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jeudi, 06 avril 2006

Renaud : Camus :: Rannoch : Moor

    Il a été question ici, avant-hier, de l'éditorial dont je voulais demander la publication sur le Site de la Société des Lecteurs de Renaud Camus. Il s'agissait, en fait, d'une lecture flottante, parcellaire, du dernier ouvrage paru de l'écrivain, Rannoch Moor. J'en publie ici le brouillon, tout en sachant qu'il s'adressait avant tout à des lecteurs déjà avertis, d'où quelques allusions peut-être sibyllines ; je l'ai pourtant gardé tel quel.

 

Editorial

 

3 avril 2006.

 

999. Lisez cet éditorial !

998. Fenêtres ouvertes, offertes au soleil, une théière de lapsang souchong non loin, il est temps de tergiverser, puisqu’il ne reste qu’une centaine de pages dans la lecture du journal 2003, et que le regret naîtra certainement de n’avoir pas assez différé la fin, je l’avoue au risque d’encourir le reproche d’être un peine-à-jouir (mais cela est-il aussi grave, lisant dans un cabriolet, que baisant dans un sauna ? il y a plus expert que moi).

Rannoch Moor est une symphonie faite de contretemps, de contrariétés, de contre-pieds, de voix de haute-contre soudain jetées à la face du baryton. Il importe de trouver un tempo de lecture convenable. Après les premiers mouvements, d’humeur surtout, l’hiver apportant, semble-t-il, son lot de désolations ou de récriminations (« c’est ce journal qui prend tout »), un large mouvement printanier nous conduit de Plieux à Paris, puis, après un intermède primesautier, aux marches de l’été, c’est-à-dire de l’Ecosse. (J’enrage de ne pas retrouver le “caractère spécial” qui me permettait naguère de former des é majuscules.)

Comment lire cette Ecosse-là, quand les paysages écossais furent surtout, pour moi, les paysages nonchalants et augustes de l’enfance, et, plus différemment encore de ce que Renaud Camus propose de son itinéraire avec Pierre, des paysages insulaires – je veux dire que nous passâmes surtout de merveilleuses journées dans les îles écossaises, Mull en particulier ? Rannoch Moor, dès son titre, fit resurgir ces faisceaux écossais du fond de ma mémoire, pour aussitôt me dérober cette « mon Ecosse » retrouvée. Il s’ensuivit cette fascinante lecture des pérégrinations écossaises de Renaud et Pierre, au son de l’Armida de Haydn, histoire de multiplier les discrépances.

899. À peine l’écriture interrompue, le livre offre des joyaux, qui sont la source de méditations infinies – ainsi, « l’Ecosse de cet été jouit en moi d’une formidable puissance d’inscription rétinienne » (ces trente-trois jours ou 126/129 pages irradient, aveuglent, émerveillent, éblouissent) ou le passage qui souligne combien la première symphonie de Walton est « la plus impressionnante », c’est-à-dire « celle qui fait le plus de bruit » (j’ai parlé plus haut de symphonie, mais nul bruit dans Rannoch Moor, si ce n’est les aboiements des dobermans (hautbois souffreteux) et les jingles de Javel (pizzicati rigolards)).

99. Rannoch Moor est une lande écossaise. Rannoch Moor est un lac parcouru de ridules, qui sont les affleurements de sens multiples, le vertige de la sensation et la folie du sens (meaning).

89. Il faut lire ce volume du journal de Renaud Camus, qui est peut-être l’un des mieux construits de l’œuvre in progress. (J’ai envie d’écrire cela à chaque nouveau volume, et peut-être même que c’est vrai ! L’écrivain devient meilleur à chaque nouvelle phrase.) Entre autres points saillants, l’auteur diariste s’étant remis à lire régulièrement (c’est-à-dire qu’il consacre le plus clair de ses matinées à la lecture), ce tome se distingue aussi par de lumineuses analyses de Sterne, mais aussi par l’examen des difficultés (au sens le plus fertile) qu’il y a à lire Hobbes et Platon.

96. Je lisais Platon. J’ouvris
      La porte de ma retraite,
      Et j’aperçus Lycoris
     C’est-à-dire Turlurette.

66. Autant dire que de faux-semblants, il n’y eut jamais dans les divers tomes du journal, et pas plus dans celui-ci. Il est savamment orchestré, mais au fur et à mesure de l’improvisation quotidienne, les fils sans cesse resserrés ou dénoués, pour atteindre au corps de l’œuvre.

969. Hugo, s’interrompant dans sa lecture de Platon, s’offre, se livre à la pastorale. Renaud Camus aussi, à la pensée autant qu’à la bergerie ; il montre le monde à la loupe, et ses mots sont aussi un miroir. Il scrute les façades des maisons décrépies avec la même minutie qu’il examine les rides de son visage, dans un amour absolu du Temps. Pour lui, écrire son journal n’est pas lutter contre le temps, mais s’adosser aux jours, dans la plénitude des heures qui passent.

696. Je vais clore ces bribes par une pirouette (on s’y attendait).

1. Il ne saurait y avoir de meilleure antépigraphe, à placer en tête de Rannoch Moor, que le célèbre distique de Corneille : « Le Temps aux plus belles choses / Se plaît à faire un affront. » Ce livre dit, en tous sens, l’inverse de cette vérité de convention.

 

Renaud Camus. Rannoch Moor. Paris : Fayard, 2006. 814 pages.

11:21 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

L’absent Souchon non loin : « loin » suffira, « non » serait contradictoire…

Écrit par : Aurélie | jeudi, 06 avril 2006

Pour le coup, c'est l'allusion d'Aurélie qui me semble bien sybilline...

Écrit par : Stéphane | vendredi, 07 avril 2006

Les commentaires sont fermés.