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vendredi, 08 septembre 2006

Quelle idée, vraiment...

    Quand je passe au Livre, je n'en ressors jamais les mains vides.

Certains esprits chagrins se plaignent de la pléthore de titres publiés. Abondance ne nuit pas. Ce dont il faut se plaindre, c'est que Nothomb, Houellebecq ou Marc Lévy soient les auteurs les plus vendus. Mais sinon, l'avalanche, elle, ne me gêne pas. Si on publiait moins de titres, ce seraient les livres les plus audacieux, les textes difficiles, les traductions du polonais ou du serbo-croate qui passeraient à la trappe.

Bref : quand je passe au Livre, je ne sors jamais les mains vides.

Aujourd'hui, ma moisson : Anthropologie d'Eric Chauvier, Lichen, lichen d'Antoine Emaz, Mémoire du mal d'Emmanuel Laugier, L'Aphonie de Hegel de Mathieu Bénézet et Quelques animaux de transport et de compagnie de Jacques Rebotier.

22:55 Publié dans Unissons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Ligérienne

David : Bessis :: Ars : grammatica

    Ars grammatica est composé de soixante-douze pages dont chacune est un dessin, ou un graphe. Ces dessins constituent une représentation, parfois topographique (comme à la page 71 qui est, en quelque sorte, le plan d’une station balnéaire en termes géométriques) mais toujours textuelle.

 

En dépit de son caractère farouchement expérimental, ce livre constitue un récit. Ce n’est pas, primordialement, de la poésie – même en s’en référant à la poésie-objet d’auteurs tels que Christian Prigent ou Nathalie Quintane. Prenons donc le pari que ce texte appartient au genre de la poésie narrative. Mais peu importe, ce qui compte, c’est cette dimension de récit. Les mots isolés de ce texte, reliés entre eux, sur chaque page autonome, par un système de lignes, droites ou courbes voire pointillées, forment progressivement une histoire, qui se suit assez bien, et, classiquement, ne manque ni de pathos (amour, maladie, suicide) ni d’humour. Ce que le système de représentation mis en place par David Bessis évacue, c’est la syntaxe, ce qui saute aux yeux puisqu’aucun de ces mots n’est ni objet ni sujet, ni relié selon une quelconque hiérarchie discursive.

Moins évidente me semble l’évacuation, dans ce récit, de la temporalité : en effet, aucun des mots-bulles d’Ars grammatica n’est un verbe. Les verbes, même sous leur forme infinitive, sont absents de ce texte. Ce qui permet de restituer un semblant de temporalité, c’est la lecture linéaire de ce texte comme un récit, justement. Ce qui permet, en parallèle, de restituer un semblant de syntaxe, c’est la lecture au sens fort, qui est ici interprétation des lignes et des réseaux de liens selon une sémiotique qui n’est pas principalement verbale.

 

La reconstitution d’une syntaxe par le lecteur est un phénomène susceptible d’intéresser linguistes ou philosophes cognitivistes : dans quelle mesure, me direz-vous, n’atteint-on pas là les limites de l’œuvre, c’est-à-dire de sa valeur esthétique ? C’est une bonne question, que le titre souligne fort à propos : cet essai de récit avant-gardiste composé de mots-bulles et de lignes énigmatiques est aussi, en un sens ancien, un art des lettres et du déchiffrage, donc un art de l’identification des liaisons manquantes.

J’aimerais vous donner l’exemple de la page 18. (Pour bien faire, il me faudrait photographier la page, pour que vous vous fassiez une idée, mais : 1) je crains d’outrepasser mes droits de citation et de me faire tancer par l’éditeur 2) je préfère que vous achetiez ce petit livre, qui vaut vraiment le coup et, de surcroît, ne coûte qu’une bagatelle.)

Page 18, donc, on trouve les quatre mots-bulles suivants (que je cite de gauche à droite et de haut en bas (sens de lecture arbitraire)) : robe, déchirée, brusque, envie. Le dessin pourrait être un calligramme : dans cette lecture, le mot-bulle robe serait la tête de la femme, et les ondulations qui relient les trois autres mots à cette tête son corps, sa robe, ses bras, que sais-je… Là n’est pas, pour le moment, ce qui me préoccupe. Ce dont je parle, hic et nunc, c’est la reconstitution d’une syntaxe par l’acte de lecture. On voit que, pour ces quatre mots (deux substantifs féminins (situés aux antipodes, d’un point de vue visuel) un adjectif et un participe passé adjectivé au féminin), plusieurs phrases sont possibles :

Ils furent pris d’une brusque envie [de faire l’amour], et la robe se trouva déchirée.

Elle eut une brusque envie de pisser et déchira sa robe.

Sa robe était déchirée ; elle eut une brusque envie de le gifler.

Etc.

 

On voit, que, pour chacun de ces trois exemples, l’interprétation consiste à ajouter des verbes, et même des relations de cause à effet. Reconstituer une syntaxe, c’est donc avant tout faire le choix d’un sens, ou, à défaut de choisir, tenir le pari de sens contradictoires et simultanés.

Par ailleurs, l’exemple placé en premier est celui qui est le plus plausible en fonction du contexte : en effet, les pages 19 à 23 décrivent, sans ambiguïté possible, l’acte sexuel. (Le contexte général du récit intervient évidemment dans la reconstitution d’une syntaxe et dans la restitution d’une temporalité.)

 

Venons-en à la tentative d’interprétation sémiotique des lignes droites et courbes, tout d’abord d’un point de vue général. En soi, les droites semblent s’opposer aux courbes et pourraient figurer un discours tranchant, par opposition à des situations moins nettes, ou plus empreintes de douceur. Ces lignes dessinent parfois des figures géométriques, et même, dans un cas très particulier, un diagramme très facilement reconnaissable : celui qui consiste à relier questions (placées dans la colonne de gauche) et réponses (placées dans la colonne de droite) par un système de traits (page 63). Cet effet de diagramme est renforcé par le choix des mots : cette page invite en effet le lecteur à reconstituer les titres d’œuvres importantes de Cioran, comme le Précis de décomposition, par exemple.

Il existe aussi, très certainement, une interprétation sémantique des relations spatiales figurées par les lignes. Ainsi, à la page 20, le dessin constitué par les trois mots-bulles et les deux lignes représente une balance déséquilibrée : le lecteur a tendance à comprendre « une euphorie plus puérile que tenace », puisque le mot-bulle puérile a l’air de peser plus lourd que le mot-bulle tenace.

 

Enfin, je ne rendrais guère justice à ce livre si je ne disais que l’un de ses traits les plus saillants est l’alliage subtil de l’humour et de l’autodérision. Le caractère formaliste de ce récit est rendu moins hermétique, mais aussi moins radical par l’humour : ainsi, à la page 68 (“formalisme creux”), à la page 62 (bière ; gorgée ; plaisir ; navrant), que l’on peut interpréter comme de l’autodérision ou comme une satire littéraire visant l’auteur de La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.

L’humour naît aussi du récit tel qu’il se constitue : ainsi, au feu d’artifice de pointillés qui connote, par la répétition tautologique du mot orgasme, une sexualité débridée ou débordante (p. 22), répond, dans la page d’en face, une suite minimaliste de lignes courbes presque horizontales dont le sens est clair (alors ; gros ; malin, p. 23).

Je ne suis pas certain que ces quelques paragraphes puissent donner la moindre idée de ce dont il est question dans Ars grammatica, mais sachez que rien ne remplace la découverte par soi-même de ce récit en graphes, et que je vous conseille, par conséquent, de vous le procurer et de m’en dire des nouvelles !

 

David Bessis. Ars grammatica. Paris : Allia, 2006. 6,10 €.

18:50 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature

Carême

3 septembre, 15 h 30.



    À peine as-tu nommé cette cruche fiolet

Qu’un univers entier tremble sous tes paupières

Et, le gosier brûlé par le pousse-râpière,

Te voici à même de manier le piolet.

 

Dans le jardin, un merle esquisse un triolet

Tandis que ton ennui trouve enfin sa lumière

À boire, délicieux, les flots de brune bière

Où s’extasie aussi un bref reflet violet.

 

Désastre ! Vilénie ! Brisé à coups de pioche,

Le cerveau envahi par la mer s’effiloche

Et, enivré, vampirisé, se terre, et l’œil

Aux vapeurs de l’oubli lentement substitue

Le plaisir de goûter l’image du cercueil

En miaulant, à l’âme une chienne battue.

17:50 Publié dans Sonnets de juin et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)

Écrit dans l’obscurité

7 septembre, neuf heures du soir.

Tout de même je veux écrire. Ces quatre chats criards me fatiguent. Je suis assis sur une chaise, au balcon : posture rare ici, si fréquente autrefois à Coppelia. (La résidence.)

Le peu de lumière que j’ai me vient d’un lointain lampadaire. Si j’étais gaucher, je ne cacherais pas le peu de lumière que j’ai. Tourne donc ta chaise, imbécile. Ta chaise rouge comme un chat. C’est vraiment s’abîmer les yeux, mais ces chats criards me fatiguent. M’usent le blanc. Quand passerai-je au verso ?

C’est fait.

J’y suis.

16:50 Publié dans Diableries manuelles, Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (0)

Toréador, prends garde à toi ?

    Intrigué par la naissance d'une petite polémique entre M. Pierre Jourde et l'auteur de ce site (tiens, pourquoi ne pas parler à la troisième personne ?), je (zut !) viens de faire une rapide vérification sur Dame Google*, qui, à la requête "empailler le toréador" :

1) suggère d'essayer avec l'orthographe "emballer le toréador" (mais je ne suis pas sûr que ça emballe M. Jourde, ou alors c'est mon côté tête de muleta...)

2) affiche en troisième position mon petit billet, effectivement mal fagoté, mais dont les critiques continuent de me sembler pertinentes.

 

Je comprends mieux la raison de l'atterrissage parmi nous de l'honorable essayiste et romancier, mais aussi son agacement, et son courroux. Vraiment, ces petits sites merdiques de Haut & Fort sont trop bien référencés...!

 

Autre chose, maintenant : je constate que les personnes dont je cite les oeuvres dans mes carnets ne laissent jamais de commentaires, à l'exception des très rares auteurs que j'égratigne. Face à ce constat, que dois-je penser ? Est-ce que seuls les auteurs que j'égratigne (et qui sont pourtant une minorité) cherchent des renseignements les concernant sur le Web ? Ou est-ce que ceux que je loue tombent aussi, parfois, sur ces pages et craignent de déposer ici leurs remerciements ?

Cela m'intrigue, vraiment...

 

* Oui, pour moi, Google est une dame... Les deux O, peut-être ;) (Vraiment, tu deviens incongru !)

15:50 Publié dans Narines enfarinées | Lien permanent | Commentaires (1)

Fini (midi pile)

    Après une discussion, fort technique, avec l'assistante de la directrice éditoriale, et quelques toilettages des fichiers, j'ai envoyé, à midi pile, le texte intégral de ma traduction, avec une proposition de quatrième de couverture et un exposé de certains choix. Bien entendu, il faut attendre les retours des relecteurs, l'approbation de la traduction (we'll keep our fingers crossed), la mise en pages, la relecture des épreuves, etc. De toute manière, j'ai appris que la publication n'était guère envisageable avant la mi-2008. (Aux dernières nouvelles, c'était le printemps 2007 !)

Enfin, on ne va pas se laisser abattre pour si peu, et on va quand même respirer un grand coup et trinquer !

12:08 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (0)

Approches de l'adversité en milieu universitaire

    La réunion commença, dans la petite salle à l'atmosphère viciée. La responsable de formation était assise face à moi. C'est une dame que je connais un peu, que j'aime bien, a priori. Je remarquai qu'elle avait les ongles des orteils peints de cinq couleurs différentes (rose, bleu, orange, vert, marron au pied droit, et bleu, marron, rose, vert, orange au pied gauche), dans des sandales de type oriental.

Au cours de son speech (car ce n'était ni un topo, ni un laïus, ni une prise de parole), qui a duré moins de cinq minutes, elle a notamment prononcé les phrases suivantes (liste non exhaustive) :

Les étudiants s'interrogent sur pourquoi ils sont là. (Et moi donc...)

Il faut donc des personnes référents, comme quelqu'un qui seront là... (Intéressant.)

Nous mettons cela en place afin qu'ils puissent faire le point sur où ils en sont de leur réflexion. (De la syntaxe, pas d'ombre.)

 

Une jeune collègue qui a un certain poids, apparemment, dans cette formation de didactique, prend à son tour la parole, et nous explique comment faire pour que les étudiants "inter-agissent entre eux" et pour que, par la suite, nous puissions "inter-agir avec eux".

Eh bien...

08:30 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Ligérienne

Lignes courbes

    Décidément, il sera dit que je n’écrirai pas. Mais non !

Après une nuit tourmentée, car mon fils s’est réveillé deux fois – il a le sommeil agité depuis quelques semaines, ce qui n’est pas dans ses habitudes –, je finis par me lever et par me rendre au bureau, allumer l’ordinateur de ma compagne, dont je m’aperçois qu’il refuse obstinément de se connecter au réseau : il faudrait vérifier la ‘Livebox’, mais elle est au rez-de-chaussée et, si je descends l’escalier, les craquements infernaux du bois vont suffire à écourter la nuit de sommeil des autres de la demi-heure qui leur reste.

Que se passe-t-il donc ? Hier soir, nous nous sommes aperçus que la ligne téléphonique qui est reliée à l’ADSL était en dérangement : j’avais essayé d’appeler mes parents autour d’une heure de l’après-midi, mais en vain car toujours cela sonnait occupé. En essayant d’utiliser le téléphone le soir, je me suis rendu compte que c’était notre ligne qui ne fonctionnait pas. Il était trop tard pour essayer de dénicher le numéro des services techniques, ou l’adresse du site Web. Tout cela, j’en ai conscience, n’est pas très intéressant, mais ces carnets portent nécessairement la trace de petits désagréments quotidiens. C’est dommage, bien sûr, en un sens, puisque je n’ai pas avec moi les notes griffonnées à la va-vite sur des feuilles volantes. J’avais notamment l’intention de consacrer un texte au petit livre de David Bessis, Ars grammatica, de dire quelques mots du dernier Chevillard, Démolir Nisard, dont j’ai achevé la lecture hier soir, tandis que traîne sur ma table de nuit The Captain & the Enemy de Graham Greene.
Tout à l’heure, avant de m’asseoir et de constater l’absence de réseau, j’ai ouvert les volets métalliques et ouvert les fenêtres, afin de faire entrer un peu d’air frais, qui n’a pas manqué cette nuit (nu sous le seul drap, au petit matin j’eus presque froid). Le murmure lointain de la voie rapide me parvient, troublé de temps à autre par l’accélération d’une moto, saloperie d’engin. Il a pu m’arriver d’envisager de consacrer, dans ces carnets, un billet à chacune des pièces de la maison, en essayant de décrire certains traits saillants, mais la force m’a manqué jusqu’ici ! Si cela ne me passionne même pas, moi… !


Le chauffagiste, avant-hier : Qu’est-ce que vous avez comme livres, dites donc ! (Il n’a vu que les rayonnages de la buanderie et du salon, soit moins du quart de notre bibliothèque.) Il me demande si je suis écrivain. Naturellement, je réponds non. Quand je lui dis qu’il n’en a pas vu le quart, il me dit, même pas sous forme de question : Mais vous ne les avez pas tous lus… Ah, ça ne m’était jamais arrivé. Que répond Renaud Camus, dans ces cas-là ? Quelque chose comme : « ce sont des faux livres, en fait ».

07:45 Publié dans MAS | Lien permanent | Commentaires (7)