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mardi, 09 décembre 2014
Rejoindre par effraction
Et si l'inclination du public pour la poésie s'essouffle, s'il se fatigue d'avoir à la rejoindre chaque fois par effraction, c'est qu'il est fatigant en effet d'avoir à forcer chaque fois une frontière qui se hérisse à votre approche — c'est que le culte effréné de la différence et un certain « en est-ce assez de moi » ? qu'on pressent comme une hantise derrière la plupart des poèmes de ce temps, sont en train de faire une Babel dérisoire d'une poésie que 1924 rêvait de faire ininterrompue — non seulement dans le temps, mais dans l'espace spirituel — non seulement d'un jour à l'autre, mais dans le rapport immédiat de conscience du poète à autrui.
Julien Gracq. “Spectre du Poisson soluble”. Préférences. Œuvres complètes, I, Gallimard, 1989, p. 906.
Ai-je besoin de dire que je contresigne, s'agissant de bien des tentations poétiques d'aujourd'hui, cette lumineuse phrase nichée au sein d'une non moins imparable et stimulante relecture, laquelle a soixante-cinq ans de cuvée ?
21:51 Publié dans Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 06 décembre 2014
36
jour ensoleillé
parfum du vin chaud qui cuit
en tic-tacs plaintifs
la mélopée du hautbois
envoûte le samedi
.
14:05 Publié dans Tankas de Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)
2200 ▬ Terminus radieux (Volodine)
Titre trompeur, ou équivoque : on se dit bien vite que l'adjectif « radieux » évoque les radiations nucléaires — avant de s'interroger de nouveau : n'est-ce pas plutôt l'extase du faux couple infernal, Soloviev et la mémé Oudgoul ? Terminus : errance ferroviaire, oui, et le kolkhoze comme point final de l'Histoire, oui. Mais peut-être autre chose ?
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À part Des anges mineurs (qui est très bon), j'avoue que tous les Volodine que j'avais lus m'étaient peu ou prou tombés des mains. Mon ami J*** me l'a offert, et je ne regrette pas ce périple. Texte qui réussit à mêler la réflexion sur les formes expérimentales de la poésie, le futur apocalyptique, le réalisme magique (avec l'hypothèse d'une immortalité malheureuse, dégénérescente, douloureuse et subie).
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Roman en 49 chapitres, les 22 premiers, plutôt longs, constituant les 3 premières parties, et les 27 “narrats” de la 4e partie n'occupant qu'un petit tiers du livre.
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Dans une Russie d'après l'apocalypse, après la fin de l'Histoire (des combats ont eu lieu, dont on ne peut même être sûr qu'ils opposèrent vraiment les tenants du bolchevisme rénové à des forces extérieures (il n'y a plus d'extérieur, plus de dehors — c'est un des traits de force du roman)), errent des morts-vivants. Dans un kolkhoze dominé par une figure de patriarche omnipotent, capable de pénétrer dans les rêves et les corps de ses affidés, mais surtout de ses trois filles, un de ces errants, échappé à de mystérieux combats, échoue. Kronauer semble être, un moment, le protagoniste ; de fait, le dernier narrat s'achève sur un concert interminable donné par Aldolaï Schulhoff, le barde à la mémoire arrachée et récitant, et Kronauer, qui tape contre la carcasse d'un train bousillé en guise d'accompagnement.
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Figures du corbeau. Soloviev a le pouvoir de se transformer en d'immenses corbeaux, superbement décrits, écrits par Volodine. Dans la 4e partie, on comprend que ces corbeaux (selon une ligne Baudelaire-Lautréamont-Rimbaud) sont partout, qu'ils vont recouvrir le monde, en s'effondrant notamment sur la forêt où, après des siècles d'errance, les trois sœurs ont fini par — aléatoirement ? — se rejoindre.
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Les radiations avaient rendu immortels autant qu'inhumains les quelques survivants ; même cette chronologie post-apocalyptique finit par se dissoudre. C'est là ce que j'ai trouvé de particulièrement beau dans ce texte, la façon dont les repères habituels en matière de personnage et de chronologie sont déconstruits dans les trois premières parties, avant que la nouvelle construction inhérente au roman lui-même vole elle-même en éclats. Les 27 “narrats” réussissent le tour de force de confirmer et nier simultanément la structuration logique, la teneur des 22 premiers chapitres.
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D'une noirceur absolue, terriblement déprimante, l'écriture de Volodine est aussi très belle. Le tout tient la route. Si je devais noter ici les références de quelques passages emblématiques à même de retenir un lecteur, je citerais la description du feu à la page 272, la métamorphose de Samiya Schmidt au chapitre 17, l'affranchissement de Kronauer au chapitre 29 (la page 502, singulièrement), le poème du 32e narrat.
11:04 Publié dans Brun socle déformation, MOTS | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 05 décembre 2014
face aux yeux noirs du hibou
ce soir
n'en ai-je pas ma claque
d'écrire ce soir
(je veux dire "d'écrire "ce soir"")
et donc dans un fruste
document .txt avec un tout aussi fruste
netbook pas de guillemets appropriés
ce soir
j'écoute
face aux yeux noirs du hibou
qui me fixent de côté
face à la brûlure du mélèze
dont le cerne s'étend
à mes tempes
face au lampadaire de bois
dont les étoiles brunes figent
la mouvante constellation
face à ce que j'hallucine
sans me retourner (derrière
moi d'autres lattes
dessinent d'autres figures
comme dans un carnet de croquis)
j'écoute
la quatrième symphonie
de ce compositeur romantique allemand
dont je découvre l'existence
(il a eu pour disciples
rien moins que Grieg Fibich ou Albéniz
pour ne rien dire de
mon cher Čiurlionis
avec son caron décisoire)
et dont je pourrai peut-être
un autre soir
n'en ai-je pas assez
balayant les moutons sous un sommier taché
d'écrire un autre soir
découvrir les quintettes
le sextuor les quatuors
(n'en ai-je pas assez de noter
que beaucoup n'ont
composé qu'un seul sextuor
souvent des flopées de trios
de pleines brassées de quatuors
mais un seul sextuor)
son beau nom imprimé au fronton des portées
balayant l'amertume en de robustes songes
ce soir
fruste moi-même et si robuste
qu'un croquis
un seul trait de plume
me coucherait
d'un rien je fais
ma provende
artères et mélèzes comme dans Volodine
immortalité maladive aussi dans Volodine
prétextes cryptes et ténèbres
ta volonté de fer comme dans Volodine
tu fais d'un vaurien ton récit
provende à narrer
la folie
l'allemand qui n'a pas creusé
cette racine
en haut du mât
sur un vaisseau
où craille sur cinq hectares
onze siècles
un corbeau
où croasse où craillait
un corbeau comme dans
Volodine Salomon
le navire va d'avant d'artimon de galère
plaines à tous vents nucléaires
taïgas qu'on prend dans la figure
longs interminables rails
longues immortelles nucléaires vies comme
dans Volodine un long
cauchemar déployé en craillements
noirs
froids
de brûler à tout crin
j'écoute ce soir la quatrième symphonie
avec les chapitres 36 37 et quoi encore
à tout crin
nucléaire brûlé
en invoquant dans l'incantation
furieuse comme dans
V.
les noms
Anton Bon & John Chilembwe
Karl Domizlaff & Nora Exner
Jean-Henri Fabre & Rémy de Gourmont
Thomas Herbst & Clara Immerwahr
Miško Jovanović & Knud Knudsen
Francesco Lojacono & Albert Malherbe
Franz Xaver Neruda & Ramalho Ortigão
Haxhi Qamili & Felix Poppenberg
Upendrakishore Raychaudhuri & Scipio Slataper
Marius Thé & Ernst Ule
Salvador Viniegra & Samuel Witherspoon
Alois Alzheimer & Orestes Araújo
Oreste Zamor & bien sûr Þorgils Gjallandi
Ce sont de beaux noms,
mais ce ne sont pas les bons
comme
dans
Volodine
aussi ce soir j'écoute
après la symphonie
le quatuor avec piano
ni dans les steppes ni dans les
mélèzes balayés de vent
ni face aux yeux du hibou qui
ne craille pas ni de l'autre
côté des artères ni nucléaire
j'écoute
22:05 Publié dans Les Murmures de Morminal, MUS, Unissons | Lien permanent | Commentaires (0)
Le plat du jour, selon l'ardoise...
Le plat du jour, selon l'ardoise, c'est rôti de veau sauce brune. Rien d'étonnant, donc, à entendre le serveur annoncer, pour plat du jour, brandade de morue.
Les cinq habitués quinquagénaires que j'ai déjà vus attablés ici alignent tous les poncifs racistes ou idiots à base d'informations mal comprises et qui traînent partout (chantier Center Parcs en Ardèche, crèche à la mairie de Béziers, horaires spécifiques d'ouverture des piscines pour les femmes voilées, éoliennes moins écologiques que les centrales nucléaires). Bien sûr, tout cela est la faute de l'Europe.
Heureusement, je déjeune face à Claudia Cardinale et Anita Ekberg. Heureusement surtout que les cinq beaufs vident les lieux à midi pile.
12:49 Publié dans Diableries manuelles, YYY | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 02 décembre 2014
Divagations
Odeur de brume et de brûlé
près des troènes lourds de bruine
Le merle encore s'est nourri, tout le mardi,
des indéchiffrables fruits rouges
Sur le porte-serviettes près d'un des six lavabos,
j'ai remis, pointe vers le bas,
les vieux sabots.
Ces sabots, comme tout soulier, comme toute paire de souliers, ont une histoire. Je les ai achetés une bouchée de pain, l'été 2009, à Dax, les ai ensuite portés, même à l'Université mais jamais pour faire cours. Ils se sont très lentement, progressivement usés, abîmés... toutefois increvables.
Odeur d'oreillers parfumés,
trop plats, on les rejette, on n'en veut pas.
Le pied se rappelle
la forme du sabot, que la prose
convoque, obsolète autant qu'oblique.
Contre les lattes de lambris
de cette chambre, j'éclate
mon regard qui n'a plus âme qui vive.
22:11 Publié dans Fall in Love, MOTS | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 01 décembre 2014
Fureurs
Je suis comme ces chiens
au pelage mité que mine la pelade
à peine une engueulade
et je ne sais plus qui je suis ni d'où je viens
à peine une incartade
on me dit reste cool tu sais c'est pour ton bien
reste calme et serein
affiche partout un sourire de pintade
Que n'avons-nous amis
cinq vies pour qu'une soit tranquille
et tout trier minutieusement au tamis
d'un esprit relâché — cinq vies simultanées
au fond des bois, au cœur des villes
sans ces fureurs damnées ?
04:49 Publié dans Sonnets de juin et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)