dimanche, 19 mars 2006
Salon du Livre, 3 : Cassiopée Peca
Il faut – au Salon du livre, cette grand’messe où je ne vais jamais qu’à reculons mais où, pour des raisons personnelles, je suis allé quelques heures ce vendredi avec un grand plaisir – s’attarder au stand du CIPM, dont le responsable éditorial est extrêmement gentil, de bonne conversation.
Lui, au moins, il sait ce qu’il y a dans son catalogue, contrairement à ces nuées de jeunes filles au teint clair et bien vêtues qu’emploient les maisons d’édition pour tenir la caisse, et tenir le crachoir aux importuns, ou servir d’escorte aux écrivains qui viennent pour les signatures ou les débats – lesquelles jeunes filles n’ont pas la moindre idée des publications un peu antérieures ou à venir, ni des noms de la plupart des auteurs, et encore moins, évidemment, de ce que peut bien être la ligne éditoriale de la maison qui les emploie. J’achève cette diatribe (je n’avais nullement l’intention de me laisser ainsi emporter) pour la relativiser, au moins pour ce qui est de l’appartenance des incompétents salonnards à la seule gent féminine : sur le stand d’Actes Sud, trois messieurs, âgés d’entre vingt-cinq et quarante-cinq ans, n’avaient pas la moindre idée de Jamal Mahjoub, de son éventuelle venue au Salon, ni de son dernier livre (qui vient de paraître), ni de la localisation éventuelle de ses ouvrages sur le stand (pourtant, ils étaient tous fort bien placés, sur les tables).
J’en reviens au CIPM ; je ne vous invite pas à consulter leur site Web, qui est totalement ridicule et donne une mauvaise idée de leurs publications, mais cet éditeur associatif publie de nombreuses œuvres expérimentales d’un très grand intérêt. Les plaquettes et les recueils sont bien faits, agréablement composés, et (cela mérite d’être signalé) c’est l’un des rares stands où l’on vous fait un prix d’ami, avec une petite réduction et un opuscule offert en sus. Je n’attends pas des éditeurs qu’ils « cassent » le prix de leurs ouvrages, d’autant que le Salon représente des frais importants pour les éditeurs – mais enfin, ceux qui le font n’en sont que plus louables !
J’ai acheté plusieurs livres, dont le très déroutant et fascinant Cassiopée Peca de Ryoko Sekiguchi, version française publiée en 2001 d’un poème très visuel et labyrinthique dont la version japonaise date de 1994. Je n’y ai peu près rien compris, mais la structure est très inspirante, sans compter que plusieurs des textes sont, tout de même, très émouvants.
Quand j’écris que je n’ai rien compris, c’est que l’énigme, comme elle dit, semble reposer sur un jeu de syllabes et d’interversions autour des noms de Cassiopée et d’Okapi. En français, si l’on soustrait les sons composant le nom Okapi du nom Cassiopée, il reste sait ou c’est (ou est-ce (ou la lettre S)). De même, l’énigmatique Peca semble avoir été arraché au nom de Cassiopée, pour laisser…quoi ? sio ? oise ? sois ? soi ? Enfin, ce n’est pas le seul intérêt, heureusement, de cet énigmatique itinéraire dans une constellation de phrases qui, pour emprunter sa métaphore typographique à l’univers mallarméen, a dépassé l’idée même d’une orientation du poème au profit d’une totale déroute du lecteur, peut-être plus proche d’une « parole en archipel » ou d’une forme très poussée d’origami textuel. (Je sais ce que la référence à l'origami peut avoir de clichéeuse, mais elle est loin d'être impertinente, ici, aussi la risqué-je.)
Tiens ! On s’y perd, au Salon du Livre. Il faudrait suggérer à un plasticien ami de Ryoko Sekiguchi de proposer l'an prochain une architecture des stands franchement bordélique, histoire que même le plan et l’index des éditeurs ne servent à rien, que les pages minables du programme en papier journal périssent définitivement délaissées dans une poche intérieure de veste. Nous serons bien obligés, tous, de déambuler à l’aveuglette.
17:15 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (0)
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