mardi, 05 septembre 2006
Chapitre 30
[Lundi, vers quatre heures.]
Un peu rouillé d’avoir passé tout ce temps à relire, à repasser les pages au gueuloir, à repousser les (d)échéances, j’ai tout de même repris le rythme. Quasi aphasie de Raasta, quasi amnésie de Bile, et surtout l’un des très rares passages qui n’épousent pas le point de vue du personnage principal. Passage exquis sur la maîtrise perdue des mots, qui me rappelle les deux derniers livres de Nathalie Sarraute, Ici et Ouvrez ! lus, si je ne m’abuse, à Beauvais, résidence Bellovaque [je revois le canapé vert forêt, et moi vautré dedans].
Depuis longtemps – plusieurs semaines – j’ai d’infinis regrets de ne pas avoir tenu, dans ces carnets voire dans un blog spécifique, une sorte de chronique systématique de mes errances de tâcheron, ce qui serait peut-être, pour moi la meilleure trace, le plus beau souvenir de la traduction. Qu’importe, ce n’est pas ma dernière traduction, et celle-ci a été très hachée pour des raisons indépendantes de ma volonté, aussi le projet eût-il pâti, quoi qu’il en soit, d’un manque de continuité, puisque, lors de la première phase de travail, en 2003, j’étais bien loin de connaître les blogs, et encore moins de m’être remis aussi virulemment à l’écriture. Donc restons-en à ce constat optimiste : ce n’est pas ma dernière traduction (l’espoir fait vivre).
13:50 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 03 septembre 2006
Jardins de Valmer, 2
Aristo et Alambic sont deux chiens (chiots ?) à pedigree, de race indéterminée pour moi qui n’y connais rien. Ils folâtrent dans les jambes d’une très jeune jument qui s’affole. Plus loin, David Vanorbeek, “sculpteur flamand autodidacte”, a ciselé une grande mante religieuse en barbelés, et divers autres insectes dans le labyrinthe sis sur la haute terrasse.
Arnaud Villé, photographe à Vouvray, expose vingt-neuf de ses images d’insectes, très belles macros, aux deux niveaux d’un ancien pigeonnier (?) – quinze à l’étage et quatorze au rez-de-jardin.
Un autre Arnaud Boisramé, lui aussi sculpteur sur ferraille, a le goût des calembours et a nommé une de ses miniatures “Sourire dent fer”.
Jean-Luc Goupil, lassé peut-être de jouer des tours à Ysengrin, combine ses insectes géants de manière astucieuse mais a la mauvaise idée, comme trop d’artistes contemporains, de donner, pour chacune de ses sculptures, une explication restreinte sur le cartouche, qui montre à quel point le “sens” si étroitement défini est conventionnel, bien-pensant, a partout traîné. Toutefois, son scolopendre, composé ou constitué de 35 couscoussières, avec 17 paires de pattes, est très réussi.
Nous avons bien sûr humé la lavande, et les fragrances inconnues des Ageratum. Nous n’avons pas revu Alcoolo et Artémis.
07:55 Publié dans 1295, Diableries manuelles | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Ligérienne
jeudi, 29 juin 2006
Sous le cerisier
Sous le cerisier. Après une journée épuisante, une longue nuit car je ne tenais plus debout dès neuf heures du soir, une matinée de travail, je n’arrive pas à traduire. Ni le rythme ni l’inspiration ne sont convenables. Sous le cerisier. J’entends le chant des merles, les allées et venues de quelques bruyantes guimbardes, et le soleil lourd me ravit.
Je vois l’épuisette rouge contre le mur, les branches basses du cerisier qui de tous côtés m’environnent, la brouette sur le flanc, et l’écran fade de mon ordinateur. Sous le cerisier.
Les rues se disséminent, les livres se dispersent, les pages s’envolent, les chambellans attendent l’arrivée du printemps. Les nuages se vident de leur eau salutaire, et le monde ne cesse de changer de forme. Sous le cerisier. Ton âme, à pierre fendre, se calcine contre la mienne, et j’égrène les mots qu’il ne faut pas écrire, je délaisse la page blanche où doivent, plus que jamais, s’amonceler les chapitres, sous le cerisier.
Sous. Souriant, je vois l’épuisette rouge qui fronce les sourcils et attend d’autres prouesses ; j’entends – dans le silence parfois retrouvé mais si fragile – les orbes que trace, dans le ciel, un milan. Le. L’oiseau de proie guide mon navire, pâle figure, point à l’horizon qui rougeoie. Cerisier. Cerisier, prête-moi ta plume.
14:44 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (2)
lundi, 19 juin 2006
Scène champêtre
La fugue suit la passacaille, puis le silence s’en mêle.
Il n’y a plus moyen de découper les meules de foin au couteau des regards. La meule existe déjà, dans le souvenir, le passé, les toiles, la peinture, la photographie, tant et si bien qu’elle n’a plus d’existence présente face à moi, hic et nunc. Il lui faut se déplacer, bringuebaler au gré des tenailles rouillées d’un tracteur bleu vif, sur une route semée de bouses séchées et aplaties, pour qu’elle commence d’exister, qu’elle devienne une meule – chacun de ses brins singulier – et non la meule de foin.
Le chien ouvre les crocs, et je sens une faim atroce me tordre l’estomac, me cisailler le corps, ce qui n’est pas grand-chose encore. En ouvrant sa gueule, le chien en a laissé tomber une petite chose inerte, indéfinissable ou méconnaissable, et c’était une taupe morte.
De lointains échos du monde ont résonné à mes oreilles. Je n’étais pas là, dans le fossé, pour admirer de beaux draps voler au gré du vent, sur la corde à linge en fil plastifié vert, avec leur liséré fleuri rouge et bleu, leur trame profonde, leurs manigances et les secrets qu’ils recèlent à chaque accouplement, puis qu’ils laissent échapper à chaque lavage – secrets qui vont se perdre dans les sources du vent, dans l’odeur tendre des liserons énergumènes.
(Hagetmau, 8 juin.)
22:20 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (2)
vendredi, 28 avril 2006
XVI
Ce 21 avril, sept jours avant la date de publication de ce seizième chapitre de mon œuvrette, je croise le fer avec Samuel, qui fut lecteur à l’Ecole Normale Supérieure de 1928 à 1930, tous ses biographes s’accordant à voir dans cette année 1928 un tournant, une charnière, choissiez la métaphore qui vous sied le mieux, je ne suis pas regardant mais je croise le fer avec Samuel, entendez cela littéralement, nous sommes, lui et moi, dans une mine, nous échangeons des regards trempés comme dans de l’acier, puis nous pétrissons la pâte informe qui va devenir, sous nos doigts, fer, nous irons ensemble pleuvoir notre minerai sur les têtes couronnées, et je ris avec toi, hein, Sammy, Sam, Samuel, mon Well, nous avons le fer, nous irons le donner aux mortels, on leur a donné l’or mais pas le fer, et tu joues de la flûte, Samuel, toute la nuit tu joues de la flûte, ça les rend fous, forcément, au beau milieu du matin tu me hèles, Will Will, moi je n’en ferai rien, quiconque me dira d’agir, déclarera à ma place ce que je vais faire, je lui répondrai, me réfugiant derrière Samuel, centaure ou Zeus lançant la foudre, nous deux enfants d’Ixion, je leur dirai, je n’en ferai rien, si je mens je vais en enfer.
Va te faire cuire un œuf donc. Sinon Ixion, gare à ton ascèse. (En enfer je vais.)
13:05 Publié dans 1295, Comment je n'ai pas célébré le centenaire de S.B. | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 14 avril 2006
Pas vu filer
Profitant d'encore quelques heures de haut débit avant de retomber dans le silence d'une pause bienvenue, même si elle risque de s'avérer laborieuse, je suis tenté d'écrire que je n'ai pas vu filer ces sept semaines, curieuse et banale impression dont seule une expression idiomatique un peu conventionnelle peut rendre le goût, avant d'ajouter que, pour ce qui est de ces carnets, toutefois, j'ai pris le soin de programmer quelques notules (surtout photographiques) afin d'habiter doucement ces espaces grisonnants, de sorte que vous ne vous trouverez pas fort dépourvus, fidèles lecteurs, et pourrez continuer à vous esbaubir de ces pages qui ne disent rien, et toujours ponctuer de vos commentaires si fins mes billets si froids, sans que, toutefois, je n'y réponde, ou alors peut-être à la manière d'un tir groupé (et c'est à présent une métaphore militaire qui me vient au clavier), comme l'occasion déjà s'en présenta.
De nombreux chantiers sont en cours, dont certains piétinent depuis peu (Arbre à came ou les tankas), d'autres se languissent sans avoir pourtant dit leur dernier mot (c'est le cas de Pauvres Pyrénées, roman bref cher à mon cœur), d'autres lentement progressent (ainsi des sonnets), d'autres enfin, encore au berceau, promettent beaucoup (mais tiendront-ils ?)
14:08 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 26 mars 2006
Jour de croûtes
Ecrire les notes, puis les publier illico, c'est-à-dire, quand une fournée de textes naît sous les doigts, au frénétique tapotement du clavier, les publier les unes après les autres au lieu d'en échelonner la publication en ligne, serait une expérience à tenter. Some other time.
Entre-temps, ce dimanche aura été la journée des croûtes.
Tout d'abord, il est parfaitement scandaleux d'avoir confié la "décoration" (c'est-à-dire l'enlaidissement) du Muséum d'Histoire Naturelle de Tours à un "artiste" aussi nullissime que le ou la dénommé(e) D. Valique. À ce niveau-là, ce n'est même plus possible de parler de copinage (ce que ce doit être) : c'est du détournement d'argent public !
(Nous n'avions jamais visité le Muséum. L'exposition consacrée aux "insectes artificiels" mérite une visite ; c'est amusant.)
Ensuite, pour poursuivre dans les croûtes, la galerie Mathurin expose des toiles hideuses et néo-pompières sous le titre pompeux Surréalistes roumains. Ce genre d'imposture est vraiment à hurler.
Les photographies qui accompagnent les déjections en question sont d'un niveau moyen, et on leur en est, par contraste, éternellement reconnaissant !
Heureusement, il faisait un temps magnifique aujourd'hui, et pour la première terrasse familiale de l'année, au Lys d'Or, l'humeur au beau fixe.
16:36 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 21 mars 2006
Salon du livre, sept
Christian Bourgois, éditeur pour qui j’éprouve de l’admiration – du seul fait que maints auteurs qu’il publie ou publia comptent parmi mes préférés –, a conçu ces jours-ci un petit catalogue rétrospectif de 32 pages, composé intégralement en minuscules. C’est extrêmement irritant. Ainsi, tous les noms et prénoms d’auteur commencent par des minuscules : ridicule effet de mode.
Le pire, évidemment, est que le catalogue commence par un panégyrique à la gloire de christian bourgois, suivi d’un choix personnel du même, qui a sélectionné huit titres qui l’ont particulièrement marqué et dont il dit, pour chacun, quelques mots. Ce que dit christian bourgois (je ne l’écrirai plus qu’ainsi) est, au demeurant, fort intéressant. Mais comment adhérer sans une moue ironique, voire un flanc éclat de rire, à l’autoportrait (car n’est-ce pas lui qui a écrit le « chapeau » de préface ?) qui décrit cet « immense éditeur connu pour son élégance et son intransigeance » ?
J’en reviens à cette histoire des trente-deux pages composées intégralement en minuscules : voilà le contraire même de l’élégance (à moins de considérer comme élégantes les cravates orange sur chemise vert pomme) et de l’intransigeance (car si ce n’est pas sacrifier à la mode des pochettes d’album pop, je n’y comprends plus rien).
09:30 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 09 mars 2006
Dom Gigadas
Jeudi dernier. 17 h *
Il y a certainement un ouvrage de Balzac qui – sans doute en raison de son inappartenance à La Comédie humaine – n’envahit pas, c’est le moins qu’on puisse dire, la grande Toile, et ce roman se nomme Dom Gigadas, que je viens d’acheter au bouquiniste de la Rue Nationale, pour six euros, dans une édition que même les sites de bibliophilie semblent ignorer (Aubanel, 1958), ne retenant que l’édition des Œuvres de jeunesse où ce titre se trouve accompagné d’autres textes écrits par le cher Honoré entre 1825 et 1829 (et qui sont, paraît-il, bien falots (mais nous verrons)).
* J’avais interrompu ce petit billet pour recevoir une étudiante, et l’avais oublié dans l’ordinateur du bureau, où je viens de le retrouver, la « page » ouverte à l’écran, après une semaine de veille, ce qui montre que l’ordinateur est resté intouché, symptôme des troubles que connaît l’université en ce moment.
J’ajoute que je n’ai toujours pas ouvert le livre en question, ouvrage aux pages non coupées, que je nommerais flambant neuf si, sans qu’il n’ait jamais été lu ni feuilleté, les pages n’en avaient pas irrémédiablement jauni. Entre-temps, j’ai presque fini la lecture de Béatrix, qui est un texte remarquable, une étude d’une grande beauté, aux involutions, aux efflorescences splendides.
09:15 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 26 février 2006
À la manière de l’Etoilé
Lors de la quinzaine où vous fûtes absent, la demeure tomba dans le silence froid (9°). Vous revenez, plus pétri de doutes quant au sens de votre existence qu’au moment de partir, et pourtant, quoique accablé sous les tâches et travaux divers que vous devez accomplir, quoique vous ayez aussi décidé de ne pas laisser s’enfler ni s’enflammer ce carnet, afin de vous laisser la vie sauve et de rester cantonné, confiné dans ce confort monotone loin de l’écriture mensongère et songeuse, vous rêvez d’écrire, comme naguère, douze notes par jour, dont celle-ci, qui serait publiée dans la foulée, au beau milieu de la fournée. Ce beau mot de fournée d’ailleurs sied à votre emportement, à cet embrasement dès l’aube, car vous vous êtes levé, ce dimanche, comme les boulangers, pour mettre en route le four, pétrir la pâte, que sais-je encore de ce métier qui a quasiment disparu sous sa forme ancienne ?
Vous rêvez donc de coups d’éclat, de notules jetées tels des éclats de silex, et pourtant votre vie n’a pas retrouvé plus calme cours, n’était-ce qu’un très bref séjour dans une ville de moyenne montagne a pu vous permettre d’engranger quelques images qui pourraient, sinon racheter, du moins combler votre silence. Mais vos lecteurs, déçus, resteront prudemment muets, lassés de ce vouvoiement.
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mardi, 14 février 2006
Alfred : Kubin :: Aus : meinem : Leben
La brève autobiographie du génial dessinateur et graveur Alfred Kubin, lue l’autre jour – avant d’être malade – d’un trait, en moins de deux heures, dans mon lit, se signale surtout par son absence totale, malgré les scrutations, de coquetteries et de fioritures. Les chapitres se sont ajoutés au fil du temps, par la sédimentation des envies d’écrire ou de s’expliquer sur son œuvre, qui saisissaient l’artiste. Lecture recommandée à tous les amoureux d’art, d’autobiographie, et de Kubin bien entendu (encore que, par ce désir complet et fondamentalement réussi de rabaissement, le mythe n’en sort en rien grandi) – le sixième et dernier chapitre, par exemple, offre, en creux, l’un des plus beaux textes sur ce que put être l’expérience intime du quotidien dans l’Autriche pendant la seconde guerre mondiale.
Comment, pourtant, ne ferais-je pas remarquer que presque tous les dessins et crayonnés reproduits dans l’édition française sont décevants, presque ternes, en regard des extraordinaires hallucinations des années 1901-1905, qu’il ne va pas jusqu’à renier dans le second chapitre… mais enfin, presque ? Il reste à trouver plus de sources sur l’artiste afin d’affiner mon idée : Kubin, qui n’est connu, de nos jours, que pour ses œuvres de jeunesse, est-il incompris (de moi y compris) ?
Edition française : Ma vie. Allia, 2000.
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