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dimanche, 22 janvier 2023

Baal design, 1.2.

     Je n’ai pas commenté en 1.1. l’épigraphe du roman, un vers de Robert Browning (tiré de ‘A Serenade at the Villa’, dans le recueil Men and Women, 1855). Isa Blagden, dont plusieurs sites affirment qu’elle s’est lancée dans l’écriture sous les encouragements de Robert et Elizabeth Browning, ne manque pas de rendre ainsi hommage… à Robert. Difficile de ne pas voir dans ce choix – mais il faudra bien sûr considérer le sens de l’épigraphe par rapport au sujet du roman, ou par rapport à ses thèmes, & se garder d’une lecture uniquement centrée sur la question de l’effacement des créatrices – une forme de sexisme intégré ; il me semble qu’Elizabeth Barrett Browning s’est plusieurs fois auto-dénigrée (alors que, long long story I shan’t embark into now, je trouve sa poésie plus excitante que celle de son époux). Bref, c’est aussi dire que dès l’épigraphe, la lecture d’Agnes Tremorne tire à dia, vers les Browning, comme, à chaque fois qu’on s’intéresse à I.B., on les trouve sur son chemin.

 

Au bas de la page 3, voici donc notre personnage, Godfrey Wentworth (désormais G.W.). Le récit nous dépeint son arrivée à Rome, ville alors paisible, quasi déserte (silent streets, the beautiful desolation of the Campo Vaccino, bare to the stars…), dans la villa où l’accueillent quelques domestiques italiennes – « staring at him with the childish curiosity of Italian females ». On marque une pause : repérage orientaliste classique qui voit dans les femmes non occidentales (ce qu’étaient les Italiennes du point de vue des Anglais) des mineures, des inférieures : si les non-Européens sont « de grands enfants », selon le trope colonialiste bien connu, que dire de leurs femmes ? [Rappel : en Angleterre, les femmes n’ont eu le droit d’avoir des biens propres, distincts de ceux de leur époux, qu’en 1870, neuf ans après la publication du roman.] On suppose donc un narrateur ou une narratrice omniscient-e qui observe ces femmes italiennes en les connaissant (ce n’est donc pas le point de vue de G.W., qui débarque) et en s’en distinguant. La connivence avec le lecteur ou la lectrice est évidente : les Anglais parlent aux Anglais.

Dans le § suivant, Blagden se débarrasse de ce passage obligé de tout roman du 19e siècle : le pognon. G.W. est orphelin ; il a aussi perdu son frère aîné ; éploré (le § commence ainsi : « Wentworth had suffered much »), certes, il se trouve dans une situation financière particulièrement confortable. Ce qui est plus retors, dans sa situation, c’est que la cousine dont il était amoureux alors qu’il n’avait pas un rond a épousé un homme plus riche, s’est retrouvée veuve très jeune, et elle-même à son tour fauchée – G.W., toujours le cœur brisé par cette rupture mais devenu riche, la tire d’embarras mais sans l’épouser. Le texte nous dit de cette jeune femme, Millicent, qu’elle s’est vendue (the worldly advantages for which she had sold herself), et de G.W. qu’il sait lui en vouloir à tout jamais. Afin de continuer d’expliquer pourquoi, sans doute, Godfrey se réfugie à Rome, on apprend qu’il aimait beaucoup l’oncle chez qui Millicent s’en va vivre (et qui se prénomme Marmaduke (ces prénoms victoriens ! ici, comment ne pas penser au film Ruggles of Red Gap avec Charles Laughton ?)) mais qu’il ne pourra donc plus lui rendre visite.

Bizarrement, de la première soirée de G.W. à Rome, voici qu’on bascule vers sa vie pendant les premiers mois (voire davantage ?), une vie bien rangée mais dans le milieu bohême comme on ne disait peut-être pas encore. En effet, G.W. est peintre (ou le devient à Rome ?). Toute la page 7 insiste sur son portrait psychologique : il méprise les femmes mais se méfie surtout beaucoup de lui-même : If she had been frail, he must have been besotted. Le § s’achève ici sur une métaphore habituelle, celle du cœur [en fait, il s’agit du character] glacé que seul le soleil de l’amour peut faire fondre : « Many of its softer qualities were for the moment frozen, and the moral sunshine of some true and deep affection was needed to thaw them. » - Notons que le rayon de soleil est qualifié de moral.

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G.W. est peintre et passe donc ses journées à écumer les galeries et les rues. La description du marché de la piazza Navona, du point de vue de quelqu’un qui est très attentif au pittoresque, abonde en formes passives, par ex. : « Beauty, in its great artistic sense, is found here. » Les Italiens sont beaux, mais ils sont somptueux à la façon méridionale ; parlent avec les mains (p. 9), sont bruyants (the vehement bickering and clashing for a 'bajocco'), à peine distincts des bêtes (brutes)…

Le texte bascule d’ailleurs sur le point de vue de G.W., qui trouve au peuple italien le mérite de la transparence. Par une mise en abyme assez singulière, cette absence de dissimulation inculquée ou sociale (dans laquelle G.W. voit l’archétype des English girls) s’exprime comme une forme de lisibilité : « He who runs may read. There is individuality, there is genuineness here. » G.W. file la métaphore en comparant les jeunes Anglaises (white muslin) et leurs mères (black velvet) à des livres imprimés aux couvertures interchangeables.

 

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