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vendredi, 20 avril 2007

Silexpectatives / Progrès en pensée assez lents

Vendredi 13, onze heures du soir (puis par bribes de ci de là)

 

    La nage entre deux univers, et même entre de multiples. Après lecture des trois premiers chapitres de L’expectative de Damian Tabarovsky, jeudi 12 avril, s’être retrouvé avec L’Amour l’Automne (Travers III), acheté au Livre, vers une heure et demie vendredi 13. En avoir lu quelque 70 pages dans la foulée, bien sûr. Le soir, au concert, dans le sixième chapitre de L’expectative, être tombé sur ça :

Il prend une brochure, la lit : Ushuaïa, la ville du cul du monde. (L’expectative, p. 73)

 

qui rappelle ça, quelques heures plus tôt :

Moi, dit Carlos, je viens d’une ville du sud du pays : quand on est là on a l’impression que c’est le cul du monde. Eh bien en effet, quand je suis arrivé à Paris, on me demandait d’où j’étais, je disais Lanus, tout le monde était plié en deux. (L’Amour l’Automne, p. 72)

 

J’ai noté plusieurs autres collusions entre les deux textes, mais il me semble que, dans l’extrait de Renaud Camus on pourrait aussi observer d’autres significations à l’œuvre : ainsi, la phrase citée date de 1976 mais, recomposée pour figurer dans l’églogue publiée cette année, pourrait tout aussi bien s’appliquer à Plieux, où Renaud Camus s’est installé en 1992 et qui est, d’un certain point de vue, et comme il le suggère notamment dans les premières pages du Département du Gers, une forme de « trou du cul du monde ». Or, en réduisant l’expression plié en deux à ses trois premières et ses trois dernières lettres (comme au jeu des papiers pliés), qu’obtient-on ? Plieux, justement.

Ce sont éclats de silex, exils entre les pages, propos taclés de main de maître. Un clavecin même nous amuse. (La main d’un maître anime etc. ?)

 

Sinon/ d’ailleurs/ entre autres choses, je ne suis pas sûr de saisir ce que l’on trouve de si fort ou de si déroutant à ce texte de Damian Tabarovsky. Le chapitre sur l’absence de morts visibles, de sang, lors des attentats du 11 septembre est franchement plat ; la manière même de plaquer l’effondrement des Tours jumelles dans le monologue intérieur de Jonathan est complaisante.

Le reste du récit exploite le filon des textes où l’on suit les méandres d’une pensée qui se cherche : Jonathan, pensant beaucoup, puis de moins en moins, ne sait finalement que penser. Tout se chamboule, du coup, non pas le chaos des souvenirs remouvants au gré d’une stream of consciousness, mais bien la pensée – ou les pensées. Jonathan doit beaucoup aux figures d’intellectuels désemparés ou revenus de beaucoup, singulièrement à la Marelle de Cortazar.

Comme je déteste ces stylos plume de gamine qui ne donnent comme choix que :

1) d’écrire en posant le bouchon sur la table dans ce cas, le stylo est trop frêle, ne tient pas en main

2) d’écrire en fixant le bouchon au-dessus de l’abdomen du stylo, à la place prévue dans ce cas, le bouchon tombe

3) de pousser le bouchon afin d’éviter le cas n° 2 dans ce cas, il se coince, et on risque de tout casser en le retirant

 

Damian Tabarovsky dresse le portrait d’un personnage traversé par un tumulte intérieur plutôt gentillet, un trentenaire dans l’indécision. Rien de bien neuf à cela. Pas pour le style, si la traduction est fidèle. Ni pour la froideur sèche avec laquelle l’idylle à peine née, traduite en effets ménagers, s’émiette dans l’indécision perpétuelle et le penchant de Jonathan pour une existence velléitaire. Ni encore pour la façon dont Jonathan s’enfuit, part en vrille vers Berlin, sur la seule suggestion d’un article de journal sur les chambres à gaz. Le récit s’achève sur l’intervention d’une voix à l’origine énigmatique et qui prononce des avis complexes sur l’ironie absolue des conditions de pensée (dans ce que l’on imagine le monde post-m od erne).

 

Le trajet de Jonathan l’amène à ne plus vouloir penser – et presque à y parvenir : « simplement, il ne va pas » (p. 119). Il se retrouve à laver de petits avions en Allemagne, coupé alors des autres par le barrage de la langue, et progresse encore dans l’abandon de toute pensée : « Tout se passait comme si le seau et le chiffon occupaient à présent la dimension absolue de son être, de l’être ouvert pour le seau. » (p. 125). Nouvel épis od e convenu, plaqué ou complaisant, il y côtoie Mathias Rust avant son périple en Cessna et son atterrissage inattendu sur la Place Rouge. (À l’époque, j’avais appris le mot Cessna ; aussi ai-je tout de suite compris que le jeune Allemand dont J. fait la connaissance était cet énigmatique pilote amateur dont on n’a jamais bien compris les motivations pour avoir pris tant de risques.) C’est convenu, parce que Tabarovsky n’en fait rien, ne prend pas de parti esthétique, s’en tient à l’écume de l’événement. Si son objectif était d’écrire un roman sur l’importance grandissante de pensées superficielles, pourquoi ne pas l’avoir situé tout de go dans un salon de coiffure ?

(Je sais : on exagère.)

Commentaires

Il ne s'agit pas de pensées superficielles, mais d'absence de pensée.
Vivre totalement dans le présent est ce que recherchent et conseillent les grands mystiques, j'aimerais y parvenir ;-)

Écrit par : VS | vendredi, 20 avril 2007

Ah, tu l'as lu ? Et alors, qu'en as-tu pensé ?

Écrit par : MuMM | vendredi, 20 avril 2007

Non, désolée de te décevoir. Je ne faisais que commenter tes propres phrases ("Le trajet de Jonathan l’amène à ne plus vouloir penser – et presque à y parvenir : « simplement, il ne va pas » (p. 119).") avec une intention malicieuse qui ne s'est pas vue à cause de ma phrase trop sèche.

J'aime beaucoup tes analyses de lectures.

Écrit par : VS | samedi, 21 avril 2007

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