mercredi, 11 avril 2018
DSF10 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses.
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Texte intégral du chapitre II.
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