dimanche, 27 août 2006
Pont des arts, Ravignan
De quoi reprendre à neuf la rubrique Unissons...
Hier soir, Le Pont des Arts, film intelligent mais pas excellent, parfois beau mais aussi outré en certains aspects, exigeant mais pas si profond que cela. Un ami m'avait raconté, il y a plusieurs années, être allé voir la première de Toutes mes nuits, premier film de ce réalisateur. À l'entendre, cela m'avait eu l'air dangeureusement khâgneux. Eugène Green est un cinéaste qui se cherche, à mi-chemin entre Rivette et Rohmer, ce qui ne fait pas nécessairement des étincelles. Enfin, globalement, c'est un bon film. Natacha Régnier joue excellemment, alors que le parti pris de diction semble plus gêner d'autres acteurs, comme la jeune fille qui interprète l'amie de Pascal (Adrien Michaux, très bon, lui).
Il semble qu'Eugène Green, traumatisé par ses expériences dans le monde de la musique baroque, ait voulu régler ses comptes, et en particulier à travers le personnage de l'Innommable (Denis Podalydès), qui m'a tout l'air d'être une caricature de William Christie. (Toutefois, je n'ai trouvé aucune confirmation de cette hypothèse pourtant assez franche.)
Ce n'est pas précisément du film que je veux parler, mais de ses à-côtés. Un film parisianiste, se dit-on... Un film "d'intellos", redoute-t-on... Un film de normalien, ou de sorbonnard, frissonne-t-on... Heureusement, Le Pont des Arts n'est rien de tout cela. Et ce n'est pas du Pont des Arts que je voulais parler.
De quoi alors ? De quoi reprendre à neuf la rubrique Unissons...
Voici : cherchant, dans le générique de fin, le nom de la soprano qui interprète le Lamento de la nimfa de Monteverdi (c'est Claire Lefilliâtre), j'ai vu apparaître la mention suivante : "Remerciements au château de Ravignan pour ses armagnacs". Or, nous nous sommes arrêtés, il y a dix jours, au cours d'une virée dans l'est des Landes, entre Laberdolive et Ognoas, devant ce château de Ravignan, que je ne connaissais pas, et qui est très à l'écart des grands axes (et pas du tout indiqué, de surcroît).
Dans la scène où Manuel (Alexis Loret), nouvellement veuf, rend visite à ses beaux-parents, il boit un armagnac dont on voit clairement (couleur, lumière, rictus de l'acteur à la déglutition des minces gorgées) que ce n'est pas du jus de pomme.
Autre singularité, plus marquante encore de mon point de vue : une ancienne camarade de Normale Sup', qui enseigne de surcroît dans la même université que moi, au Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance, joue le rôle de la "professoresse de surréalisme". Elle s'appelle Julia Gros de Gasquet, et, en cherchant des renseignements sur elle par l'intermédiaire de la grande Toile mondiale, je tombe sur une page du journal d'un acteur, Manuel Weber, datée de décembre 2003, dans laquelle il raconte avoir confronté, en compagnie de Julia, la diction baroque, découverte sous la houlette d'Eugène Green, avec le théâtre nô. Or, le théâtre nô, s'il n'est pas représenté dans Le Pont des Arts, y est en représentation (avec Mathieu Amalric caché dans les spectateurs, m'a-t-il semblé). Vous trouverez ici les détails d'une lecture consacrée à la correspondance de François Truffaut, avec bios et photos de Julia Gros de Gasquet et de Manuel Weber.
J'apprends aussi que ma collègue vient de faire paraître un essai intitulé En disant l'alexandrin, l'acteur tragique et son art, XVIIe-XXe siècles (Honoré Champion, 2006, 396 pages). Mais nous nous sommes, dans ces discordantes unissons, éloignés du château de Ravignan et de Perquie, n'est-ce pas ?
07:10 Publié dans Unissons | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
Précisions fort savoureuses. Oserai-je, oui j'oserai, te copier ci-après la note que je publiai en décemb re 2004 sur ce film : En passant sur le Pont des Arts.
"Rien que pour avoir appelé un café « Le Glauque » j’aurais déjà aimé ce film. Qui est un objet singulier, difficile à cerner. Je n’avais pas vu les deux films précédents d’Eugene Green, je ne savais pas qui c’était, c’est la bande-annonce qui m’a attirée. C’est aussi, largement, la musique qui s’y trouve - je fais une crise de monterverdite aigüe.
Le Pont des Arts est une histoire d'amour impossible entre deux jeunes gens qui ne se rencontrent jamais dans la réalité : elle est cantatrice et se donne la mort en se jetant dans la Seine, il découvre sa voix au moment où il allait lui aussi mettre fin à ses jours. Si on en reste à ce schéma, on est dans le drame ou le mélo ; or c’est aussi un film très drôle. Il est vrai que le comique provient surtout des personnages secondaires, mais après tout Shakespeare ne faisait pas autrement. Denis Podalydès est absolument irrésistible en musicien irascible et précieux, judicieusement surnommé « L’innommable », et il faut avoir vu Olivier Gourmet déclamer sa tirade de Phèdre… indescriptible. On peut être aussi amusé par la diction artificielle des personnages et leurs phrases ampoulées, où pas z’une liaison n’est t’omise (du genre : « à huit heures z’et demie »…), tout à fait dans la manière de Rohmer, ce qui est accentué par le fait que le film se passe à la fin des années 70 - personnellement j’ai horreur de ça, mais tous les goûts sont dans la nature.
Quoi qu’il en soit, il sera beaucoup pardonné à Green pour nous avoir offert la scène finale qui est d’une beauté totale, l’absolu de Natacha Régnier, la vérité de l’irréel qui bascule dans une autre dimension. Et pour avoir fait de la musique le véritable personnage principal de l’histoire, celui par lequel tout passe et qui, pour être impalpable, n’en est pas moins réel."
Écrit par : fuligineuse | dimanche, 27 août 2006
T'avouerai-je, oui je t'avouerai, que j'avais cherché s'il n'y avait pas de note publiée dans certains blogs, dont le tien, et sans succès, et je pense que la note que tu recopies ici fait partie de celles que tu as virées de tes archives en ligne. Me trompé-je ?
Écrit par : MuMM | dimanche, 27 août 2006
Il y a une très belle note de tlön:
http://www.u-blog.net/ruinescirculaires/note/197
....et aussi de JS:
http://image.kaywa.com/cin233ma/films.html
et moi et moi et moi et moi j'avais commis ça
http://www.ublog.com/zvezdoliki/note/354
(une note qui a eu des tas d'incidences parabloguesques.....)
Écrit par : zvezdo | dimanche, 27 août 2006
Remarquables notes, me prouvant que j'avais raison de ne pas trop m'embarquer dans une analyse poussée du film, d'autres l'ayant fait nettement mieux que moi (et le jeu de mots sur la "pédale" m'avait échappé, même si j'avais remarqué les chaussures bleues :)).
Je les ajoute en liens, plus haut dans mon billet, en rappelant ici tout ce que je dois à l'admirable Zvezdo (peut-on le surnommer "l'Imprononçable"? (j'ai remarqué que VS écrivait souvent "Zvedo")).
Écrit par : MuMM | dimanche, 27 août 2006
Ah, les notes sur le Ponts des Arts ! (soupir nostalgique)
(je ne lisais malheureusement pas fuligineuse à l'époque)
Coïncidence, Claire Lefilliâtre et Vincent Dumestre étaient les invités de France Musique ce matin.
Ce qui m'a le plus frappé dans ce film, c'est comment Monteverdi peut sauver quelqu'un du suicide (magnifique scène)
Écrit par : Philippe[s] | lundi, 28 août 2006
Ou comment la nostalgie vous saisit : cette scène m'a aussi ému parce que la gazinière m'a rappelé mon premier studio de jeune homme studieux (et amoureux), à Talence.
Écrit par : MuMM | lundi, 28 août 2006
Bonjour,
Je vous découvre en cherchant par hasard (y a t'il vraiment de hasard?) des infos sur un chateau à Perquie (...non, pas Ravignan.... Pomiès....).
Donc, juste un merci pour votre poésie. Je vais tenter de trouver ce film qui ne m'inspire que du bon. Le Lamento della nimfa de Monteverdi me fait déjà rêver (il faut bien le dire, c'est le meilleur du disque).
Je viendrai vous lire régulièrement, pour un petit moment d'esprit...
Une landaise...
Écrit par : céline | samedi, 30 décembre 2006
Aujourd'hui, je suis à Hagetmau ! De nouveau landais donc... ;-)
(Si ça se trouve, même, nous nous connaissons !)
Écrit par : MuMM | samedi, 30 décembre 2006
Mince!
J'arrive trop tard...
J'imagine que vous êtes de retour à Paris? Vous êtes donc landais d'origine? Qui aurait pu le croire en vous lisant...
Je me permets de vous souhaiter ... une très belle année 2007!
Écrit par : céline | mardi, 02 janvier 2007
Non, je rentre à Tours (et non à Paris) samedi, et serai à Cagnotte vendredi...!
Écrit par : MuMM | mercredi, 03 janvier 2007
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