vendredi, 21 septembre 2007
Javier : Tomeo :: Les ::: mystères : de ::: l’opéra
Il faudra que j’aille rue Robert Pinget enterrer solennellement mon exemplaire des Mystères de l’opéra. Pour moi, depuis le choc causé par la lecture de L’Inquisitoire en 1992, tous les inquisitoires sont L’Inquisitoire. Ce n’est pas médire de Javier Tomeo, qui a signé là un livre singulier, surprenant comme toujours. Javier Tomeo ne fait jamais le même livre (pour le coup). Mais, pour moi, depuis le choc causé par la lecture de L’Inquisitoire en 1992, tous les inquisitoires sont L’Inquisitoire. Voilà.
Toutes les rues ne sont pas pour autant la rue Robert Pinget, brève bretelle sans bâtiment ni magasin ni entrepôt ni résidence ni rien, de sorte qu’aucun numéro ne lui est affecté – une rue sans numéro et donc sans adresse – une rue où jamais le facteur ne s’arrête.
Les Mystères de l’opéra est un roman élaboré comme une pièce de théâtre, avec didascalies, primauté du dialogue entre le « Juge » (ou gardien) et la soprano, mais aussi plusieurs notations ou signaux de nature foncièrement extra-théâtrales, comme le surgissement, ça et là, d’un narrateur omniscient. À le lire, on aimerait le traduire en livret : tout le texte appelle cette transposition, et c’est justement dans la résistance d’un faux récit qui toujours se dé-dramatise que réside une grande partie du plaisir de lecture.
Il y a quelques clins d’œil du côté de Beckett (« C’est le souvenir de cette femme impossible qui vous a abîmé depuis des années dans cet antre pour dresser l’acte des foirages des autres ? », traduction de D. Laroutis, Bourgois, p. 147), le lien sémiotique qui se tisse entre l’énigme (Rätsel de l’aria wagnérienne, p. 107) et la foirade (le ratage : « vous aussi, vous êtes un raté », p. 146), la lutte entre l’esprit de système de la soprano et le goût du Juge pour le mystère.
« Des ennemis, en plus, dont l’existence pour nous est un mystère. » (p. 91)
La soprano a parlé de salopards, mais le Juge a dit « nous ». (On entend résonner les voix du Kafka de Marc Ducret : chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous… chez nous…) Nous, c’est aussi, d’un doigt léger puis – juste au dernier paragraphe – impérieux, le narrateur : « À partir d’ici nous n’en dirons pas plus. Nous ne nous mêlons pas de justice. » (p. 148)
Le Juge, si malsain que paraissent la plupart de ses principes, lance toutefois, aux fiévreux de mon espèce (mais il y en a d’autres, comme Madame de Véhesse), un appel rassurant : « Dans ce monde il faut tout compter. Oui, oui, ne me regardez pas de cette façon, il vaut mieux tout compter. Quantifier tout ce qui nous entoure : pendules, ampoules ou tubes fluorescents. » (p. 64)
Denise Laroutis est certainement une très bonne traductrice. (On peut savoir si un traducteur est mauvais sans même se reporter au texte original ; pour faire définitivement le tri entre bons et mauvais traducteurs, un bon texte n’est jamais qu’un début d’indice.) Pourquoi ? Un seul paragraphe, sans autre commentaire, suffira à éclaircir mon affirmation :
Brusquement, on n’entend plus la voix du violoncelle – comme si quelqu’un avait décidé de lui couper toutes les cordes d’un seul coup de ciseaux –, le Portier éternue une fois de plus et reste les yeux baissés. On dirait que le ressort de son cou s’est cassé pendant qu’il éternuait. À ce moment-là, les femmes qui sont de l’autre côté de la porte préfèrent se tenir coites. Elles n’ont pas la moindre idée de ce qui risque de se passer à partir de maintenant, mais ce dont elles sont toutes convaincues, c’est que Brigitte a encore le temps avant que soit remplie la coupe de l’amertume. (p. 114, tripatouillages de polices ajoutés)
Comme pour les masques, comme pour les mensonges, comme pour le bal des vampires dans les armoires (ou des grimoires qui transpirent), l’opéra se travestit : « Une véritable soprano – une soprano tout-terrain – peut chanter les séguedilles de Carmen même habillée en Brunhilde ou en Salomé. » (p. 72)
Maintenant, le thé est noir ; il faut le boire. Respecte ton supérieur !
16:40 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : Musique, Opéra, Littérature, Espagne, Jazz, Photographie, Ligérienne
Commentaires
Sympa le blog!!!!
Écrit par : chantilly | vendredi, 21 septembre 2007
Pourriez pas faire une pub un peu originale? -"Ce blog est le sordide exemple d'une ignominie sémantique qui ne se cache plus, la décomposition d'une société s'y étale lâchement, pareille déliquescence requiert un redressement draconien , nous nous y emploirons, par TOUS les moyens".
Un peu de tripes quoi!
Écrit par : Restif | samedi, 22 septembre 2007
Restif, vous êtes une crème !
Écrit par : MuMM | samedi, 22 septembre 2007
Quelle insolence Restif, vous êtes à fouetter !
Écrit par : Aurélie | samedi, 22 septembre 2007
Mmm...
Écrit par : Restif | samedi, 22 septembre 2007
Tiens, toi aussi, tu parles de Robert Pinget ?
Écrit par : Guillaume | mardi, 25 septembre 2007
" Certes, il se trouvera quelques esprits chagrins pour déplorer que l'on n'ait pas profité de cette occasion pour baptiser ces amphithéâtres de noms majestueux symbolisant les succès de l'intelligence humaine, comme Simone de Beauvoir, Robert Pinget, Luciano Pavarotti ou Zinedine Zidane" (Guillaume)
Monsieur, dauber sur les plus pures gloires de la France est un métier qui ne vous honore pas. Attention, sachez qu'il existe encore, dans ce pays, des citoyens dignes de ce nom.
Je ne vous salue pas
Écrit par : Restif | mardi, 25 septembre 2007
You're never alone with SCHIZOPHRENIA !
Écrit par : MuMM | mardi, 25 septembre 2007
Si c'était encore de l'entrismeblogmarket, reconnaissons que c'est pas mal : tutoiement + auteur, j'ai cru à un habitué-revenant inconnu de la greenhorn MuMM que je suis. Bis repetita displicent...
Écrit par : R. | mardi, 25 septembre 2007
Les mots sont : Je t'aime...
Tout est clair ?
Alles Klar ?
Écrit par : vivi | mardi, 25 septembre 2007
Vous parlez d'un certain Serge Gainsbourg ?
Écrit par : jane | mardi, 25 septembre 2007
@ Vivi / Jane : I got that right from the start ;-)
Restif : c'est compliqué, en fait...
Écrit par : MuMM | mercredi, 26 septembre 2007
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