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mercredi, 13 décembre 2006

Low fields and light / Champs bas sous la lumière (W.S. Merwin)

    En écoutant le premier des Concertos pour orgue de Handel (HWV 289), j'ai achevé de recopier, en la retravaillant de fond en comble, ma traduction d'un poème de W.S. Merwin. Il faut tout de même que je raconte dans quelles circonstances j'ai bricolé la première mouture de cette traduction : debout, au stylo, en surveillant un devoir lundi après-midi. La concentration que requiert une traduction ne m'a pas empêché de repérer les trois ou quatre étudiants qui cherchaient à communiquer entre eux, et que je n'ai même pas avertis ni sanctionnés, car je sais qu'ils n'auront échangé que des erreurs ou des détails si infimes que cela ne changera rien à la note.

En revanche, j'ai pu, une fois encore, appliquer mon système de traduction : livrer un premier jet sans dictionnaire, même unilingue, ni recours au Web. La version informatique s'appuie sur de nombreuses vérifications lexicales et d'usage, sans compter quelques vérifications de nature encyclopédique ; ainsi, le cowbird que, faute de mieux, j'avais traduit par garde-boeufs, s'est avéré ne pas être du tout un héron. (Mais je doute que "vacher brun" dise grand chose à un lectorat français. Que faire ?)

Ce dont je suis plus content, c'est de l'alternance (irrégulière mais plutôt satisfaisante) entre décasyllabes et alexandrins, avec même quelques vers plus longs (vers 21 et 24, surtout), qui m'a donné l'impression, à la relecture et au "gueuloir", d'avoir trouvé une langue poétique qui, entre pierre et lumière, n'est pas loin des premiers recueils de Bonnefoy. (C'était tout à fait imprévu et involontaire.)

Low fields and light

(In W.S. Merwin. Green with beasts, 1955.)

Champs bas sous la lumière

Traduction MuMM, DR



I think it is in Virginia, that place

That lies across the eye of my mind now

Like a grey blade set to the moon’s roundness,

Like a plain of glass touching all there is.


The flat fields run out to the sea there.

There is no sand, no line. It is autumn.

The bare fields, dark between fences, run

Out to the idle gleam of the flat water.


And the fences go on out, sinking slowly,

With a cow-bird half-way, on a stunted post, watching

How the light slides through them easy as weeds

Or wind, slides over them away out near the sky


Because even a bird can remember

The fields that were there before the slow

Spread and wash of the edging light crawled

There and covered them, a little more each year.


My father never plowed there, nor my mother

Waited, and never knowingly I stood there

Hearing the seepage slow as growth, nor knew

When the taste of salt took over the ground.



But you would think the fields were something

To me, so long I stare out, looking

For their shapes or shadows through the matted gleam, seeing

Neither what is nor what was, but the flat light rising.


Je pense qu’il se trouve en Virginie, ce lieu

Qui maintenant se trouve en moi, devant mes yeux

Comme un brin d’herbe gris sur fond de lune ronde,

Comme une plaine de verre effleurant le monde.


Les champs étals courent vers l’océan.

Ni sable ni horizon. C’est l’automne.

Les champs à nu, noirs entre les haies, courent

Vers la mer étale et ses lueurs monotones.


Les clôtures vont leur chemin en s’affaissant :

Seul, sur un poteau courbe, un vacher brun regarde

La lumière les effleurer, comme le vent

Des brindilles, les frôler puis toucher le ciel,


Car même un oiseau peut se rappeler

Les champs qui étaient là avant que la lumière

Lentement ne s’étende, et de son eau ne vienne

Les recouvrir un peu plus chaque année.


Mon père n’a jamais labouré ces champs, ni ma mère

Attendu, et jamais consciemment je ne suis

Resté à entendre la coulée lente à croître –

Pas senti le goût du sel envahir le sol.


On dirait vraiment que ces champs me tiennent

À cœur, moi qui longuement les contemple

Cherche aux lueurs emmêlées leurs formes ou leurs ombres,

Ne vois ni présent ni passé – seulement se lever cette lumière étale.


Commentaires

Intéressant, ton choix de "étals" pour "plats" (et à la fin aussi), cela rajoute une autre dimension, et l'association avec "viande" est certainement agriculturelle, mais pas dans le sens de Merwin. Sa répétition pour décrire la mer fait autant. J'aurais sûrement mis "lueur oisive" ; "monotone" pour "idle" ne me paraît pas juste.

Je dis cela pour la fin du poème, on comprend que la mer risque de revenir conquérir la terre avec son sel, c'est pour cela que je tiendrais à "oisive" au lieu de "monotone", on a l'impression dans le poème de Merwin que la mer attend sa chance pour reprendre ce qui était à elle. C'est toujours la lutte de l'agriculteur contre la nature.

Bon, mais encore, pour qui me prends-je ?

Ta traduction m'étonne par son agilité, vraiment.

Et merci pour la découverte de Merwin.

Écrit par : joye | mercredi, 13 décembre 2006

You're right : it IS a blatant case of having chosen rime over reason (if you'll pardon my Frenchified (and not Frenchy-fried) phrase). I'll give it a second thought.

Écrit par : MuMM | mercredi, 13 décembre 2006

un vacher ailé veille - pourquoi pas ?
c'est vraiment bon et le reste aussi dans cette catégorie, peut-on avoir le 1er jet et aussi (mais là..) une confrontation avec d'autres traductions ?

Écrit par : paul | vendredi, 15 décembre 2006

(10) ... un vacher ailé veille ... pourquoi pas ?
bon mais c'était ce midi et mon commentaire n'est pas passé,
j'aime beaucoup cette catégorie, j'aimerais voir le 1er ou le 2ème jet.
tu pourrais même confronter d'autres traductions.

Écrit par : paul | vendredi, 15 décembre 2006

Les commentaires sont fermés.