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samedi, 29 avril 2006

Clayettes de dalles brisées

… Vendredi 28 avril…

 

Avant tout, c’est une photographie, qui représente une jeune femme vêtue en suffragette. Seule, assise derrière une table jonchée de ce qui ressemble à des clayettes de dalles brisées, elle ne peut voir, à l’arrière-plan, les deux grandes portes blanches, surmontées chacune d’un cadre où se trouve une photographie en noir et blanc (deux vues de Venise ?). La jeune femme, dont on voit, sous la table, les bottines noires aux fermes lacets et le bas de la longue jupe à gros carreaux, est en train de trier les dalles brisées qui l’entourent de tous côtés.

Cette photographie géniale, reproduite en page 8 du Monde des livres de ce jour, est attribuée à un certain Bachrach (sans prénom), et illustre un article consacré à la traduction française du journal d’enfant d’Opal Whiteley (“L’enfance rêvée d’Opal Whiteley” par Catherine Vincent), dont je n’avais jamais entendu parler avant, mais dont je voudrais maintenant tout savoir. Il s’avère, à lire cet article, que la jeune femme – une Américaine née en 1897 et qui resta convaincue (peut-être à raison) qu’elle était la fille illégitime de Henri d’Orléans et de la cousine d’icelui, Florence, duchesse de Bourbon-Parme – avait écrit son journal vers l’âge de sept ou huit ans, et qu’elle dut passer huit mois à en reconstituer le texte, car une de ses sœurs en avait déchiré les pages en milliers de morceaux.

La photographie représente donc Opal Whiteley assemblant, à l’âge de vingt-deux ans, les pièces éparses de ce puzzle. Tout donne à rêver, ici : le nom de la jeune femme ; son mythe personnel (sans qu’il soit avéré qu’elle était mythomane) ; le texte disséminé en dalles brisées ; la publication d’un journal d’enfant apparemment empreint d’un immense et surprenant lyrisme (supercherie ?) ; le fait que, si l’on en croit le silence absolu de l’auteur de l’article sur ce point, elle n’ait plus écrit à l’âge adulte (syndrome de Bartleby ?) ; son internement de l’âge de 51 ans à sa mort, à l’âge de 95 ans.

 

Bien entendu, je ferai des recherches poussées lors de mon retour sur les terres tourangelles du haut débit, mais je n’hésite pas à ajouter une sixième raison de me passionner pour ce destin étonnant : la coïncidence de dates entre Opal Whiteley et l’une de mes arrière-grand-mères, Mamie Yvonne (ma seule Mamie, les autres ayant d’autres surnoms), née en 1897, fille de l’assistance publique placée très tôt comme domestique, et qui, toute sa vie, raconta ses souffrances d’avoir été considérée comme « la bastarde » et sa fierté d’avoir engendré une lignée. J’ai connu trois de mes bisaïeules, et c’est d’elle que je me sentais le plus proche – plus proche d’elle, même, en mon enfance, que des mes grands-parents. Elle est morte le 12 février 1993, à l’âge de 95 ans. De quoi engendrer quelques pages de Familienroman

Il sera sans doute question, de nouveau, d’Yvonne et d’Opal, dans ces pages.

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