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mercredi, 19 mars 2008

Alberto : Ongaro :: La ::: Taverne ::: du :: doge : Loredan

[ 21.02.2007.

    Difficile d’imaginer un endroit aussi dévasté.

Peut-être est-ce l’épuisement qui guida la lecture, à des moments tels qu’il ne s’en présentera plus.

Ce roman, paru en Italie en 2004 et en France en 2007, ne s’est jamais trouvé sur le présentoir du libraire, puisque je l’avais commandé à la librairie Campus à la demande de ma mère, ni sur un dessus d’armoire, oublié, empoussiéré. Si la traduction n’a pas l’air mauvaise, la finition éditoriale laisse à désirer : de nombreuses coquilles gâchent ici et là la lecture (nombres au lieu de nombreux, parole au lieu de mot, verbes conjugués erronément au singulier etc.), ce qui est assez fortement ironique, dans la mesure où les éditions Anacharsis sont ce qu’il est convenu d’appeler un « petit éditeur » et où le personnage/lecteur qui figure au centre du dispositif narratif en forme de labyrinthe, Schultz, est un petit éditeur typographe vénitien.

C’est dans l’équilibre parfait entre la complexité narrative post-moderne (jeux de miroir, emboîtements infinis de structures) et le caractère facétieux du ton qu’Alberto Ongaro réussit à merveille, de sorte que, mieux qu’à Calvino dont les mânes sont cependant évoquées vers la fin du roman, c’est à Boulgakov et Potocki que fait songer cette Taverne. Des jeux post-modernes sur la codification narrative, Ongaro n’évite pas tous les écueils, comme la fréquence du recours à la mise en abyme ou aux figures dédoublées (Schultz / Paso Doble ; père / fils ; picaresque anglais / espagnol ; Scarpa / Scarpis etc.).

Allez savoir pourquoi, à un moment donné, dans l’abattement horizontal du five o’clock, ce récit me fit penser à Biyi Bandele-Thomas. Allez savoir si Ongaro n’aurait pas dû ménager, lui-même, quelques chapitres blancs pour que chaque lecteur y ajoute ses ramifications. Allez savoir.

 

Eleven Echoes of Autumn. La flûte alto refuse de répondre aux appels de la clarinette. Le violon refuse de regimber devant les sermons du piano. L’autre soir, je recherchais le nom du prêcheur dont Artaud joue le rôle dans Lucrèce Borgia de Gance : Sardanapale, Héliogabale, Rivarol – tous ces noms masquaient le seul vrai, et je me croyais attrapé entre certaines pages inédites d’Ici de Sarraute. Puis je retrouvai, plusieurs heures plus tard, le nom de Savonarole. N’importe, le moment de la révélation fait partie du récit, comme Alberto Ongaro se dessine lui-même, ultime ombre du roman, à la dernière page, pirouette ou queue de poisson, de sorte qu’il est à se demander si d’autres fins sont possibles, si les romanciers amateurs de labyrinthes narratifs ne renonceront à ces pirouettes finales que le jour où plus aucun lecteur n’en sera surpris, où trop de critiques auront ironisé sur ces sentiers qui s’ouvrent à la voix d’une soprano, sur ces flocons de neige qui tombent et que l’on regarde tomber, sur ces bouquets qui vont à la dérive le long d’une rivière aux mille miroitements.

« Peut-être faudrait-il suivre cette musique qui se déroule dans le disque, en parler de temps en temps, jusqu’à ce que s’exhale la dernière note et que comme un fantôme ducal elle rentre là où elle est ensevelie. Mais La Stravaganza est trop longue, elle dure quelque deux heures et la musique n’accepte pas de devenir parole (du moins en ce lieu) sans risquer de comiques résultats. On suggère donc à qui se ressentirait du fait qu’en ce lieu on ne puisse en réalité écouter une seule note du concerto de Vivaldi, de fredonner de temps en temps le thème ou de mettre le disque sur son propre tourne-disque et de faire du concerto, jusqu’à ce qu’il se termine, la musique de fond de sa lecture. » (p. 160)

 

Au lieu de quoi, bien entendu, le roman fut lu, pour l’essentiel, dans le silence – bancal plus que monacal – de l’insomnie nocturne, j’écris ces lignes en écoutant à présent un album de Kartet (Delbecq et Orti : sons incendiaires incomparables), il n’y avait, de toute façon, pas de Vivaldi dans cette maison, et le seul vinyle double que j’ai emprunté à mes grands-parents pour l’écouter, c’est une version ancienne et crachotante des Pêcheurs de perle, ce qui, loin s’en faut, ne m’approche pas de la lagune de Venise, et moins encore des rivages de la Tamise.

S’il faut clore – qui pis est – ce texte par un inventaire des béances, n’est-il pas surprenant que je n’aie vu aucun des trois films qui sont mentionnés de façon répétée dans le roman : Les Lanciers du Bengale, Masquerade et F for Fake d’Orson Welles ?

 

dimanche, 09 septembre 2007

« la splendide dame blonde »

    « J’allais omettre de dire néanmoins que là, à la différence d’à peu près toutes les autres pièces de la maison, dont les murs étaient couverts de tableaux, on n’en voyait qu’un seul : un énorme portrait grandeur nature, de Lenbach, qui pendait, tel un retable d’autel, du mur derrière la table. 888fc85e1cea8a83b8a7ba97d8ef15d2.jpgLa splendide dame blonde qui y était représentée, debout, les épaules nues, un éventail dans sa main gantée, et, avec la traîne de le sa robe de soie blanche ramenée en avant pour faire ressortir la longueur de ses jambes et la plénitude de ses formes, n’était évidemment autre que la baronne Josette Artom de Susegana. On eût vraiment dit une reine. »

 

(Le Jardin des Finzi-Contini,

traduction de Michel Arnaud. Gallimard, pp. 181-2)