fatras de gilets et de vestes.

Le stouf est dans le mastodonte !

A-t-on besoin pour une promenade, qu'il fasse un grand soleil de début octobre ou une petite bruine de mars, de tant de gilets et de vestons ? C'est la guerre. Impitoyablement. Impitoyablement. On imagine déjà les tas de gravats, ces tas de vêtements empilés et sales, qui rappellent des heures noires. Les heures noires. Le Christ sciant même les écrous.

Des portails rouges couleur sang, trébucher dans les crevasses du gazon, une promenade anodine qui deviendrait féroce. Impitoyablement. Heures noires de la promenade. Cycliste passant sans rien savoir des bons fruits tombent dessus, écorchures. Balafres de la promenade. Le tumulte pareil à un début de symphonie de Zeljenka.

C'est cela qui compte, impitoyablement.

L'ombre d'octobre est impitoyable.

Pétrir la chair de ses propres pas, habiter ses souliers à chaque instant où l'on marche, tout cela est difficile, mais moins que d'éviter le carnage. La vieillesse : une question posée à la tempête. Le nombre 55 bien net, marqué sur le mur blanc, s'incruste dans l'œil et ne le quitte plus jusqu'à l'assaut des furieux montés en vacarme.

Le treillis des vignes et la gangrène du tuffeau pétrissent la chair de la promenade. C'est ça qui compte, impitoyablement.

On n'a pas idée d'imaginer un cycliste sous les obus.

À Alep se rejoue la farce tragique des Sudètes.

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mercredi, 07 septembre 2016

Bêlements

    Les avions tournent sans cesse, ça pue le kérosène.

La postière a été très amusée par mon t-shirt ; elle m'a dit qu'à l'époque où j'avais eu mon permis de conduire elle lisait sans arrêt le Génie des alpages. L'euphémisme qu'elle avait employé précédemment, c'était de dire que j'avais changé de look, alors qu'entre l'âge de 19 ans et aujourd'hui, j'ai tout simplement tout bonnement vieilli.

Le restaurant Tablapizza, l'hôtel des Baladins, et toutes les autres bâtisses qui s'ensuivent, on dirait une sorte de terrain géant pour figurines Playmobil.

Peut-être la postière prétendra-t-elle le contraire.

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samedi, 27 août 2016

Flaubert, casse-toi

(ce matin)

    À la crème trame des saisons qui se défilent sans que l'on puisse saisir le message, il n'y a pas d'espace dans lequel se réfugier. De l'été, il ne restera bientôt plus que la trace jaunie, celle de ces pelouses et de ces carrés d'herbe qui se noient sous le soleil, et de ces lettres mortes comme des chambres ou l'amour passe trop vite. Une lourde clef plastifiée de chambre d'hôtel, peut-être. L'accent grave et l'accent aigu se confondent pour ne rien dire de notre monde. La géolocalisation est égarée parmi les papiers gras de teneur électronique.

Une bite en plastique blanc couchée sur le trottoir, ce n'est pas nécessairement un camion qui l'a pliée. Il en faut du temps, pour avoir un jour la barbe du Père Noël sur un débardeur sale et tâché de graisse.

Terre-plein central. Le ruban de pelouse jaunie sur lequel alternent, plantés irrégulièrement, des érables déjà âgés et des arbres plus frênes frêles, plus frustes. La flèche pointe vers le dehors, c'est-à-dire vers le futur. C'est une flèche blanche banale, qu'on ne remarque même plus.

Descendre vers la Loire revient à attraper des rêves, avec l'ozone et le gasoil.

Ce point au loin est-il un caniche dans un manteau bleu ou un caddie ? Cette canette posée sur la rambarde qui sert de glissière de sécurité, est-ce de la bière ou une boisson énergisante ? Rose fuchsia d'une tenue de jogging. Jaune pétard d'une sacoche de vélo. Puis toutes les couleurs en une fresque habile sur la longue palissade de métal du chantier des Beaux-Arts...

Flaubert, casse-toi avec tes fioritures, ou ton refus d'icelles.

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vendredi, 01 juillet 2016

Céramiques

    Borner la palissade. Dire la même chose. Dire la même chose qu'avant. Dire plusieurs fois la même chose en un seul mot. Dire la mort avec un chapeau. Borner la palissade. Berner la glissade. Être avec Bernard Palissy dans le four brûlant. Attendre à la vitre. Précipitation. Merci Bernard. Ce jeune homme qui dépense plus d'argent pour l'entretien de sa barbe que pour celui de sa voiture affiche un air de désarroi absolu. C'est dans la rue. Le moteur tourne. Précipitation. Dire la même chose. Sauter des étapes. Souffrir avec Bernard-Palissy de la chaleur du four. Le garçon barbu n'a plus cette expression de désarroi incongru.

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lundi, 27 juin 2016

Hauteur limite

    Quel est le sens de la parole, quand le crépuscule s'embrase, pour tous les gens qui guettent l'orage ? Quelle folie s'empare de leur âme ? Le mystère en béton demeure entier .

On se demande bien qui va loger dans ces centaines de logements face au va-et-vient des camions dans la plus totale incertitude, dans la plus totale incertitude des phénomènes de forme ; on se demande si la plupart de ces appartements ne vont pas rester déserts alors que dans le quartier il y a tant de maisons à vendre qui ne trouvent pas preneur et de locaux commerciaux totalement désertés.

La broussaille autour des grandes bennes. Les fleurs mauves le long du gravier dépenaillé. Quel est ce mystère ? Quelles sont les forces de la résilience ? Quel est l'écho de la plaine ?

Hauteur limite on peut casser des briques. Arbre frêne on peut riposter par des bourrasques interminables.

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lundi, 20 juin 2016

Intérieur jour

    Les empreintes dans le granit d'un monde intérieur imaginaire fuient devant la probabilité des heures, la pétrification des horizons. Il n'y a jamais un moineau dans le ciel quand le ciel interminablement reste gris, il n'y a pas un pinson pour surprendre la marche, pour promener ses trilles sur une portée tout aussi imaginaire que le monde intérieur fait d'effusions, d'étreintes, de châteaux en Espagne comme de road movies en Australie.

Passez muscade, pour la cavalcade des saisons.

Plus de printemps, rien que de mornes saisons. Jamais plus voir le pinson à la cime, contempler de nulle part l'abîme.

Chialer dans la cuisine, avec Flaubert et la possibilité intense du quadruple génitif, à contempler la disparition de la possibilité du pinson des arbres, quand il passe dans le trou béant de votre monde intérieur, à moins aussi qu'on ne soit géniteur, qu'on n'ait engendré une nouvelle vie, vivre pour les plus hautes amours.

Tout asservir.

Être tout asservi ?

Ce matin aussi, les arpèges ne sont pas les alpages, les carambolages ne vont pas en cavalcade, quand je franchis le rond-point pour m'aller abreuver aux arbres je fais toujours hyper gaffe.

Prosit, à la gentiane ou à la camomille.

Saisons inexistantes, tout est gris.

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mardi, 31 mai 2016

Quelque part à Argentan

Hier, 11 h 50.

    Quel abri reste-t-il contre les chevauchées fantastiques ? De quel monde héritons-nous quand nous tombons dans des débats tarabiscotés ?

La petite fille avait traversé l'enclos des fièvres sans un regard pour le bouc et sans cesser de chantonner la rengaine qui passait ce matin-là sur W9. Il lui arrivait de changer de disque, mais ce n'était jamais par hasard, c'était toujours parce qu'un coup de vent ou un coup de sang lui avait dicté une nouvelle mélodie, parce qu'elle s'était levée d'humeur joyeuse ou parce qu'elle avait perdu le nord en répétant ces exercices de violence. D'habitude, le bouc venait lui renifler le pantalon et elle lui parlait d'un air distrait tout en improvisant une musique qui permettrait à l'animal de se rappeler plus tard son passage et de savoir qui elle était.

Elle ne connaissait pas le nom du bouc, mais comme il ne connaissait pas son nom à elle, cela lui semblait normal. Les nombreuses fois où il était venu vers elle, matois et précautionneux, elle lui avait trouvé quelque chose d'italien, ce qui ne signifiait nullement qu'elle eût un quelconque don d'identification de nationalité, fondé peut-être sur la lecture de magazines de mode ou le visionnage de films, mais c'était là encore les exercices de violon qui lui avaient permis de répertorier toutes ses expériences dans de nombreuses catégories, tant et si bien que le bouc lui semblait plutôt italien par la vertu de quelque madrigal ou de quelque partita qu'elle avait eu l'occasion de jouer.

Avec le bouc, ce matin, ce qui se passait était un mystère. La fillette poursuivit son chemin sans semblers'en préoccuper. Elle chantonnait, toute la vérité du monde dans un chantonnement.

 

12:47 Publié dans Aujourd'hier, Élugubrations, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)

Sans —

8 h 42 — 8 h 55

    Les lignes de fuite dans le gazon, les fleurs saccadées sous l'eau de la cascade, Les âmes secouées à la pointe des barricades, la teneur en sucre de l'existence, c'est fort, c'est très très fort. Caprice des fantômes, farandole des spectres, solitude de l'homme emprisonné dans le glacier. Les rongeurs s'activent dans le rouge.

Chaque fois que je frôle, de mon blouson, une branche d'acacia, je songe à tous les romans que je n'ai pas pu écrire. Presque systématiquement quand je vois une lézarde dans un mur, ou une clôture, j'imagine que dans aucune réalité parallèle je n'aurais pu devenir peintre. Questionner la matière, c'est trop dur, vraiment trop dur. Goulag des efforts avec Gulliver.

La cavité où s'enfonce mon temps de vieillesse, la tricherie des belles lettres, la dureté du soc qui fait des étincelles contre la pierre cachée, le fracas des odeurs malmenées par l'orage, la couardise de chacun de mes gestes, c'est très laid, franchement trop. On ne peut pas lutter contre le romanesque d'un Alexandre Dumas, il a tout envahi. Ainsi, la laideur me retombe dessus, sans faux-semblants, sans lapsus, sans que dalle.

Mêle-toi de tes oignons, je ne te cause pas, je ne pose pas pour toi mes couilles sur un tabouret, ça suffit, vraiment tu en as assez.

Le peintre travaille une autre matière, et d'ailleurs c'est fou d'en parler au singulier, les peintres ne cessent de s'éparpiller par, pour des matières insaisissables. Question pour les temps futurs, et pourquoi en sommes-nous encore à nous piquer de poésie comme on se pique sottement à une ortie.

Je ne veux plus être laid dans mes gestes, je veux être une ortie.

 

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lundi, 30 mai 2016

Poème à tuer

    Avec des chaussures en daim, on peut tout faire.

On peut sauter dans les flaques, on peut écrire des poèmes, on peut presser le pas quand une voiture arrive trop vite sur le passage pour piétons, on peut admirer un crépi, s'émouvoir d'un sourire entrevu, on peut même fouler la peinture écaillée d'une piste cyclable.

Avec des chaussures en daim, on peut éviter les escargots et les crottes de chien, frôler les fleurs sauvages des trottoirs, prendre des photographies, imaginer tout en marchant des plats exotiques venus des pays froids.

On peut même tuer un homme. N'oubliez jamais ça, même pieds nus lacets défaits on peut tuer un homme.

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mardi, 24 mai 2016

The Unanswered Question

    Si la ville venait à se vider de ses voitures, si enfin, même avec d'autres énergies trouvées, la ville était désertée par les pétarades, les bruits de moteurs, le vacarme des groupes électrogènes comme des insupportables vélomoteurs, nous ne manquerions pas de croiser beaucoup plus de passants, nous serions des milliers de piétons à nous croiser sur les trottoirs, mais cela déboucherait nécessairement sur d'autres nuisances, comme les vélos, qui rouleraient n'importe où, sans faire attention à qui que ce soit, ou bien des piétons renfermés sur eux-mêmes, robotiques.

L'utopie s'achève toujours en dystopie, en navrance. Il n'y a pas de refuge, pas de tour d'ivoire qui tienne, pas de pré carré qui permette de courir à son rythme personnel.

Le plus beau des amours se termine en cadavre. La poésie, art de mémoire, finit détruite dans des cellules sombres. Le garçon qui n'a pas connu la désillusion se charge de remords comme un dauphin boursouflé. Bref, c'est la pagaille et la mortitude.

Comment connaître d'autres horizons.

Ce ne sont pas les passants que je croise qui détiennent la réponse.

09:17 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (1)

lundi, 23 mai 2016

Un chien dans un jeu de quilles

Dimanche 22, 9 h.

    Plutôt que me fier au rythme de mes pas, ou à l'odeur, de loin en loin, des lilas, j'aurais sans doute dû, oui, tenter de dénombrer les escargots des trottoirs.

Ils sont innombrables.

Innombrables, façon de parler. Je sais par exemple que, sur une portion très restreinte, entre la poste et le supermarché, j'en ai vu environ une douzaine. Les escargots ne sont donc pas innombrables, et encore moins indénombrables. Il y en a des jaunes crème, des marron rayés, certains, les plus beaux, dont la coquille est rayée de jaune et d'orangé, et on ne cesse de les éviter en marchant.

L'homme tête en l'air, le piéton, écrase forcément des escargots sous ses chaussures. L'homme tête en l'air, de toutes les façons, manque immanquablement la poésie du bitume. L'escargot qui glisse sur le gravier, cornes dressées vers le ciel, ne manque rien de cette poésie, Mais on ne peut rien lui arracher non plus.

La grande chèvre de la ferme peut, de temps à autre, boulotter un escargot avec sa coquille, l'escargot n'en demeure pas moins le plus fort et le plus savant. C'est ce que je me dis en marchant, en oubliant de dénombrer les escargots qui glissent sur le bitume. Je plisse les yeux et je n'en vois plus un seul.

Je deviens à mon tour le piéton enfermé dans sa coquille.

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mercredi, 18 mai 2016

Trouées

    Yeux explosés de fatigue. Curieusement, cela me rappelle quand j'étais très jeune, quand j'avais 19 ans, notamment le mercredi matin quand j'allais faire ma prise de sang à jeun, très loin de l'appartement, à Talence, tout cela à cause du traitement contre l'acné.

Je me sentais fatigué, comme cela m'est arrivé régulièrement au cours de ces trois années de classe préparatoire, et rétrospectivement quand je repense à tout ce que je faisais, je me demande même qui était cet homme. Alors, si, au sortir d'une nuit de trois ou quatre heures seulement, je marche dans le froid, puisqu'il semble désormais définitif que le mois de mai est un mois froid, et si je ressens la fatigue, yeux explosés de fatigue, je ne dois pas m'en étonner.

On peut faire un poème avec rien, avec trois fois rien, seulement en marchant, et c'est ainsi, par les rédactions parlécrites, que je peux étoffer ma propre parole, en caractères énigmatiques. Trois fois rien.

La louche au valseur.

Ce n'est pas la peine, yeux explosés de fatigue, d'en conclure à la fin définitive du sexisme. On peut faire un poème avec trois fois rien, et avec toute la société contemporaine, comme on pourrait aisément et stupidement résumer toute la société contemporaine à la mode des jean's troués aux genoux.

Trois fois rien, même à la louche. Même en louchant sur un smartphone. Prendre initiative n'a pas de sens.

09:06 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 12 mai 2016

Lacustre

    Le violoncelle fait vaciller en moi tout le chaos préétabli, solidement arrimé. C'est comme une catastrophe joyeuse. Tout est remis en cause, les langues et les voix, les gestes comme les saveurs. Ce n'est ni une grotte au fond de la forêt ni un rêve en pleine tourmente, mais c'est le long chemin escarpé de la joie aussi catastrophique que nécessaire.

Car la joie est forcément catastrophique, cataclysmique.

Elle est remise en cause, je le disais.

La joie va à tâtons au fond des marigots. Et, au fond des crevasses, au fond des marais asséchés, à pleines mains dans la bourbe, je trouve la joie plaintive et robuste du violoncelle. Ces accords magnifiques sont ce qui la tarabuste.

Après cela, allez tenter de convaincre la Vouivre de vous relâcher.

23:03 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 11 mai 2016

Des tacots au cimetière

Est-ce

    Le vrombissement d'un avion de guerre n'est pas plus assourdissant que lorsque une petite voiture ralentit à l'approche d'une priorité à droite. Je me demande si le désespoir du singe est une métaphore de notre condition humaine. Est-ce l'avion de guerre qui passe qui me fait songer à cela ? Les amis anglais, ou plus largement britanniques, qui m'écrivent leur fascination pour le barbecue, pour les saucisses grillées et la salade, pensent-ils que je vis dans la canicule ? Auquel cas ils se trompent.

Les voitures bariolées pourraient faire un bon sujet. Quand j'étais enfant je n'aimais que les voitures blanches. C'était aussi toute une collection de petites autos miniatures, surtout de la marque Majorette. Mes préférées étaient les plus cabossées, celles qui commençaient à avoir des taches de rouille. Pour les vraies voitures, celles que je voyais les adultes conduire, mes préférées étaient donc celles dont la carrosserie était blanche. À un moment donné, les trois tacots que conduisaient mes parents, de vrais oignons, je parle des voitures et pas de mes parents, ces trois tacots étaient tous les trois blancs : la 304, héritée de mes grands-parents quand ils avaient changé de voiture, la 4L, et la R16, qui était la voiture principale, avec laquelle mes parents tractaient la caravane, donc aussi la voiture des vacances. Toutes blanches. Toutes les trois.

Une voiture que j'aimais, même quand elle n'avait rien à voir avec celle de mes parents, ou avec celle d'autres proches, de la famille, était toujours une voiture blanche.

Je foule le gravier sous des cèdres superbes, je longe le boulevard mais de l'autre côté d'une grande muraille. Je m'assois sur un banc mais je pense à toi. Les cyprès sont comme des plots dans un jeu d'enfant. Pourtant, je suis entouré par les morts.

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mardi, 10 mai 2016

Des profondeurs

9 mai, 9 h 45

    Du tréfonds de l'averse, je sens monter une sorte de berceuse. La fleur a poussé par paliers, et, de loin, on ne peut pas encore confondre les glycines et les lilas. Pourtant, je préfère habituellement les lilas blancs aux lilas mauves. La berceuse qui monte, entre les gouttes de l'averse, entre les éclats de la bruine, se rappelle à nous, sans qu'on puisse se retenir de sentir monter les larmes.

L'ivresse des profondeurs n'est pas autre chose. Je le sais bien, moi qui ai plongé dans tous les océans du monde. Je le sais, moi qui ai côtoyé les coraux. Je comprends cela parfaitement, moi qui ai dansé avec les requins. Quand les méandres passent outre aux recommandations du diable, il n'y a pas d'autre solution que de se jeter dans la danse de la plongée.

La pluie tombe fine, on la sent à peine sur le crâne. Ce n'est plus une bruine ni même un écho de flûte. Le mois gris s'écharpe et s'essouffle sous le crachin. Les notes de musique elle-même sont déstructurées. Le mois gris met un bémol à ses ardeurs.

J'imagine sans peine, pour avoir cru mourir d'étouffement si souvent au fond des océans, la souffrance de ceux qui sont criblés par l'allergie au pollen, au printemps. Pour eux, même le béton n'est pas un secours. Ils aperçoivent les palissades, reprennent espoir, mais se sentent néanmoins piégés par le pollen. À quoi bon ? Et à quoi bon plonger dans l'écran de lavande ?

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Aeri perennius

4 mai, 14 h 49.

    Une fois encore, mais cette fois-ci rue Émile Zola, le parfum de la glycine aura atteint mes narines avant mon œil, et je m'interroge toujours autant sur les échafaudages de la parole. Ce qui dans la ville est dépenaillé n'est pas le sujet de mon poème.

Les grappes de jeunes filles ou de jeunes garçons assis par terre, c'est une métaphore bien commode après avoir humé la glycine. Qui vole un œuf vole un bœuf, vous avez ma parole pour aller la faire cuire. Se faire bronzer au pied de la statue de Michel Colombe, voilà le seul propos du printemps retrouvé. Vous avez ma parole. Aux différents  instants où une banderole de plastique accompagne la phrase, c'est toujours dans le square brumeux et noyé déjà par le bleu que l'on se retrouve.

La statue de pierre, mon poème ne peut pas s'achever là-dessus, le lierre déborde de partout, le printemps est ton accumulation, ton accumulation à toi, la statue n'est pas en bronze.

 

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lundi, 09 mai 2016

Claire fontaine

4 mai, 14 h 15.

    Un dimanche du mois de mai, refleurit toujours, avec cette glycine. L'impact lumineux sur le gris blanc des flèches de la cathédrale. Nous n'avons pas cherché pour rien la pierre philosophale. Quand on chantait à la claire fontaine, on ne savait pas tout ça, on haussait les épaules. Le soleil décline. J'en ai entendu, vu ou senti, qui se servaient leur quatrième Ricard.

En tout cas, ce n'est pas la faute du lapin en peluche. Horodateur en panne. Statut paranoïaque. Des châssis bouffés pour les cyclistes, avec des trottoirs encombrés.

Je file acheter un guide d'identification des oiseaux d'Europe, alors je n'ai pas le temps pour l'art africain. Pas une miette de phrase n'échappe. Il est tout à fait normal de ne pas avoir une minute à soi, dans de telles circonstances. Nous sommes tous, nous humains, faits comme des branches de céleri.

Alarme. Sirène de la police.

Avec la pierre grise et blanche, frappée par le soleil, de la cathédrale, je compromets mon propre regard comme un pollen livré aux abeilles.

 

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dimanche, 08 mai 2016

Les aviatrices

    Toutes ces aviatrices que nous avons oubliées, toutes ces exploratrices, montant de la mer, en quelque sorte, même quand elles faisaient la guerre, même sous la mitraille. Elles nous tendent la main. C'est la saison où les branches et les feuilles s'échappent des grillages. Je crois que je n'articule pas bien, ou que je confonds un peu dans ma voix les dentales et les vélaires.

La petite souris ne passe plus jamais. Il y a un temps pour tout. La carlingue de l'avion se déglingue. Le parking souterrain a l'air abandonné, mais il finit par donner sur la ferme de la Milletière. On ne récolte pas assez le pognon. En fait, on ne récolte rien du tout, pas même le souvenir d'un poème de Norge. Le cancanement qu'on entend souligne encore plus, encore davantage, le fait que l'on se trouve au cœur de la ville la plus embrouillée. Des kilomètres de bureaux vides.

Comme dans les allées du parc zoologique, les avions ont fini de dessiner dans le ciel des brumes, ces sortes de zézaiements qui nous faisaient rêver quand nous étions enfants. Ce n'est pas le brouillard, c'est le dessin sur le flanc de l'animal. Ce n'est pas la vapeur d'eau échappée au contact de l'air chaud, c'est le dessin, la rayure sur le flanc de l'animal semblable au cheval. Tout un musée de cire.

En se promenant le dimanche dans la zone industrielle, en longeant les ateliers municipaux désertés, on se permet de parler à haute voix dans un dictaphone. Les avions dans le ciel inlassablement dessinent des mirages, comme quand j'étais gosse.

La ville, malgré tout, est plus poubelle que verdure, plus bitume défoncé que brume d'avion dans le ciel. Ce qui s'échappe des grillages, ce qui crève l'asphalte, ce ne sont pas les zébrures dont nous rêvions quand vous étiez enfants.

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mercredi, 27 avril 2016

Sans rancune

    La rancune n'est pas une fleur qui épouse des chemins sinueux. S'il fallait absolument une métaphore, une image un peu idiote, peut-être quelque chose qui passerait dans un film, qui crève l'écran, la rancune est plutôt comme un caddie abandonné qui aurait été volé puis laissé à la limite, à la lisière d'un square, dans une zone pavillonnaire.

Il est étrange de vouloir écrire un poème sur la rancune. Un vieil ami, qui a 147 ans, me l'a déconseillé. Il s'est montré fait tout à fait décourageant, même. Malgré son grand âge, il a eu le courage de monter en haut d'une cheminée d'usine, de déloger le couple de cigognes qui s'y trouvait, et de me crier de là-haut : « si tu écris un poème sur la rancune, je resterai là pendant des jours et des jours ».

Si ce n'est pas de l'amitié, ça.

Toutefois, je tenais trop à ce poème, alors je l'ai écrit. Je l'ai écrit en observant une corneille qui avait volé une petite branche et qui la dépiautait, perchée sur un conifère. J'ai écrit ce poème, tout en écoutant en permanence les découragements et les jérémiades hautaines de mon ami de 147 ans. Il pouvait beugler ce que bon lui semblait, qu'avais-je donc à faire d'un stylite aussi âgé, aussi dépenaillé, aussi décourageant ? Tout en se disant mon ami il pouvait me défendre d'écrire un poème sur la rancune ? Moi, je trouve que la rancune est un aussi bon sujet de poème que le tronc âpre d'un bouleau ou le vert si intense des feuilles de cognassier.

J'ai donc ramassé une plume de corneille et je l'ai montrée de loin à mon ami, hissé tout en haut de sa cheminée d'usine, et j'ai essayé de lui faire comprendre que tout était sujet possible de poème. Il m'a dit que j'avais trop lu les romanciers japonais, les modernistes, que je racontais n'importe quoi. J'ai poursuivi la corneille, qui avait disparu. J'ai décidé d'abandonner ce stylite dépenaillé, décharné, de le laisser à son sort.

Comment peut-on ne pas aimer les romanciers modernistes japonais ? Comment peut-on leur préférer une cheminée d'usine abandonnée par les cigognes ? C'est la diversité humaine, me direz-vous. Je n'en disconviens pas. Toutefois j'ai écrit ce poème sur la rancune, ou je l'écrirai un jour, cela revient au même. Rancune ou pas, comment peut-on préférer vivre en haut de cheminées d'usines abandonnées par des cigognes, comment peut-on préférer aller passer ses journées là-haut quand on a 147 ans plutôt que de discuter simplement avec un ami observateur de corneilles, discuter de son prochain poème, sur la rancune ou sur autre chose, comment peut-on préférer cela à la lecture des romanciers japonais modernistes ?

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mercredi, 20 avril 2016

Rue de la Bourde

    L'erreur est finalement ce qui relie l'ensemble des écrivains. Tous ne réussissent pas, tous peinent, tous se trompent. C'est l'erreur, en fer forgé comme les balcons au soleil, qui relie aussi l'ensemble de ces textes parlécrits.

Le bruit des échafaudages. Les palissades qui ne peuvent rester vierges de graffiti. Les boîtes de lettres en fer ouvertes dans le mur même. Les anciens combattants par milliers, sur les trottoirs au soleil, écrasés, comme morts, ou périmés. Anciens combattants. Fondation qui est la poubelle. Grand portail, porte cochère vide. Bicyclette jaune comme celle du facteur. Toutes les bicyclettes sont des bicyclettes de facteur. Tous les balcons en fer forgé disent une solitude. Tous les graffitis disent au moins une sottise.

Dans tout cela, l'erreur règne, qu'elle soit de bois ou de fer, de plume ou de clavier. Nous n'avons pas chômé, nous autres, au ramassage des bourdes.

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lundi, 18 avril 2016

Rue de la Serpe

    Je me rappelle très précisément, très vivement, quand j'ai pour la première fois connu serpe et faucille, les mots et les outils.

Mes parents venaient d'acheter le terrain de Cagnotte. J'avais six ans, et nous allions régulièrement, le weekend, nettoyer le bois. Je devrais plutôt dire, bien entendu, comme je n'avais que six ans, que mes parents s'acharnaient et se tuaient à la tâche, tandis que ma sœur et moi ne faisons rien que jouer. C'est à une de ces occasions que mon père m'a montré, je pense, ce qu'était une serpe et ce qu'était une faucille.

D'instinct, je préférais la faucille dont mon père dut m'apprendre le maniement, mais qui était à ma portée. La serpe ne paraissait plus lourde, plus trapue, moins jolie.. plus adulte ?

Il n'y a pas un chat dans la rue de la Serpe.

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dimanche, 17 avril 2016

Le Vampire

    Dans un récit de ruche encore inconnu j'ai un point dans un acide rue encore inconnu. Je ne sais pas si je dois remonter ou descendre la vie des maires là. Si je risque de retomber l'étourdi meubles sont terribles.

Je descends l'allée des merles, qui n'est pas une allée. Au bas d'une grande tour de 12 étages, un petit garage à vélos extérieur. Gabriel Lamé était un géomètre. Une curieuse maison étroite sur deux étages porte le nom des Étoiles.

Il faut du sang neuf. Je suis arrivé à de multiples impasses. Quand je marche je marche plus. C'est aussi que je n'écris plus quand j'écris. Il faut du sang neuf. Ce n'est pas juste un numéro à la loterie. Ce n'est pas seulement une vieille publicité peinte, mangée, rangée, recouverte par un lierre lui-même mourant.

Il faut du sang neuf. Tout inclus. Pas d'exotisme. Pas vouloir échapper à ce qui se trame au quotidien dans l'écriture. Pas se comporter comme une vieille lame métallique enfoncée, venant vers quelle cave. Je n'en sais rien je m'en fous. Pas se comporter comme une vieille dalles métallique enfoncée, venant vers quelle cave. Je n'en sais rien je m'en fous.

Redoubler d'ardeur. Du sang neuf. Redoubler d'ardeur. Du sang neuf. Il faut du sang neuf. À quoi ressembleraient ces carnets. Pourquoi les portails sont-ils toujours vers l'arrière comme une phrase timide ? S'occuper de quelque chose ? Suis dupe ? S'occuper de quelque chose ?

Rue du Pavillon, ce qui se joue à l'oreille. Dactylogramme s'improvise photographe. Cela même est archaïque, de sorte que l'on revient toujours à cette proposition importante, interminable. Travailler à l'oreille. Du sang neuf.

Toujours du sang neuf. Toujours.

Le sang qui pas les dents.

J'en ai assez, c'est pour cela qu'il me faut du sang neuf. Peut-on devenir vampire avec un dictaphone ?

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samedi, 16 avril 2016

Cousu

    Le samedi, la circulation est ininterrompue. Les noisetiers, ciblés par la pollution, résistent bien que mal. Les chatons, allongés, hésitant entre le vert jaune et l'ocre, tapissent le trottoir défoncé. La musique qui s'élève est définie par le bruit, le fracas, métallique, est par nature insupportable. La musique qui s'élève des villes, métallique, est par nature insupportable.

Ce n'est pas toujours le sol fastidieux que je regarde. Dès que je regarde autre chose que le sol, on peut dire que je contemple que je scrute. Le sol, il faut faire preuve de beaucoup d'attention, au fond, pour le scruter, pour dire qu'on le scrute. Peut-on dire également d'un trottoir qu'il est cabossé ? Peut-on dire d'un chat tricolore qui s'échappe au loin dans un fourré, quand on se trouve sur la butte d'herbe au-dessus des petites maisonnettes, que sa vision furtive suffit à donner une autre valeur, une autre ampleur au sol ?

Sol. Sol.

Écrire un texte est décousu, c'est amplifier la métaphore de l'étymologie. Pourquoi faudrait-il qu'un texte soit cousu ? Un texte cousu, un poème cousu n'est-il pas forcément cousu de fil blanc ? Se payer de mots, c'est déjà se payer la tête de celui qui lit, par-dessus votre épaule, avec les saules fastigiés, le sol fastidieux, cela calembredaines, calembour, se payer de mots, se farcir la tête vainement, se payer la tête du lecteur.

Pourquoi un poème devrait t-il être poétique ?

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jeudi, 14 avril 2016

Pluie

15 h 50

    Quand la pluie dévoile les vitres, elle les illustre. Quand la pluie dévale la pente, ce n'est pas nécessairement un torrent. Quand la pluie dévide l'écheveau, les fileuses de laine ont du souci à se faire.

Les palissades d'acier blanc composent une toile de fond artificielle à nos souvenirs. Le ballet des essuie-glace, monotone, monocorde, monochrome, ennuie même les piétons sur les trottoirs. La passacaille des marteaux-piqueurs, quand le soir est venu, on l'entend moins que les débroussailleuses et les tondeuses des voisins. On roule sur des rails, on file sur des fleuves, la crête de l'eau n'a jamais été aussi souveraine qu'avec cette pluie qui dévale.

Les parapluies ont des couleurs de plasma, l'évidence règne partout en maîtresse.

Ces tartines de pluie tarabustent la danse des tramways, aussi monotone et monocorde que celle des essuie-glaces, de sorte que l'on se prend à espérer l'été, à attendre la chaleur, quand la pluie même sera à l'orage.

Peut-on dire des tramways qu'ils sont monochromes puisqu'ils sont noirs, gris et blancs ? Les chicanes de l'avenue de la Tranchée sont moins perverses que celles d'un lecteur en embuscade. Le lierre n'en finit pas de dégouliner des pierres, et la pluie dévisage les passants. La pluie devise gaiement dans sa tristesse coutumière. La pluie défigure la ville en lui donnant l'allure, la silhouette d'un nouveau paysage.

La pluie n'est pas le lierre, elle qui dévoile de nouvelles facettes comme autant de nouvelles façades.

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mercredi, 13 avril 2016

Poème des rives

Hier, vers midi moins le quart.

    Ils sont rares, ceux qui marchent sur l'herbe. Ceux qui se promènent en foulant le gazon. Il y a, dans cette pelouse qui longe le tramway, des traces de vélos, peut-être de motocyclettes, va savoir même si des rodéos de voitures n'y ont pas été improvisés.

Mais moi, au mépris des trottoirs, je foule le gazon, avec les pâquerettes et les boutons d'or, les brindilles tombées à terre, les branches des conifères, le long des rails. Il fait un grand soleil, et pourquoi ne pas fouler le gazon ? Le promeneur observe nécessairement les façades, les pigeons, les vieux champignons qu'a épargnés la tondeuse. Le promeneur pense à de nombreuses choses. Sa démarche ne peut pas être vide, c'est-à-dire qu'on ne sait jamais quelles pensées il roule.

On voit bien quel gazon il foule, mais sa pensée est inaccessible.

C'est un grand soleil d'avril, le soleil des trottoirs, des gazons, le soleil des conifères, le grand soleil des longues marches au soleil. Demain, tu prendras peut-être ton appareil photo, mais tes pas ne connaîtront pas le même balancement. Demain, ton pas connaîtra peut-être un même balancement — mais les boutons d'or, les plumes échappées aux pigeons ne seront pas les mêmes. Les brindilles auront changé de place. Les branches seront moins blanches.

Il est impossible que tu croises la même camionnette de la poste, ou les mêmes scooters, ce vigile grisonnant avec son dogue au même endroit. Ta marche se fera peut-être sous un soleil égal, mais des corbeaux se seront approchés, par un jour de plus, de l'été.

Et toi, le gazon, le verras-tu comme une étoile ?

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mardi, 12 avril 2016

Poème de la canette abandonnée

 9 h 10

Cette canette n'est pas cabossée. L'objet semble intact, vierge.

Elle a été abandonnée, la canette, à la lisière d'un carré d'herbe et d'un pan de bitume défoncé. Elle aurait pu avoir pour compagnie tel couvercle de bouteille de lait ou tel paquet de Philip Morris vide et écrasé, mais le destin stupide, ou le hasard, armé par le bras de quelque automobiliste dénué de conscience, en a décidé autrement. Elle gît donc près d'un grand portail de bois, qui ne me semble jamais être utilisé par qui que ce soit, et risque de demeurer là encore quelques jours, à moins qu'une âme charitable ne la ramasse pour sa collection de canettes de bière, encore qu'il s'agisse là d'un modèle tout à fait banal, ou pour la flanquer dans une benne, et ce sera peut-être moi.

 

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lundi, 11 avril 2016

L'oral nous a dépecés (?)

10 h 47 – 11 h 07

Écrire prend de nouveaux détours. Quand je passe près du portail vert, qui est entouré de trois poubelles différentes le lundi matin, je m'interroge aussi sur les raisons d'un vert aussi artificiel, quand tout autour bourgeonne, y compris les prétendus mauvaises herbes entre les murailles. Écrire donc est une nouvelle aventure. C'est une aventure aussi indéfinissable qu'infinie et interminable, comme ces myriades de déchets minuscules sur la chaussée, ces graines sur le trottoir, ces blocs séparant la chaussée du trottoir, les feuilles rouges des pyracanthas, tant d'autres d'arbustes et d'autres fleurs que je suis incapable de reconnaître. Écrire prend des allures plus ridicules que jamais, comme ces petits toutous imbéciles en ciment placés de chaque côté d'un portail.

Il faudra beaucoup corriger, beaucoup reprendre.

Losange jaune sur losange blanc, l'écriture n'est plus jamais prioritaire. Nous avons inventé de nouvelles formes d'écriture. L'oral nous a déplacés, nous a dépecés. Je passe près de l'arrêt de bus d'Alembert, et je sais pertinemment qu'écrire plus jamais ne pourra être encyclopédique

Tout ce qu'il va falloir reprendre. C'est vertigineux. Même devant l'usine Sanofi, il y a un emplacement pour taxi. Et un garage à scooters. Des garages à vélos. Des places pour handicapés dont la peinture est quasiment effacée. Je marche sous un ciel de traîne, sous un ciel gris, selon où mes pas m'entraînent.

Il va tout falloir reprendre, vaine entreprise. Deviner ce qui se trame. Loin de l'entrée principale, toujours à l'usine Sanofi, des dizaines et des dizaines de places vides. Ils auraient mieux fait de replanter une forêt.

Par un détour, je suis arrivé au trottoir cabossé, trame centrale de mon itinéraire. Je dois essayer de rester insensible à ce que je vois. Ou plutôt le garder en moi, le taire, tenter de parler d'autre chose. Tenter d'écrire autre chose. Écrire au fond, ce n'est pas une aventure. Si d'aventure je me projette dans un autre temps, je pourrais m'imaginer recevoir un télégramme d'Australie, par exemple. Les phrases qui n'auront pas de sens pourraient être effacées, ou complètement réécrites. L'écriture n'est pas la grammaire. Des lapins qui gambadent tristement sous un ciel de traîne. Je marche sous un ciel de traîne. Tous les mots sont, à un moment, confisqués à l'avance. Je croise des rues dont les plaques ne me disent rien, ou, plus précisément, dont je ne connais pas du tout celui ou de celle qui leur donne son nom.

Une ferme au milieu de la ville. Aussitôt on est tenté par l'allégorie. Il faut savoir résister à l'allégorie. Si écrire est une aventure, ça doit être l'aventure de cette résistance à l'allégorie. Peut-on prononcer le mot allégorie pour se défaire de ce fantasme, de cette tentative repoussante, peut-on répéter le mot allégorie encore et encore, presque comme un mantra, dans l'espoir de chasser loin de soi l'allégorie ?

Je reviens à la ferme isolée au centre de la ville ; je reviens à cette ferme étrange, insolite, inquiétante. Depuis des années que je passe devant, je n'arrive pas du tout à imaginer ce qui se trame dans cette ferme, et je n'ai jamais vu d'activité extérieure. Par extérieure je veux signifier une activité qui se passe en dehors de l'enceinte de la ferme elle-même, bien sûr.

Je croise des gens qui promènent leur chien comme je promène mon écriture. Marcher, c'est donc écrire, sous le ciel de traîne ou pas, en gardant les yeux ouverts, et en essayant d'écrire sur autre chose que ce que l'on voit. Si je vois sur un trottoir un morceau d'écorce arraché particulièrement beau dans sa forme, je résiste à l'envie de le photographier, mais je résiste aussi à l'envie de le photographier par l'écriture, je résiste totalement à tenter de conserver cette écorce autrement que dans une vision fugitive, ou peut-être dans ma mémoire, et c'est ce travail-là que je dois tenter de faire, et donc ce texte n'est qu'une sorte de premier brouillon, de premier jet, de préambule, de prologue théorique peut-être. L'écorce ne doit pas devenir un symbole, un signal, un signe, aucune allégorie permise. À force de marcher tout droit, après avoir fait quelques détours, que je ne connaissais pas, l'écorce reste quelque part dans mon regard, dans la mémoire de mon regard, et elle restera malheureusement inscrite dans ce texte, même si ce que je voulais faire était le contraire. L'écriture n'est pas la grammaire.

Viens de passer tout près d'un poids lourd arrêté dans une cour, et je note ici avec quelque réticence ce qui est inscrit sur ce poids lourd. Transports Guillemet. On comprend désormais ma réticence. Là encore guette le risque d'allégorie de je-ne-sais-quoi. Mais je préfère justement donner cette piste afin d'effacer très explicitement l'idée qu'il puisse y avoir ici une tentation de métaphorisation de ce qui s'écrit par ce que voit le promeneur, et afin de noter que c'est là pur hasard, ce poids lourd est un poids lourd garé dans une cour.



11 h 07 – 11 h 11

Il s'est mis à pleuvoir. Pleuvioter plutôt. Je suis passé près de la rue de Reims, et n'ai pu m'empêcher, les turbines tournant en permanence, d'envisager que je pourrais me filmer en train de traduire un extrait de Retour à Reims. Il suffisait de se dire qu'il fallait tenter l'expérience de la promenade quotidienne pour enfin s'y résoudre, après de longues années à tergiverser, à ne pas le faire pour rester en famille, lire, vaquer, écouter de la musique ou tout autre prétexte stupide. J'ai tout de même fait quelques entorses à la règle de ne pas prendre de photographie, quand j'ai décidé de sauvegarder mon texte, et alors je me suis trouvé devant le centre de formation des apprentis, où j'ai pris deux photos de très mauvaise qualité, avec le smartphone, outil grâce auquel je dicte également ces textes.

 

11 h 11 – 11 h 15

Nouvelle entorse. Photographié rue de Picardie un transformateur avec une banderole danger de mort — rouge, bien entendu. Je ne m'étais pas avisé que je verrais autant de poubelles à couvercle jaune dans cette promenade. Je dis tout ça en vrac. Écrire est un vrac. Des thuyas formant une haie à moitié morte montant en une sorte de porche au-dessus d'un portail finissent par dévoiler une maison bien modeste. Autrefois on voyait régulièrement dans les villes, ou on croisait des fous qui parlaient tout seuls, qui beuglaient, qui vociféraient, et maintenant la nouvelle forme de folie consiste à parler à son smartphone, soit avec un interlocuteur absent, comme cela se voit (s'entend) souvent dans les transports en commun, ou, dans le cas qui est le mien, je dicte un texte à voix intelligible afin de le sauvegarder, ce qui est une bien plus grande folie, comme ne doivent pas manquer de le penser les gens qui m'entendraient, par exemple ceux de la résidence près de laquelle je passe en traversant un square que j'ai souvent vu depuis la voiture, mais où je ne m'étais jamais promené.

Il pleuviote toujours. J'ai renoncé pour l'instant à ce qui était le premier projet, à savoir marcher en énumérant tous les déchets rencontrés. Là, l'idéal serait bien entendu de tenter cette description exhaustive tout en ramassant la totalité des déchets, mais à ce moment-là ce ne serait plus du tout une promenade, mais une sorte de parcours du combattant en miniature.

 

11 h 22 – 11 h 27

Nouvelle interruption de quelques minutes. Il pleuviote de plus en plus fort. C'est plus de la bruine ou du crachin. J'ai voulu un petit peu voir comment fonctionnait mon podomètre. J'ai pu constater que j'avais fait mon 4000e pas en face d'une boîte aux lettres avec le nom Pompeigne.

À présent, je suis sur la voie de Narvik, sur laquelle je longe de longues barres d'immeubles blancs et gris, assez sobres et plutôt réussis ; j'ai fini par marcher sur la chaussée, par me décider à marcher sur la chaussée, car sur la droite il n'y a pas de trottoir, ou plus exactement le trottoir est entièrement herbeux, ce qui est d'ailleurs tout à fait de bon aloi, la raison en est un que je me mouillais pas mal les chaussures qui ne sont pas très adaptées, mais aussi que cette partie-là du trottoir est un véritable cimetière à merdes. C'est une bonne raison, je pense, de marcher sur la chaussée, quitte à faire très attention quand un engin de tonte passe, comme c'était le cas il y a quelques secondes. Écrire, est-ce cela ?

Si écrire est le mimétisme de nos actions, cela n'a pas grand sens, peut-être, d'autant que cela est très difficile. Grâce à cette vieille veste à capuche grise, que je ne mets jamais, je suis bien protégé de la pluie, il faut croire, étant donné que c'est dans les flaques d'eau que je m'aperçois qu'il pleut pas mal, en fait. La voie de Narvik devient désormais la rue de Narvik. Dans la transition de l'une à l'autre il y a un petit passage très étroit pour les piétons, ceint de hauts murs, bardé d'escargots sur le bitume, et c'est ici que je m'engage, et même que j'en suis déjà sorti, le temps de dicter ces quelques mots. J'ai donc quitté la voie de Narvik, pour rejoindre les maisons basses, que surplombe une grue en mouvement, jaune, comme les couvercles des bennes à recyclage, et je croise la rue Ferdinand-Fabre, un écrivain à ce qu'il paraît. Encore des tonnelles, des arbustes taillés de sorte à faire une tonnelle au-dessus du portail.

 

11 h 35 – 11 h 38

Je ne peux m'empêcher de me demander combien nous sommes, de par le monde, à faire précisément cela, à savoir écrire sans aucune fonction utilitaire directe, au moyen d'un logiciel de dictée, en marchant, ou peut-être pour certains en conduisant avec un kit mains-libres, que sais-je. Je me demande aussi comment je peux sortir de ce que je suis en train de pratiquer en ce moment même, assavoir une écriture tâtonnante, qui n'est pas une écriture bien sûr, et de ce fait même tâtonnante, brouillonne, imprécise, et tout à fait disproportionnée, par sa quantité, à son intérêt réel. Je me demande donc, ou devrais-je dire, je me suis demandé cela pendant l'interruption de cinq minutes peut-être, et j'en ai conclu que ce que je devrais faire, c'est la seule chose que je sais faire, au fond pour l'écriture, à savoir des textes que l'on va dire, par commodité, poétiques. Des poèmes, donc.

Je me suis aussi décidé à publier ce genre de texte, qu'il faudra nécessairement remanier un tout petit peu, ne serait-ce que pour corriger les erreurs ou les scories du logiciel, dans une nouvelle rubrique d'un de mes blogs, et qui s'appellera Élugubrations.

18:18 Publié dans Élugubrations | Lien permanent | Commentaires (0)