mercredi, 03 mai 2006
XXI
« Je crois bien que Donleavy est d’origine irlandaise. Vous devriez aller voir du côté de Dublin, où je ne suis jamais allé. »
Dans son appartement barcelonais, où je m’attendais, à chaque instant et sans raison, à voir surgir le spectre familier de Paula de Parma, la dédicataire de tous ses livres, Enrique Vila-Matas me parla longuement, et fort affablement, de Fleur Jaeggy et d’Angelo Scorcelletti, mais il se refusa absolument à évoquer Samuel Beckett, et même à prononcer son nom.
Je m’étais rendu, plein d’une fervente admiration, chez le grand écrivain, qui avait accepté ma requête. Dans la lettre élogieuse que je lui avais adressée, j’avais, bien sûr, montré combien je connaissais sur le bout des doigts la moindre de ses pages, et, si j’avais aussi fait part de mon projet, qui était d’enquêter sur « les spectres littéraires de Samuel Barclay Beckett » (c’était là la formule précise que j’avais employée, afin de piquer la curiosité de ce génial montreur de marionnettes), je savais que nous parlerions surtout de son œuvre. Toutefois, la réponse brève mais cordiale qu’il m’avait fait parvenir m’avait laissé penser que de Beckett il serait question.
Or, à ma requête il fut froid, ou resta sourd.
« – Cher Maître, vous savez aussi que je mène une petite enquête sur les spectres littéraires de Samuel Barclay Beckett.
– J’en suis désolé pour vous, mais il est hors de question que je prononce même le nom de cet écrivain. »
Je fus assez estomaqué, revins à la charge en douceur une ou deux fois, pour me trouver de nouveau gentiment mais fermement rabroué.
Quand je le quittai, après trois heures d’entretien, il me raccompagna jusqu’à la porte, non sans m’avoir dit avec un sourire malicieux, dans son français délicieux :
« Ah, mon cher Mathieu, si vous avez besoin de retirer de l’argent, il y a un distributeur de la Barclay’s juste à côté. Bonne soirée. »
13:05 Publié dans Comment je n'ai pas célébré le centenaire de S.B. | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Aaaaaaaaaaaaaargh ! D'abord qui est ce Mathieu ? un avatar de MuMM ? Ensuite, as-tu (a-t-il) vraiment rencontré Enrique Vila-Matas ??? Comment savoir ? La curiosité me dévore de ses flammes rutilantes.
Écrit par : fuligineuse | mercredi, 03 mai 2006
C'est un clin d'oeil à Nimrod. Voir ici :
http://mumm.hautetfort.com/archive/2006/03/20/salon-du-livre-2-quel-francais-ecrivez-vous.html
Écrit par : MuMM | mercredi, 03 mai 2006
Je m'aperçois d'ailleurs que j'ai privé l'énigmatique Matthieu de Nimrod d'un de ses deux T (histoire de compenser l'R superfétatoire de Pinturicchio, sans doute).
Écrit par : MuMM | mercredi, 03 mai 2006
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