vendredi, 29 mars 2013
Sinful
Que t'arrive-t-il, ce matin, que tu n'aies rien sur la peau ? Cette phrase contournée, question aux pores ouverts, ne t'accompagnait pas au réveil, mais cela n'eût pas été impossible. Après l'opium d'Ovide, tu as plongé – pour rien, encore – dans le bassin aux Ernests, évitant soigneusement les tables en bois, et les jeunes filles qui déambulaient sur le gravier en mouvements saccadés, comme des pièces de jeu d'échecs.
Si les échecs peuvent rendre fou (ce que pense Paul Auster), la musique aussi, à un certain degré d'écoute (ce que pense Colomba).
Tu ne cesses d'interrompre le fil de ta vision ; que t'arrive-t-il ce matin ?
Peut-être est-ce d'avoir admiré, toute la semaine déjà, les feuilles qui poussent avec vigueur sur les saules pleureurs (ceux du square au bout de la rue, ceux de l'avenue voisine, ceux du parc), tandis que ni le prunier ni le cerisier ne se sont réveillés. Ce n'est sans doute pas plus mal, si ce froid de canard (on dit toujours un froid de canard, les ours polaires trouvent ça bizarre) dure encore, paraît-il jusqu'à la mi-avril, ce n'est pas possible, on ne tiendra pas, même avec le soleil on ne tiendra pas. Au moins, après ça, je sais que je peux écrire, sans trop forcer mon talent, un onzain pour célébrer Ivo Perelman.
Célébrer n'est pas le mot juste, je ne trouve pas le mot juste, les jeunes filles continuent de se mouvoir étrangement, il règne, au fond du bassin aux Ernests, un froid vaseux, il y a si longtemps (bouzin déglingué dans la chambre dont tu as oublié jusqu'au numéro) que l'on n'a pas écouté ce beau disque d'Oscar Pettiford ça va me rendre fou. Les jeunes filles se poursuivaient à pas ultra-lents, souples comme des virgules, raides comme des contre-cotices.
Et fou de métaphores, devenu dingue après trop de parties d'échecs sur le dos d'une contrebasse, tu es parti dans un envol de cymbales, c'est curieux tout de même, ce silence qui ne parvient pas à s'immiscer dans le feutre, ce glissando, curieuse leçon pour d'étonnantes ténèbres, cette eau poreuse qui m'étouffe au fond du bassin aux Ernests.
(2060)
09:13 Publié dans B x A, J'Aurai Zig-Zagué, MUS | Lien permanent | Commentaires (0)
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