Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 19 septembre 2006

Comme à Gravelotte

    En rentrant de l'école, je me suis resservi un café pour m’échauffer (vent et bruine à l'appel). Un accenteur dans la cour grattait le gravier à la recherche d'insectes que je ne voyais pas. Une voiture est passée en trombe : la mère de Dylan, pharamineusement.

08:49 Publié dans ABC*ACB | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature

lundi, 18 septembre 2006

On bon

    Dans C’était toute une vie, François Bon use de l’impersonnel d’une curieuse façon. On, c’est, semble-t-il, souvent, le narrateur, écrivain animant des ateliers d’écriture à Lodève, quoi qu’il dise aussi je, parfois. Y aurait-il un « moi » réel et un « moi » fictionnel, passé au tamis du récit et ainsi désigné par un on dépersonnalisant ? Peut-être… L’usage fréquent du pronom impersonnel contribue aussi à la tonalité volontiers populaire du style : outrance du neutre, recours aux élisions ou aux tournures familières, et ce de manière très appuyée, par recherche d’effet.

 

11:00 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature

Pereira du PRG

    M. Hervé Mesnager, responsable du PRG dans le Loir-et-Cher, tient un blog vraiment personnel et courageux. Au moins, ce n'est pas la sauce fade et consensuelle servie dans la quasi-totalité des blogs d'élus...!

Il semblerait qu'il ait eu autrefois un autre blog sous le pseudonyme de Pereira, à cause de Pereira prétend, le très beau récit de Tabucchi (film (je ne sais plus de qui) à voir aussi).

Eh bien, figurez-vous que le Pereira du PRG prétend que pour entrer dans l'oeuvre de Lobo Antunes, il est tout à fait possible de commencer par le dernier... Euh... si l'on sait que j'admire beaucoup et ai lu avec délices la plupart des romans de Lobo Antunes mais que j'ai fini par renoncer à finir Bonsoir les choses d'ici-bas (après 500 pages quand même), on comprendra peut-être que je m'inscrive en faux contre ce conseil. Mais lire Lobo Antunes, oui, c'est incontournable ! Alors, par lequel commencer ? Un des deux EX peut-être : Explication des oiseaux ; Exhortation aux crocodiles (le plus beau mais sur le versant difficile, lire ramant...)

(Je ne parle presque jamais, ici, des autres blogs que je lis. Il faudra que je me décide à faire une liste de liens, un jour ou l'autre. Celui de M. Mesnager, hormis un titre peu imaginatif et l'absence totale d'italiques, mérite d'être découvert.)

 

09:55 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Littérature, Ligérienne

dimanche, 17 septembre 2006

Au plafond

    Vu qu'il n'y avait plus de place sur les gradins pour le spectacle de fauconnerie et des otaries, à la buvette juste derrière, sur le coup de trois heures, je me suis envoyé un, puis deux expressos, au point d'être bien, en pleine forme ce soir en écrivant ces lignes, alors que je devrais être rétamé. Trop courte nuit d'ébullition en perspective.
 
Hier soir, dans son bain, mon fils construisait, avec les flacons de shampooing, une sorte de donjon où il a placé ses araignées en plastique pour finir par exulter : c'est le château des araignées... Kurosawa ou Calvino ?
Non, je veux dormir cette nuit, un petit calva près du dojo, et hop ! dans mon kimono ! (Tant qu'on ne me propose pas, d'une voix atroce et rauque "un long concombre" ou encore "une tranche de pastèque avec du miel dans une cuillère d'argent", tout ira bien.)
 
 
Avec le Renard de Feu je suis très maladroit... 

22:55 Publié dans Unissons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature

A Turn in the South, 4 : toute une vie

    Je ne comptais pas reprendre le clavier, ainsi. Veux lire moi. Mais.............

............. hier soir j'ai lu les trois-quarts de C'était toute une vie de François Bon : belles pages sur le monument aux morts de la guerre de 14 (Lodève) et les quatre figures féminines............

::: ce soir, m'asseyant à la bibliothèque, je reprends A Turn in the South de V.S. Naipaul où je l'avais laissé il y a une semaine à peu près ::: page 99 ::: monument vu à Charleston ::: hommage aux victimes de la guerre de Sécession :::

There was rhetoric in that reference to women; monuments of grief and revenge, of grief and piety, are most unsettling when they depict women bowed in grief.

 

Vous ratez tout, qui lisez un livre à la fois. 

21:04 Publié dans Unissons | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Littérature

Jacques Roubaud en ce dimanche : Henri Passérieu

    Où l'on voit Roubaud, parodiant Hérédia, mêler ses impostures à celles d'E. V.-M. ... 

 

Il se trouve cerné sur un champ de bataille

Par cinquante guerriers, noirs démons forcenés :

Sur son visage ardent, une sublime entaille

Rougissait d'un sang pur ses traits illuminés.

(1er quatrain du Sonnet militaire de Henri Passérieu.

In Nous, les Moins-que-Rien, Fils aînés de Personne, p. 131)

 

... pour ne plus retrouver le chemin des aventures. "Personne t'arrêtera", chantait Jean-Patrick Capdevielle au début des années 80. Autant dire qu'il devait s'adresser au Cyclope. (Les fils aînés de Personne, descendants d'Ulysse, Télémaque plaqué au télescope, m'en sont témoins, et ne sont pas non plus les enfants sans enfants dont Kafka, selon E. V.-M., est l'emblème.)

Ross :: Loiterature :: Chambers

    Cinq heures cinquante. Nuit courte, trop courte. Quatre heures de sommeil, ou trois, c'est trop peu. Hier soir, ne parvenant pas à m'endormir, j'ai eu la mauvaise idée de me plonger dans le premier  chapitre (ou plutôt, la première Préface) de Loiterature, un essai de Ross Chambers. La critique comme je l'aime, n'en déplaise à Pierre Jourde : solidement  théorique, pleine d'humour, pourtant sans effets de manche. Aussi étais-je, quoique fatigué, excité comme une puce, au point même, le livre refermé & éteinte la lampe, de tourner virer dans mon lit à me demander comment je traduirais telle ou telle phrase, ou quand j'aurais le temps de lire tel livre dont il est question, pour ne rien dire de la traduction du concept éponyme, mot-valise forgé à partir du verbe loiter (vagabonder, errer sans but, baguenauder...) et de literature, bien entendu.
Curieuse est la façon dont me hante de plus en plus l'idée même de traduire, sans parler des questions ou des problèmes de traduction eux-mêmes... 

06:31 Publié dans Pêle-mêle | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature

samedi, 16 septembre 2006

20

    noire collégiale

pierres noires de l'oubli

rue de Châteauneuf

 

noire rue de Châteauneuf

par le gris rongée la pluie

 

vendredi, 15 septembre 2006

Jacobus Robaldus, encore : Barthélémy Aneau

    Il est temps, ne pensez-vous pas, d'achever la semaine promise. Semaine promise, semaine due : les quatre premiers extraits ayant été donnés entre lundi et jeudi de la semaine dernière, pourquoi ne pas reprendre le fil interrompu en choissisant un vendredi, histoire d'avoir une semaine en deux parties, comme les quatrains d'un côté et les tercets de l'autre (par exemple) ?

"Barthélémy Aneau s'enferma en lui-même, ne s'occupant plus que d'enseignement, de droit, de grammaire. Mais s'il put ainsi fuir pendant près de vingt ans la marée montante des violences, elle finit par l'atteindre lui aussi." (Nous, les Moins-que-Rien, fils aînés de Personne, p. 157)

 

Il y a deux ans, j'ai offert Alector de Barthélémy Aneau à ma compagne. Elle l'a lu, mais pas moi.

Grand galop

    Tziganes effrayés grimpant aux balcons, graisseux comme le fut Tzara, quand le tsar, par le Tokay grisé, ne dort pas gravement, piqué par une tsé-tsé.......

..... vous galopez follement, sans jamais flancher, et dans les prairies où meurent les chiens, vous vous prenez le bec en chialant.

 

... et de l'herbe tendre ...

    dolmens

              couverts d'herbe de mousse sacrément douce dolmens prêts à s'enfoncer dans le sol épuisés de tenir debout d'avoir tenu debout tous ces siècles tous ces millénaires d'avoir simplement seulement tenu le coup toutes ces myriades d'heures tout cela sous les étoiles à la pleine lune dans le noir sous les orages attrapant la foudre plus souvent qu'à leur tour dolmens de dure pierraille aux longues chambres abritant les ébats des couples illicites les embrassades furtives des hommes soucieux de se cacher de se dérober aux regards de fuir le regard pesant plus pesant que la pierre des dolmens les regards des autres autres peut-être tout aussi frustes ou rugueux dans leurs sentiments qu'eux ou plus âpres encore que la pierre des dolmens plus âcres au goût les sourcils en circonflexe affichant des mines dubitatives des moues circonspectes se méfiant se défiant toujours de tout pour finir par s'affaler contre la mousse tendre des dolmens et sur la pierre la plus lourde sur le roc le plus puissant le plus impressionnant carapace de tortue dont jamais on ne voit jamais au grand jamais on ne verra la tête striée ridée folle sur ce roc parfois souvent se hisse-t-on à perdre haleine pour mieux voir mieux scruter les baies des grands ifs mornes et placides glaciaux et ténébreux vertigineusement gracieux sous la pluie des siècles des millénaires et à peine s'était-on hissé que toujours naissait le désir furieux le désir terrible de crier de clamer des injures à la face du ciel des imprécations de se lancer dans un long discours tout en vésanies de parler par bordées un torrent de mots ou de chanter de scander de psalmodier que sais-je encore à peine s'était-on hissé à peine se hisse-t-on que naît toujours la tête contre les branches les plus folles les fesses assises contre l'herbe humide contre la mousse tendre à peine se hisse-t-on que les jambes lourdes les pieds désormais menaçant de glisser sur la mousse l'herbe tendre on se surprend à chantonner puis à vociférer et n'est-ce pas là le même torrent que le très long texte le trop long texte qui n'en finit pas de naître et qui peut-être est bel et bien né ainsi né d'une voix devenue folle ne s'obéissant plus parlant aux oiseaux aux astres aux baies aux ifs à la rougeur splendide et coruscante de ces baies mystérieuses ainsi est né ce chant d'une voix pierreuse ainsi née de la rocaille cette frénésie lourde de vésanies qui toujours rendra plus fou plus long plus torrentiel ce trop ce très long

texte

19

    territoire ciel

le Pont de Fil sous la pluie

sa musique grise

 

comme une géographie

de l'âme en plein désarroi

 

samedi, 09 septembre 2006

Éric :: Chevillard : Démolir :: Nisard

    Chevillard, rassure-toi, je ne vais pas te démolir. Lorsque j’ai lu ton roman précédent, Oreille rouge, j’avais été atterré, tant il était raté, mais j’avais observé un silence hébété. Si l’on ne tient pas compte de tes deux premiers romans, que j’ai offerts il y a deux ou trois ans à ma Métilde et que je n’ai pas lus, et à l’exception aussi de ton Thomas Pilaster, j’ai lu tout ce que tu as écrit. Ce n’est pas assez, diras-tu, et, si je t’avoue avoir découvert ton œuvre avec Palafox, encore boutonneux, quinze ans à peine, tu t’offusqueras certainement que j’aie pu laisser sur le bord du chemin certaines de tes pages. Je te prierai de te tenir tranquille et de me laisser écrire : tu n’es pas chez toi ici, et tu as assez d’espace chez Minuit sans venir envahir mon pauvre site. (Cela dit, tu as le droit de me démolir dans la rubrique commentaires prévue à cet effet.)

Chevillard, j’espère que tu apprécies à sa juste absurdité ma façon de m’adresser à toi par le patronyme, comme autrefois les francs camarades dans les lycées de garçons, ce qui est déplacé, puisque tu es né en Vendée en 1964 et que je suis de dix ans ton cadet, un peu normand sur les bords pour tout gâcher.

Chevillard, abordant ton dernier roman Démolir Nisard, qui est sur toutes les lèvres, ou, dans tous les cas, très en vue dans la presse littéraire, j’étais inquiet, un peu comme un amant éconduit après des années de stupre et de passion, et qui, invité au thé par sa maîtresse (je te prie de me pardonner mais je suis un hétérosexuel invétéré et je suis obligé, pour la forme, de t’affubler de bouclettes, d’appâts féminins et même d’une courte robe rouge (et rase-toi les jambes, s’il te plaît !)), se demande si les secrets d’alcôve vont reprendre du galon.

 

J’étais inquiet, donc, Chevillard, et me demandais si Oreille rouge était une parenthèse malheureuse, un flagrant manque d’inspiration (et aussi, à la rigueur, te l’avouerai-je, un léger manque de sens critique pour l’avoir quand même soumis à ton éditeur), ou si la mauvaise passe allait continuer. (Ne vois pas dans ce substantif passe une quelconque allusion méchante à la fois où tu me fis payer fort cher une de nos nuits d’amour. C’est oublié, je te l’assure.)

Eh bien, Chevillard, le thé était succulent. Pendant une cinquantaine de pages, nous avons ressenti le même malaise, car, ta timidité reprenant sans cesse le dessus, tu manquais d’assurance, tu cherchais tes mots et tu semblais vouloir retomber dans ce même travers qui m’avait rendu si douloureuse, au moment de notre petite fâcherie, la rougeur de tes esgourdes. Or, après cette première partie où ta légère tendance à rabâcher sans avancer se pose là (litanie des fausses dépêches et vrais supplices), Démolir Nisard est presque parfait. Comme le combattant, tu arbores tes superbes plumes printanières pile au bon moment. Puis c’est un juste rebond grâce au glyptodon de Dijon. L’épisode à la bibliothèque de Pales (paludes ? supplice du pal ? désir soudain de ventiler le récit ?) est savoureux, comme un Époisses porte-bonheur, juste avant ce bouquet final, cette farandole de fruits que te permettent les retrouvailles avec Le Convoi de la laitière. Miraculeuse, la dernière page n’est pas une pirouette : tout y préparait sans que j’eusse vu venir le coup, et tu as le goût exquis de ne pas tirer sur la corde, ni d’appuyer trop sur la lame.

 

Rabibochons-nous, Chevillard !

Maquillons-nous au plafond, avec la poudre d’escampette du capitaine Cook, lacérons-nous avec les piquants du hérisson, chaussons les bottes de sept lieues du vaillant petit tailleur, ouvrons les grottes avec notre lourde clef, peignons le girafon de couleurs Chaissac, vidons le tourteau et ramassons enfin les taupes dans le jardin de Samuel Beckett !

J’aime le malaise dodu qui naît en lisant, au fiel de la plume, cette haine si vraisemblable, les revirements qui font basculer l’aversion poudrée du matamore dans la tragédie.

Chevillard, rabibochons-nous !

 

13:45 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : Littérature

La boucle est bâclée

medium_Bessis_p._18.JPG

 

    Il en était question hier. Calligramme, phrase à recomposer, fragment de récit : la page 18 d'Ars grammatica est tout cela. (Un lasso, aussi, pourquoi pas.)

(Sur l'image de mauvaise qualité, on devine les dessins du verso par transparence. On y verra, pompeusement, pédantiquement, un symbole de la lecture en contexte.)

Robe, encore et toujours voilure, misaine : récit maritime, naufrage érotique.

Brusque, le chef des pirates se lance à l'abordage.

Envie, de poursuivre la lecture, encore et toujours.

Déchirée, est-ce la page, si je mets à la voile ?

12:40 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature

Émaux & camées

    Elle dort sous la charmille,

mollement

allongée dans l’herbe :

une naïade au bord de l’eau

xénophonique

 

&

 

clapotante :

allant son chemin par vagues

miaulantes qui vont

étonnées —

elle dort

sous la charmille.

vendredi, 08 septembre 2006

David : Bessis :: Ars : grammatica

    Ars grammatica est composé de soixante-douze pages dont chacune est un dessin, ou un graphe. Ces dessins constituent une représentation, parfois topographique (comme à la page 71 qui est, en quelque sorte, le plan d’une station balnéaire en termes géométriques) mais toujours textuelle.

 

En dépit de son caractère farouchement expérimental, ce livre constitue un récit. Ce n’est pas, primordialement, de la poésie – même en s’en référant à la poésie-objet d’auteurs tels que Christian Prigent ou Nathalie Quintane. Prenons donc le pari que ce texte appartient au genre de la poésie narrative. Mais peu importe, ce qui compte, c’est cette dimension de récit. Les mots isolés de ce texte, reliés entre eux, sur chaque page autonome, par un système de lignes, droites ou courbes voire pointillées, forment progressivement une histoire, qui se suit assez bien, et, classiquement, ne manque ni de pathos (amour, maladie, suicide) ni d’humour. Ce que le système de représentation mis en place par David Bessis évacue, c’est la syntaxe, ce qui saute aux yeux puisqu’aucun de ces mots n’est ni objet ni sujet, ni relié selon une quelconque hiérarchie discursive.

Moins évidente me semble l’évacuation, dans ce récit, de la temporalité : en effet, aucun des mots-bulles d’Ars grammatica n’est un verbe. Les verbes, même sous leur forme infinitive, sont absents de ce texte. Ce qui permet de restituer un semblant de temporalité, c’est la lecture linéaire de ce texte comme un récit, justement. Ce qui permet, en parallèle, de restituer un semblant de syntaxe, c’est la lecture au sens fort, qui est ici interprétation des lignes et des réseaux de liens selon une sémiotique qui n’est pas principalement verbale.

 

La reconstitution d’une syntaxe par le lecteur est un phénomène susceptible d’intéresser linguistes ou philosophes cognitivistes : dans quelle mesure, me direz-vous, n’atteint-on pas là les limites de l’œuvre, c’est-à-dire de sa valeur esthétique ? C’est une bonne question, que le titre souligne fort à propos : cet essai de récit avant-gardiste composé de mots-bulles et de lignes énigmatiques est aussi, en un sens ancien, un art des lettres et du déchiffrage, donc un art de l’identification des liaisons manquantes.

J’aimerais vous donner l’exemple de la page 18. (Pour bien faire, il me faudrait photographier la page, pour que vous vous fassiez une idée, mais : 1) je crains d’outrepasser mes droits de citation et de me faire tancer par l’éditeur 2) je préfère que vous achetiez ce petit livre, qui vaut vraiment le coup et, de surcroît, ne coûte qu’une bagatelle.)

Page 18, donc, on trouve les quatre mots-bulles suivants (que je cite de gauche à droite et de haut en bas (sens de lecture arbitraire)) : robe, déchirée, brusque, envie. Le dessin pourrait être un calligramme : dans cette lecture, le mot-bulle robe serait la tête de la femme, et les ondulations qui relient les trois autres mots à cette tête son corps, sa robe, ses bras, que sais-je… Là n’est pas, pour le moment, ce qui me préoccupe. Ce dont je parle, hic et nunc, c’est la reconstitution d’une syntaxe par l’acte de lecture. On voit que, pour ces quatre mots (deux substantifs féminins (situés aux antipodes, d’un point de vue visuel) un adjectif et un participe passé adjectivé au féminin), plusieurs phrases sont possibles :

Ils furent pris d’une brusque envie [de faire l’amour], et la robe se trouva déchirée.

Elle eut une brusque envie de pisser et déchira sa robe.

Sa robe était déchirée ; elle eut une brusque envie de le gifler.

Etc.

 

On voit, que, pour chacun de ces trois exemples, l’interprétation consiste à ajouter des verbes, et même des relations de cause à effet. Reconstituer une syntaxe, c’est donc avant tout faire le choix d’un sens, ou, à défaut de choisir, tenir le pari de sens contradictoires et simultanés.

Par ailleurs, l’exemple placé en premier est celui qui est le plus plausible en fonction du contexte : en effet, les pages 19 à 23 décrivent, sans ambiguïté possible, l’acte sexuel. (Le contexte général du récit intervient évidemment dans la reconstitution d’une syntaxe et dans la restitution d’une temporalité.)

 

Venons-en à la tentative d’interprétation sémiotique des lignes droites et courbes, tout d’abord d’un point de vue général. En soi, les droites semblent s’opposer aux courbes et pourraient figurer un discours tranchant, par opposition à des situations moins nettes, ou plus empreintes de douceur. Ces lignes dessinent parfois des figures géométriques, et même, dans un cas très particulier, un diagramme très facilement reconnaissable : celui qui consiste à relier questions (placées dans la colonne de gauche) et réponses (placées dans la colonne de droite) par un système de traits (page 63). Cet effet de diagramme est renforcé par le choix des mots : cette page invite en effet le lecteur à reconstituer les titres d’œuvres importantes de Cioran, comme le Précis de décomposition, par exemple.

Il existe aussi, très certainement, une interprétation sémantique des relations spatiales figurées par les lignes. Ainsi, à la page 20, le dessin constitué par les trois mots-bulles et les deux lignes représente une balance déséquilibrée : le lecteur a tendance à comprendre « une euphorie plus puérile que tenace », puisque le mot-bulle puérile a l’air de peser plus lourd que le mot-bulle tenace.

 

Enfin, je ne rendrais guère justice à ce livre si je ne disais que l’un de ses traits les plus saillants est l’alliage subtil de l’humour et de l’autodérision. Le caractère formaliste de ce récit est rendu moins hermétique, mais aussi moins radical par l’humour : ainsi, à la page 68 (“formalisme creux”), à la page 62 (bière ; gorgée ; plaisir ; navrant), que l’on peut interpréter comme de l’autodérision ou comme une satire littéraire visant l’auteur de La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.

L’humour naît aussi du récit tel qu’il se constitue : ainsi, au feu d’artifice de pointillés qui connote, par la répétition tautologique du mot orgasme, une sexualité débridée ou débordante (p. 22), répond, dans la page d’en face, une suite minimaliste de lignes courbes presque horizontales dont le sens est clair (alors ; gros ; malin, p. 23).

Je ne suis pas certain que ces quelques paragraphes puissent donner la moindre idée de ce dont il est question dans Ars grammatica, mais sachez que rien ne remplace la découverte par soi-même de ce récit en graphes, et que je vous conseille, par conséquent, de vous le procurer et de m’en dire des nouvelles !

 

David Bessis. Ars grammatica. Paris : Allia, 2006. 6,10 €.

18:50 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature