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lundi, 22 janvier 2007

Arrivederci

    Toujours il pleuvra des cordes. Que ça pince ou non. Comment sinon naîtrait ce son mat de la peau doucement frappée, dans l’arche de Noé, alouette d’écorce – orques – et requin dans l’obscurité ? Un train suit la voie ferrée sur des kilomètres de ponts, de banlieue, près d’échangeurs, à faire grincer sans cesse et sans ménagement les éclisses des traverses, puis une voix d’oiseau, un chant enfin émerge des brumes que traversait le train. En entendant ce chant, je me dis que cela fait deux semaines que je voulais prendre le temps nécessaire, ces 1956 secondes, pour traverser la France du nord au sud puis de nouveau du sud au nord, un road movie illustré à la clarinette, forme de moyen métrage pour tous trajets, sans aide à la navigation. Le regard suit le train, mais tout le corps danse, aux appels des peaux tannées, de la mélopée comme vocifération, et la danse n’a d’ailes qu’obscures. C’est tout comme un grand vol de corneilles heureuses dans l’aube d’hiver. C’est tout comme.

Loin du train, maintenant, et loin de l’arche, une corneille quitte les rangs pour aller houspiller des étourneaux querelleurs et piailleurs. Sous les cordes qui pleuvent, on ne le dira jamais assez, que ça pince ou non, il y a le bruissement des forêts dénudées, cette saveur exquise des étangs découverts au détour d’un bourbier, cette extase à se perdre, les bottes enfoncées dans l’argile noirci, tandis que planent, virent de bord encore les corneilles. Même au cœur, même au creux de ces forêts abandonnées aux bourbes de l’hiver, on ne s’empêche d’imaginer – quoi – les doigts de Léon Francioli qui tissent glissent, même en n’ayant jamais vu Léon Francioli ni de photographie de Léon Francioli. Perdu, les bottes crissant dans l’argile, on regarde l’étang où aucun cincle ne plonge, et c’est encore une autre hallucination : Michel Portal nous emmène à l’autre bout de la France, en Camargue bien sûr, ou en Bretagne – c’est pareil. Égaré, les mains accrochées à l’écorce du vergne, on regarde l’étang, on tapote contre l’écorce, doucement, tout en contemplant l’eau morte sans clapotement, et, sans quitter l’ombre proche du vergne, on imite, malgré soi, les mains de Pierre Favre sur les peaux tannées. Je sais désormais que je suis seul au milieu de la forêt, que le road movie s’achèvera, peut-être sur l’aire de repos déserte, à part un semi-remorque en travers et pas la moindre silhouette visible dans la cabine. Je sais que j’aurai dit au revoir et que jamais pression de la main droite sur la main gauche n’aura été plus douce, ni plus mesurée, dosée. La peau pas ne frissonne, elle résonne, et je ne reviens pas sur mes pas, j’avance, dis adieu au vergne. C’est sans sens caché, sans cachotteries, le train s’emballe, oh ne chantez pas là.

Essayer d’écrire un texte que je chanterais dans la lumière du tumulte, en collant de très près à ces rails, à ces routes, à cette fine pellicule de souvenirs – est-ce possible ? Longé l’étang, il y a un long talus. Personne n’y a laissé de feu, personne construit de cabane, personne en moi ne frissonne. La peau encore résonne. De quoi ? des cris des corneilles, du chant de la cognée, des voix intérieures. Tout ça des foutaises. Longé l’étang, je sais que je pourrais passer deux heures à compter les strobiles sur cette branche, puis les écailles à peine ouvertes des strobiles, puis les imaginer dessinés, les imaginer photographiés, les imaginer dans la lumière du tumulte, passer plus de temps encore à enlever puis remettre puis enlever puis remettre cette virgule entre ça et des. Au début elle y était puis elle n’y est plus. Longé l’étang, il y a un baradeau, et les corneilles au-dessus de ma tête maintenant s’éloignent puis reviennent, comme dans les noirs d’Odilon Redon ce terrible jeu de bonneteau. Signes de ponctuation, swing des cordes qui pleuvent, et la chanson qui trouve son refrain, à peine a-t-on longé l’étang. Je sais que j’aurais pu passer tout ce temps, ces secondes égrenées strobiles, à écrire un texte que je chanterais tous les jours jour après jour dans la lumière du tumulte – mais si le cœur l’âme la peau je ne sais pas moi si cela si ça ne veut pas chanter, on reprend seulement la route, longe l’étang, tire sur la bride, remonte dans le train ou mieux traîne dans la corbeautière, une fois longé l’étang. Finir sur lourdes portes.

Commentaires

Longé l'étang, longé le temps, reste le jazz, toujours...

Écrit par : fuligineuse | lundi, 22 janvier 2007

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