vendredi, 29 mai 2015
Se classer soi-même
Le dimanche matin, après une première incartade du côté des boules de graisse et un dialogue haut en couleurs sur les éviers bouchés et lave-vaisselle qui refoule, prendre la route — sous un ciel gris — de Mons, mais, après peu de kilomètres sur l'autoroute au revêtement inquiétant, bifurquer vers le Grand Hornu : oui, c'est aussi le nom d'une commune, et d'ailleurs on ne comprend pas bien comment s'emboîtent les deux ou trois bourgs qui forment ici le tissu urbain.
Au Grand-Hornu, près d'une rue à corons, on entre dans le site de l'ancien complexe minier. Nous y sommes venus pour faire le lien avec la saline royale d'Arc-et-Senans, visitée en août 2013, mais pas seulement — bien sûr, il y a Boltanski. L'architecture idéaliste et rigoureuse, plus épurée encore qu'à Arc, penche plus du côté de certaines réalisations soviétiques qu'elle ne relève des Lumières.
Déambulation entre des colonnes, tour du grand ovale où nous sommes presque seuls ; c'est le matin, il crachine.
Avant, passé un long moment dans l'installation permanente de Boltanski, les archives du Grand Hornu : on cherche à établir un plan d'ensemble, on scrute la rouille, on lit des dizaines de noms, on essaie de comprendre pourquoi certaines portent des photographies en plus du nom, on imagine un algorithme pour l'alternance, bref on se classe soi-même dans l'installation, on repense cette mine, des bribes de l'histoire minière finissent par te traverser, toi qui n'y comprends rien, mais par les noms et les regards tu es forcément de cet ensemble humain porté colossal là sur un mur de boîtes rouillées alignées.
L'ensemble des autres installations de Boltanski que l'on parcourt est tout à fait essentiel, car l'œuvre se prête mal au catalogue, au feuilletage : il faut être au milieu, circuler, écouter, toucher, se perdre et toujours finir par avoir découvert un itinéraire et une hiérarchie. Boltanski est un des compositeurs les plus émouvants de l'époque, je l'écris dans le même sens que l'extraordinaire “Coltrane is such a wonderful poet” de la nageuse, dans Sardines de Farah. Il compose l'époque, il travaille à côté d'elle et donc à côté de nous. Nous, ses arpenteurs, nous recomposons, participons, transformons (par exemple) de nos frôlements obscurs et incertains la salle incommensurable des infinitives voiles.
Visite de ça à quatre, donc, escaliers comme des montagnes russes, avant d'enregistrer avec difficulté les battements de mon cœur qu'on pourra ne pas entendre sur l'île de Teshima. On embarque un Cd-Rom, même pas écouté ; le déchet n'a pas d'horizon : seule compte l'idée qu'on y est audible avec des milliers d'autres cardiaques.
Plus tard, après l'éternelle question sur l'hippopotame de Tervuren, déjeuner seuls dans le restaurant chinois du Grand Hornu, dans une rue criblée de commerces désaffectés, aura une plus faible aura. Mon futur se défend, entièrement.
23:41 Publié dans Artois, à moi | Lien permanent | Commentaires (0)
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