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lundi, 03 juillet 2006

Nathalie : Quintane : Cavale

2 juillet, onze heures du soir

 

    Je n’aurais pas dû boire ce café, chez les W.

Longtemps avant de commencer à écrire ce texte, j’avais décidé que la première phrase serait : « Je n’aurais pas dû boire ce café, chez les W. » (Longtemps, c’est-à-dire une heure avant, tandis que ce texte mûrissait en moi. (La meilleure métaphore est-elle mûrir, germer ou un autre verbe ? La meilleure métaphore ne serait-elle pas tout autre verbe qui éviterait de tels clichés ?))

Tandis que je lisais la deuxième partie du dernier roman paru de Nathalie Quintane, Cavale, j’étais attentif au texte et je pensais aussi à des centaines d’autres choses. (Je ne pense pas que cela ait été vraiment fait, en littérature : noter avec autant de minutie que possible, selon le souvenir d’un passé proche, tout ce à quoi pense un lecteur pendant sa lecture. C’est une autre affaire, mais n’excluons pas d’y revenir.)

Je pensais notamment à la sueur de ma peau contre le drap de dessous, ou contre la chaise en plastique rouge – puisque je me suis déplacé dans la bibliothèque pour lire –, à la douche froide que je ne manquerai pas de prendre avant de me coucher pour de bon, au discours qu’Arbor nous avait tenus, il y a un an environ, à propos de son choix de ne plus manger de poissons, aux autres livres de Nathalie Quintane, à celui (son premier, Chaussure, lu à l’époque où j’étais littérairement obsédé par les chaussures) qui m’a fait découvrir cet écrivain inégal (inégal est l’anagramme de génial (je lis aussi l’essai de Pierre Bayard sur les œuvres ratées, please bear with me)), je pensais à bien d’autres choses que Nathalie Quintane ou ses livres, comme Thomas Bernhard, qu’elle pastiche brièvement, Glenn Gould, les notices encyclopédiques des Animaux du Bois de 4 Sous (en particulier celles du gloméris ou du crotale céraste), le mot pêche ou le mot fenêtre, les mots mensonge, démenti, dimenticar, mais aussi la polysémie de ce beau mot de cavale, que je n’ai pas essayé de rappeler mes parents, que l’île près du poney-club de Hagetmau est bien jolie, etc.

Je sais que je ne vais pas parler de Cavale. D’ailleurs, je ne l’ai lu qu’à moitié. Mon drame, ici : quand je n’ai pas fini de lire un livre, je meurs d’envie d’écrire de longs paragraphes dans ce blog, puis je suis pris, une fois le livre achevé, d’une plus grande inspiration à la lecture du suivant. Une sorte de donjuanisme de l’érotique littéraire, qui se mue, paradoxalement, en impuissance critique. Un peu de Viagra, et ça repart ? Je ne sais pas… Filons la métaphore (celle-ci, oui) et craignons que cette note ne soit un signe d’éjaculation précoce. (En tout cas, c’est peine à jouir. Nouveau paradoxe.)

Je sais que je ne vais pas parler de Cavale. (Tiens, je ne savais pas, avant d’écrire cette texte, que je céderais au charme facile de l’anaphore paragraphique, ni qu’une autre phrase que l’initiale, et aussi commençant par je, y serait répétée) mais je sais d’ores et déjà que ce roman est bien meilleur que les précédents de Nathalie Quintane, avec ses 21 débuts, son jeu trouble sur l’identité du narrateur et de son crime, la réflexion (jamais théorique) sur les codes culturels, ses personnages fuyants, plusieurs de ses audaces stylistiques, parfois pataudes ou malvenues mais toujours signifiantes.

Il y a une demi-heure, peut-être, parmi les nombreuses choses auxquelles je pensais en lisant Cavale, il y avait cette anecdote, dont je ne sais où je l’ai lue ou entendue mais qui m’a marquée car j’y repense souvent : P.O.L. ne demande jamais à « ses » auteurs de réécrire et il accepte qu’ils changent de registre ou de style ; selon cette anecdote, il déciderait, d’emblée, de faire signer un auteur chez lui, indépendamment du type d’ouvrages qui seront écrits. L’exemple de Renaud Camus doit inciter à réviser ce récit, sans doute partiel ou exagéré, puisque Renaud Camus a souvent dû retirer des paragraphes ou des passages à la demande de son éditeur (voir édition de P.A. (Petite Annonce) en livre, par exemple), mais il n’en demeure pas moins que, quel que soit son degré de véracité, cette anecdote revient me hanter régulièrement, pour ce qu’elle implique pour la notion de ratage. Que Pierre Bayard soit un des rares à essayer de la théoriser, cette notion, voilà qui est choquant, car je ne connais pas un seul écrivain dont telle ou telle œuvre n’est pas considérée comme mineure ou ratée ; cela est d’ailleurs formulé tel quel dans les conversations informelles qui ont lieu entre « spécialistes » dans les colloques. Curieux, non ? Je songe à Un rêve utile de Tierno Monénembo, dénigré par l’auteur lui-même a posteriori, c’est-à-dire sous l’influence de ses amis, des critiques, de la presse, etc. ; or, c’est un livre que j’aime beaucoup.

Dans cette perspective, l’anecdote (apocryphe, alors ?) relative à P.O.L. donne l’image d’un éditeur soucieux de donner aux auteurs qu’il publie la certitude que l’ensemble de leur œuvre sera un tout impur constitué de parties inégales, de moments creux, de ratages. À creuser, décidément. (Comme Cavale, dont je n’ai pas dit trois mots.)

 

Ajout : Vrai Procuste, je me dois d’ajouter pas moins de trente-trois mots à cette note écrite hier soir, yeux brûlés et cerveau en charpie, afin de publier ce billet dans la rubrique YYY.

21:12 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

Tu filtrais ton texte et puis tu l'as siroté...

Écrit par : joye | lundi, 03 juillet 2006

On m'appelle le Père Colateur...

Écrit par : MuMM | lundi, 03 juillet 2006

J'en voulais à la langue française de ne pas connaître "percoler" !

Écrit par : joye | mardi, 04 juillet 2006

Les commentaires sont fermés.