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lundi, 08 mai 2006

Ne sommes-nous pas nous-mêmes… ?

    Quel est le sens de Tristes Tropiques ? Il n’est pas question, dans le commentaire de Celina, de l’essai de Claude Lévi-Strauss, mais de la chanson de Gérard Manset. (Heureusement, d’ailleurs : j’eusse été « bien emmerdé » pour répondre.)

La première fois que j’entendis Tristes Tropiques, ce fut à la radio, à Cagnotte, avec une qualité sonore déplorable. Adolescent, ayant peu d’argent, j’attendis quelques mois que ma sœur, qui vivait alors à Paris et pillait régulièrement les fonds de je ne sais plus quelle médiathèque d’arrondissement (le 5ème, je pense), m’en envoie un repiquage sur cassette. Cette cassette m’a accompagné pendant une partie de ma deuxième année de khâgne à Bordeaux (ce qui, au vu des dates, me fait dire que les “quelques mois” devaient être deux pleines années, car l’album Revivre est de 1991 et ma première tentative pour le concours de la rue d’Ulm était en 1993), et Tristes Tropiques, chanson qui ouvre le disque, est loin d’être ma préférée : guitares trop apocalyptiques, claviers un brin trop planants, texte un peu trop manifeste. (D’ailleurs, l’orchestration donne une grande partie de son sens au texte.)

Bref… Cette chanson emprunte son titre à un très célèbre essai de Lévi-Strauss, publié au début des années 1950, et qui fit date. Manset, qui est, depuis longtemps, un voyageur passionné par l’Amérique du Sud, précise ainsi, dès le titre (et dans le refrain : « sous les fumées d’encens des tristes tropiques »), qu’il est question des Amérindiens. Ainsi, l’idée principale de ce texte semble être : les Indiens disparaissent à cause de l’empiètement de la "civilisation" d’origine européenne, et leurs sociétés mourront bientôt. Mais, en fait, le vrai « message » de la chanson (quoique je répugne un peu à cette terminologie (enfin, dans le cas de ce texte de Manset, il y a, effectivement, une forme assez brutale de vouloir-dire, qui le dépoétise en partie, d’ailleurs)), c’est que la civilisation européenne ancestrale, elle-même, est menacée par la technique, les progrès trop fulgurants de la science, le luxe et le matérialisme ("piscines en marbre de Carrare"). Manset est convaincu que la culture, l’art et l’humanisme, qui régnaient en maîtres jusqu’à des temps point si reculés, sont en train de mourir eux-mêmes face aux coups de boutoir du profit, de l’industrialisation et du capitalisme. La convergence entre ce qui menace les Indiens et ce qui nous menace, nous Européens d’aujourd’hui, est annoncée dès le premier quatrain : « Pas d’étuis péniens, pas de curare / Mais la même terreur qui force à reculer ».

Le fin mot (ou le mot de la fin) serait alors : « pour nous sauver peut-être il n’est pas trop tard ». Je pense que le verbe sauver a ici un double sens :

1) il est encore possible de sauver la civilisation européenne

2) il est encore possible de s’enfuir (se sauver) dans un lieu à peu près préservé (ce que Renaud Camus, très proche de cette idée, nomme « dispar’être »).


Autre chose, chère Celina – je ne sais pas du tout si vous connaissez l’album Revivre dans son ensemble, mais il y a d’autres éléments à prendre en compte, et qui sont étroitement liés à la structure du disque. Tout d’abord, Tristes Tropiques, mélodie agitée, frénésie affolée et inquiète, reçoit, comme écho apaisé, en fin d’album, le très beau et serein Territoire de l’Inini, qui célèbre la vie des Indiens autour du fleuve, sans oublier la menace des   « cendres sous l’abattis »   et  de   l’ « avion reparti ». Autant la musique de Territoire de l’Inini est apaisée et douce, autant les portées des divers instruments semblent, dans Tristes tropiques, se fracasser les unes contre les autres.

Ensuite, la chanson qui occupe le centre de l’album et lui donne son titre, Revivre, creuse l’idée qui est au centre d’un des vers de Tristes Tropiques : « mais ce qui meurt un jour un jour revit » (avec chiasme). Du reste, Revivre ne donne pas une vision très joyeuse du recommencement, tout simplement impossible, à en croire la fin abrupte :

On croit qu’il est midi, mais le jour s’achève
Rien ne veut plus dire, fini le rêve
On se voit se lever, recommencer, sentir monter la sève
Mais ça ne se peut pas
Non, ça ne se peut,
Non, ça ne se peut.

11:20 Publié dans MUS | Lien permanent | Commentaires (0)

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