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samedi, 13 mai 2006

XXXI

    J'ai fini par rencontrer, après de nombreuses pérégrinations, Barclay Beckett. Il allait fêter ses cent ans, radieux et joyeux, dans sa vieille demeure, en Irlande.

- Jamais je n'aurais pensé que vous seriez revenu en Irlande.

- Mais je n'ai jamais quitté l'Irlande. Episodiquement, à peine.

- Ah ?

 

Notre bref dialogue fut interrompu par l'arrivée tapageuse de Donleavy, jouant de la clarinette. la vaste pièce s'inonda de monde. Plusieurs slant-cha retentirent. En me lançant un clin d'oeil, Breyten me dit, dans un français rugueux et d'une beauté à couper le souffle :

- Je suis l'année de la mort de Freud. Tu n'avais jamais pensé à ça, n'est-ce pas ?

- Oh, ne m'appelez pas Mathieu, je vous en prie.

- On ne se tutoie plus ?

 

Ce fut une grande amicale beuverie. Il y avait là plusieurs femmes très élégantes et quelques véritables beautés. L'une, qui se présenta à moi comme la petite-fille de Barclay Beckett (qu'elle persistait à nommer "Uncle Sam"), s'avéra être Wanda Walrus, dont j'ai lu tous les livres et les poèmes et à qui j'ai consacré plusieurs articles dans des revues méconnues publiées par d'impécunieux centres de recherche universitaires français. J'eus avec elle une longue conversation. Elle me dit qu'elle connaissait un peu Enrique Vila-Matas. Quand nous sortîmes dans le jardin, il régnait une nuit noire, et elle me lança : "Tu ferais un très bon centenaire, si tu ne mourais pas avant."

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vendredi, 12 mai 2006

XXX

    Ce que dit Barclay :

La messe est dite, et la fesse est maudite.

C'est une farce, dites ?

Je m'enfonce dans la fosse, piochant allègrement avec ma plume.

Messieurs songent.

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jeudi, 11 mai 2006

XXIX

    Ajouter une demi-syllabe à un tanka ne doit pas être chose facile. Pensait Samuel Barclay Beckett un beau jour de décembre 1934 en contemplant la couverture ternie de l'édition originale de More Pricks than Kicks. D'où me vient ce sentiment de fin du monde ?

Ses yeux tombèrent, au hasard d'un feuillettage, sur cette phrase qu'il avait marquée au crayon, et qui lui sembla ne pas être de lui : "Past the worst of his best, there was nothing so very terrible in that, on the contrary".

Quand mon âge se tiendra au centre de la trente-deuxième année, je recevrai une lettre d'un inconnu érudit, qui m'écrira que le docteur Seamus Freud est mort, lui aussi, à quatre-vingt-trois ans, mais qu'il est né cinquante ans avant moi. Ce sera à n'y rien comprendre, puisque Freud se prénommera encore, que je sache, Sigmund, et qu'il ne sera pas mort.

"The owner was out in the field, scarifying the dry furrows with a fork."

Cap au pire.

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mercredi, 10 mai 2006

XXVIII

    Quand je commandai, au tout début du mois d'avril, un exemplaire du dernier livre de Margaret Atwood, The Penelopiad, je pensais le ramener à ma mère (qui, contrairement à moi, aime cette écrivaine) lors des vacances de Pâques, et ce d'autant que mes parents rentraient d'un voyage à Chypre. Je ne savais pas alors que l'exemplaire mettrait plus d'un mois à me parvenir (à tel point d'ailleurs que j'avais oublié avoir passé cette commande), me donnant alors l'idée de le transformer en cadeau de fête des mères (cette divulgation n'a pas d'importance : ma mère ne lit pas ce blog), et je n'avais pas non plus emprunté, plus ou moins par hasard, Wittgenstein's Mistress, le roman de David Markson (je l'ai choisi sur l'un des rayonnages de la bibliothèque d'anglais des Tanneurs le 13 avril, pour le soixante-septième anniversaire de Seamus Heaney).

Or, il se trouve que, feuillettant l'exemplaire du roman de Margaret Atwood (qui n'a, une fois encore, pas l'air de casser des briques), je me suis rappelé que la narratrice de Wittgenstein's Mistress cite à plusieurs reprises l'hypothèse selon laquelle l'Odyssée aurait été écrite par une femme, hypothèse qu'elle n'attribue pas à son véritable auteur (car elle s'embrouille assez souvent, ce qui fait le charme du roman). Atwood, qui se targue pourtant d'une culture à toute épreuve, ne semble pas avoir eu vent de cela. En tout cas, elle n'en souffle pas mot dans les notes qui closent l'ouvrage.

J'ai donc pris mon plus beau clavier pour écrire un courrier électronique au professeur Seamus Waddington, qui m'a confirmé tout le bien que je pensais de l'auteur de l'hypothèse pourtant passablement farfelue et évoquée ci-dessus, et tout le mal que l'on peut dire de l'écrivaine canadienne. Le plus surprenant, c'est qu'Enrique Vila-Matas a aussi répondu à mon e-mail, que je ne lui avais pourtant pas adressé.

Voici ce que m'écrit le génial écrivain barcelonais :

Cher Mathieu,

que l'Odyssée ait été écrite par une femme ne fait aucun doute. D'ailleurs, Fleur Jaeggy m'a confié un jour n'avoir jamais pu traduire un seul vers de l'Iliade. N'est-ce pas là une preuve irréfutable ?

Toutefois, cher Mathieu, vous m'avez menti sur vos recherches, et, depuis, je vous appelle le mystificateur à la dernière gorgée de bière. Vous savez pourquoi : en me quittant, ce soir-là, vous avez prononcé cette phrase d'une beauté envoûtante : "Je prends cette dernière gorgée de bière, et après un taxi." Voilà pourquoi je vous nomme, depuis lors, le mystificateur à la dernière gorgée de bière, ce qui vous rend cher à mon coeur et me donne grand plaisir dès que je reçois un e-mail de vous, même si je préfèrerais vous voir creuser l'éventuelle parenté entre votre maudit Barclay et son petit neveu Justin.

Il n'est pas facile de ramper sans chaussures.

Bien à vous,

Enrique V.-M.

 

Dois-je lui répondre en faisant une allusion savante au roman de Markson, ou simplement m'offusquer qu'il puisse répondre à un courrier que je ne lui ai jamais envoyé ? Ah ! il n'est pas facile d'être le confident d'écrivains géniaux. Quand j'aurai fini d'écrire ces pages pour ne pas célébrer S.B., je prendrai pour nom de plume Max B., histoire de montrer à tous mon visage de traître.

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mardi, 09 mai 2006

XXVII

    Le 13 avril 1939, Samuel Barclay Beckett fêtait ses trente-trois ans avec un mois d'avance, et n'osa toutefois pas parodier la Cène, au cours du repas d'anniversaire auquel il n'avait pas invité ses meilleurs amis, de crainte que l'un d'entre eux n'ait le regard acéré de Judas. William Barker Lymer mourait à Hawaï, à cinquante-cinq ans, pour être aussitôt oublié ; pour son enterrement, ils étaient cent treize à table. Le 13 avril 1939, pendant que Samuel B. se préparait à se remettre d'une mémorable gueule de bois, naissait Seamus Justin Heaney, poète irlandais qui reçut le Prix Nobel en 1995, vingt-six ans après son illustre et dublinois prédécesseur.

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lundi, 08 mai 2006

XXVI

    Quand on visite le château de Combourg, on ne manque pas d'entendre prononcer le nom de Madame de Récamier.

Rien de plus (à moins que).

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dimanche, 07 mai 2006

XXV

    « Ça ne s’invente pas : dans le grand Robert, Obock se trouve immédiatement après Oblomov. »

Que ces propos me soient tenus par un spécialiste renommé de Flann O’Brien, le professeur Seamus Waddington, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Pourquoi aussi tous ces messieurs imbus de Beckett étaient-ils d’aussi parfaits francophiles ? Pourquoi le professeur Waddington avait-il, sur ses rayonnages, la même édition du grand Robert en douze volumes que mon beau-père ? Pourquoi m’étais-je embarqué pour les Etats-Unis, pour la première fois de ma vie, dans le seul but de glaner quelques conversations pour mon grand livre de souvenirs consacré au centenaire de la naissance de Beckett ? Pourquoi le grand-père de ma compagne, mort trois ans avant que je la rencontre et que je n’ai conséquemment pas connu, disait-il qu’il se « burclait » les mains avec son Opinel ? Quelles vaines chimères poursuis-je dans ces pages ?

Avoir un petit vélo dans la tête : cette expression, dont notre spécialiste mondial de l’incongru, Pierre Jourde, semble faire peu de cas, m’évoque The Third Policeman, délicieuse pochade métaphysique et roman d’espionnage littéraire de Flann O’ Brien. Sur la métaphore du cycle dans l’œuvre de Flann O’Brien, le professeur Waddington est intarissable. Il me rappelle un immense ours en peluche, qui me fit m’exclamer, un jour d’août 1992, à Londres : « C’est de l’orange ! »

Il n’est guère question de bicyclette dans les poèmes de Paul Eluard, mais, en ce jour d’août 1992, j’avais acheté, un peu par hasard, sur la foi des quatrièmes de couverture, plusieurs livres d’un auteur sud-africain alors inconnu de moi : Breyten Breytenbach. Le monde peut s’effondrer dans l’onde, et, sur les rivages de la Tamise, nous nous sommes tant aimés.

Je devrais prendre des notes, au lieu de divaguer. Je devrais me concentrer sur les prolixes débordements du professeur Waddington. Le chagrin lâchait la bonde. Tout de même, je ne vois pas pourquoi, pour ce projet beckettien, je lirais les œuvres complètes de Henry de Monfreid.

 

………………

Sous la pluie d’avril, je m’éloignai, songeant que j’avais mangé mon pain blanc, car il me restait si peu de jours pour ne pas célébrer Samuel B., et le 13 mai encore était loin.

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samedi, 06 mai 2006

XXIV

    (Noir absolu. Deux voix qui pourraient être la même.)

 

Tu as oublié de remercier Madame de Récamier.

Enfin, elle gisait dans son salon.

S'appelait-elle Gisèle ?

Non : elle gisait. Du verbe gésir.

Ah, la salade aux gésiers... Combien de temps s'est écoulé depuis que je n'en ai mangé ?

Arrête t'es malade.

Sans point d'exclamation.

Une consonne pour une autre ?

Des paronymes.

Départ pour Nîmes.

N'empêche que tu n'as pas remercié Madame de Récamier.

 

(Bruit de pas s'éloignant.)

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vendredi, 05 mai 2006

XXIII

    Le zéhéros n’est pas n’importe qui. Qu’un certain Zero Mostel ait voulu réaliser une adaptation cinématographique d’En attendant Godot (et que Beckett ait refusé), semble inimaginable, trop beau pour être faux. Emily Dickinson avait le sang glacé, zéro aux os. Que l’on me pèle une poire Williams.

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jeudi, 04 mai 2006

XXII

    La grand-mère de c’était : « Quand j’étais en pension, à Aire, en haut de la côte du Mas, il y avait une salle avec les malles. C’est là qu’on se cachait pour fumer. »

Ce devait être au début des années 1930. Samuel Beckett était rentré en Irlande. Il ne se cachait pas pour fumer, mais pour le reste, oui.

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mercredi, 03 mai 2006

XXI

    « Je crois bien que Donleavy est d’origine irlandaise. Vous devriez aller voir du côté de Dublin, où je ne suis jamais allé. »

 

Dans son appartement barcelonais, où je m’attendais, à chaque instant et sans raison, à voir surgir le spectre familier de Paula de Parma, la dédicataire de tous ses livres, Enrique Vila-Matas me parla longuement, et fort affablement, de Fleur Jaeggy et d’Angelo Scorcelletti, mais il se refusa absolument à évoquer Samuel Beckett, et même à prononcer son nom.

Je m’étais rendu, plein d’une fervente admiration, chez le grand écrivain, qui avait accepté ma requête. Dans la lettre élogieuse que je lui avais adressée, j’avais, bien sûr, montré combien je connaissais sur le bout des doigts la moindre de ses pages, et, si j’avais aussi fait part de mon projet, qui était d’enquêter sur « les spectres littéraires de Samuel Barclay Beckett » (c’était là la formule précise que j’avais employée, afin de piquer la curiosité de ce génial montreur de marionnettes), je savais que nous parlerions surtout de son œuvre. Toutefois, la réponse brève mais cordiale qu’il m’avait fait parvenir m’avait laissé penser que de Beckett il serait question.

 

Or, à ma requête il fut froid, ou resta sourd.
« – Cher Maître, vous savez aussi que je mène une petite enquête sur les spectres littéraires de Samuel Barclay Beckett.

– J’en suis désolé pour vous, mais il est hors de question que je prononce même le nom de cet écrivain. »

Je fus assez estomaqué, revins à la charge en douceur une ou deux fois, pour me trouver de nouveau gentiment mais fermement rabroué.

 

Quand je le quittai, après trois heures d’entretien, il me raccompagna jusqu’à la porte, non sans m’avoir dit avec un sourire malicieux, dans son français délicieux :

« Ah, mon cher Mathieu, si vous avez besoin de retirer de l’argent, il y a un distributeur de la Barclay’s juste à côté. Bonne soirée. »

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mardi, 02 mai 2006

XX

Mardi 25 avril.

 

    Peut-être, mieux que la lecture des dix chapitres de More Pricks than Kicks, le vrai hommage de ce mois consacré à penser à Beckett, ou à écrire comment je pense au centenaire de sa naissance bifide, sera la lecture de Wittgenstein’s Mistress, de David Markson, choisi un peu par hasard sur les rayonnages de la bibliothèque d’anglais, à force de lire des articles de critique consacrés à cet écrivain (j’avais même entendu, en 2003, une collègue prononcer une communication passionnante sur Reader’s Block), et qui s’avère être dans le sillage de Samuel, comme n’a pas manqué de le remarquer un critique anonyme de la San Francisco Review of Books, dont une phrase est reproduite en rouge et en quatrième de couverture *, mais aussi comme, par un hasard insensé, le signale un bref entretien avec l’auteur, qui est donné en guise de postface, et où il est question des 54 refus dont le manuscrit de Wittgenstein’s Mistress fut l’objet, Markson prétendant qu’il s’agit d’un record**, puisque The Ginger Man de Donleavy (une demi-heure avant de lire ces lignes, j’avais extirpé, de ma bibliothèque cagnottaise, The Beastly Beatitudes of Balthazar B, acheté à Oxford en 1996 et jamais lu) avait été refusé par 36 éditeurs, et Murphy, à en croire la biographie de Deirdre Bair (mais si ! il cite cette biographie que je lis moi-même en ce moment), par 42 éditeurs. Outre les quelques coïncidences, la fièvre des nombres s’empare alors de votre serviteur, qui saute de 36 à 42, puis de 42 à 54, pour constituer une suite arithmétique : un livre qui voudrait rendre hommage simultanément à Donleavy, Beckett et Markson, devrait, sans préjuger de son contenu, essuyer 78 refus. Enverrai-je cette œuvrette en trente et un brefs chapitres à 79 éditeurs, afin de voir si l’un d’entre eux (seulement) l’accepte ?

 

* Tiens, un zeugme… Les derniers mots de cette phrase feraient un titre fort beckettien : No Less than with Beckett. Je songeais à cela tout à l’heure, dans le verger, lisant la page 40 du livre de Markson, et m’apercevant aussi que, pour ce qui est de More Pricks than Kicks, l’un des réseaux sémiotiques du titre réside dans les potentialités verbales de kick : comme le livre s’achève par la mort de Belacqua, l’expression familière et idiomatique “kick the bucket” s’impose (kick the Beckett ?).

** Sur la question des refus, il faudrait retrouver les sources exactes, mais je me rappelle que la Petite chronique des gens de la nuit dans un port de l’Atlantique Nord, de Philippe Hadengue, a essuyé des refus pendant une trentaine d’années avant d’être publié par Maren Sell. Il y aurait sans doute, dans le domaine francophone, d’autres exemples, et peut-être même qui enfonceraient largement le « record » de La maîtresse de Wittgenstein (la détresse de Wittgenstein ? (ce roman est-il traduit en français ?))

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lundi, 01 mai 2006

XIX

    Ixion n’avait pas dit son dernier mot. Ixion accroché à sa roue est un puits sans fond. It’s a wishing well with no will. La caravane passe dans le désert du Dodécanèse. All bark and no bite. Je suis cet Actéon dévoré par ses chiens.

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dimanche, 30 avril 2006

XVIII

    Peut-être ai-je omis de vous dire que j’ai mené une enquête longue de six mois, qui m’a mené de Dublin à Paris, et de New York à Oxford, afin d’en savoir plus, non sur Samuel Beckett, l’écrivain né dans le quartier de Stillorgan, à Dublin, mais sur l’influence de Beckett sur certains intellectuels et universitaires contemporains, de différents âges et de différentes mouvances. Figurez-vous que Peggy Guggenheim appelait Beckett Oblomov. Le professeur Hickox se serait bien gardé de m’en souffler mot. Du coup, la filiation entre Bartleby et Barclay semble nettement plus évidente.

J’ai trois os ! J’ai trois yeux ! L’œil écoute mon œuvrette.

 

Pour d’autres raisons, je me suis attardé trois semaines à Oxford, la ville de mes folies passées, des frasques de plume. Beckett devait détester Oxford, mais je ne saurais dire ce qu’en pensait Barclay.

D’ailleurs, les rides de Beckett m’ont rendu visite, dans mon sommeil, et m’ont engagé à me lancer enfin dans l’écriture de ma Galerie de larcins, projetée depuis plus d’un mois, et toujours en chantier, en imagination. L’une d’entre elles était longue, noire, ressemblait au ravin qui sert de point d’orgue aux gorges du Tarn, et, tandis qu’elle me parlait encore et encore d’Oblomov, je rétrécissais. Puis, je m’éveillai. (Phrase passe-partout pour fin de récit de rêve.)

 

C’est beau, une œuvrette qui toute seule s’écrit. La main à plume vaut la main à ravin. Lâchez-moi la grappe, maintenant. J’ai trois os : j’ai trois yeux.

 

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samedi, 29 avril 2006

XVII

    « Samuel Beckett avait une passion maladive pour Samuel Johnson. »

C’est avec cette phrase le professeur John Hickox m’accueillit. J’avais prévu de m’entretenir avec lui de l’œuvre de Beckett, mais tout ce que je pus tirer de lui – et c’était passionnant, car je n’ai jamais lu une ligne de l’éminent docteur J. – ce furent deux heures d’un exposé tout à fait brillant sur les dépressions de Johnson et sur les rides du visage de Beckett. Pour mon interlocuteur, frais retraité de Green College, à Oxford, il y avait un lien étroit entre les unes et les autres, et ce lien était plus important que toute tentative de circonscrire l’esthétique de ces deux écrivains. Wrinkles speak volumes, m’assura-t-il, à moins que je n’aie mal entendu.

 

Il fut aussi question de Baudelaire, et des Açores, où j’appris, par le truchement du professeur Hickox, que Beckett avait passé deux longs mois. Quand il m’eut confié les dessous de ce séjour, le professeur Hickox s’obstina à ne plus appeler Beckett qu’Oblomov ou Bartleby. Comme le professeur semblait s’enticher aisément de détails qui eussent paru entièrement insignifiants à d’autres, je lui tendis, au cours de notre entretien, une perche qu’il dédaigna superbement.

« – You’re mentioning Beckett’s infatuation with Dr Johnson. Sans doute cette analogie entre les dépressions et les rides vient-elle aussi de leur prénom commun.
– Oh no, that’s completely insignificant, you know. And in any case, Beckett’s actual first name was Barclay. Vous le saviez, hein?
– Well, I have to say that I thought Barclay was his middle name.
– Nonsense. Mon cher MuMM, vous avez le sens de l’humour. You’re pulling my leg, I can see you are. »

 

Une fois rentré dans la bonbonnière que la propriétaire du bed and breakfast s’obstinait à qualifier de chambre, si près de la chambre d’étudiant où j’avais vécu jadis, à Summertown, affalé sur le couvre-lit, je m’aperçus que Barclay Beckett était un nom d’écrivain bien plus beau : redoublement allitératif (comme pour mon cher Breyten Breytenbach), symétrie des sept lettres (se prêtant au sonnet acrostiche), symétrie tautovocalique (deux a d’une part, deux e de l’autre (le y est une semi-voyelle)).

More of the same later (and possibly tomorrow).

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vendredi, 28 avril 2006

XVI

    Ce 21 avril, sept jours avant la date de publication de ce seizième chapitre de mon œuvrette, je croise le fer avec Samuel, qui fut lecteur à l’Ecole Normale Supérieure de 1928 à 1930, tous ses biographes s’accordant à voir dans cette année 1928 un tournant, une charnière, choissiez la métaphore qui vous sied le mieux, je ne suis pas regardant mais je croise le fer avec Samuel, entendez cela littéralement, nous sommes, lui et moi, dans une mine, nous échangeons des regards trempés comme dans de l’acier, puis nous pétrissons la pâte informe qui va devenir, sous nos doigts, fer, nous irons ensemble pleuvoir notre minerai sur les têtes couronnées, et je ris avec toi, hein, Sammy, Sam, Samuel, mon Well, nous avons le fer, nous irons le donner aux mortels, on leur a donné l’or mais pas le fer, et tu joues de la flûte, Samuel, toute la nuit tu joues de la flûte, ça les rend fous, forcément, au beau milieu du matin tu me hèles, Will Will, moi je n’en ferai rien, quiconque me dira d’agir, déclarera à ma place ce que je vais faire, je lui répondrai, me réfugiant derrière Samuel, centaure ou Zeus lançant la foudre, nous deux enfants d’Ixion, je leur dirai, je n’en ferai rien, si je mens je vais en enfer.

Va te faire cuire un œuf donc. Sinon Ixion, gare à ton ascèse. (En enfer je vais.)

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jeudi, 27 avril 2006

XV

    Dans l’édition 1983 du grand Robert des noms propres, il y a trois Ferrari : Ludovico, mathématicien italien du XVIème siècle ; Benedetto, compositeur et poète italien du XVIIème, proche de Monteverdi et auteur notamment d’une Andromède ; Luc, compositeur français du XXème, ami de Schaeffer et auteur de musique concrète électronique.

J’ai retrouvé ici, à Hagetmau (j’écris ces lignes le 17 avril, même si elles ne seront publiées que le 27), mon vieil exemplaire de Watt aux éditions de Minuit, et, comme je le feuilletais hier soir, je suis tombé sur une page dont une phrase se terminait par « dans la raie ». Je ne parviens pas à la retrouver. Qui éclairera ma lanterne ?

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mercredi, 26 avril 2006

XIV

    Entre Samadet et Bégaar, puis, entre Baudignan et Sanguinet, le long des routes vallonnées ou sablonneuses, je tentais d’inventer les vagabondages théâtraux auxquels se prêtaient mal les sièges de la Renault 25 de mes parents.

 

« Cette courte phrase m’occasionna, je le jure, plus d’effroi, plus de douleur, que si j’avais reçu, inopinément, à bout portant, une giclée de plomb en plein dans la raie. »

 

Enfant, adolescent, je rêvais d’écrire des milliers de pages landaises, topographies ou saynètes.

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mardi, 25 avril 2006

XIII

    Dans sa biographie de Beckett, dont j’ai dit (méchamment et sans doute à tort) du mal, Deirdre Bair rapporte que, lors de l’ouverture de sa galerie à Londres, en 1938, Peggy Guggenheim avait exposé des œuvres de Geer van Velde, qui n’avaient eu aucun succès, si ce n’est que Beckett en avait acheté plusieurs “on the stuttering system”, soit, littéralement, selon le système du bégaiement, c’est-à-dire, dirait-on de nos jours, en plusieurs fois sans frais. J’aime cette expression, qui est très emblématique de l’écriture de Beckett (et aussi, certainement, de l’impression de dèche qui émane de plusieurs de ses personnages). Cette expression m’a aussi remémoré la très belle chanson de Dick Annegarn, Le blues du bégayeur, puis, de fil en aiguille, un garçon que j’ai un peu côtoyé à Normale Sup’, qui était gentil, subtil, incisif, et affecté, de surcroît, d’un bégaiement très contrôlé mais néanmoins perceptible.

Ce garçon avait mis en scène, en mai 1995, Fin de partie, une version très convaincante et très bien interprétée ; nous avions discuté à ce sujet deux ou trois fois, car nous étions, des huit « troupes » théâtrales de l’Ecole, les deux seules à utiliser la salle Dussane pour notre spectacle. La pièce qu’il montait, comme celle que je mis en scène (assez piteusement, dois-je dire), s’accommodait d’une scène minuscule, et nous n’étions pas mécontents de ne pas aller courir boulevard Jourdan, ou à la Cité Universitaire, ou allez savoir où encore, pour y installer nos accessoires et nos décors.

J’ai toujours eu l’impression que ce garçon (qui se prénommait Stéphan) ne m’aimait pas, ou qu’il se méfiait de moi, ou que je l’agaçais (toutes choses dont je ne pourrais lui tenir rigueur), et pourtant, comme je mettais en scène Architruc, il y avait, entre nos spectacles, d’autres liens que le lieu de représentation, puisque Robert Pinget était l’ami de Beckett, que Beckett traduisit au moins l’une des pièces de Pinget en anglais (il s’agit, je crois, de La Manivelle). Mais ma passion pour Pinget relevait alors du torrent (L’Inquisitoire, lu en hypokhâgne, m’a marqué à jamais) ou de la dissemblance (fou de Monsieur Songe, tout me différenciait de lui).

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lundi, 24 avril 2006

XII

    Devais-je, aujourd’hui, « attaquer » un septième texte d’affilée, après cinq écrits le 12 avril ? Mes obsessionnels calculs de numéropathe ne me mènent nulle part (enfin, si, mais ce serait trop long, ici), mais le tanka, encore, m’effraie.

Il y a aussi que les six lettres du prénom et les sept lettres du nom de Samuel Beckett offrent de larges espaces à la rêverie poétique. Dois-je me retenir d’écrire un acrostiche, ou un sonnet tronqué ?

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dimanche, 23 avril 2006

XI

    J’écris cette note, ainsi que les cinq précédentes, le 16 avril, mais elle sera publiée le 23, date de la fête de mon père. Mon père a eu soixante et un ans le 13 février dernier.

Le 23 avril, à 13 h 05, comme les précédentes, sera publiée cette note.

Le 23 avril, jour de la Saint Georges, nous devons quitter Hagetmau pour nous rendre chez mes parents, à Cagnotte.

Hier, j’ai lu, dans le Dictionnaire toponymique des communes des Landes et du Bas-Adour de Bénédicte Boyrié-Fénié (Cairn, 2005), que l’étymologie qui fait dériver le nom Cagnotte du gascon petit chien (“lou canhot”) était plus que douteuse. Il s’agit en fait d’une dérivation de canna, terme latin d’approximative géologie, qui signifie rehaussement ou butte. De fait, l’abbaye était construite au pied de la butte qui accueille, de nos jours, le bourg.

C’est à Cagnotte, sans doute, que j’ai dû découvrir l’œuvre de Samuel Beckett (je dirais, par une diffusion télévisée d’En attendant Godot). Je fus très long à lire Beckett (peut-être à dix-sept ans, à Talence ?). Dans le bois, le réseau des ruisseaux intermittents, le maillage des îlots boueux où je m’amusai enfant, devait me prédestiner aux textes en archipel.

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samedi, 22 avril 2006

X

    Pour ce qui est de cette histoire des dates de naissance (réelles, supposées ou mythiques) de Samuel Beckett, j’ai lu, vendredi dernier, dès les premières pages de la biographie de Deirdre Bair, une explication qui a fait s’effondrer la belle symétrie qui avait provoqué mes rêveries autour de cette ère d’un mois, qui, allant du 13 avril au 13 mai, servit de fondement à tous les projets que je conçus relativement à cette célébration de l’insaisissable centenaire. En effet, si Beckett a pu prétendre qu’il était né le 13 avril, soit le vendredi saint de 1906, alors que tout donne à penser qu’il est né le 13 mai, c’est que la loi de l’époque exigeait des parents qu’ils attendent que leur enfant ait un mois avant de le déclarer, de sorte que l’acte officiel date du 14 juin.

Ce 14 juin fait tourner en eau de boudin la superbe symétrie néo-classique des deux dates, pour permettre toutes les supputations. Après tout, pourquoi Beckett ne serait-il pas né, tout aussi bien, le 10 mai, ou le 16 mai (si ses parents ont triché en le déclarant avant l’issue de son premier mois), etc. ?

Cela n’a aucune espèce d’importance, me direz-vous, et vous aurez raison, sauf à considérer qu’il n’est pas anodin que, sur cette question symbolique des chiffres, des dates, du temps figé, du temps célébré, des débuts aussi, Beckett nous propose, comme si souvent, une fondrière, en lieu et place du granit de mots auquel toujours on continue de s’attendre.

 

(Note ajoutée le 22 avril, à l'intention de Joye : je connais les différentes connotations de prick: écharde, épine, mais aussi pine, tête de noeud, etc. Je maintiens que la traduction du titre par Bande et sarabande, quoique astucieuse, "perd" bien des points importants, et notamment le comparatif.)

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vendredi, 21 avril 2006

IX

    Toutefois, le mince volume de More Pricks than Kicks doit lutter, sur la table de chevet hagetmautienne, avec d’autres livres, en cours de lecture ou dont le désir qu’ils m’inspirent est grand.

Je poursuis, par petites touches, la lecture de cet étonnant poème épique qu’est Surburban blues de Yémy (en ai-je déjà parlé dans ces carnets ?), du très beau roman d’Edith Wharton (Hudson River Bracketed), d’un essai décevant de Pierre Jourde sur l’incongru dans la littérature française moderne (Empailler le toréador) – et bien d’autres volumes appellent mon regard, dont More Pricks than Kicks.

Mon histoire d’amour, absurde et cocasse, avec les célébrations du centenaire de Beckett, est constituée de plusieurs vains projets inaboutis, et même abandonnés sitôt que conçus (voir ci-avant : II, III et IV), ce qui signifie que je me dois de réussir, si petitement soit-ce, cette série de 31 textes en bouquet floral offert à Samuel, et me tenir aussi à mon projet, franchement modeste, de lire le premier roman publié de Beckett avant la date de sa naissance « réelle », le 13 mai.

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jeudi, 20 avril 2006

VIII

    Vendredi dernier, j’ai emprunté, à la bibliothèque d’anglais, More Pricks than Kicks, premier roman du très jeune Beckett, dont j’ai toujours différé la lecture et me suis promis de lire d’ici le 13 mai, date à laquelle s’achèvera cette œuvrette. Je crois savoir (mais il faudrait vérifier tout cela) que c’est l’un des très rares textes de Beckett qu’il n’ait pas lui-même traduits (transposés ? réécrits ? récrits ?) ; j’en avais d’ailleurs appris l’existence lors de la publication posthume de la traduction, par une certaine Edith Fournier (comment ce nom a-t-il pu me demeurer en mémoire ?). Que Jérôme Lindon fût encore vivant à l’époque semble attester que Beckett lui-même n’eût pas été trop scandalisé de cette publication… mais comment en être sûr ?

(Le titre français choisi par Edith Fournier (ou par Lindon (ou par … ?)) est Bande et sarabande. Sans avoir lu le roman, j’ai l’outrecuidance de penser qu’on pourrait trouver meilleure traduction du titre. D’ailleurs, je n’ai pas commencé la lecture de More Pricks than Kicks, et c’était justement le sujet de cette note.)

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mercredi, 19 avril 2006

VII

    Lire sous les chênes me faisait penser au Quercy, dont nous avons visité plusieurs sites et villes il y a sept ans. Samuel Beckett a séjourné longtemps à Cahors, où il s’était lié d’amitié avec un pâtissier très astucieux, et plein de verve. On peine à imaginer ce que pouvaient être leurs dialogues. Bien entendu, la biographe, pétrie de son importance, n’en dit pas un mot. Une cinquième phrase transporterait volontiers le spectre de Samuel à Onzain.

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mardi, 18 avril 2006

VI

    D’une traite, j’écrivis – les ayant longuement (sans doute) mûris en moi – les cinq premiers chapitres de cette œuvrette, mercredi dernier, à Tours, et c’est aujourd’hui, dimanche à Hagetmau, que j’entreprends de poursuivre, ayant lu, entre-temps, quelques dizaines de pages, dans le désordre, au hasard, de la première biographie consacrée à Beckett, publiée en 1978, et dont je n’ai pas retenu le nom de l’auteur, car elle semble outrancièrement vétilleuse, fière d’elle et à côté de la plaque.

La photographie de couverture est très belle, plus que celle que je connais par Cartier-Bresson (et que j’ai toujours tendance à associer à la photographie de Giacometti vu de face alors qu’il traverse, sous une pluie qu’on imagine battante, un boulevard, en se faisant une capuche de son imperméable comiquement relevé), mais moins que celle que j’ai découverte hier dans le Robert des noms propres en cinq volumes qui date du début des années 1980, et qui est – avec son compagnon consacré aux noms communs et en six tomes – ma bible, quand je vis à Hagetmau.

Cette image, que j’ai derechef sous les yeux, est d’un certain Philippe Pic, et elle représente Beckett de profil, peut-être à la fin des années 1950 ou juste quelques années plus tard, l’œil gauche seul étant visible, et les lunettes aux verres ronds remontées de manière inhabituelles sur le front, le nez aquilin, le col du sous-pull recouvrant typiquement le cou, avec, en fond d’image, ce que l’on devine être un haut de banquette et un bas de miroir, dans une brasserie.

 

J’ai découvert cette photographie par hasard, en cherchant quelques informations sur Simone de Beauvoir, après avoir regardé, d’un œil distrait, puis désabusé et enfin atterré, le téléfilm qui était diffusé hier soir et dans lequel Lorant Deutsch campe un Sartre qui est au-delà de l’invraisemblable. Le Castor est interprété(e), elle, par une actrice plus belle que l’original, et très troublante ; elle joue nettement mieux que son Sartre d’opérette, mais ce n’est pas un compliment. Toujours est-il qu’en cherchant quel pouvait être le titre final du roman de Beauvoir auquel Sartre/Deutsch fait allusion à un moment donné en parlant de Légitime défense (la suite du film devait confirmer mon hypothèse relative à L’Invitée), je me suis abîmé, une fois encore, dans la contemplation du visage de Beckett, et dans la lecture de quelques phrases relatives à Samuel.

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lundi, 17 avril 2006

V

    Vous commencez à constater que ces textes sont empreints d’une grande négativité, comme si je voulais appuyer sur la plaie de mes propres velléités, comme si, de ces petits échecs de rien du tout, seule pouvait naître, au clavier, une œuvre digne d’être écrite, publiée ou lue. Ce n’est même pas sûr.

Vous étonnerai-je en vous disant que, des nombreux textes de Beckett, celui que je préfère est Lessness, que je lus avec passion en 1994, avant de découvrir que Beckett l’avait d’abord écrit en français (Pas*) ?

J’avais, une fois encore, formé le projet de traduire le texte anglais en français (sous le titre Inité**), avant de comparer ma traduction et le texte original de Beckett***.

 

 

* Combien de fois, au cours de mon existence, aurai-je consulté la page du Dictionnaire des littératures où figure le tableau récapitulatif des œuvres de Beckett, avec la langue originale de la première version ? 99 ou 101 ?

** J’ai déjà le titre, me direz-vous. Toutefois, cinq lettres en douze ans, ce n’est pas grand-chose.

*** Formulation très prétentieuse ; j’assume.

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dimanche, 16 avril 2006

IV

    Bien entendu, comme l’année qui mène de l’an 99 à l’an 100 de l’ère Beckett fut, à mon échelle, celle de la découverte des blogs, je songeai à créer un carnet interactif – mais c’était peine perdue, car n’étant en rien spécialiste reconnu de l’œuvre de Sam B., et ne l’ayant pas vraiment relu ces derniers mois, il était illusoire d’entretenir la flamme ou de trouver des soutiens.

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samedi, 15 avril 2006

III

    Ensuite, j’ai songé à une sorte de colloque, ou de manifestation culturelle un peu décalée, qui se serait tenue dans les locaux de l’Université entre le 13 avril et le 13 mai. Ayant lancé l’idée auprès de collègues spécialistes du théâtre ou de littérature irlandaise, je vis que, malgré des paroles enthousiastes, leurs regards étaient porteurs d’un léger désarroi, ou d’un ennui franc et massif. Il n’y avait rien à espérer de ce côté-là.

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vendredi, 14 avril 2006

II

    Début juillet, j’envisageais, avec un collègue, de réaliser un film qui serait composé d’entretiens avec des écrivains, des lecteurs, des libraires, des dramaturges, des metteurs en scène, des acteurs, des professeurs. À tous serait posée la même question : « que signifient, pour vous, ces deux mots : Samuel Beckett ? ».

L’idée du film était plus belle que le film lui-même, si le projet avait abouti. Je suis – je vous l’ai dit – un rêveur velléitaire.

 

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jeudi, 13 avril 2006

I

    Qu’Enrique Vila-Matas, qui jamais, ce me semble, ne se réclame de Samuel Beckett, ait décrété qu’il n’aimait pas les chiffres ronds, et que, pour en finir avec eux, il fallait célébrer des anniversaires « non ronds », cela ne saurait suffire, comme garde-fou de mon projet. On pourrait fort bien imaginer de célébrer le 101ème anniversaire de la naissance de Beckett, ou je pourrais raconter les journées que je passai, l’an dernier aux alentours de son 99ème printemps, à penser secrètement à l’auteur de Molloy, mais ce serait le retour d’une autre forme de rondeur, le palindrome. Il faut se libérer de cela. Il y a un an et demi, en pleine retombée de ma fièvre vila-matienne, je lus le texte très drôle dans lequel Eric Chevillard imagine qu’un voisin de Beckett se vante encore aujourd’hui d’avoir pourri la vie du Prix Nobel en lançant des taupes mortes dans son jardin.

 

Et tout le reste est littérature

 

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