Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 26 avril 2007

Diana : 26a : Evans

    26a. Quand on comprend que le titre fait allusion à un numéro de rue (le numéro de la maison où habitent, en Angleterre, les jumelles Georgia et Bessi avec leur famille) on pense à la première phrase de Beloved : « 124 was spiteful. » (Bien que je ne prise guère l’œuvre de Toni Morrison, en général, cet incipit figure tout de même parmi mes préférés.)

Les premières pages – les deux premiers chapitres surtout – de 26a font immanquablement penser à The God of Small Things d’Arundhati Roy dont ils semblent n’être qu’un décalque : au mieux une ombre portée ; au pire une resucée. Un numéro de rue, un fragment d’adresse, c’est un lambeau arraché à la mémoire, bien sûr ; on connaît ça, tous. Dans ce roman, l’influence de Roy se fait sentir surtout dans les chapitres narrés du point de vue des deux jumelles encore très jeunes : mêmes effets de décalage très marqués entre le langage des adultes et sa perception par les enfants ; même invention d’un imaginaire gémellaire complexe et foisonnant. Après un chapitre 3 qui reprend plutôt le récit dans la perspective des parents (principalement de manière analeptique : mise au point sur le couple formé par Aubrey et Ida avant la naissance de Bessi et Georgia) et qui est, de ce fait, plus réussi, l’impression de décalque s’accentue, car, dans le quatrième chapitre, l’une des deux jumelles subit une tentative – pas vraiment de viol, mais perçue comme…dans tous les cas, cela rompt en partie la relation qu’elle a avec sa sœur, comme dans le cas de Rahel et d’Estha dans The God of Small Things.

 

J’ai seulement commencé la lecture de ce très récent roman dans le jardin tout à l’heure, mais, en dépit de certains traits qui distinguent l’écriture de Diana Evans de celle de Roy, cette influence qui saute aux yeux m’empêche d’apprécier tout à fait le roman.    [Détour : dans le Journal de Travers (1976-77) (et ailleurs dans ses journaux, plus récemment), Renaud Camus s’interroge souvent sur la situation et le contexte d’une œuvre d’art : la même œuvre, peinte par le jeune Delacroix ou par un peintre de troisième zone dans les années 1930, n’a pas la même valeur. On ne lit certainement pas 26a de la même façon selon que l’on connaît l’unique roman de Roy ou pas.]

26a (c’est sans rapport mais je n’ai lu que 80 pages alors je brode) : ce titre m’évoque aussi ces chiffres et ces nombres suivis de lettres qui servent à rendre plus précises et plus détaillées encore les légendes du livre consacré à Pompéi que je lis ces jours-ci à mon fils (qui s’en entiche mais le connaissait déjà (il s’agit d’un livre beaucoup trop compliqué pour lui)). Il y a, dans la double page consacrée aux chambres à coucher et aux triclinia, une phrase très simple mais que je trouve d’une très grande musicalité. Bien sûr, je n’arrive pas à me la rappeler et le livre est resté dans sa chambre, après la lecture d’avant-nuit. Il y a meurtrières et atrium dedans, et c’est l’équilibre entre ces deux [tri] qui la rend, pour moi, remarquable.

 

Après cet autre détour, je veux tout de même jeter quelques mots à la volée sur trois passages – entre autres – qui m’ont intrigué. Il y a, tout d’abord, le passage dans lequel Aubrey jeune imagine/improvise toute une série d’insultes pour son rival/ennemi Dean Baxter : il en invente pile cent, qu’il égrène un peu comme les 99 noms d’Allah (mutatis mutandis). Alors intervient cette description tout à fait étonnante, qui m’a incité à écrire ce billet et à le classer dans la rubrique Fièvre de nombres (le titre du roman n’étant pas la raison première de ce classement) :

He became so multiplied he forgot himself. His thoughts were crowds of figures, perfect algebra, subtractions and divisions and multiplications and conversions from inches to centimetres, yards to metres, miles to kilometres, bombing his senses and never leaving space for the true naked feel of inadequacy. He avoided mirrors and they avoided him (pp. 31-2)

Tout à fait ce que je ressens, aussi ce que j’ai lu sous la plume de Roubaud qui est, lui, un vrai grand mathématicien (quoiqu’il ait beaucoup relâché cette partie-là de son activité créatrice). L’oubli du Soi dans les calculs, dans les nombres, dans la réitération et l’exercice de savantes arithmétiques, on le retrouve dans plusieurs textes soufis. Le fait d’être « fui par les miroirs », en revanche, je ne sais qu’en penser.

medium_IVc_Montmorillon_14.JPGAutre passage marquant, quand l’une des jumelles, encore enfant, vivant en Angleterre, rend régulièrement visite, en rêve, à Gladstone, qui lui dit : « there are no answers, only the places we make » (pp. 24-5). Ce doit être marquant car j’avais prêté ce roman à ma mère, qui s’était montrée très enthousiaste mais qui, tout à l’heure au téléphone, ne s’en souvenait pas du tout. L’épisode Gladstone a suffi, comme aide-mémoire. (Il faut dire qu’à l’hôpital elle s’envoie des pelletées de pavés et de tomes pour tromper l’ennui.)

-----------------------------

Encore autre chose, le troisième & dernier détail il me semble : quand les jumelles s’interrogent sur le sens d’expialidocious (p. 5), cela m’a fait penser à la célèbre chanson de Mary Poppins, Supercalifragilisexpialidocious. Mais je me suis dit qu’il devait s’agir d’un de ces termes qui existent réellement, que ce n’était qu’une coïncidence, ou que les auteurs de Mary Poppins avaient bel et bien utilisé un mot rare pour forger leur long néologisme : après tout, on reconnaît bien deux termes latins et une racine grecque dans supercalifragilis, non ? Vérification faite, cet adjectif n’a pas d’existence propre, et les jumelles du roman prennent donc la chanson au premier degré (ou est-ce encore le premier degré, justement ?) et croient que le néologisme de Mary Poppins est vraiment une suite de termes scientifiques qui leur échappent. (Accessoirement, ça ramène encore à The God of Small Things et à la référence récurrente au film The Sound of Music, très contemporain et esthétiquement voisin de Mary Poppins, crois-je me rappeler.)

(Tout cela s’écrit presque sans y penser ; ce sont des pensées ou notations pour moi-même, indigestes. Si vous avez déjà décroché du parapluie, ce n’est pas grave : vous n’y êtes pas, alors ?)

 

Ah, j’allais oublier le rôle très ambigu que joue le séjour (long de trois ans) au Nigéria dans la formation des deux fillettes, mais je pense ne pas avoir avancé assez dans le roman pour en dire encore quoi que ce soit. Ce qui est certain, c’est que les récits terrifiants du grand-père maternel, qui raconte comment, par le passé, l’on brûlait la cadette d’un couple de jumelles pour conjurer le mauvais sort et échapper à la sorcellerie, donnent lieu à ce commentaire sans appel du père, Aubrey : « Oh what a load of haddock » (p. 64).

(On pourrait traduire ça par « quel ramassis de foutaises », mais on perdrait à coup sûr le côté tout à fait singulier de l’expression : aucun anglophone ne dit what a load of haddock dans un tel contexte, mais plutôt what a load of crap ou what bullshit. Le père emploie donc un euphémisme pour éviter d’employer une expression trop grossière. Alors, comment traduire ? )

Pour rester rivé au Père, j’en finis de ce trop long et languissant billet (composé en Georgia, évidemment) en vous demandant si, Beardsley mis à part, vous connaissez qui que ce soit qui se prénomme Aubrey ?

Commentaires

26a évoque bien autre chose pour moi; oui, 26a le 26 avril, j'y ai pensé bien avant vous, et cela n'arrivera qu'une fois.

Écrit par : Aurélie | jeudi, 26 avril 2007

Ah, et ce 26a publié à minuit, juste au-dessous de la date "jeudi 26 avril", n'était-il pas là, mallarméen, en témoignage ichtyophile ? (Accessoirement, "a" étant la lettre écarlate du prénom (voir couverture du roman de Diana Evans en édition de poche)...)

Que d'impatience et quelle faible confiance !

Écrit par : MuMM | jeudi, 26 avril 2007

Presque vexée, j'ai pensé à une coincidence, qui me passait méchamment sous le nez. Hier, j'ai commenté "Hoquet toqué", histoire d'interpeller. Mais voilà ce qui arrive quand on est pressé et d'une susceptibilité exacerbée.

Écrit par : Aurélie | vendredi, 27 avril 2007

J'ai beaucoup aimé "Beloved" (le seul que j'ai lu), je ne sais pas ce que j'en penserais aujourd'hui si je le relisais.

J'aime beaucoup tes critiques/commentaires de livres (c'est toujours nunuche d'écrire cela, mais il faut bien le dire de temps en temps, n'est-ce pas: encourager ce qu'on veut voir se développer est un mot d'ordre!)

Qu'est devenue Livy? Intervient-elle sous un autre nom?

Écrit par : VS | vendredi, 27 avril 2007

Les commentaires sont fermés.