jeudi, 27 septembre 2007
César : Aira :: Les : Larmes
La matière de ce récit, ce sont les antipodes. Ce n’en est ni le sujet ni le thème, mais la matière. Récit écrit de manière à opérer sans cesse des renversements, des allées et des venues entre des registres et des régimes de sens diamétralement opposés, il ne bouleverse pas le lecteur ; plutôt, il le fait tourner en bourrique, ou en sablier. Sans cesse, le narrateur tourne les pensées, les jugements du lecteur de ce récit censément en train de se faire (mais, en fait, au fond, absolument préfabriqué), pour les inverser, les nier, les faire basculer – tout tournebouler. Si ça vous chante, vous pouvez aller saupoudrer ça de tropismes façon Nathalie Sarraute… mais la différence essentielle, c’est qu’ici rien n’est creusement. Non, tout est chatouillis, grattements à la surface, titillations. Le narrateur remue la vase en de nombreux points distincts de la mare, et très vite on ne perçoit plus même la forme de la mer. (Quelle analogie inepte, dirait-on.)
On en passe par le texte traduit. (On en passe toujours par le traducteur ; on en vient toujours au traducteur, comme on en vient aux mains. Le texte que l’on a lu, c’est celui du traducteur, un texte un peu ventriloque, sans doute beaucoup hanté par en dessous, du tréfonds. On en vient là, à ces mots tracés par Michel Lafon, s’ils lui furent dictés, intimés peut-être, par César Aira.)
« Il y avait un Japon en train de se poser doucement sur l’Argentine, mais sur toute l’Argentine, centimètre par centimètre, dans la douleur, une douleur suave, bleue, violette. » (p. 64)
Convoquez Borgès et Cortazar si vous le voulez – et vous aurez raison car leur influence saute aux yeux – mais tout ici n’est que collusion/collision, coïncidence/dissension, explosante/fixe, et surtout hallucination née de la longue contemplation d’un globe coloré ou d’une mappemonde comme celle que j’avais enfant au-dessus de mon lit.
À un moment, hors des virevoltes et pirouettes auxquelles le lecteur se soumet (nommons ce phénomène de lecture la loi d’accélération antipodale, si vous le voulez bien), il peut bien rêver même à certains mots par-delà leurs connotations immédiates déjà pas simples. Ainsi l’Argentine suggère à la mémoire un vers de Baudelaire, la gueule de Maradona bouclé en 1982, un quartier de Beauvais (qui devait ce nom à la fleur d’argent), un zézaiement de Boby Lapointe.
Passé par les antipodes comme on a pu être passé par les armes, le temps d’un aveu, l’esprit projette de lancer enfin, pour de vrai, le chantier des Tropographies.
[ 19 août 2007, Kergaer ]
07:04 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Littérature, écriture, Bretagne
Commentaires
magnifique votre commentaire sur les larmes de césar Aira j'y trouve toute la démesure argentine antipodléenne et le surréalisme vécu , ou vivant , à vif d'une hallucination en train de se vivre ,
enfin ce que j'en dis ...
par exemple rien à voir avec les autres antipodes down under et australes , est ce l'onirisme espagnol, la composition italienne, comme une comédia del arte se compose , ou un Machiavel ou un Giacomo ou ce sang indien qui ébouillante tout , éblouissante argentine l'argent est bien plus perfide que l'or ni que l'hor-reur
est ce de chevaucher cet espace de mots à triple gallup ....
Écrit par : aloredelam | samedi, 29 septembre 2007
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