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mardi, 31 janvier 2012
Maylis de Kerangal. Tangente vers l’est (Verticales, 2012)
On ne sait pas tout d’abord si ce sera un récit, ou une sorte de chronique. Le texte ne tranche jamais totalement : fiction, oui, mais selon des modes voisins de la chronique.
Maylis de Kerangal refuse d’envoûter, et livre, par ce refus même, un texte émouvant, qui dit à petites touches la rencontre abrupte et énigmatique, au cours d’un long voyage dans le Transsibérien, d’une femme qui fuit sans raison vers Vladivostok, et d’un jeune appelé russe qui cherche à se faire la belle (la malle, puisqu’il est beaucoup questions de valises et de recoins dans cette épopée en miniature) et qu’elle aide, à petites touches maladroites, dans son entreprise.
Ce qui est beau, dans l’écriture de Maylis de Kerangal, c’est aussi ce par où elle frôle souvent le tic : longues juxtapositions – fluviales – d’indépendantes parfois dénuées de verbe, ruptures de rythme, métaphores quasiment maniéristes qui empruntent leur vocabulaire aux sciences et techniques. Une écriture qui file à retordre. Cela est beau.
14:08 Publié dans Pêle-mêle | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 29 janvier 2012
Sur la photographie d'un berger de Beauce (à moi envoyée par une amie)
Fier et noble, le Beauceron,
Chien à faire pâlir Rodrigue
(Janois, qui du pseudo Rod brigue
L’amour de qui le hausseront
À la gloire), s’il pue du rond,
Au moins ne connaît pas l’intrigue
Et, aboyant dans la garrigue,
Mord ceux qui le nonosseront.
Noir d’ébène et feu de chimère,
N’est pas chienchien à sa mémère
Ce canin qu’on dit arlequin.
Et, même en Beauce, le bellâtre
Ne peut, avec son saint-frusquin,
Lutter, même à gent androlâtre.
12:15 Publié dans Sonnets de juin et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 28 janvier 2012
Chat / lion
« Le chat avec son pelage jaune avait quelque chose d’un lion quand il y passa. »
(Don Juan, p. 21)
Il était temps de reprendre, à partir d’une accroche qui présentait le double avantage de sauvegarder la phrase admirable et de pouvoir ranger le quelconque livre sur les rayonnages, la toile tissée longtemps abandonnée des kyrielles absurdes. Je ne sais ce qu’est devenu Eric Sudre. Alors, d’un réflexe maladroit du tibia, le défenseur sud-africain poussa le ballon dans ses propres filets. Après une livre de prunes, le vorace avait commencé une pêche de vigne. Toutefois, ce n’est pas ainsi que nous voulions représenter Adam et Ève. Il faut le dire, je me tords de rire presque à chaque nouvelle œuvre de ce dessinateur, le combat de la vieille contre la marchande de maïs grillé étant particulièrement jouissif, ou cocasse. Le ciel était couleur de pomme.
15:45 Publié dans Dimanche pleurera | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 27 janvier 2012
Flâneries du réel autour d’une chambre (ocre honneur)
« Le réalisme peut être perçu aussi comme une discipline qui frôlerait très souvent la vraie vie, ce serait le cas, par exemple, de Flaubert, Kafka, Hamsun, Joyce ou Beckett, qui furent aussi de grands réalistes, mais sachant fuir la machinerie de la convention et évitant de faire de leurs romans des livres de genre déjà vus mille fois. Ils furent finalement des réalistes qui surent insuffler de la vraie vie et de la nouveauté au réalisme et non de l’ennui et de la répétition, en fait ils radicalisèrent tout. » (Enrique Vila-Matas. Chet Baker pense à son art. Traduction d’André Gabastou. Mercure de France, 2011, p. 84)
Vendredi ne comprenait guère qu’on puisse parler des choses lues en termes de choses vues. Trop d’écrivains avaient su opérer une complexe, profonde ou subtile distinction entre l’œil et la taie de l’écriture pour qu’il tombât dans ce leurre. Il ne pouvait pas toujours s’attarder, mais, pour lui, tout était affaire de flânerie, comme dans ce livre d’Apollinaire qui lui était toujours tombé des mains, et donc de butinage.
En anglais, en particulier, le piéton ramène la prose à terre, au terre-à-terre (cf Loiterature, p. 270). Vendredi n’eut pas le temps de s’embarrasser d’ossements. Il prit, lui aussi, le large.
14:39 Publié dans Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 26 janvier 2012
. . Antonio :: Tabucchi : La :: tête ::: perdue :::: de ::: Damascio :: Moreno . .
Dans ce roman, écrit en 1997 et traduit la même année par Bernard Comment, Tabucchi semble étonnamment joueur, même un brin lourdaud. Cela m’a rendu plus chère son œuvre, et ce texte-là avec les autres dans la valise. Faux polar, faux récit politique, nouvel hommage à la fascination des villes portugaises sur son auteur, La tête perdue de Damascio Moreno est un roman déroutant. Il est difficile de déterminer de quel côté penche la balance – comme il y a plus de deux pôles, sans doute vaudrait-il mieux parler de kaléidoscope (l’image est frelatée, je le sais).
L’un des angles d’attaque les plus redoutables, c’est le personnage de l’avocat, et surtout, dans sa figure, l’admiration équivoque pour Hans Kelsen et « ses théories sur la Grundnorm » (Bourgois, p. 118). Depuis que je sais que l’éditeur Einaudi avait sollicité Primo Levi, peu avant son suicide, pour une traduction du Procès, les rapports entre l’univers du jugement littéraire et le domaine juridique me fascinent.
C’est une hypothèse métaphysique, dit l’avocat, parfaitement métaphysique. Et ça, voyez-vous, c’est vraiment une chose kafkaïenne, c’est la Norme qui englue tout un chacun et dont pourrait descendre l’abus de pouvoir d’un petit seigneur qui se croit autorisé à fouetter une putain. Les voies de la Grundnorm sont infinies. (p. 119)
Sinon, le passage – assez explicite – au cours duquel on voit, par le biais d’une émission de télévision, une Norvégienne parler d’un caméléon nommé Fernando Pessoa dans une baraque de bord de mer (p. 189) m’a donné envie de déterminer si le rapprochement entre Pessoa et les caméléons était lui-même une citation, ou une allusion quelconque, mais les pages Web, surtout italiennes, auxquelles j’ai abouti se sont avérées, certes passionnantes, mais non déterminantes.
16:27 Publié dans Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 25 janvier 2012
Dimitri Bortnikov : Repas de morts
J’ai dans l’idée que Bortnikov, après avoir hésité (peut-être) entre Céline et Bukowski, a décidé de ne pas trancher. Peut-être se réclame-t-il d’autres influences, je n’en sais rien. Son écriture penche franchement du côté de l’accumulation, de la reprise incessante de fragments éclatés, de sorte qu’elle cherche à s’imposer comme écriture, justement, pas comme style. La « parole en archipel » est la marque d’un épaississement, pas d’une recherche de l’épure. Les phrases, très souvent très brèves, ne découpent pas ; au contraire, elles cherchent par tâtonnements et reprises, à faire sens, tableau, à décrire. À tâtons, mais du fait d’une sorte d’ivresse… Elaboré, pas donné.
Elle apportait des nénuphars. De loin. Les tiges longues. Longues… Dans sa bouche. Elle nageait en grand reptile rassasié. Je faisais des couronnes de nénuphars. Des guirlandes… Elle s’enveloppait dans la couverture. Absente et seule, oui – en momie qui attend son jour. (Repas de morts, Allia, p. 80)
Par une telle écriture, Bortnikov parvient à halluciner presque en permanence la mort, les figures des morts, et à faire naître une hantise mieux que figurale, une hantise de lecture, une hantise-du-lecteur.
Longue chute de neige. Visage d’un homme éclairé par la neige fraîche est le visage d’un cadavre. (p. 166)
16:00 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 24 janvier 2012
Karel Čapek : L’année du jardinier
Ce petit livre, que j’ai lu l’été dernier après l’avoir acheté – me semble-t-il – à Montolieu – sur la foi du nom de son auteur mais aussi des dessins très « anglais » qui l’illustraient, est un almanach parodique, un traité de jardinage à l’usage des bêcheurs amateurs, mais surtout des ironistes ou de leurs frères ennemis les nonsensicalistes (ainsi qu’on pourrait appeler la grande caste des limerickiens et autres pythonistes). Le lecteur risque de se lasser, car Karel Čapek abuse des mêmes formes rhétoriques (antiphrase, accumulation, prétérition) pour constituer ses répertoires saisonniers ; en l’occurrence, ce qui m’a le plus frappé, c’est que cet ouvrage donne l’impression d’avoir été publié sous forme de feuilleton, mais qu’à le lire d’un trait, le trait, justement, se renforce – au lieu de rester léger, à fleur de papier – et le charme s’évanouit quelque peu.
Comme j’étais à Cagnotte, chez mes parents, quand j’ai lu ce petit livre, je n’ai pas manqué d’y trouver de savoureux parallèles avec la folie potagère de mon père, ou avec la ferveur botaniste de mes deux géniteurs. Pour ma part, je n’ai hérité d’eux que le véritable amour des arbres fruitiers, donc des vergers. Même si c’est un hasard, je suis heureux d’avoir acheté il y a trois ans un pavillon de banlieue qu’entourent, tels de faméliques mais solides dieux tutélaires, deux néfliers, deux cognassiers et un prunier (d’ente). J’espère que, si creux soit ce billet (mais comment ne pas être creux, avec un texte de terreau ?), on me reconnaîtra le mérite d’avoir pris le temps de chercher, dans mon logiciel de traitement de texte, la majuscule Č, que je reproduis à l’envi maintenant que je l’ai dénichée (ČČČČ) et qui forme, outre la première lettre du patronyme de Karel Čapek, une sorte de silhouette rondouillarde évasée, jardinier dont le béret va jusqu’à s’involuer sous l’effet du soleil, du vent ou de la pluie, ces trois bienfaits calamiteux du jardinage.
Il sied de terminer cette brève notule par une phrase tout à fait séante, et qui forme, à l’ensemble, une temporaire conclusion :
« Il va de soi qu’au premier coup d’œil vous ne voyez du jardinier autre chose que son derrière : tout le reste, tête, mains et pieds, se trouve au-dessous. » (L’année du jardinier [1929], traduction de Joseph Gagnaire, 10/18, 2000, pp. 54-5)
15:35 Publié dans MAS | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 19 janvier 2012
Galbuliformes (poème de Fabienne Raphoz)
Texte original ici (en fin de billet).
Galbuliformes
(Galbulidae)
Jacamars prey almost exclusively on flying insects
All jacamars have a sharp beak
All jacamars wear the tinny emerald found in a forest of clouds after rain barring the White-eared Jacamar which mimics the ground after rain the Pale-headed Jacamar the Three-toed Jacamar the White-throated Jacamar which all mimic the sky before rain the Brown Jacamar the Long-tailed Jacamar which mimic the night in a forest of clouds
The Coppery-chested Jacamar has a solar eye
The White-eared Jacamar and the Purus Jacamar shed red tears
The female Rufous-tailed Jacamar has an emerald tail
The Coppery-chested Jacamar is a vulnerable species
The Three-toed Jacamar is an endangered species
14:31 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 03 janvier 2012
« Ce siècle avait deux ans »
SA de forme aspen, # 7
Ce petit crachin,
Tout petit machin,
Ne deviendra pas bruine,
Même si l'on rumine
Un de ces jours prochains
D'abolir le crachin,
D'embellir la bruine.
09:29 Publié dans Septains amphibies | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 02 janvier 2012
Ouverture
Il m’a fallu plus longtemps pour effeuiller le chou-fleur, la marguerite des potagers.
Les feuilles les plus minces étaient comme collées aux fleurs infimes, de sorte que je devais, minutieusement, couper et décoller avant de placer les bouquets, tout à fait infinitésimaux, dans l’eau de lavage. Dans des cas comme celui-là, on se demande s’il s’agit d’une autre variété (produit de croisements permettant un meilleur rendement, par exemple) ou d’un spécimen particulier (n’est-ce pas un pléonasme ?).
L’année s’ouvre sur un chou-fleur, ce n’est pas pire qu’autre chose.
11:27 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (0)