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vendredi, 03 février 2023

Baal design, 1.8.

    Dans la suite du second chapitre, deux références explicites m’ont poussé à faire des recherches.

una schiava.JPG

 

Tout d’abord, l’analogie qu’établit W. entre sa première impression d’Agnes et un tableau du Titien qui se trouve au palais Barberini : « There was something in that picture of Titian’s which is called La Schiava, that was recalled to him by the paler, thinner features of the Signora Agnese. » (p. 28) Or, aucun tableau du Titien ne porte ce titre. Après avoir buté sur une Schiavona, œuvre de jeunesse, et sur la Schiava turca du Parmesan, j’ai tout de même fini par découvrir qu’un tableau attribué au Titien se trouve bien au Palais Barberini sous le titre Une schiava o favorita veneziana. Malheureusement, pas moyen d’en dénicher une reproduction. Voici donc une esclave /non-esclave bien fuyante ; on doit se contenter de l’effet-peinture de la phrase, de ce qu’elle connote du personnage de W. (peintre lui-même, qui voit tout à travers la peinture italienne (de la Renaissance))

peine forte et dure.JPG

 

L’autre point est une expression donnée en français en italiques, après la rencontre entre W. et une calèche transportant les Carmichael, qui sont ses voisins en Angleterre. La situation (tandis que, de toute évidence, W. les évite, les C. cherchent à le coincer) est expliquée par la narratrice : en résumé, W. est à la tête d’un patrimoine assez coquet, et Mme C. a deux filles à marier. On le voit dans le passage ci-contre, toute la situation est exprimée en termes économiques : outre la métaphore de l’offre et de la demande – filée : les jeunes filles en âge de se marier sont un stock qui s’entasse dans l’entrepôt des salons (overstocked) –, on remarque que la mère est censée pourvoir, c’est-à-dire fournir un époux à ses filles. D’ailleurs, l’épithète antéposée poor lady, il est difficile de ne pas entendre le double sens de poor.

Cela est assez courant, mais ce qui l’est moins, c’est la description des hommes à marier qui fuient à l’autre bout de la terre en quête d’épouses hors marché (on ne sait même pas s’il s’agit d’étrangères ou d’Anglaises expatriées). Ce qu’ils fuient n’est donc pas le mariage : ce qui les révulse, apparemment, c’est la « saison » (season), autrement dit la saison des bals et des dîners arrangés, quand ils se retrouvent sur le marché. Cette saison est qualifiée en français italicisé de peine forte et dure. J’aurai appris, à cette occasion, ce châtiment particulièrement atroce, moyen de torture par asphyxie utilisé pour soutirer des aveux. Dans l’un des cas cités par la WP, une Anglaise accusée de collusion avec des prêtres catholiques serait morte – et son fœtus en elle – écrasée sous les poids accumulés. (Elle a été canonisée par le pape Paul VI en 1970 mais enfin, la belle affaire.)

C’est dans ce contexte passablement hyperbolique que s’inscrit la description des deux sœurs, portrait qui insiste sur leur manque d’attrait. Le point de vue sexiste et sans empathie (p. 32) est-il celui de W. ou de la narratrice ? La sœur cadette a toutefois le double avantage d’être plus jolie, et tâter du pinceau comme de la plume, même si – en contradiction avec la fixation de W. sur les femmes artistes et indépendantes (p. 28) – la narratrice semble trouver cela assez peu recommandable. On a le cas caractéristique du roman du 19e siècle dans lequel un personnage, même pas nommé (pour le moment, veut-on croire), est dévalué pour la seule raison que la narration veut en faire le contrepoint négatif (ou ordinaire / fade) du héros ou de l’héroïne. Par esprit de contradiction (ou de déliaison au sens où l’entendait André Green), je vais évidemment essayer de lire le texte du roman contre la narratrice et de comprendre ce qu'on veut nous dissimuler de ces sœurs Carmichael.

 

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