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dimanche, 15 avril 2007

Objets d'encre

    Dans la nuit, bien sûr, il rêva. Bien entendu, il rêva du bas teckel muet. Vous avez bien entendu bien lu et bien deviné et bien sûr bien que j'insiste vous lisez bien : il rêva du bas teckel muet. En se couchant, il s'était demandé : vais-je rêver du bas teckel muet ? Puis, en lisant son journal, les bougies blanches éclairant mal les pages, il s'était dit qu'il pouvait soit rêver du bas teckel muet et s'en souvenir soit rêver du bas teckel muet et ne pas s'en souvenir soit ne pas rêver du bas teckel muet et s'en souvenir soit encore ou enfin ne pas rêver du bas teckel muet et ne pas s'en souvenir. Alors, il s'était rendu compte qu'il était idiot de penser qu'il pouvait (selon la troisième hypothèse) ne pas rêver du bas teckel muet et s'en souvenir, puisqu'on ne peut guère se rappeler ce qui n'a pas eu lieu, surtout dans l'univers des rêves. Mais il s'était rasséréné, confiant en son système et s'était dit : bah ! demain je saurai si j'ai rêvé du bas teckel muet.

Cette histoire de bas teckel muet le turlupinait à peine, mais ce qui le taraudait, c'était le fait que ce bas teckel muet ne soit qu'une expression et nullement une image. Il ne pouvait en rien se représenter un bas teckel muet, mais seulement ânonner sotto voce les trois mots, les quatre syllabes bas teckel muet. Trois mots en quatre syllabes, se dit-il, et je verrai si j'en rêve.

Il en rêva, bien entendu. Toutefois, la question de l'image ne fut en rien résolue, puisqu'il ne vit pas vraiment le bas teckel muet, seulement un voisin, M. Fiston, qui promenait en laisse un bas teckel muet, et que par conséquent ce chien ne brillait pas par son pouvoir d'impressionner rétine ou mémoire. (Rétine du rêveur bien sûr : c'est façon de dire.) Au matin, il lui fut difficile de savoir s'il avait ou non discuté avec M. Fiston de ce chien qu'il ne lui avait jamais vu promener auparavant, ou s'ils parlèrent seulement du Cap, des rues du Cap, et même plus précisément des faiseuses d'anges du Cap. Ah ça, il était sûr que la discussion avec M. Fiston avait porté sur les faiseuses d'anges du Cap.

Juste avant le réveil (et déjà il prenait conscience qu'il avait rêvé du bas teckel muet et surtout qu'il s'en souviendrait), il se trouvait dans sa bibliothèque, à griffonner fébrilement sur une feuille les mots bas teckel muet dans toutes sortes d'encre différentes, avec stylos plume et stylos bille de tous styles et de toutes marques, jusqu'à rassembler la feuille en une sorte de bouquet froissé. Il pensa : coprin noir d'encre. Puis il se réveilla.

Commentaires

j'adore ce genre de texte .

Écrit par : if6 | lundi, 16 avril 2007

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