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mercredi, 28 mars 2007

DAZAI : Osamu :: Mes : frères

    La pile de livres à lire s'entasse sur ma table de chevet, et, quoi que je fasse pour en varier l'architecture, je crains qu'elle n'atteigne bientôt le plafond. Récemment, rangeant, j'ai aligné les quatre Pléiade les plus récents, surtout parcourus (sauf le tome III de Michaux, exploré jusque dans les abysses), tout en haut, pensant ainsi endiguer la sédimentation. Mais il en est des achats et des emprunts comme de penser chauffer une pièce froide en approchant le mercure du thermomètre de l'ampoule 100 Watt : vanitas vanitatum.
Cette nuit, j'ai peu dormi. Peut-être était-ce le thé vert offert par l'étudiante chinoise et bu à grandes lampées toute l'après-midi. Peut-être était-ce la lecture de trois ouvrages différents avant d'éteindre les bougies. Le dernier que j'aie ouvert, c'est ce petit volume de DAZAI Osamu, Cent vues du mont Fuji, dont j'ai parcouru la préface et lu les deux premières nouvelles. C'est peu dire que j'ai pris la première, intitulée "Mes frères" en pleine gueule. J'avais acheté ce livre - attiré dans la grande et belle librairie par c'était, qui a fini par s'acheter la traduction récemment reparue de Return of the Native - pour une raison qui en vaut d'autres : j'avais rencontré, trois jours auparavant, et dans un tout autre contexte, le traducteur, Didier Chiche.
"Mes frères" est un texte court, à la structure méandreuse, filandreuse. Dazai prend ses frères, non pour modèles, mais en filature. Au début, il donne le sentiment qu'il va parler de la mort de leur père, de la revue qu'ils avaient fondée ensemble, ou, peut-être, des deux visages de son frère aîné, de onze ans plus âgé que lui. Tout cela esquissé, pourtant (mais d'une manière qui grave l'empreinte de ces quelques motifs durablement dans l'esprit du lecteur), le sujet de la nouvelle devient le troisième frère, l'excentrique influencé par la "préciosité" française, sculpteur mais aussi auteur de poèmes dont Dazai condamne ou moque le côté fleur bleue. De ce qui semble, un instant, être un portrait-charge, émerge progressivement le récit de la mort, pathétique et terrible, de ce frère en fait adoré par Dazai (qui écrivait encore sous son vrai nom de Tsushima Shûji). Dans la dernière phrase, on en revient au point de rupture qui donna naissance à l'écriture de cette nouvelle : le traumatisme de l'héritage laissé par un père mort trop tôt. La ruse douloureuse de Dazai ne s'exprime jamais aussi bien que dans cette merveilleuse dernière phrase : "Si riches soient-ils, des  frères trop tôt privés de leur père sont, à mes yeux, bien à plaindre." (rééd. Picquier Poche, p. 39)
Il existe aussi -  dois-je m'en défendre ? - un amour particulier des noms japonais. L'évocation de la "diction du kabuki" (p. 28), de la dédicace de Kawabata Yasunari (p. 33), ou encore l'amour non réciproque du frère Keiji pour "une fille qui travaillait dans un café à Takanadobaba" (p. 36), suffisent à me plonger dans une durable rêverie... dont la rançon pourrait bien être l'insomnie ?

Commentaires

MuMM, qu'est-ce que le corsaire demande pour relâcher le bâtiment qu'il a capturé?
Un autre cauchemar pour cette nuit.
Dormir et songer.

Écrit par : fleur bleue | mercredi, 28 mars 2007

Des pirates ? ça se corse ! Oublier les cauchemars, difficile.

Écrit par : MuMM | jeudi, 29 mars 2007

Cher MuMM,
qu'est-ce qu'il y a d'indécent dans les commentaires ? C'est une faute?

Le tapuscrit avec signature n'est pas encore arrivé.
Oublié?

Écrit par : patricia | jeudi, 29 mars 2007

Difficile oublier les cauchemars, mais pas difficile dormir d'un œil ou d'une oreille.

Écrit par : fleur bleue | jeudi, 29 mars 2007

Rien d'indécent ! La lettre est partie avant-hier, le temps que je m'organise (je suis très lent postalement).

Écrit par : MuMM | vendredi, 30 mars 2007

Pourtant, la catégorie des commenataires est définie "Indécemment": pourquoi?
Merci pour la lettre.

Écrit par : patricia | vendredi, 30 mars 2007

tiens c'est marrant je n'avais pas lu ce post sur Dazai Osamu, j'ai lu ce livre il y a qque temps et to day je l'ai ressorti pour le relire, noir très noir et prendre des notes , je reviendrai te dire ce que j'en pense, à l'occasion.

Écrit par : if | mercredi, 09 mai 2007

Je voulais écrire un texte sur certaines autres nouvelles, et aussi sur les photographies du recueil, mais le temps passe et les livres à "chroniquer" s'entassent. Il me tarde de lire ta pensée sur ce texte !

Écrit par : MuMM | jeudi, 10 mai 2007

en lisant ce texte de façon "plus sérieuse" on retrouve en partie les faits essentiels qui ont marqué Dazai
- société japonaise parfaitement codée, rigide et conformiste (ne laissant que peu d'échappatoires, l'alcool, les femmes)
- société refermée sur elle-même (peu d'ouverture au monde occidental)
-climat des années 30 (et préalable à la terrible défaite japonaise)
- recherche de la beauté et de la pureté comme quête indissociable de la nature humaine.

Cette nouvelle est à mon avis celle qui révèle le plus Dazai, où il prend conscience de l'être profond caché derrière chaque apparence , où derrière cette organisation très codée (la place de chacun à table, les rôles des frères ainés et cadet tenant immédiatement le rôle du père etc...) chacun cache sa vraie personnalité.
Il est d'ailleurs profondément bouleversé quand l'aîné lui demande de transcrire le texte du "riz" Confucius dit qu'on est debout, et moi je suis en position instable"" en dehors des moments où j'absorbe mon riz quotidien , je ne vis pas" au moment où je mâche des grains de riz, j'éprouve une satisfaction animale..."
C'est ça qui fonde l'écriture de Dazai , le pessimisme magistral de son écriture , cette position instable qu'il découvre chez ce frère( très conforme, il se marie a un enfant) alors que rien ne pouvait lui laisser entrevoir cela.
Ensuite il y a ce 3ème frère dont il se moque , mais toujours avec beaucoup de tendresse et une certaine admiration , ce 3ème frère dont il découvre la personnalité comme si elle lui était révélée par une pièce de Kabuki, ses goûts fantasques pour le précieux français, le burlesque, ses supercheries, la transformation de son nom, et surtout la magnifique beauté de son visage ( aussi beau que celui d'une femme) ce frère qui défie les conventions ( se moque du bébé de l'aîné p25) ne boit pas de saké chaud mais du vin,lui fait croire qu'il a un autographe de Kawabata , ce frère inquiétant , drôle et fascinant , qui se montre tel qu'il est jusque dans le côté occidentalisant de ses écrits et de ses vers" fleur bleue"
ce frère qui est en même temps pour Dazai une ouverture sur le monde , sur la mise en scène du monde , jusqu'à la fin, le sens du Kabuki est présent dans cette nouvelle,le sens du jeu, jouant son rôle ,sa mystification jusque sur son lit de mort, se faisant appeler "pauvre moine", lui léguant ses "bijoux" acceptant la mort sans mot dire, ne cherchant pas à la devancer et jouant juqu'au bout.
Quand il reprend son nom, et qu'il le dit (à quoi cela servait il de le dire, lui qui allait mourir), c'est cela qu'il lègue à Dazai , comme une phrase ultime qui dirait "je ne suis rien tu vois, mais je t'ai fait rêver..."( à ce sujet il me semble qu'on pourrait raprocher ce moment de celui où dans le texte "I can speak" il entend "l'anglais de cet ivrogne" (?? je ne suis pas sûre)
et d'ailleurs après la mort de ce frère , la fin de la nouvelle est magnifique de sensibilité,et de retenue ( le blanc après sa mort, je ne veux pas en parler...)
Il me semble, mais ce n'est que mon point de vue, que ce texte ouvre l'univers littéraire de Dazai,
et pour en revenir à la nouvelle et à ce que tu en dis, (il ne parle à aucun moment du père décédé trop tôt)et à cette dernière phrase, on ne sait pas si elle revoie à son père ou à ce 3ème frère qui vient de mourir, la nouvelle se termine sur cette mort, comme si c'était lui son père . C'est très interessant cette position instable justement.
voilà cher muuummm.
belle relecture en tout cas que je continue avec plaisir.

Écrit par : if | jeudi, 10 mai 2007

Oui, c'est l'oscillation qui me frappe... l'instabilité, comme tu dis justement. Il y a cet accent sur les à-côtés dérisoires de tout moment tragique, comme si de l'aplatissement devait naître le sublime.

(J'écoute *Central Park in the Dark* de Charles Ives en te lisant puis en te répondant... ça doit m'influencer...)

Écrit par : MuMM | jeudi, 10 mai 2007

je ne pense pas que les japonais voient la mort de façon tragique, le destin est cruel, mais la mort n'est pas tragique, ce terme même de tragique est lié à la culture grecque,( c'est une vision des choses qui n'est pas une vision universelle) et les à côtés -qui nous paraissent dérisoires- le fait qu'il dise qu'il a repris son nom, et qu'il lègue ses bijoux" ont plus de signification que la mort elle même, dans l'écriture de cette nouvelle , ils ont marqué durablement Dazai dans le sens (les éléments de la vie liée à la mort)( j'affirme comme si je le croyais vraiment mais ce ne sont que des pistes de lecture . ... je suppose que tu as lu inoué et kawabata ? )
moi en tous cas i don't know charles Ives, ni central park in the dark. bonne écoute M°°°M)

Écrit par : if6 | jeudi, 10 mai 2007

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