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mardi, 21 mars 2006

Au Musée d’Ayala

    En rentrant d’accompagner mon fils à l’école maternelle, je songeais à deux choses très précises : la lettre Y ; les mots qui contiennent trois fois la voyelle A, et seulement elle. Quand je me trouvai face à notre maison, je constatai que la porte-fenêtre de la chambre à coucher, qui se trouve à l’étage, au-dessus du garage, était grande ouverte. Je l’avais ouverte pour aérer, avant de descendre préparer le petit déjeuner. Puis ma compagne est partie au lycée, j’ai habillé mon fils, fait la vaisselle – nous avons quitté la maison en devisant du Carnaval (qui a lieu cet après-midi dans son école) et j’ai oublié cette maudite porte-fenêtre, qui est restée ouverte à tous les vents et aux cambrioleurs pendant une bonne demi-heure. Je ne sais si c’est le signe que l’heure n’était pas propice aux larcins, que le quartier est sûr ou bien (hypothèse plus retorse) qu’une maison trop évidemment livrée désarçonne les éventuels cambrioleurs, mais toujours est-il que rien ne semble avoir disparu. Déjà, par le passé, j’ai dû remonter précipitamment à l’étage une fois dehors, afin de refermer cette même porte-fenêtre.

Cet incident m’interrompit dans mes songeries, rêveries autour des mots et des lettres, réflexions aussi autour des noms propres. Faut-il ajouter ici, quoique je n’y songeasse nullement il y a dix minutes en rentrant de l’école maternelle, que j’ai regardé avant-hier le film de Wim Wenders, Die scharlachrote Buchstabe, adaptation du roman de Nathaniel Hawthorne (The Scarlet Letter, bien sûr), dont l’héroïne se nomme, assez curieusement, Prynne avec un Y ? (Elle se prénomme, non moins curieusement, Hester, avec un déplacement du H. (Mais on ne voit pas tout cela à l’écran. On peut connaître les noms pour avoir lu le livre, mais on ne voit dans le film, en fait de lettre, que le A. Pouvoir du cinémA.))

L’incident est clos, je pense. Mais il n’en demeure pas moins qu’il a interrompu le cours de mes pensées, de même que, comme l’écrit si bien Andrés Pasavento, le narrateur du dernier roman paru d’Enryque Vyla-Matas, « il faut se dire qu’une aspirine change une pensée, bien que personne ne sache pourquoi ». Je songeais donc aux mots qui contiennent trois fois la lettre A, et n’ont pas d’autre voyelle. J’y insiste, une fois encore : je ne pensais pas du tout au film de Wenders, ni au roman de Hawthorne. Il s’agissait plutôt d’une rêverie autour du mot Carnaval, puis autour du e muet de mascarade, du jeu de baccarat, des hasards d’un tel jeu, la baraka, etc. Mais cette rêverie était née d’une simple constatation, idiote sans doute : des quatre livres que je suis en train de lire (et dont l’un est interrompu sine die), un seul ne contient pas du tout la lettre Y dans son titre et le nom de l’auteur, d’où ma décision de n’orthographier – le temps de lire Docteur Pasavento ou d’en parler dans ces carnets – le nom de l’écrivain barcelonais que j’admire par-dessus tout Enryque Vyla-Matas, afin de résorber cette fâcheuse dissymétrie. J’ai interrompu il y a deux semaines ma lecture de Mason & Dixon de Thomas Pynchon (dont il est question dans Docteur Pasavento) ; j’ai commencé hier soir la lecture de Suburban Blues, le roman du jeune écrivain franco-camerounais* Yémy ; enfin, j’avais commencé hier matin la lecture de Dynamo de Tariq Goddard. J’ajoute que, pour écrire ce billet, j’écoute les actes IV et V d’Atys, opéra de Lully. Il manquait donc un Y, au bas mot, au glorieux Barcelonais.

[* Ce genre d’adjectif est sujet à caution : on peut se retrouver accusé d’à peu près n’importe quoi, de “cosmopolitisme” par les ultra-nationalistes et de racisme par les anti-racistes. Je précise, comme s’il en était besoin, que j’emploie cet adjectif pour dire, tout bonnement, que Yémy réside en France, a peut-être même la nationalité française (on ne fiche pas encore la carte d’identité des écrivains sur la quatrième de couverture), mais qu’il est, nous dit l’éditeur, né en 1975 à Douala, et que son narrateur se dit “K-mérien”. Il se situe donc dans le champ de ce que la théorie postcoloniale anglo-saxonne qualifie de hyphenated identity, une identité nationale et culturelle double. Voilà. (Comme quoi, pour simplifier avec un adjectif à tiret, on se retrouve à écrire une note d’une demi-page !)]

 

Prenez un cachet d’aspirine. Ça change les idées.

Blanc comme une épreinte de loutre, je poursuis cette curieuse chronique, ne désespérant pas de lasser même les plus fidèles de mes lecteurs. Je poursuis en prenant la tangente. Vous parler de mon long rêve de cette nuit. Le texte ne sera pas ultra-court, c’est déjà trop tard pour cela, alors autant embrayer sur un rêve extra-long. Car j’ai rêvé d’œuvres peu connues, toiles d’artistes philippins déjà anciens, morts depuis belle lurette. Je revoyais l’autoportrait de Fernando Amorsolo (dont le nom même invite aux lectures alternativement les plus noires et les plus printanièrement idéalistes), ce curieux tableau qui représente l’artiste, à gauche, s’accrochant, de la main droite, au chevalet, qui occupe le tiers droit de la toile ; le peintre semble avoir une phalange manquante à l’index. Je revoyais Tampuhan, le célèbre tableau de Juan Luna, peint en 1895, quatre ans avant la mort de cet artiste à la vie mouvementée : il représente, vue de l’intérieur d’une maison, une terrasse qui donne sur une rue haute en couleurs et riche en lampions ; une jeune femme en robe, très agitée, fait face au spectateur ; un homme en costume beige clair lui tourne le dos, et semble regarder, la joue droite maussadement appuyée contre le poing, la rue. Je revoyais enfin une photographie prise par le grand Fernando Zobel lui-même dans les années 1950 : ce cliché en noir et blanc représente un ouvrier qui tire sur sa cigarette en s’abritant à l’intérieur d’une locomotive absurdement minuscule ; l’homme nous fixe, mais n’est-il pas lui-même surveillé par les deux globes laiteux du lampadaire à l’arrière-plan ? Le tirage a mal vieilli et s’intitule Man seated in a caboose ; il est conservé au Musée Ayala.

 

Mon rêve était comme une rue haute en couleurs et riche en lampions, un matin de carnaval, un cauchemar sans importance, un manque soudain de baraka, et je tournoyais dans les couloirs du Musée Ayala, où je ne suis jamais allé mais d’où j’ai ramené, en rêve, la conviction que j’étais épié par les lampadaires éteints de la rue où je vis. Peut-être le thé ou l’aspirine me délivreront-ils de ces tableautins.

 

[Bonus : la note évanouie.]

11:45 Publié dans MAS | Lien permanent | Commentaires (9)

Commentaires

Vos commentaires sur la voyelle "A" me font sortir de mon silence.
La fourmi, bizarrement obsédée par l'autisme il y a dix jours à peine, vient de retrouver une écriture qu'elle apprécie. Le hasard veut que son prénom commence par un "A" et que son nom en offre deux. Mais la prononciation n'est pas la même dans chaque syllabe...
"L'emprunteuse" l'aurait-elle reconnue?

Effectivement, dans le roman de Nathaniel Hawthorne, le jeu sur le "A" et le "Y" est intéressant, toutefois, je n'ai pas envie de m'étendre sur le sujet; ou plutôt, je n'ai plus envie. Allez savoir pourquoi...

Etrange coïncidence, j'ai rangé hier le livre de N.Hawthorne dans ma bibliothèque, un sentiment, proche de l'impatience m'a poussé à le cacher, à l'enfouir au fond de mes étagères alors que j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire.
Qu'en est-il de l'adaptation allemande? On y perd le jeu sur les lettres, c'était à prévoir.
You wanted facts, so give me your impressions.

La fourmi.

Écrit par : Aurélie | mardi, 21 mars 2006

Dans le roman, si mes souvenirs sont bons, le A est très joli. En réalité, l'héroïne arrive même à en faire une sorte de parure grâce à ses talents de couturière et finit par porter la lettre de la honte comme un trophée, une parure esthétique (le détournement du symbole comme perversion suprême ou l'esthétisme comme catharsis ?)

Écrit par : c'était | mercredi, 22 mars 2006

Oui, aucun souvenir. Tu l'as lu plus récemment que moi ; Aurélie peut-être viendra à notre secours !

Écrit par : MuMM | mercredi, 22 mars 2006

Ah ! Seriez-vous plus connaisseur que celui qui vient de changer de voiture ?
« J’en suis fort aise »… (aucun lien)

Effectivement, cette Hester Prynne est rejetée et accusée d’Adultère, première signification associée à la lettre, alors que le mot lui-même n’est jamais mentionné dans l’œuvre.

Vous parlez de « trophée » : effectivement, les Puritains (et seulement eux) passent de « Adulteress » à « Able ». Mais cette lettre « A » offre au lecteur un choix multiple de significations ; masque pour Absence de signification ?

Écrit par : Aurélie | mercredi, 22 mars 2006

Ah non, mais ça, chère Aurélie, facétieuse fourmi, ça allait encore, peu ou prou. (J'avouerai que le A de l'Absence m'avait échappé, toutefois.)

Mes doutes portent sur la *beauté* de la lettre brodée: en d'autres termes, Hester Prynne est-elle vêtue avec superbe ? le A du vêtement est-il joli ?

(Bon, hein, Huefferophile, t'as qu'à l' relire, l' bouquin, si t'es pas content !)

Écrit par : MuMM | mercredi, 22 mars 2006

Que voulez-vous que je vous réponde?
Je vous rappelle que je l'ai LU ce livre, mais n'ai pas VU le film, et, a fortiori, n'ai pas vu ce "A".

Donc est-ce que le "A" était joli? Mon imagination l'a vu, en se basant sur les écrits de ce cher Hawthorne, qui le décrivait comme un "A" d'Artiste (tiens, un de plus!).
Mais je ne pense pas être suffisamment bonne critique littéraire pour répondre correctement à votre question.

Aidez-moi: Qu'est ce qui pourrait me permettre de juger la beauté de cette lettre? Je suis à court de réponses. "I don't know", "I couldn't tell you"...
Le "A" figure bien sur la couverture du livre; il n'est pas mal (mais pas top quand même).

Maintenant, à mon tour de poser des questions: Huefferoquoi?
Et c'est à moi, que vous demandez, avec impertinence, de relire le livre, que j'ai découvert au mois d'août, et dont j'ai cessé de savourer métaphores et allégories depuis peu? La "facétieuse fourmi" reconnaît là les défauts de la C.....

Écrit par : Aurélie | mercredi, 22 mars 2006

C'est mal entendu (ou un malentendu) : la parenthèse était une imitation de ce que vous seriez en droit de me dire à moi. (Compliqué, mais bon... je fais ça en cours, quand même, non ?) L'Huefferophile, c'est donc moi. (Et vous aussi, car je sais que vous êtes un peu madoxolâtre.)

Écrit par : MuMM | mercredi, 22 mars 2006

Ah, pardon! C'est un mal entendu plus qu'un mal dit.

Cela me rappelle ce que disait l'un de mes professeurs:
"le malentendu provient du mal-entendre, d'une erreur de transmission, ou d'une incurie de communication"; c'est là ce qu'il s'est passé.

Il disait aussi des étrangetés du genre (maintenant qu'il n'est plus mon professeur, je peux me permettre de le citer, il ne m'en voudra pas je crois):

"Il est essentiel de s'interroger sur les modalités de la dyade oralité/auralité":
là, par contre, la sens m'échappe, et la phrase suivante n'explique pas de quoi il s'agit. Peut-être est-ce une simple mauvaise diction de sa part tout simplement; personne n'est à l'abri de provoquer ces malentendus.

J'attends votre Verdict...

Écrit par : Aurélie | jeudi, 23 mars 2006

"Madoxolâtre", j'avais bien saisi; quant à "Huefferophile", j'avoue, ou plutôt je confesse être allé sur Trésor de la Langue Française (qui en général nous apprend même l'étymologie des mots inconnus) pour chercher "Huefferophile".
Même sans web-cam, je vois un large sourire se dessiner sur votre visage: Comment a-t-elle pu être aussi idiote?

C'était un peu sévère que de me renvoyer au tout premier cours.

Nous sommes effectivement, vous et moi, "Madoxolâtres" (quoique "Madoxolesque" n'était pas mal non plus) et vous m'avez, j'en ai bien peur, transformée, a Fordiori, en petite Fordoise. Serions-nous victimes d'Hermannisme? (avec, sous les yeux, mon premier cours à l'appui!).

Heureusement que cette intrigue posée par le Huefferophilsisme m'a poussée à avoir the seeing eye...
Je sais, vous détestez cela: elle mélange français et anglais; et sans guillemets en plus, vilaine fille! "I don't think there is much excuse for me, I acted... Non j'arrête, ça devient pénible, voire inutile.

Vous rouliez en Ford? J'ai bien peur que vous ayez à changer de voiture en septembre 2006...Poor thing...et elle continue, non elle cesse de Forduler bêtement:

That's the end of my story.

Écrit par : Aurélie | jeudi, 23 mars 2006

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