dimanche, 10 février 2008
Hardimanche
Il ôta son chapeau et s'avança doucement.
L'oiseau, était-ce un pigeon ou une colombe (elle avait appris qu'il y avait des colombes dans la région), traversa le ciel, sa couleur effacée par le crépuscule.
Derrière, il y avait une grange. Des silhouettes de croque-morts qui sortent d'une maison, une nuit pluvieuse, en portant le cercueil de ce pauvre Monsieur Yipe. Debout sur la place, un prophète levait les bras pour haranguer la foule des mendiants. Tout ça, c'est à cause des péchés de nos mères.
Il avait tiré à pile ou face et il n'était pas question de remettre en cause l'arrêt du destin.
Au début, il m'arrivait de laisser des messages dans la rue.
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lundi, 17 décembre 2007
Autofictive, #75
Comme j'aime bien ce qu'écrit Chevillard, et comme je suis très frustré de découvrir qu'il n'autorise pas les commentaires sur son blog L'Autofictif (pensez !), je livre ci-après la traduction de son texte #75.
I went to the edge of the cliff, firmly intent on throwing myself into the abyss. As I leant, however, I had a glimpse of two children who, far from being dreadfully dismembered on the rocks, were laughingly prawning in the water holes. So there’s no dying once at the bottom, I said to myself before giving up on jumping.
How conceited all those workers are! One single mason is noisier than a hundred toiling writers, each of whom is nonetheless struggling to attract everyone’s attention.
Narcissus thought he had suddenly become blind – he was pallidly * fumbling his way through the streets. The physicians were at a loss. A frog it was that diagnosed the evil: there is no water in the spring, it said.
* Après avoir hésité à traduire hagard par haggardly (ou par pale, adjectif en tête de phrase), j'ai opté pour pallidly, qui ne manque pas d'évoquer, pour le lecteur anglophone, des échos bartlebyens : "I can see that figure now—pallidly neat, pitiably respectable, incurably forlorn! It was Bartleby."
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samedi, 15 décembre 2007
Une porte m'appelle
I Am Summoned by a Door * Une porte m'appelle
I am summoned by a door Une porte m’appelle
but forgotten by the knock mais comme son toc-toc m’oublie
and left standing here alone je reste seul ici dans un
in a long silent hall, like long couloir silencieux pareil
a marble intestine, that knows à un boyau de marbre, qui connaît
my name. mon nom.
* R. Brautigan. Rommel drives on deep into Egypt (1970), p. 82.
Au vers 1, j’ai hésité à traduire par “Une porte m’exhorte”, auquel j’ai dû renoncer (pas assez banal, trop « poétique ») ; au vers 2, dont la simplicité est si difficile à rendre en français en raison de l’absence d’un substantif de même registre en français (coup est trop vague, toc-toc est trop familier), la traduction sombre dans l’aporie ; au vers 3 de la traduction trône le « je », posé dès le principe dans le texte d’origine ; au vers 4, je préfère couloir à toute autre interprétation de hall, en grande partie à cause de l’image de l’intestin ; au vers 5, l’intestin de marbre, justement, m’a paru trop étrange (sans compter qu’il ne convenait pas, rythmiquement) ; au vers 6, le traducteur éprouve le soulagement d’avoir enfin trouvé un équivalent satisfaisant.
(Un truc de fou, ce poème mine de rien, à vous rendre toqué pour toujours.)
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vendredi, 14 décembre 2007
Rommel s’enfonce en Egypte
Rommel drives deep into Egypt * Rommel s’enfonce en Egypte
Rommel is dead. Rommel est mort.
His army has joined the quicksand legions Son armée a rejoint les sables mouvants
of history where battle is always de l’histoire, où la guerre n’est jamais
a metal echo saluting a rusty shadow. qu’un écho de ferraille à une ombre rouillée.
His tanks are gone. Ses chars ont disparu.
How’s your ass? Et, au fait, comment va ton cul ?
* Richard Brautigan. Rommel drives deep into Egypt. Delacorte Press, 1970, p. 1.
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samedi, 08 décembre 2007
Ode à Bill (John Ashbery)
C'est mercredi matin, je crois, que j'ai travaillé au premier jet de cette traduction.
Il s'agit d'un poème tiré d'un des premiers recueils de John Ashbery, Self-Portrait in a Convex Mirror (Viking, 1975). Le plus difficile est de ne pas trahir le caractère "anti-poétique", en quelque sorte, du rythme et du lexique.
Ode à Bill
Certaines choses que nous faisons prennent beaucoup plus de temps
Et on considère que c’est là quelque chose de normal ou d’utile.
Je quitte un chemin pour me retrouver
Dans un champ de blé labouré. Sur ma gauche, des mouettes,
En vacances loin de la mer. Ma façon d’écrire les gêne, on dirait.
Prenons un autre exemple : le mois dernier
Je me suis promis d’écrire davantage. Qu’est-ce que l’écriture ?
Eh bien, dans mon cas, il s’agit de poser sur une feuille
Non des pensées, en fait, mais des idées, peut-être...
Des idées au sujet de pensées. Pensées, c’est un mot trop ronflant.
Idées, c’est mieux, même si ce n’est pas exactement ce que je veux dire.
Un jour j’expliquerai ça. Mais pas aujourd’hui, non.
C’est comme si quelqu’un m’avait fait un gilet,
Comme si je le portais pour sortir et marcher dans la campagne
Par égard pour ce quelqu’un, et ce bien qu’il
N’y ait personne pour voir ça, à part moi,
Moi et ce que je perçois en moi de mon apparence.
Porter ce gilet, c’est un devoir et un plaisir
Parce que ça m’obsède, ça m’obnubile.
Un cheval se détache du paysage, là-bas au fond ;
Ça fait comme une aspérité. Est-ce que je perçois
Vraiment cela ? Cette vue m’appartient-elle, ou la dois-je
À d’autres vues, passées inaperçues ou restées inédites
Sur le grand arc relâché du temps –
Toutes ces sources oubliées, ces galets lancés,
Des chansons entendues et qui se sont éteintes avant
De sombrer dans la file oublieuse des jours ? Il s’éloigne lentement,
Lève la tête et puise à même le ciel – question
Persistante. Lui aussi nous pouvons le sacrifier
Au progrès suprême, car il faut, il nous faut aller de l’avant.
Traduction, Droits réservés.
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vendredi, 30 novembre 2007
Les Guêpes – Une parabole
They went, like wasps Comme des guêpes ils sont allés
down to the riverside, au bord de la rivière,
gathered up the silt in balls & ils ont fait des boules de vase
brought it here for building. pour bâtir ici leurs demeures.
Cell heaped up on cell, their Cellule après cellule, de leur
juices turning silt to stone salive ils ont pétrifié la vase
– frantic creatures – des êtres frénétiques
sealing themselves en train de se fermer
in stone de s’emmurer de s’empierrer
a humming stone une pierre bourdonnante
pelted by wasps battue par les guêpes
hail stones whacking par des grêlons qui cognent
a boulder un rocher
"A Parable of Wasps". In Lew Welch. Ring of Bone Collected Poems 1950-1971, p. 40.
Traduction, droits réservés.
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lundi, 08 octobre 2007
Non merci, [22]
when muckers pimps and tratesmen delivered are of vicians and all the world howls stadesmen beware of politisions beware of folks with missians to turn us into rissions and blokes with ammunicions who tend to make incitions and pity the fool who cright god help me it aint no ews eye like the steak all ried but eye certainly hate the juse
e.e. cummings. No Thanks (1935), [22]. | quand les crasseurs les macs les marchonds dénués sont de tout projet visieux & que le monde entier acclame les stadieux méfiez-vous des politissons fi aussi des emmissionnés prêts à faire des rats sionnés de nous – fi des munitionnés qui aiment bien punitionner pitié pour qui crie mon dilleu au secours ça ne sert aryen le steak jeu trouve délicyeux mais le sang ne me dit trop rillain
Traduction Droits réservés © |
21:00 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Poésie, Traduction, Anglais
mercredi, 04 juillet 2007
La lumière émeraude…
3 juillet.
La pluie battait contre les volets. Métalliques, les volets. Puis le vent sécha les flaques d’eau en agitant les fils télégraphiques. Le vent est une femme, puisqu’il n’est pas mono-tâche. Vieille blague du régiment des peaussiers.
La pluie apaisée, le vent redoublant de vigueur, regarder par la fenêtre les dernières flaques. Et se dire, sans connaître ni le texte original ni vraiment la langue d’origine, que Geneviève Leibrich doit être une excellente traductrice.
………………… « La lumière émeraude qui émane des murs et qui flotte autour du corps de la femme. » (José Eduardo Agualusa. La guerre des anges. Traduction de G. Leibrich. Métaillié, 2007, p. 204)
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lundi, 05 mars 2007
Traductions : Edmund Mach & Pessoa
Je lis – d’un œil curieux – l’édition bilingue du recueil d’Edmund Mach, Triumph des Schockens (Triomphe d’un choqué), dans la traduction de Hugo Hengl (Harpo&, 2005). Impasse de la traduction : le patronyme du poète, Mach, est l’un des motifs les plus puissants de la texture poétique du recueil. Or, ce patronyme est aussi le verbe faire (machen) à l’impératif singulier. (Oui, oui, amis heideggeriens, le poiein est un faire.) Autre impasse de traduction : le recours – dans certains poèmes – aux quatre lettes du patronyme, non comme acrostiche, mais comme pulsation (un peu comme dans les jeux littéraux de Bach, ou les Trois strophes sur le nom de Paul Sacher de Dutilleux).
& ma déception, il y a trois semaines, quand on m’a offert le fort volume des Poésies de Pessoa en Pléiade et que j’ai découvert que l’édition, scandaleusement, n’était pas bilingue. Comment aimer ce livre ? Le lire, oui, encore en faisant abstraction – mais l’aimer ? (Heureusement, j’avais acheté en 1993 l’édition bilingue des poèmes anglais du même Pessoa, ici repris dans une traduction révisée (pas forcément pour le meilleur, d’ailleurs).)
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lundi, 05 février 2007
Ode to Liberty, XI (piètre tentative de traduction)
Ayant écrit, ici, il y a quelques jours, mon enthousiasme pour l'Ode à la Liberté de Shelley, je me suis "attaqué" à la traduction de la strophe XI. Cette métaphore militaire ne messied point. Un vrai champ de bataille, ou de ruine. Non seulement je me trouve incapable de rendre le mouvement furieusement cuivré de ces 15 vers autrement que par de sottes lourdeurs, ampoules rhétoriques à quatre sous le flacon, mais je n'ai même pas eu le courage de chercher à relever le défi des rimes.
(Le schéma des rimes, semblable dans chaque strophe de l'Ode, est d'une belle complexité : ABABCDDDCECEDEE. Cette structure enlaçante, envoûtante, ne se trouve de subdivisions qu'au gré du sens. Dans la onzième strophe, on pourrait sans doute proposer : ABAB CDDD CECEDEE. Ce qui est certain, c'est que le "When" qui se trouve au début du vers 9 marque le véritable tournant de la strophe.)
Découragé, je colle toutefois ci-après ce premier brouillon frustrant. Le texte intégral de l'Ode est disponible ici. Je donne le texte original, non en regard, mais en frontispice.
XI
The eager hours and unreluctant years
As on a dawn-illumined mountain stood,
Trampling to silence their loud hopes and fears,
Darkening each other with their multitude,
And cried aloud, ' Liberty ! ' Indignation
Answered Pity from her cave;
Death grew pale within the grave,
And Desolation howled to the destroyer, Save !
When, like Heaven's Sun, girt by the exhalation
Of its own glorious light, thou didst arise,
Chasing thy foes from nation unto nation
Like shadows; as if day had cloven the skies
At dreaming midnight o'er the Western wave,
Men started, staggering with a glad surprise,
Under the lightnings of thine familiar eyes.
XI
Les heures vives, les années enthousiastes
Comme au sommet d’un mont embrasé par l’aurore
Étouffaient leur espoir vibrant, aussi leurs craintes,
Et s’entr’obscurcissant d’être par trop nombreuses.
Elles tempêtaient : « Liberté ! » — L’Indignation
De son antre répondit à Miséricorde.
La Mort blêmit au fond de son tombeau.
La Désolation, face au saccage, hurlait : « Au secours ! »
Lorsque, tel le Soleil ceint des flamboïements
De son éclat glorieux, tu te dressas,
Chassant tes ennemis de contrée en contrée
Telles des ombres : tout comme si le jour avait fendu les cieux
Au minuit rêveur, sur la vague d’Occident,
Surpris les hommes sursautèrent, titubant de joie,
Face aux éclairs que dardaient tes yeux inconnus.
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mardi, 30 janvier 2007
Rooty potatoes
Il y a neuf mois, j'avais (sans soulever de commentaire intrigué) employé, pour décrire ces micro-tubercules qui percent la peau de pommes de terre trop vieilles (ou "passées"), l'expression faire des filles, que je n'ai entendu dire qu'à la grand-mère paternelle de c'était, et à c'était elle-même, quoique d'une façon plus parodique, ou, du moins, citationnelle. Eh bien, ne voilà-t-il pas que je trouve, au tout début de Shalimar the Clown, une phrase que, si je ne la comprends pas de travers, l'on pourrait traduire au moyen de cette expression.
All of which was spoken while turning a rooty potato in her hand. (Salman Rushdie. Shalimar the Clown. QPD, 2005, p. 9)
Le hic, bien entendu, c'est que l'expression faire des filles est tout à fait locale (landaise?), peut-être archaïquement même, et ne correspond en rien à rooty potato, formule plus courante, ou, à tout le moins, compréhensible à qui ne la connaîtrait pas. Cela dit, la question reste entière : comment dit-on, en français courant, "rooty potato" ?
(Au demeurant, j'étais farci de doutes et tenaillé d'appréhensions en me décidant enfin à lire, suivant en cela les objurgations de ma soeur, Shalimar the Clown, car, admiratif de Shame, un peu moins de Midnight's Children, mais infiniment du Moor's Last Sigh, j'avais été affreusement déçu par The Ground Beneath Her Feet, balancé avec colère & hurlements au bout de 300 pages (circa 1999).)
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mercredi, 13 décembre 2006
Low fields and light / Champs bas sous la lumière (W.S. Merwin)
En écoutant le premier des Concertos pour orgue de Handel (HWV 289), j'ai achevé de recopier, en la retravaillant de fond en comble, ma traduction d'un poème de W.S. Merwin. Il faut tout de même que je raconte dans quelles circonstances j'ai bricolé la première mouture de cette traduction : debout, au stylo, en surveillant un devoir lundi après-midi. La concentration que requiert une traduction ne m'a pas empêché de repérer les trois ou quatre étudiants qui cherchaient à communiquer entre eux, et que je n'ai même pas avertis ni sanctionnés, car je sais qu'ils n'auront échangé que des erreurs ou des détails si infimes que cela ne changera rien à la note.
En revanche, j'ai pu, une fois encore, appliquer mon système de traduction : livrer un premier jet sans dictionnaire, même unilingue, ni recours au Web. La version informatique s'appuie sur de nombreuses vérifications lexicales et d'usage, sans compter quelques vérifications de nature encyclopédique ; ainsi, le cowbird que, faute de mieux, j'avais traduit par garde-boeufs, s'est avéré ne pas être du tout un héron. (Mais je doute que "vacher brun" dise grand chose à un lectorat français. Que faire ?)
Ce dont je suis plus content, c'est de l'alternance (irrégulière mais plutôt satisfaisante) entre décasyllabes et alexandrins, avec même quelques vers plus longs (vers 21 et 24, surtout), qui m'a donné l'impression, à la relecture et au "gueuloir", d'avoir trouvé une langue poétique qui, entre pierre et lumière, n'est pas loin des premiers recueils de Bonnefoy. (C'était tout à fait imprévu et involontaire.)
Low fields and light (In W.S. Merwin. Green with beasts, 1955.) | Champs bas sous la lumière Traduction MuMM, DR |
I think it is in Virginia, that place That lies across the eye of my mind now Like a grey blade set to the moon’s roundness, Like a plain of glass touching all there is. The flat fields run out to the sea there. There is no sand, no line. It is autumn. The bare fields, dark between fences, run Out to the idle gleam of the flat water. And the fences go on out, sinking slowly, With a cow-bird half-way, on a stunted post, watching How the light slides through them easy as weeds Or wind, slides over them away out near the sky Because even a bird can remember The fields that were there before the slow Spread and wash of the edging light crawled There and covered them, a little more each year. My father never plowed there, nor my mother Waited, and never knowingly I stood there Hearing the seepage slow as growth, nor knew When the taste of salt took over the ground. But you would think the fields were something To me, so long I stare out, looking For their shapes or shadows through the matted gleam, seeing Neither what is nor what was, but the flat light rising. | Je pense qu’il se trouve en Virginie, ce lieu Qui maintenant se trouve en moi, devant mes yeux Comme un brin d’herbe gris sur fond de lune ronde, Comme une plaine de verre effleurant le monde. Les champs étals courent vers l’océan. Ni sable ni horizon. C’est l’automne. Les champs à nu, noirs entre les haies, courent Vers la mer étale et ses lueurs monotones. Les clôtures vont leur chemin en s’affaissant : Seul, sur un poteau courbe, un vacher brun regarde La lumière les effleurer, comme le vent Des brindilles, les frôler puis toucher le ciel, Car même un oiseau peut se rappeler Les champs qui étaient là avant que la lumière Lentement ne s’étende, et de son eau ne vienne Les recouvrir un peu plus chaque année. Mon père n’a jamais labouré ces champs, ni ma mère Attendu, et jamais consciemment je ne suis Resté à entendre la coulée lente à croître – Pas senti le goût du sel envahir le sol. On dirait vraiment que ces champs me tiennent À cœur, moi qui longuement les contemple Cherche aux lueurs emmêlées leurs formes ou leurs ombres, Ne vois ni présent ni passé – seulement se lever cette lumière étale. |
12:28 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Poésie, Anglais, Traduction, Littérature
mardi, 12 décembre 2006
"Your eyes" / "Tes yeux" (Lenrie Peters)
Lenrie Peters est un poète gambien d'expression anglaise, sans doute le plus célèbre des écrivains gambiens... Je ne possède, de lui, qu'un seul recueil, Katchikali, publié dans la collection des African Writers Series par Heinemann en 1971, et dont j'aime beaucoup le ton et la teneur. Il se compose de 69 poèmes qui n'ont, en général, pas de titre. (Note pour moi-même : à la relecture, je suis particulièrement féru des poèmes [36], [43], [44] et [66]. Le [32], qui repose sur un acrostiche strophique, est une forme de gageure.)
Je me suis essayé hier, dans la matinée, à essayer de traduire les vers très brefs du cinquième poème, "Your eyes / are two faces". À deux ou trois exceptions près, je suis resté très proche du texte original. L'une de mes frustrations vient de l'impossibilité de traduire l'enjambement "Impaled / Sensuality" de manière satisfaisante. En effet, l'ordre épithète-substantif est ordinaire en anglais, mais, si je respecte la grammaire ("La sensualité / Empalée"), le dernier mot de la deuxième strophe n'est plus impaled/empalée. Tout menu problème, mais qui se pose là toutes les cinq minutes.
Dans le "Journal de bord" qu'elle a consacré à sa traduction du tome III du Journal de Paul Nizon, Diane Meur écrit, à la date du 10 juin 2005 : "Sans cesse composer avec l'insatisfaisant, quel métier...!" (TransLittérature, n° 31, été 2006, p.20).
Heureusement, ce n'est pas mon métier, mais un violon d'Ingres (ma vocation?).
Lenrie Peters. Katchikali, [5]: “Your eyes” | « Tes yeux » |
Your eyes are two faces the closer I get: mingled with utterances tenuous as chewing gum oblique. Impaled
hangs a curtain to the open sea. Driftwood,
grind soft teeth in its flesh. Time Is not ripe for singing ; crisp twilight fades. I speak to you as a child to my brother my sister. Demoness with lifted skirt won’t save the world Apples fester in autumn. Stabs of sunlight, Pomegranate ravaged by night wind explores vicissitudes of earth. I have expected much from you my black brother ; bloodlessly Slide in your two faces speak without snakes. Change with swift spears in the air Must find you ready. | Tes yeux sont deux visages plus je m’approche : entremêlés
minces comme du chewing-gum de biais. Empalée la sensualité tend un rideau au large de la mer. Du bois de flottaison Des mollusques, des anémones enfoncent leurs dents délicates dans sa chair. Le temps
de chanter : le crépuscule sec s’efface.
comme un enfant à mon frère ma sœur. La démone à la jupe relevée ne sauvera pas le monde. Les pommes suppurent en automne. Coups de poignard du soleil, Une grenade ravagée par le vent de la nuit explore les vicissitudes de la terre. J’en ai beaucoup attendu de toi mon frère noir : escamote sans faire couler le sang tes deux visages et parle sans serpents. Pour le changement et ses lances agiles dans l’air tu dois te tenir prêt. |
14:04 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Traduction, Anglais, Poésie, Littérature
lundi, 11 décembre 2006
Chartres (Edith Wharton)
Sans savoir s'il existe déjà, de ce double sonnet, des traductions, j'ai fini, ce soir, par m'atteler à la traduction de Chartres. J'avais envoyé ce poème, il y a déjà une petite quinzaine, à Philippe[s], qui m'en avait demandé la version française. J'ai traduit le premier panneau du diptyque, et, assez curieusement, j'en ai trouvé la traduction plutôt aisée. Sur l'heure environ que j'ai consacrée à ce premier jet, plus de la moitié a été consumée sur ce maudit vers 11, évidemment celui dont je suis le moins satisfait : comment rendre le jeu de mots sur les deux sens (architectural et économique) de bosses ? comment m'en tenir à mon choix de respecter, peu ou prou, le schéma des rimes ? Au cours de mes menues recherches sur la Toile, je suis tombé sur un beau poème de Péguy, que, dans mon ignorance profonde, je ne connaissais pas, et sur l'entrée ARTS LIBERAUX du Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle.
Entre autres sujets de mécontentement : les synérèses trop précieuses à majestueux (v.1) et à nuée (v.14) ; la traduction alambiquée du vers 9 ; la liaison disgracieuse et même cacophonique attestent-en (v.14) ; trop de "césures muettes" (comme au vers 11 (encore lui) : je ne connais plus le terme exact et je ne vais pas aller farfouiller dans Mazaleyrat maintenant)...
Once again it's work in progress... (Je songe maintenant que j'eusse pu nommer ce billet "Larve de diptyque", histoire de vaincre Dame Fuligineuse sur le terrain des calembours...)
Chartres (Edith Wharton) | Chartres (traduction MuMM, DR) |
I. IMMENSE, august, like some Titanic bloom, | I. Immense, majestueux, titanesque bourgeon, Le chœur puissant dévoile à tous son cœur pierreux, De vitraux corollé – d’azur, d’or et de gueule – Au cœur du noir gothique un splendide rayon Étaminé de vives flammèches qui vont Éclairant l’autel pâle. Et, au sol priéreux Usé par la cohue des fidèles d’antan, Sont, amies du tombeau, quelques bistres croûtons, Le flottis qu’a laissé là, au ressac, la Foi : Pour elles seules les fleurons fendent les cieux, Les flambeaux libèrent les bulbes de leur loi ; Tandis que des triples portails, les graves yeux – Paisibles et rivés, sur l’éternité, droit – De la nuée de témoins attestent en ces lieux.
|
Bon, je ne sais pas pourquoi l'interligne est supérieur dans la traduction ; on dira que c'est mieux que de ne pas avoir du tout la V.O. et la V.F. en regard, hein ? (Là, quand même, je vais me coucher.)
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samedi, 09 décembre 2006
The Critic / Le critique (Frank O' Hara)
Je n'aime pas beaucoup la poésie de Frank O' Hara, et pourtant, la lisant assidûment, ces derniers temps, je me suis surpris à griffonner quelques traductions de ci de là, sur des feuilles volantes qui sont venues boursoufler l'exemplaire de ses poèmes choisis (Selected Poems. Vintage, 1974). O' Hara avait beau écrire en vers libres, dans une langue d'apparence souvent simple, c'est bougrement dur de rendre la mélodie et le rythme de ses poèmes. Dans le petit essai ci-dessous, je suis surtout mécontent de n'avoir su garder l'enjambement final.
The Critic | Le critique |
I cannot possibly think of you other than you are: the assassin of my orchards. You lurk there in the shadows, meting out conversation like Eve’s first confusion between penises and snakes. Oh be droll, be jolly, and be temperate! Do not frighten me more than you have to! I must live forever. | Il m’est impossible de voir en toi un autre que toi : celui qui saccage mes vergers. Tu guettes là, tapi dans l’ombre, à faire la conversation, pareil à Ève quand elle prit les verges pour des serpents. Allons, sois gai, sois joyeux et surtout sois mesuré ! Ne m’effraie pas plus que nécessaire. Il faut qu’à tout jamais je vive. Traduction Droits réservés. |
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mercredi, 06 décembre 2006
Le Démantèlement de la bibliothèque / Stephen Romer
Comme il était prévisible, je ne m'en tiendrai pas au rythme envisagé d'un poème traduit chaque jour (ou, du moins, pas tant que j'aurai des tonnes de choses à faire par ailleurs), mais j'aimerais essayer de proposer trois poèmes par semaine, en moyenne. Aujourd'hui, allongé dans le canapé de la chambre beige, j'ai fini par poser, sur le papier, l'esquisse d'une traduction du poème de Stephen Romer, "Dismantling the Library", avant de la reprendre à l'ordinateur. Je suis plutôt content de la dernière strophe, avec le rythme 11-8-11-11, mais il y a, bien sûr, de nombreux points de friction.
(Accessoirement, et bien que cela me flatte, évidemment, j'aimerais vous demander de ne pas formuler d'éloges, mais de soulever des critiques et, à la rigueur, de proposer des solutions alternatives. Ce serait, en quelque sorte, une version interactive de Traduire, journal, le beau livre de Roubaud (mais où ne figurent pas les versions originales, ce qui est bien dommage).)
Le démantèlement de la bibliothèque
Enlever les alvéoles
ou le nid de frelons
par petites touches
ce n’est pas ce que je m’imaginais, je n’ai pas dit
voici mes provisions, mes douceurs,
ma liqueur, je n’ai pas pensé
être ici, en tout cas,
le maître de ce qui s’offre à mon regard
en revanche j’ai remarqué, avec consternationque beaucoup n’avaient pas été lus,
comme cette Anthologie de la poésie turque contemporaine
ou cette Vie de Tolstoï, absolument passionnante
et que même les vieux complices cornésse terraient sous leur couverture
comme s’il me fallait reprendre à zéro
et m’approcher d’eux en parfait inconnu.
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lundi, 04 décembre 2006
Gratefulnesse / Gratitude (George H.)
Comme je l'ai écrit précédemment, je ne suis guère satisfait de cette première mouture de traduction. Vous trouverez une version du poème original de George Herbert, Gratefulnesse, ici. Ma traduction n'est pas satisfaisante, parce qu'elle est trop archaïsante, qu'elle ne respecte pas suffisamment le schéma métrique et le système des rimes. Par ailleurs, plusieurs glissements de sens, quoique légers, me gênent aux entournures. J'essaierai de corriger au fur et à mesure que des idées me viendront...
Toi qui m’as donné tant et tant,
Encore donne-moi un cœur reconnaissant.
Vois ton suppliant œuvrer pour toi par
Son art.
À chacun de tes dons il accroît son œuvre
Et se dit Si ceci contre toi le courrouce,
Tout ce qu’à ce jour d’hui tu lui avais tenduEst perdu.
Mais tu tenais pour sûr, quand au commencement
Nos cœurs comme nos mains aspiraient à ton verbe,
Ce qu’il te faudrait bien, le pire envisagé,
Sauver.
On frappe sans cesse à ta porte,Ton céleste logis est flétri par les larmes,
Tes dons sont infinis ; beaucoup se voudrait large
Davantage.
Sans nous tenir rigueur, toi, tu as persisté,Nous autorisant même à faire du tapage.
Mieux même, tu as su, de nos plaints et soupirs
Te réjouir.
Pourtant, là-haut, tu peux ouïrPlus belles mélodies que de tels grognements,
Mais tu t’es pris, pour ces chansons de basse-cour,
D’amour.
Aussi suis-je toujours à t’implorer :
Tu ne peux trouver le repos
Tant que je n’ai, de toi, reçu un cœur content
Pour présent :
Non content quand cela me chaut,
Comme si tes bienfaits connaissaient des relâches :
Mais un cœur qui ne battrait
Qu’à te louer.
16:10 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Poésie, Traduction
mardi, 10 octobre 2006
Nargue orange
C'est un jour d'images, où la vue se substitue aux choses lues ; le long de la Loire, sur les bancs nous nous affalons, vautrons, épanchons, de but en blanc lisons mais surtout matons. Docile, l'air se laisse humer. Docile aussi, la libellule que l'on voit passer près du cormoran impassible nous parle de mondes rêvés, de vies impossibles, dans des gabares, au bord de la Loire. Si on vivait au jardin, à dormir à la belle étoile, à se démener pour survivre, ce serait une autre affaire.
17:55 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Poésie, Traduction