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mercredi, 22 février 2023

Baal design, 0.11.

 

    « En baguenaudant » viens-je d’écrire.

C’est terrible. Ce texte que je suis en train d’écrire – Baal design – me ramène encore au livre primordial de Ross Chambers, Loiterature.

D’une autre manière, bien sûr.

Baguenauder, vagabonder, errer, c’est toujours d’une autre manière.

 

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mardi, 21 février 2023

Baal design, 7.2.

Wentworth observing she was leaving would not enter, but walked on a few paces in expectation of her overtaking him. (p. 48)

 

    Cette phrase ferait un bel exercice de syntaxe, notamment en raison de l’absence des virgules (facultatives) avant observing et après leaving. La prolifération des participes présents, employés de trois façons différentes (gérondif, formation de la forme en be+-ing, V-ing nominalisé), pose aussi de sérieux problèmes de traduction, en tout cas si on souhaite respecter l’alternance de figement et de mobilité qu’elle met en relief.

Une des solutions les plus courantes consisterait à antéposer la gérondivale afin de replacer le sujet (W.) avant le verbe de la première indépendante (would not enter) : En s’apercevant qu’elle s’en allait, W. évita d’entrer…

(Remarque : le will au passé a un sens purement temporel. Il ne faut jamais le traduire par un conditionnel, erreur fréquente de toutes les personnes qui ont pris l’habitude, fâcheuse car très restrictive et fausse, d’associer would à l’idée d’hypothèse. Souvent, on traduit <will not> par refuser de, mais ici ce serait également une erreur : W. ne refuse pas d’entrer, mais sa présence en ces lieux devient inutile si Agnes les quitte.)

Le verbe conjugué de la seconde indépendante, walked on, implique de recourir au chassé-croisé (poursuivre son chemin), mais là encore, le plus délicat n’est pas cela, mais plutôt le long SP <in expectation of…> qui risque d’alourdir considérablement la fin de la phrase. Là encore, je songe à une antéposition : mais, comme il s’attendait à ce qu’elle le dépasse, il poursuivit un peu son chemin. – Après avoir hésité, je ne conserverais pas la concordance des temps, avec le subjonctif imparfait (qu’elle le dépassât), même si ce serait tout à fait possible, étant donnée l’époque à laquelle a été écrit le roman, certes, mais surtout le registre. Ce qui ne me plaît pas, c’est cette traduction du nom expectation au moyen d’un verbe avec causation : pour lui permettre de le dépasser ?

Ah, l’infinitif associé à la valeur de but règlerait la question de la concordance des temps, et rend moins nécessaire l’antéposition : En s’apercevant qu’elle s’en allait, W. évita d’entrer, mais il poursuivit quelque peu son chemin afin de lui permettre de le dépasser.

 

[Rappel : je ne traduis pas Agnes Tremorne. Je lis le roman, en m’interrompant sans cesse pour écrire dans ces carnets, en tirant sur des fils, en faisant n’importe quoi, en baguenaudant – c’est sûr.]

 

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lundi, 20 février 2023

Baal design, 1.14.

[Hypothèses de travail.]

orientalisme.JPG

 

    À la page suivante, p. 48, exemple frappant encore de la manière dont la voix narrative construit un regard presque colonial. On le comprend, le regard (de Wentworth, et par extension du narrateur présupposé ?) est celui d’une Angleterre qui se conçoit comme le centre : regard « nordiste », protestant, sur une italianité fantasmée, « animale » ici, méridionale, catholique et, disons-le, orientalisée. Ces deux § soulignent deux traits qui sont propres aux « Orientaux » dans la vision schématique et discriminatoire fréquemment formulée dans l’imaginaire politique aussi bien que populaire jusqu’au 20e siècle : l’animalité et la fourberie (ici, plutôt l’absence de parole ou de fiabilité).

Evidemment, en raison des origines supposées (et même avérées) de Blagden, on est tenté de tout voir par ce prisme. Mais, que le regard colonial/orientalisant provienne ou non da la volonté de Blagden de se désorientaliser, de se situer explicitement du côté d’un ethnocentrisme colonial anglais, le texte est là pour ce qu’il est : un roman romain qui orientalise une Italie primitive, incivile – et en cela, caractéristique de l’époque victorienne dans son milieu.

 

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dimanche, 19 février 2023

Baal design, 1.13.

tableau.JPG

    W. se rend chez Giacinto. En arrivant dans cette très modeste demeure (une seule pièce), il trouve Agnes au chevet du jeune garçon ; toute la scène est écrite de façon picturale (selon ce que Liliane Louvel a nommé « l’effet tableau »). Outre la grande douceur et la prévenance de « la signora Agnese » pour le garçon blessé, le regard masculin – et/ou bourgeois – se donne libre cours dans la formule générale expliquant la beauté défraîchie de la mère de Giacinto : No women lose their beauty so soon as the Romans: the relentless climate parches as rapidly as it matures (p. 47). Je suis prêt à parier qu’on trouve ce genre de justification climatique dans d’autres textes du 19e siècle au sujet des paysannes ou des ouvrières… Ce qui est sans pitié, ce n’est pas le climat : c’est le capitalisme.

De même, le § se poursuit avec ce qui semble être une justification de la violence des hommes contre les femmes, même si l’exclamation de la mère de Giacinto (elle n’a pas de nom…) laisse planer une – très éventuelle, très discutable – ambivalence.

 

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samedi, 18 février 2023

Baal design, 0.10.

 

    Et en même temps… en même temps – cette expression qu’on ne peut plus employer, ou pas sans signaler (comme je le fais ici) sa collusion possible, sa possible confusion avec la devise macroniste qui dit la « vérité alternative » (et donc le mensonge), l’ambivalence idéologique (et donc la manipulation politique), le gloubi-boulga dans lequel le discours ultra-libéral noie le poisson, tous les poissons – ce n’est pas un problème de mettre des années à lire, de cette façon (le détour par le blog), un roman que j’aurais lu, sans cela, en deux soirées.

 

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vendredi, 17 février 2023

Baal design, 8.11.

« On sait toutes écrire. »
(Stéphanie Garzanti interviewée par A. Fayolle, circa 26’)

 

    Le chapitre 3 commence par une anacoluthe (topographique ?).

Impossible de vérifier avec les outils modernes : aucune des deux rues (ou venelles (vicolo ?)) ne figure à ce jour sur la carte de Rome. Pour mieux dire, il n’y a plus de rue de ce nom à Rome.

Je n’ai pas du tout avancé, je n’avance pas du tout dans Agnes Tremorne, et hors de question que je perde des heures à fouiner dans des cartes anciennes de la ville de Rome, que je connais si mal, où je ne suis allé qu’une fois, il y a onze ans. [J’écris ceci en écoutant les entretiens entre Azélie Fayolle et la plasticienne/écrivaine Stéphanie Garzanti, ce qui est une preuve que je triche dans la datation des publications, car cette vidéo a été publiée aujourd’hui, le 24 février 2023.]

 

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jeudi, 16 février 2023

Baal design, 8.10.

 

    Le chapitre 3 commence par une anacoluthe.

Et si l’anacoluthe était là pour signaler une autre distorsion, topographique ?

Figurez-vous que j’ai mis 10 § à me poser la question de la topographie. En une phrase : est-ce que la distorsion qui déplace le sujet grammatical de la phrase (it) sur Wentworth correspond à un déplacement particulier de W. dans l’espace romain (turned the corner) ?

 

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mercredi, 15 février 2023

Baal design, 8.9.

 

    It was striking the Ave Maria as Wentworth, true to his word, turned the corner of Via Felice into Vicolo Zucchelli.

 

Toutefois, l’antéposition marquait le lien avec le chapitre 2, avec la promesse faite à Agnes. Déplacer le syntagme adjectival consiste en un déplacement général du point de vue. Ce qui compte, dans la phrase de Blagden, c’est Wentworth. On doit peut-être se résoudre à l’anacoluthe, dont la distorsion/dissonance insiste sur (ce) qui compte.

 

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mardi, 14 février 2023

Baal design, 8.8. & 1.12.

 

    W. est fidèle à sa parole (true to his word), ce qui fait le lien avec la fin du chapitre 2. L’anacoluthe crée une dissonance. L’Ave Maria sonne / retentit / résonne ; la syntaxe dissone (débloque ?). Le/la lecteurice doit raisonner (restituer le sens à partir de l’anacoluthe).

 

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lundi, 13 février 2023

Baal design, 8.7.

 

    Comme c’est souvent le cas, il suffit, pour corriger l’erreur, de déplacer l’élément antéposé (un syntagme adjectival) en apposition après le nom qu’il décrit :

 

True to his word, it was striking the Ave Maria as Wentworth turned the corner of Via Felice into Vicolo Zucchelli.

 

It was striking the Ave Maria as Wentworth, true to his word, turned the corner of Via Felice into Vicolo Zucchelli.

 

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dimanche, 12 février 2023

Baal design, 8.6.

 

    Le chapitre 3 commence par une anacoluthe.

Coup classique. Non, cela signifierait que, dans les romans (du 19e siècle ?), l’anacoluthe se trouve de préférence dans la première phrase du chapitre 3.

Anacoluthe classique. Non, il faudrait lire tout une tapée d’articles sur l’anacoluthe, ou créer moi-même un corpus.

C’est un coup à n’en pas finir.

 

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samedi, 11 février 2023

Baal design, 8.5.

 

    Classique, le chapitre 3 commence par une anacoluthe.

Le chapitre 3 débute (?) par une anacoluthe.

 

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vendredi, 10 février 2023

Baal design, 8.4.

 

    Le chapitre 3 commence par une anacoluthe classique. Le chapitre 3 commence par une anacoluthe. Cette manie des adjectifs ! Cette manie des épithètes.

Une anacoluthe classique, ça ne veut rien dire : y a-t-il une façon usuelle de rompre la syntaxe en se trompant dans l’antéposition ?

Peut-être, après tout.

Quoique.

 

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jeudi, 09 février 2023

Baal design, 8.3.

 

     Le chapitre 3 commence par une sacrée anacoluthe.

Donc le chapitre 3 commence par une anacoluthe, anacoluthe tout à fait classique au demeurant.

Le chapitre 3 commence par une anacoluthe classique.

 

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mercredi, 08 février 2023

Baal design, 8.2.

 

    Le chapitre 3 commence par une sacrée anacoluthe.  Le chapitre 3 commence par une anacoluthe sacrée, vu qu’il s’agit de la minute précise où sonne l’Ave Maria.

 

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mardi, 07 février 2023

Baal design, 1.11. & 8.1.

 

    Le chapitre 3 commence par une sacrée anacoluthe.

 

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lundi, 06 février 2023

Baal design, 1.10.

feminine art.JPG

 

   Dans la scène des pp. 33 à 41, W., invité dans le salon des Carmichael, échange avec les demoiselles et leur tante paternelle. W. marque son net désaccord avec Laura, la cadette, sur le sujet des femmes peintres : la conversation roulant sur la fameuse « Signora Agnese », auprès de laquelle Laura pense prendre des leçons mais dont elle désapprouve la réputation d’indépendance, W. défend cette dernière ardemment, au point de donner à penser qu’il en est amoureux. Le désaccord porte sur ce qui est permis ou non aux femmes : W. semble défendre la Signora Agnese car il désapprouve le sexisme et le conservatisme de Laura.

Toute cette scène, assez amusante, est cousue de fil blanc : oui, W. est déjà amoureux d’Agnes, et l’antithèse entre deux visions de l’art n’est pas subtile. Ce qui m’intrigue davantage, c’est l’estime mêlée d’affection entre W. et la tante paternelle.

 

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dimanche, 05 février 2023

Baal design, 0.9.

 

C’est amusant : si je lisais Agnes Tremorne normalement, comme un roman « normal », j’en aurais déjà achevé la lecture. Or, là, le prenant page à page, ou presque, à quelques moments perdus au milieu du travail sur laptop, je n’en ai lu que 30 pages en deux semaines. Rien lu depuis une semaine. Ce dimanche, et demain, j’ai du taf par-dessus la tronche. Si je veux nourrir ces carnets, je pourrais décortiquer telle ou telle phrase.

 

(Il y a cinq jours j’ai commencé la lecture de Phone de Will Self, et même là je manque de temps. L’écriture de Will Self demande une certaine énergie, également.)

 

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samedi, 04 février 2023

Baal design, 1.9 & 7.1.

 

The elder Miss Carmichael was a fac-simile of hundreds of her sex and condition. (p. 31)

    Dans cette phrase extraite du portrait des deux demoiselles Carmichael évoqué en 1.8., on note une des nombreuses métaphores picturales/littéraires du début (et sans doute de la suite) du roman. La jeune femme n’a pas d’intérêt aux yeux de W. (ou de la narratrice ?) car elle est une parmi tant d’autres, un fac-similé, autant dire la pâle copie d’un original éventuel. Une héroïne, à l’ère romantique et post-romantique (comment définir cette période du mid-Victorian ?), doit être sans pareille.

Cette phrase pose plusieurs difficultés de traduction assez classiques : comment ne pas étoffer le groupe nominal sujet (l’aînée des demoiselles Carmichael ? le contexte suffit à faire comprendre qu’il n’y a que deux sœurs, ce que la tournure comparative exprime explicitement en anglais) ? comment se tirer d’embarras avec l’article a associé à la préposition of (elle n’était qu’un fac-similé parmi des centaines de jeunes femmes de son sexe et de sa classe ?) ? faut-il calquer « condition » ou le traduire par classe ou rang ?

 

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vendredi, 03 février 2023

Baal design, 1.8.

    Dans la suite du second chapitre, deux références explicites m’ont poussé à faire des recherches.

una schiava.JPG

 

Tout d’abord, l’analogie qu’établit W. entre sa première impression d’Agnes et un tableau du Titien qui se trouve au palais Barberini : « There was something in that picture of Titian’s which is called La Schiava, that was recalled to him by the paler, thinner features of the Signora Agnese. » (p. 28) Or, aucun tableau du Titien ne porte ce titre. Après avoir buté sur une Schiavona, œuvre de jeunesse, et sur la Schiava turca du Parmesan, j’ai tout de même fini par découvrir qu’un tableau attribué au Titien se trouve bien au Palais Barberini sous le titre Une schiava o favorita veneziana. Malheureusement, pas moyen d’en dénicher une reproduction. Voici donc une esclave /non-esclave bien fuyante ; on doit se contenter de l’effet-peinture de la phrase, de ce qu’elle connote du personnage de W. (peintre lui-même, qui voit tout à travers la peinture italienne (de la Renaissance))

peine forte et dure.JPG

 

L’autre point est une expression donnée en français en italiques, après la rencontre entre W. et une calèche transportant les Carmichael, qui sont ses voisins en Angleterre. La situation (tandis que, de toute évidence, W. les évite, les C. cherchent à le coincer) est expliquée par la narratrice : en résumé, W. est à la tête d’un patrimoine assez coquet, et Mme C. a deux filles à marier. On le voit dans le passage ci-contre, toute la situation est exprimée en termes économiques : outre la métaphore de l’offre et de la demande – filée : les jeunes filles en âge de se marier sont un stock qui s’entasse dans l’entrepôt des salons (overstocked) –, on remarque que la mère est censée pourvoir, c’est-à-dire fournir un époux à ses filles. D’ailleurs, l’épithète antéposée poor lady, il est difficile de ne pas entendre le double sens de poor.

Cela est assez courant, mais ce qui l’est moins, c’est la description des hommes à marier qui fuient à l’autre bout de la terre en quête d’épouses hors marché (on ne sait même pas s’il s’agit d’étrangères ou d’Anglaises expatriées). Ce qu’ils fuient n’est donc pas le mariage : ce qui les révulse, apparemment, c’est la « saison » (season), autrement dit la saison des bals et des dîners arrangés, quand ils se retrouvent sur le marché. Cette saison est qualifiée en français italicisé de peine forte et dure. J’aurai appris, à cette occasion, ce châtiment particulièrement atroce, moyen de torture par asphyxie utilisé pour soutirer des aveux. Dans l’un des cas cités par la WP, une Anglaise accusée de collusion avec des prêtres catholiques serait morte – et son fœtus en elle – écrasée sous les poids accumulés. (Elle a été canonisée par le pape Paul VI en 1970 mais enfin, la belle affaire.)

C’est dans ce contexte passablement hyperbolique que s’inscrit la description des deux sœurs, portrait qui insiste sur leur manque d’attrait. Le point de vue sexiste et sans empathie (p. 32) est-il celui de W. ou de la narratrice ? La sœur cadette a toutefois le double avantage d’être plus jolie, et tâter du pinceau comme de la plume, même si – en contradiction avec la fixation de W. sur les femmes artistes et indépendantes (p. 28) – la narratrice semble trouver cela assez peu recommandable. On a le cas caractéristique du roman du 19e siècle dans lequel un personnage, même pas nommé (pour le moment, veut-on croire), est dévalué pour la seule raison que la narration veut en faire le contrepoint négatif (ou ordinaire / fade) du héros ou de l’héroïne. Par esprit de contradiction (ou de déliaison au sens où l’entendait André Green), je vais évidemment essayer de lire le texte du roman contre la narratrice et de comprendre ce qu'on veut nous dissimuler de ces sœurs Carmichael.

 

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jeudi, 02 février 2023

Baal design, 1.7.

chevelure.JPG

 

 

Avec le second chapitre la narratrice omnisciente (j’ai expliqué il y a quelques jours pourquoi je féminise cette instance abstraite et théoriquement neutre) suit le retour d’Agnes chez elle, où elle est accueillie par une domestique et semble attendre le réveil d’une énigmatique dame. En attendant, elle se met à l’ouvrage, et, à son chevalet, nous est donnée la première véritable description détaillée et classique du personnage (éponyme, sans doute). Chose intéressante, près de la moitié de cette description est consacrée à la chevelure, et Blagden étend les principes physiognomoniques à cette partie du corps pour en conclure qu’il s’agit là d’un fort tempérament et d’une personnalité déterminée. La description se déroule en circonlocutions aussi ondoyantes que la chevelure d’Agnes afin d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une blondeur ordinaire. Le texte recourt par deux fois à la double négation, adverbiale d’abord (not insipidly so), puis adjectivale (not unbecoming : qui ne messied point, qui n’est pas malséant, qui est loin d’être inharmonieux). Agnes n’est pas belle, ni jolie, ni jeune, mais elle est mieux que tout cela : elle n’est pas insipide, ni discordante.

Un inconnu vient ensuite prévenir Agnes que son petit modèle, le garçon du chapitre 1, s’est fait mal à la jambe et qu’il est inutile de l’attendre. Cet inconnu, c’est Wentworth, du point de vue d’Agnes qui ne le reconnaît pas et ne l’a, en quelque sorte, toujours pas calculé. – Encore une double détente : alors qu’Agnes doit se rendre à la sollicitation d’une cloche qui l’appelle (la fameuse dame inconnue (mère ? grabataire ?)), W. réapparaît pour proposer d’envoyer les esquisses qu’il a faites du garçon (Giacinto) à la Signora. Comme Agnes s’est rendue à l’étage, la domestique se débrouille pour engager la conversation en aparté avec W. : heureuse de pouvoir converser en anglais, inquiète de savoir que sa maîtresse pourrait courir des risques en se rendant dans les quartiers mal famés où réside Giacinto, elle craint aussi de donner l’image d’une commère (p. 27). W. promet qu’il enverra ses dessins et s’assurera qu’Agnes ne se rend pas seule dans le quartier même.

*     *

*

Un portrait a donc été brossé, en deux temps ici (après l’esquisse à la volée, au chapitre 1) : par une description classique, puis par le dialogue et les informations données par la domestique quant à l’innocence d’Agnes. Brosser un portrait, image picturale ; mais dans ce roman, on le pressent, les éléments méta- (intersémiotiques) ne vont pas manquer. Si le mot brush, en anglais comme en français (brosse), désigne un outil qui sert à coiffer autant qu’un ustensile de peinture, le verbe brush ne fonctionne pas avec de telles collocations métaphoriques : « brosser le portrait » se dit paint a portrait/picture.

 

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mercredi, 01 février 2023

Baal design, 1.6.

    Le garçon et la dame – moins jeune que de prime abord (not pretty, and not very young, p. 15) – échangent le rameau et un bouquet de fleurs, à l’exception d’un lys qu’Agnes garde par devers elle avant de s’éloigner. Rentré chez lui, W. interprète ainsi l’effet produit par cette apparition : « Purity and fortitude ! »

Fortitude, qu’on peut traduire par grandeur d’âme ou force morale.

C’est le dernier §, bref, de ce premier chapitre. Au cas où son/sa lecteurice serait un peu bête, Blagden insiste sur le fait que tout ceci se déroule aux pieds de l’église consacrée à sainte Agnès, vierge et martyre.

 

Montaigne II 11.JPGRetour à « fortitude ». ––– Dans le dogme catholique il s’agit de la troisième vertu cardinale, aussi glosée comme « détermination à être heureuxse ». Et dans ce sens, on le trouve tel quel, calqué du latin, dans plusieurs textes de langue française (ainsi dans les Essais de Montaigne, édition de Bordeaux – p. ex. tome II, page 209, et encore est-ce en marge dans un long ajout manuscrit).

La seule occurrence sur le site Poetry Foundation est, semble-t-il, le poème de Kipling, ‘If’. Sur Wikisource, les références abondent mais j’ai pu dénicher rapidement un roman publié sous ce titre par Hugh Walpole (jamais rien de lui, mais plus personne ne lit Hugh Walpole je pense). La notion se trouve à la rime du dernier poème écrit par Anne Brontë (puisque je l’ai déjà mise sur mon chemin ici, autant y aller franco). Plus significatif peut-être, le nom se trouve à deux reprises dans un poème de jeunesse de Robert Browning, Prometheus Bound (1833), notamment avec ce distique :

And Græcia shall receive them, vanquishëd

By woman war, night-guarded fortitude

 

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mardi, 31 janvier 2023

Baal design, 6.2.

    Tout en écoutant un album de reprises/décalques/bidouillages des Residents, Dot.Com, j’ai appris la mort – et l’existence – de Tom Verlaine. Il n’est jamais trop tard pour s’instruire, et j’enchaînerai donc en écoutant des albums du susnommé. Toutefois, la chanson que j’écoute, Wanda, me fait dériver plus loin encore des rivages de ce projet, et pas tout à fait si loin non plus : Wanda est le titre d’un des innombrables romans de Maria Louise Ramé, qui publiait sous le pseudonyme de Ouida, et qui est un peu synonyme des romans populaires de l’ère victorienne. Il y a très longtemps j’avais essayé de lire Folle-Farine, et j’avais abandonné. Toutefois, Ouida n’est pas du tout oubliée ni invisibilisée au même titre qu’Isa Blagden.

 

En parcourant rapidement l’article que lui consacre l’Encyclopaedia Britannica, je vois qu’elle s’est installée définitivement en Italie (à Florence !), en 1874, un an après la mort d’Isabella Blagden donc, et au même âge (35 ans) auquel cette dernière y apparaît aussi. Le même article explique le succès des premiers romans de Ouida, dans les années 1860, par « l’absence rafraîchissante de tout prêchi-prêcha » [the refreshing lack of sermonizing]. À noter pour ma lecture en cours d’Agnes Tremorne. Par contre pas un mot sur le sens du pseudonyme, et pas plus sur la Wikipédia. D’autres sources prétendent que Ouida signifie « famous warrior » en français (!!) ou dans une langue proto-germanique (…) ; outre que c’est bien farineux, je trouve plus intéressante l’explication, plusieurs fois reprise aussi, selon laquelle il s’agit du second prénom de l’autrice, Louise, tel qu’elle le déformait quand elle était très jeune.

St Agnes Wauchier de Denain.JPG

 

 

Vous pensez que je vais parler du nom d’autrice avec diminutif, « Isa Blagden » – plutôt qu’Isabella (et pourquoi ce diminutif ?) ? Eh non. Je voulais en profiter pour parler, avant même d’avoir vraiment découvert le personnage d’Agnes Tremorne, de ce que suggère son nom. Agnes, j’en ai déjà dit deux mots, outre que W. la voit pour la première fois sur l’escalier de l’église Sant’Agnese in Agone. La légende romaine / catholique veut que, suppliciée sur le lieu où l’on érigea plus tard l’église en son honneur, la sainte, exposée nue, fut miraculeusement recouverte de ses propres cheveux. Dans les hagiographies du Moyen-Âge, c’est souvent – par souci de vraisemblance ? – un ange qui apporte une robe ou une tunique afin que la sainte en soit également recouverte. Blagden connaissait bien la légende, vu qu’au premier abord W. voit Agnes dissimulée par ses cheveux et sa cape.

 

Tremorne. En français, les connotations sont explicites et audibles : très morne. Mais dans quel sens ? Dissimulation ou invisibilité, là encore ? Quelqu’un de morne n’est toutefois pas quelqu’un de fade, mais peut-être qu’on ne distingue pas quelqu’un de très morne. À creuser.

 

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lundi, 30 janvier 2023

Baal design, 0.8.

    Toujours la fabrique : le billet 1.4. & 6.1. instaure un système de double numérotation : les billets commençant par le chiffre 1 se concentrent sur Agnes Tremorne, et ceux qui commencent par 6. s’intéressent aux questions d’onomastique.

 

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dimanche, 29 janvier 2023

Baal design, 0.7.

    Un élément qui me frappe, et qui ne s’est pas calmé avec les années, est qu’en me lançant dans un projet je ravive la flamme pour dix autres idées possibles, comme dans les années les plus créatives de ce blog, quand 59 avait appelé 1295, puis 410/500, et puis et puis… comme on écrivait dans nos rédacs de CM2.

Un autre élément, c’est qu’en 0.6. comme ici je ne parle que du projet, et pas d’Isa Blagden même ou de ses écrits.

On ne voit plus que la fabrique.

 

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samedi, 28 janvier 2023

Baal design, 0.6.

    Quatre jours sans écrire dans le projet Baal design [working title], c’était à parier. Et si je m’organisais en partant du principe que je ne pourrai y consacrer que le week-end, et en m’organisant pour écrire 7 billets en 2 jours ?

Il faut donc imaginer que les billets publiés les 25, 26 et 27 janvier vont être écrits à la suite de celui-ci, par un effet de rattrapage. Il faudrait alors, ce week-end, que je ponde 12 billets. Ça va être fissa et bâclé, c’est moi qui vous le dis.

 

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vendredi, 27 janvier 2023

Baal design, 1.5.

    It was a bit of heathendom : d’une phrase se trouve résumée la vision, par Wentworth, d’un char mené par deux magnifiques bœufs (d’un blanc laiteux, milk-white) et qui évoque aussitôt la Rome antique (très antique : pré-républicaine). Rome est à la fois catholique et païenne, pieuse et impie, d’une dualité peut-être comparable à celle esquissée précédemment.

But behind Wentworth […] the dark old church was seen : Blagden serait-elle en train de mettre en place une sorte de focalisation panoptique ? a-t-on déjà écrit (je ne suis pas spécialiste de narratologie) sur la focalisation zéro comme focalisation démultipliée absolue ?

Mais voici qu’à ses côtés W. remarque une jeune femme absorbée dans ce qu’elle fait : elle peint la scène que W. vient de contempler. [Deux peintres, deux regards : démultiplication tous azimuts décidément.] La jeune femme est d’abord décrite par le biais d’un chapeau difficile à décrire et qui dissimule son visage, de même que sa cape.

Puis, nouveau débord, nouveau dédoublement : un jeune garçon et son père. Le garçon est vêtu pour servir de modèle, ce que W. voit au premier coup d’œil (avec emploi intransitif de betray : that peculiarity which betrayed at once to Wentworth, p. 14). W. engage le garçon qui doit d’abord rapporter une palme (ah, l’action se situe le Dimanche des Rameaux) à la ‘Signora Agnese’. Comme on le suppose, la fameuse Signora Agnese est la peintre que W. vient de remarquer juste à côté de lui (au moins, Blagden ne nous a pas pris-es en traître : le récit commence par expliquer que Rome, autour de 1830, était une sorte de gros village peu peuplé) mais que l’homme et son fils n’avaient pas aperçue non plus : they also became aware of the lady that sat sketching there.

Avant qu’on ne découvre cette ‘Signora Agnese’, la narratrice insiste sur le fait que cette peintre est inaperçue, dissimulée, comme invisible, hiding in plain sight selon l’expression anglaise que Blagden n’emploie pas mais qui est le titre d’un roman de Nuruddin Farah. [J’ai réussi à placer une référence à Farah moins de dix jours après le début de ce projet.]

Narration panoptique, personnage invisible – vous ne pensez pas que je tiens un truc ?

 

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jeudi, 26 janvier 2023

Baal design, 1.4. & 6.1.

    Toujours à la page 11, je m’en avise, Wentworth se place sur les marches de la « Church of St. Agnese ». Or, le titre du roman est celui d’un personnage encore à découvrir, prénommé Agnes. (Par intertextualité presque immédiate, on songe à Agnes Grey d’Anne Brontë, ou au poème de Keats, The Eve of St Agnes.)

 

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mercredi, 25 janvier 2023

Baal design, 1.3.

    À la page 11 d’Agnes Tremorne, la narratrice – je vais formuler cela ainsi, car le roman débute avec une instance omnisciente dont chaque aparté ou chaque intrusion semble relever de l’intrusion d’auteur – suit toujours Wentworth, qui regarde la populace de surplomb, en se sentant à la fois détaché et proche (bestialement) de cette foule animale.

Low down in the inner depths of many of us there lurks a tiger nature, and however firmly chained up in ourselves, it somewhat exults in the freer manifestation of its kindred beast which abides in our fellows.

 

Cette phrase constitue l’un des nombreux plagiats par anticipation – au fil des siècles – de la théorie du Ça et du Surmoi. Qu’y trouve-t-on de singulier, à savoir qui la détache du simple cliché ?

Eh bien, l’image du tigre : est-ce vraiment traquer l’indianité éventuelle des textes de Blagden dans les moindres recoins, abusivement ?

Eh bien, l’antithèse chained up / exults, dans laquelle la particule s’oppose au préfixe.

Eh bien, le comparatif freer : la dualité de l’être humain (dont sa part animale) n’implique pas d’oppositions mais des degrés. [è The Strange Case of Dr Jekyll & Mr Hyde.]

Eh bien, la bête en nous se caractérise de deux façons : kindred [c’est notre espèce, cette animalité est de notre genre] & abides [elle réside, elle demeure, elle attend, elle rôde… quel verbe compliqué à traduire dans toutes ses nuances].

Eh bien, le genre humain, c’est nous au pluriel et nous séparé ou séparable idéalement de ce collectif : many of us in ourselves → in our fellows.

 

Il n’y a rien, d’un cliché, qu’une analyse sémiotique ne puisse diffracter.

Dites qu’on s’amuse.

 

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mardi, 24 janvier 2023

Baal design, 0.5.

    Pas eu une minute pour me préoccuper d’Isa Blagden aujourd’hui.

Citons alors Henry James, qui la rencontra une fois et l’évoqua ainsi : « an eager little lady whose type gives, visibly enough, the hint of East-Indian blood ». Il n’avait donc rien d’autre à en dire, ou presque, que son apparence.

Ici, on creuse. On ne s’arrête pas à la peau.

 

20:58 Publié dans Baal design | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 23 janvier 2023

Baal design, 0.4.

    Je dois expliquer le système de titrage / numérotation de cette rubrique. Les billets dont le titre commence par le chiffre 0 correspondent à la préface du projet, en quelque sorte, l’inventaire avant de se lancer. Les autres numéros correspondront à d’autres sous-catégories ; par exemple, je vais commencer* la lecture, page à page, sur écran, du premier roman d’Isa Blagden, Agnes Tremorne, et chaque jalon de lecture donnera lieu à un billet numéroté 1.x. J’imagine que pour les 4 autres romans je suivrai ce système, de 2.x. à 5.x.

 

* Ce billet a été écrit le 21 janvier en vue d’une publication programmée. Entre-temps la publication des commentaires au fil de ma lecture d’Agnes Tremorne a aussi débuté. Dites qu’on s’amuse.

 

20:47 Publié dans Baal design | Lien permanent | Commentaires (0)

dimanche, 22 janvier 2023

Baal design, 1.2.

     Je n’ai pas commenté en 1.1. l’épigraphe du roman, un vers de Robert Browning (tiré de ‘A Serenade at the Villa’, dans le recueil Men and Women, 1855). Isa Blagden, dont plusieurs sites affirment qu’elle s’est lancée dans l’écriture sous les encouragements de Robert et Elizabeth Browning, ne manque pas de rendre ainsi hommage… à Robert. Difficile de ne pas voir dans ce choix – mais il faudra bien sûr considérer le sens de l’épigraphe par rapport au sujet du roman, ou par rapport à ses thèmes, & se garder d’une lecture uniquement centrée sur la question de l’effacement des créatrices – une forme de sexisme intégré ; il me semble qu’Elizabeth Barrett Browning s’est plusieurs fois auto-dénigrée (alors que, long long story I shan’t embark into now, je trouve sa poésie plus excitante que celle de son époux). Bref, c’est aussi dire que dès l’épigraphe, la lecture d’Agnes Tremorne tire à dia, vers les Browning, comme, à chaque fois qu’on s’intéresse à I.B., on les trouve sur son chemin.

 

Au bas de la page 3, voici donc notre personnage, Godfrey Wentworth (désormais G.W.). Le récit nous dépeint son arrivée à Rome, ville alors paisible, quasi déserte (silent streets, the beautiful desolation of the Campo Vaccino, bare to the stars…), dans la villa où l’accueillent quelques domestiques italiennes – « staring at him with the childish curiosity of Italian females ». On marque une pause : repérage orientaliste classique qui voit dans les femmes non occidentales (ce qu’étaient les Italiennes du point de vue des Anglais) des mineures, des inférieures : si les non-Européens sont « de grands enfants », selon le trope colonialiste bien connu, que dire de leurs femmes ? [Rappel : en Angleterre, les femmes n’ont eu le droit d’avoir des biens propres, distincts de ceux de leur époux, qu’en 1870, neuf ans après la publication du roman.] On suppose donc un narrateur ou une narratrice omniscient-e qui observe ces femmes italiennes en les connaissant (ce n’est donc pas le point de vue de G.W., qui débarque) et en s’en distinguant. La connivence avec le lecteur ou la lectrice est évidente : les Anglais parlent aux Anglais.

Dans le § suivant, Blagden se débarrasse de ce passage obligé de tout roman du 19e siècle : le pognon. G.W. est orphelin ; il a aussi perdu son frère aîné ; éploré (le § commence ainsi : « Wentworth had suffered much »), certes, il se trouve dans une situation financière particulièrement confortable. Ce qui est plus retors, dans sa situation, c’est que la cousine dont il était amoureux alors qu’il n’avait pas un rond a épousé un homme plus riche, s’est retrouvée veuve très jeune, et elle-même à son tour fauchée – G.W., toujours le cœur brisé par cette rupture mais devenu riche, la tire d’embarras mais sans l’épouser. Le texte nous dit de cette jeune femme, Millicent, qu’elle s’est vendue (the worldly advantages for which she had sold herself), et de G.W. qu’il sait lui en vouloir à tout jamais. Afin de continuer d’expliquer pourquoi, sans doute, Godfrey se réfugie à Rome, on apprend qu’il aimait beaucoup l’oncle chez qui Millicent s’en va vivre (et qui se prénomme Marmaduke (ces prénoms victoriens ! ici, comment ne pas penser au film Ruggles of Red Gap avec Charles Laughton ?)) mais qu’il ne pourra donc plus lui rendre visite.

Bizarrement, de la première soirée de G.W. à Rome, voici qu’on bascule vers sa vie pendant les premiers mois (voire davantage ?), une vie bien rangée mais dans le milieu bohême comme on ne disait peut-être pas encore. En effet, G.W. est peintre (ou le devient à Rome ?). Toute la page 7 insiste sur son portrait psychologique : il méprise les femmes mais se méfie surtout beaucoup de lui-même : If she had been frail, he must have been besotted. Le § s’achève ici sur une métaphore habituelle, celle du cœur [en fait, il s’agit du character] glacé que seul le soleil de l’amour peut faire fondre : « Many of its softer qualities were for the moment frozen, and the moral sunshine of some true and deep affection was needed to thaw them. » - Notons que le rayon de soleil est qualifié de moral.

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G.W. est peintre et passe donc ses journées à écumer les galeries et les rues. La description du marché de la piazza Navona, du point de vue de quelqu’un qui est très attentif au pittoresque, abonde en formes passives, par ex. : « Beauty, in its great artistic sense, is found here. » Les Italiens sont beaux, mais ils sont somptueux à la façon méridionale ; parlent avec les mains (p. 9), sont bruyants (the vehement bickering and clashing for a 'bajocco'), à peine distincts des bêtes (brutes)…

Le texte bascule d’ailleurs sur le point de vue de G.W., qui trouve au peuple italien le mérite de la transparence. Par une mise en abyme assez singulière, cette absence de dissimulation inculquée ou sociale (dans laquelle G.W. voit l’archétype des English girls) s’exprime comme une forme de lisibilité : « He who runs may read. There is individuality, there is genuineness here. » G.W. file la métaphore en comparant les jeunes Anglaises (white muslin) et leurs mères (black velvet) à des livres imprimés aux couvertures interchangeables.

 

15:53 Publié dans Baal design | Lien permanent | Commentaires (0)

Baal design, 0.3.

    Intéressante moisson, suite à mon appel sur la liste de messagerie de la SAES.

Un collègue m’a envoyé un scan de la préface au volume de correspondance entre Robert Browning et Isabella Blagden, Dearest Isa. (Entre, ce n’est pas exact : ce volume ne rassemble que les lettres de R.B. à I.B., d’où son titre. On sait qu’on n’a jamais retrouvé les lettres d’I.B. aux Browning – autre jalon dans l’histoire de son effacement. Voici quelqu’un qui se croyait suffisamment peu autrice pour ne pas conserver de double de ses lettres, ou pour que ses ami-es, pourtant célèbres, n’en gardent pas les originaux.)

Une autre m’a signalé la notice biographique de l’Oxford Dictionary of National Bibliography, qui est une ressource restreinte par abonnement, à laquelle ma B.U. n’est hélas pas abonnée. Elle me l’a ensuite envoyée sous format PDF.

 

11:26 Publié dans Baal design | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 21 janvier 2023

Baal design, 1.1.

    Je commence à lire Agnes Tremorne.

Faudrait-il que je le lise « normalement », comme un roman normal, en le téléchargeant sur tablette par exemple et en lisant ce PDF à coup de dizaines de pages, sans annotation, en rendant simplement compte de ma lecture après l’avoir achevée ?

Bon, ce n’est pas comme ça que ça se goupille.

Je commence à lire, ou plutôt j’ai commencé à lire – les pages 1 à 3 de l’édition Smith Elder & Co de 1861 en version numérisée. Dès l’incipit, le ton est donné : ce récit s’inscrit dans la bascule entre l’Italie prétouristique et la naissance de la nation italienne moderne.

 

Thirty years ago Rome was not the crowded resort it now is.

On suppose que l’histoire se passe 30 ans avant la date de publication, vers 1830 donc.

Pas de virgules.

Crowded : adjectif plutôt péjoratif, qui sous-entend que le tourisme de masse n’a rien de bon. Cf l’ambivalence baudelairienne sur la ville populeuse. Le nom crowd, depuis Wordsworth au moins, suggère le tumulte, la dispersion, l’affront fait à l’harmonie paisible à laquelle aspire l’artiste (individualisme, élitisme ?).

Resort : ce nom (plutôt que place ou city) montre que le point de vue est celui des touristes, ou, en tout cas de personnes qui ne sont pas des autochtones. C'est un lieu où on se rend, un lieu de déplacement, d'ex-patriation pourrait-on dire.

 

Le premier § développe cette antithèse : Rome aujourd’hui (en 1860 – la jet set [anachronisme délibéré de ma part] s’y presse) et Rome jadis/naguère. Le point de vue est celui du you impersonnel si commode. Le § s’achève en précisant qu’à part les Romains eux-mêmes, on ne croisait, comme étrangers, que des artistes et des cœurs brisés.

Le deuxième § enchaîne sur cela, avec présentation du personnage (principal ? je n’en sais rien, je n’ai lu que 3 pages) : Godfrey Wentworth belonged to both these classes. La villa où vit ce fameux Godfrey est célèbre pour les fresques qu’y ont laissé Overbeck et Führich. La voix narrative insiste sur le fait que les peintures se sont déjà défraîchies mais sans perdre de leur pouvoir poétique : Yet still we gaze on their tarnished frescoes.

[Oui, je suis donc allé vérifier sur le Web Overbeck et Führich. Il s'agit du mouvement des Nazaréens et la villa dont ils ont peint une chambre est la casa Zuccari. (D'après la WP, les fresques ont été vendues en 1867 à la Alte Nationalgalerie de Berlin. Le protagoniste du roman de D'Annunzio L'Enfant de volupté y réside. Pas un mot ici d'Isa Blagden, évidemment.)]

Le jeu entre you et we est très marquant, à ce stade. La phrase que je viens de citer est précédée d’une belle période avec double parallèle Clorinde / Tancrède – la chevelure de l’une et l’armure de l’autre. Clorinde est blonde (cheveux dorés). C’est comme si les fresques étaient ternies (tarnished) mais pas ce qu’elles représentent.

De fait, cela fait l’objet du troisième §, plus court et que je donne en entier :

 

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Je considère que la dernière phrase fait partie du même § alors qu'il y a un alinéa. Ce passage relève sans doute de l’intrusion d’auteur, du discours d’artiste. Tout y passe : le médiévalisme, le thème de l’immortalité de l’art sous son versant romantique, l’adjectif wondrous (dont je pense qu’il était déjà archaïsant, ou à tout le moins littéraire, en 1861 – mais il faut vérifier).

Sans comprendre parfaitement le rapport entre l’argument du § et la citation, je suis allé vérifier celle-ci, imputable a priori à Henry St-John, vicomte de Bolingbroke (1678-1751), que certaines encyclopédies (fors la Britannica) décrivent, de fait, comme un homme politique mais aussi comme un philosophe dans le domaine de la théorie politique. Ce qui m’amuse, c’est qu’on trouve cette citation dans The Disowned, roman publié en 1829 (donc 30 ans avant Agnes Tremorne) et dont l’auteur est Edward Bulwer-Lytton… le père de Robert Bulwer-Lytton, le grand amour, à ce qu’il semblerait, d’Isa Blagden (et qui l’avait déjà vilainement larguée à ce moment-là).

 

Je m’arrête là : si je ponds 2 pages à chaque fois que j’en lis 3, on n’a pas le cul sorti des ronces. (Voilà qui rompt, non la chaîne du froid, mais le niveau de langue.)

 

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Baal design, 0.2.

    Une des questions qui se pose, pour moi, ce sont les origines anglo-indiennes d’Isa Blagden. Je me permets, pour une fois, de citer longuement la Wikipédia :

Blagden's father's first name is given as Thomas in the records of the Florentine Protestant cemetery and her nationality as Swiss, but she was widely thought to be the illegitimate offspring of an English father and an Indian mother. This seemed to be confirmed by an Oriental appearance. There is circumstantial evidence that she was born in Calcutta, the natural daughter of one Thomas Bracken and of a Eurasian, possibly named Blagden. Little is known firmly about her before she arrived in 1850 in Florence, where she soon became a feature of the English community. She was probably educated at Louisa Agassiz's Ladies School near Regent's Park, London, which was favoured by English parents in India.

 

Comme je n’ai pas trouvé de biographie détaillée d’Isa Blagden – et comme, selon toute vraisemblance, il n’y en a pas – je vais peut-être lancer un appel auprès de la liste de diffusion de la Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur.

 

Il se trouve que je n’ai pas encore décidé ce que serait réellement ce projet. L’idée est d’écrire chaque jour au sujet d’Isa Blagden, et plutôt de ses textes que d’elle. Mais le fait qu’on ne sache rien de précis sur elle jusqu’à l’âge de 33 ans à peu près, et qu’elle ait été aussi proche de grandes figures telles que Elizabeth Barrett Browning et son mari, ou les Trollope, ou encore avec Robert Bulwer-Lytton, fils d’Edward, connu comme poète sous le pseudonyme d’Owen Meredith puis, longtemps après, comme vice-roi des Indes, ne manque pas d’intriguer et de faire aisément déraper tout projet de ce type vers ces figures mieux connues qu’elle. C’est, sans rien m’interdire, ce que je voudrais éviter.

La solution, bien sûr, est d’aller lire et fouiller les textes d’Isa Blagden.

 

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vendredi, 20 janvier 2023

Baal design, 0.1.

    Le 20 janvier 1873 mourait à Florence la romancière anglaise – et même anglo-indienne, ce qui m’a tout particulièrement intrigué – Isabella Jane Blagden, plus souvent nommée Isa Blagden, et ainsi désignée notamment dans le cercle de ses ami-es les Browning ou les Trollope.

 

Je ne sais presque encore rien d’elle, ai appris son existence par hasard il y a quelques jours, et me suis dit que ce hasard de calendrier, outre mon amour du mot sesquicentennial lui-même, pouvait me lancer sur la piste d’un nouveau projet : chaque jour une bribe, un état de l’avancement de ma découverte d’Isa Blagden. J’ai un peu lu le début de deux de ses (cinq ?) romans, Agnes Tremorne et The Cost of a Secret, mais ce projet va me permettre de me contraindre à aller plus loin, je l’espère. [Le secret ici n’en est pas un : nulla dies sine linea.]

 

Le jour de sa naissance, on sait que c’est le 30 juin, mais sans certitude apparemment quant à l’année : 1816 ou 1817 ? Cela aussi m’a amusé, me rappelant tout le foin qu’on a pu faire de la petite tricherie de Beckett à ce sujet, lui qui s’est rajeuni d’un an en cherchant à faire croire qu’il était né en 1907.

 

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