vendredi, 28 avril 2006
Mal hêtre
Hagetmau. Dans l’écuelle près de la bouilloire, vingt radis (dans mon ennui de fou, je viens de les compter) se morfondent. Dans la maison de mes parents, à Cagnotte, dans ma chambre, devenue maintenant la chambre de mon fils, dans la bibliothèque où se trouvent ceux de mes livres restés là-bas, en souffrance, abandonnés, orphelins peut-être, mes yeux sont tombés sur l’exemplaire de Malevil, roman de Robert Merle lu vers mes treize ou quatorze ans (après ou avant d’avoir vu le film ?) et que j’avais beaucoup aimé, sans comprendre son titre, en quelque sorte bilingue. Nous n’avons pas vu de dauphins, avant-hier, à Ibirratz, mais je sais que j’ai lu Un animal doué de raison à douze ans, car notre professeur de quatrième, Mme Scotto (je revois la salle de classe, et l’endroit précis d’une des allées où elle se tenait au moment de poser la question), qui voulait nous faire dire le nom de Céline, en nous suggérant un écrivain qui s’était livré à des triturations inédites de la syntaxe française et de la forme des paragraphes, n’avait pu me tirer que ce seul nom de Robert Merle, à son dépit évident. Si demain le monde finissait, s’il n’y avait qu’un nombre infime de survivants, et si j’en étais, si je me retrouvais dans l’une de ces maisons de mon enfance où je reviens parfois, je n’aurais d’autre choix que de retrouver ces ouvrages ou ces textes oubliés, voués à la poussière, comme le guide des reptiles et amphibies que j’ai déniché tout à l’heure, à la demande de mon fils, sur les rayonnages, à Hagetmau, ou ce Folio de Malevil, dont je parle inlassablement mais sans savoir pourquoi, vraiment, à moins d’ajouter que, lors de ma première année à Normale Sup’, quand l’époque où j’aimais beaucoup Robert Merle me semblait révolue et même (sottise de jeunesse) appartenir à une époque indigne, enfantine ou infantile, de mon existence, je fus très étonné, lors d’une conversation avec un ami, de l’entendre louer Malevil, lui qui me paraissait le summum de l’exigence littéraire, et bien sûr Malevil reprit du galon dans mes pensées, oui, alors que j’aurais pu douter de mon ami, c’est lui qui au contraire redora le blason de mon bon vieux Robert Merle, quoique je n’aie toujours pas relu Malevil, onze ans après. Et c’est à Hagetmau que j’égrène ces mots, dans la maison du quartier Terminus, de nom fatal, à Hagetmau, nom qui en gascon signifie « la mauvaise hêtraie », que j’aligne ces phrases. Ce nom, avec son mau, n’a pas empêché l’industrie du meuble en bois (chaises rustiques, canapés, tables, fauteuils) de prospérer, ni moi de me perdre en vils fayotages.
11:00 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Hagetmau... Dans les Landes? Je suppose que c'est la seule ville à porter ce nom en France. Mais c'est tout de même étonnant internet!
Écrit par : caro | vendredi, 28 avril 2006
Dans la même lignée que Malevil, du même auteur, avec en sus une réflexion sur le racisme, l'Ile.
Écrit par : petre | samedi, 15 juillet 2006
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