mardi, 24 avril 2007
Objet du désir (cet)
Tout de même il y avait cette aquarelle. Il voyait bien que son ami le galeriste l’avait oubliée dans un coin, ou même dans un carton. Oui, il était venu en bicyclette, mais ce n’était pas une raison. Certes, il n’avait rien compris à l’altercation entre son ami le galeriste et la dame au boudin, mais ce n’était pas une raison. Son ami le galeriste lui avait dit que les sacs qui pendaient comme des coloquintes, les aquarelles couleur de tulipe pourpre, les émois adolescents plaqués sur la toile, les aplats de noir sur fond ocre, ce n’était pas de saison.
Il ne se sentait lui-même pas de saison, mais tout de même il y avait cette aquarelle. Il voyait bien que son ami le galeriste l’avait oubliée dans un moment d’inadvertance. On lui objectait par en dessous qu’on ne disait pas ça, moment d’inadvertance. On disait « je l’ai fait par inadvertance » ou « moment d’inattention », mais ça n’était en rien une bonne raison. Il y avait cette aquarelle, et il se dit que soit il lui fallait l’accrocher lui-même – et alors décider où (mais où ?) – soit il devait en parler à son ami le galeriste. D’ailleurs où étaient les artistes ? où était le couple d’artiste ? où étaient les artistes qui avaient confié ces sacs et ces toiles et cette aquarelle à son ami le galeriste ? pourquoi ne prenaient-ils pas eux-mêmes en main l’installation de leurs croûtes ? où ? où ? pourquoi… ?
Il y avait, tout de même, cette aquarelle ; il était au pied du mur, et tout ce qu’il entendait, encore en proie à la vision de cette dame et de son bas teckel muet (bas teckel muet bas teckel muet, ça faisait comme un refrain de wagon sur des rails rouillés), c’était ces grappes poil à gratter, des expressions toutes faites comme pied du mur, tire-toi, murmure à l’oreille, et quoi d’autre encore… Joconde en papier mâché !
Ça, oui, c’était trop beau pour être vrai : Joconde en papier mâché, ce clair-obscur sous le soleil, cette dague dans la chair morte. Il n’était pas venu en bicyclette, mais ce n’était pas une raison : c’est ce qu’il dirait aux policiers flâneurs chargés de l’enquête. Le policier qui disparaît, c’est du tout cuit. Il restait tout, l’aquarelle de même. Il restait là les bras ballants. Il restait sans savoir. Il vit, sans demander son reste, sans se dire que il lui fallait soit l’accrocher lui-même soit en parler à son ami le galeriste, que l’aquarelle sur ocre froissé se nommait Gioconda di cartapesta. La peste soit de l’aquarelle (et des bicyclettes). Il se rendort.
23:23 Publié dans Bel arciel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Fiction, écriture, Poésie, Art
Les commentaires sont fermés.