vendredi, 11 mai 2007
Objets de Kuiper (Des)
Après avoir passé deux journées entières à travailler dans la galerie de son vieil ami, il tombe comme une souche la nuit, et soudain ce matin-là il se réveille en sueur. Il n'a toujours pas rêvé du bas teckel muet ni de la visiteuse inconnue, mais des grappes de mots continuent de le poursuivre, dans ses songes comme à de brefs et furtifs instants de son existence éveillée.
Il s'est réveillé en sueur, et ce dont il avait rêvé, c'était d'une banane sarde. Mieux (ou pire), il regardait, sans pouvoir détacher les yeux de l'écran de télévision, un débat sur l'inflation galopante du prix de la banane sarde. Le mot débat ne cessait de revenir, et bien sûr cette stupide expression "banane sarde".
Le débat était stupide. Il y avait un archevêque vieux jeu, un patron de bowling et une ancienne strip-teaseuse. Quand l'homme se réveilla, il n'eut pas même besoin de se dire qu'il ne poussait certainement pas de bananes en Sardaigne. Il le savait, l'avait su tout le long du rêve interminable. Et d'ailleurs, la question n'était pas là : ni le vieux schnock en soutane, ni le maquereau ni la sous-actrice X de bas de gamme ne se souciaient de la Sardaigne. La banane sarde, dans le débat, n'avait à peu près aucun rapport avec la Sardaigne.
Le débat était stupide, mais, quand l'homme se réveilla, il sut tout de suite qu'il lui fallait rechercher, sur ses étagères encombrées de livres, son exemplaire du Jour du jugement de Salvatore Satta.
Pendant ce temps, le bas teckel muet faisait la sieste dans une balancelle de jardin à motifs floraux verts et orangés brûlés par le soleil. Pendant ce temps, Baclaque rentrait chez lui, essoufflé, balançait son vélo dans un recoin du garage, cherchait frénétiquement un clap de cinéma. Pendant ce temps (l'homme désormais buvait son café à petites gorgées), la viduité devenait un sujet de thèse de philosophie.
En mâchant un croissant, l'homme repensa au débat sur la banane sarde, puis eut une nouvelle illumination épuisante : HEURTOIR DE FIN. Le jour du jugement n'était pas pour aujourd'hui.
21:22 Publié dans Bel arciel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Fiction, écriture
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