dimanche, 01 mai 2011
Le Mât noir, dialogue
– Tu as lu ça ? tu as vu ça ?
– Et toi ? tu as vu ta tête ? qu’est-ce qui t’arrive ?
– Des blagues. Du blafard. Violent.
– Quoi ?
– Une pièce. De théâtre. Dans le petit manoir de Stanislaw Witkiewicz.
– Ah oui…
– Figure-toi qu’on y apprend que « toutes les chiennes sont castorisées », puis que « nous allons nous gaver comme des castors », et enfin, à l’acte III, un cocu veuf pardonne à un complice du cocuage « parce qu’il n’y a que vous pour sauver mes chiennes de la castorisation ».
– Castoriser ? castorisé ? castorisation ?
– Non, je ne sais pas.
– Sinon ?
– Sinon, quoi ?
– Sinon, quoi ? quoi ?
– C’est un drame spectral.
– Hein ?
– Une histoire de fantômes, de mort. Une sorte de Lorca tchekhovien en plus burlesque, assez Crommelynck quoi.
– Ah, je vois. Du Witkiewicz, donc.
– Oui. Très fin.
– Sinon ?
– Sinon, à l’acte II, « on aperçoit le manoir entre les arbres », puis Kozdron, un brave type qui prétend ne pas avoir trompé le cocu veuf alors qu’en fait il était bel et bien l’amant du fantôme (de la fantômesse si tu veux), lance que « le soleil brille, il fait beau, et j’ai l’impression que tout est recouvert d’un duvet noir », avant de dire, de manière dédoublée, figurée mais redondante : « j’ai un torchon noir devant les yeux ».
– Ah. Curieux, pour une histoire de fantômes. Ça me rappelle le dernier album de Fersen, spectres et loups-garous partout.
– C’est la mode.
– Non, mais lui, justement, se détache totalement du côté citationnel, post-moderne etc. pour assumer totalement le côté littéraire, presque littéral, de ce fonds de commerce.
– Ah ?
– Oui – et toi, tu comptes jouer la pièce ?
– Moi ? non ! pourquoi dis-tu ça ?
– Tu en connais pas mal par cœur, déjà.
– Oh, j’ai pris des notes. Et tu sais, ce qui me frappe…
– Quoi ?
– Par delà ce que tu disais, qui fait qu’à l’époque contemporaine les histoires de fantômes sont toujours des motifs, une spectralité au cube…
– Oui ?
– Les passages que je t’ai cités tout à l’heure, les citations de Kozdron… Ces phrases ponctuées de noir, pour une pièce dont le titre et le lieu d’action sont un manoir…
– Oui, quoi ?
– Eh bien, c’est en polonais. C’est forcément un hasard de la traduction.
– Oui.
– Ou un fantôme polyglotte qui joue des tours.
– Oh, dis donc, ça, c’est du théâtre !
– Oui.
21:09 Publié dans Les Murmures de Morminal, MAS | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Na ja, spinnst Du, oder spammst Du ?
Écrit par : MuMM | lundi, 02 mai 2011
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