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lundi, 11 septembre 2006

Jardins de Valmer, 4 : La mante religieuse de Jean-Luc Goupil

 medium_Valmer_September_2nd_094.jpg

 

 

    Elle tient entre ses pattes antérieures un globe. Je crois qu’elle le gobe. Je la vois le gober. Au désert vert de sa tôle, dans les jardins, pas loin d’une théorie de coloquintes, le toboggan réagencé nous entraîne dans notre chute. Silence !

04:15 Publié dans Minimalistes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Ligérienne

dimanche, 10 septembre 2006

... de l'eau, de la paille ...

finisse

         ce jour sans mesure cette infinité de possibilités de colères de mensonges et cette avalanche d'amours qui ne cesse de tarabuster les pirates sont de sortie et pourtant il paraît que ce n'est pas l'issue la plus secourable peut-on pourra-t-on un jour en finir dans la poussière des carlingues la rouille des guimbardes des tréteaux interminables comme ce très long texte où personne ne voit du feu où personne ne voit goutte où personne ne voit clair où il n'y a personne pour sauver son voisin pas un mot pour en rattraper l'autre pas un orgue pour mesurer l'infinité du temps qui passe pas un violon pour nous aider à grimper à la cime des ifs et sur ces dolmens rassemblés comme dans un jeu de cartes un très long texte s'avance et se déploie avec la sûreté pierreuse des dolmens la voilure des stèles la douceur ombrageuse des ifs dont les petites boules rouges d'une netteté aussi sidérante qu'elles sont minuscules sont comme des lampions funèbres un très long texte résonne rebondit ou s'éternise jusqu'à ce que la note tenue sous les ifs comme une mélodie silencieuse effraie même les autours les éperviers et même le busard en maraude à tel point que nous nous retrouvons tous vous et moi à déclamer des lambeaux de ce très long texte debout ou accroupis sur les lourdes pierres qui couvrent depuis des millénaires les

dolmens

17:50 Publié dans Très long texte | Lien permanent | Commentaires (0)

Ipso facto

    Quand j'étais enfant, mon père, qui était déjà très actif dans plusieurs associations de protection de l'environnement, passait de temps à autre "à la télé", c'est-à-dire aux actualités régionales de FR3. Ma soeur et moi avions pris l'habitude de nous moquer gentiment d'un de ses tics de langage, qui était d'employer fréquemment la locution latine ipso facto.

Aujourd'hui, dans une brocante, j'ai acheté, pour un euro chacun, deux romans : Alouette de Dezsö Kosztolanyi et Ipso facto de Iegor Gran.

 

(Accessoirement, il me vient à l'esprit que, dans ces carnets, la rubrique Ex abrupto, dont le titre est aussi une locution latine, pourrait donner lieu à de plus amples développements : chaque brève ébauche pourrait constituer le point de départ de récits moins abrupts ou moins laconiques.)

17:17 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (1)

Sinfonia concertante KV 364, Andante

    Bouleversante : a-t-on encore le droit d'employer cet adjectif galvaudé pour parler d'une musique ? Oui, si elle me bouleverse. Elle me point, me tourneboule. L'alto s'envole doucement, et nous, figés au sol ou au tronc de l'arbre, comme de tristes grimpereaux, sommes à la peine. La douleur de tant de douceurs passées finit par s'évanouir devant les répons de l'orchestre, qui offre au violon ses points de côté.

Des mémoires enfouies, des sensations terribles apportent leur pierre à ce chemin qui n'était, avant l'andante, que gravats. Sommeil écarquillé.

15:00 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (0)

Itinéraire d’un malappris

    Entre l’enclume et le marteau

usé de trop de heurts

 

cloué à la poutre

hissé à la potence

anéanti sous les sifflets

 

rissolé par les rayons brûlants

immenses du

soleil

 

timide il risque une question

inédite

emporté dans son élan

 

11:55 Publié dans Zézayant au zénith | Lien permanent | Commentaires (0)

Màs mah pratjh !

    Soixante-dix sept secondes sont largement suffisantes pour faire naître une obsession. J’écoute depuis presque dix ans Adrienne Csengery dans la 12ème des Scènes d’un roman de György Kurtág, composées sur des textes de Rimma Dalos.

Pourtant, oublieux, ou désireux de ne pas rompre le charme, je n’ai cherché aucune autre version de ces Scènes, ni approfondi mon exploration de la discographie d’Adrienne Csengery. Ici, l’éblouissement esthétique ne s’accommode peut-être pas de la connaissance. Peur d’amoureux transi idiot.

 

10:20 Publié dans Soixante dix-sept miniatures | Lien permanent | Commentaires (1)

Songe de l’art

    Il va falloir faire du café, hein, boire un café, sinon tu t’effondres la tronche dans le guidon, & les cloportes mangent le clavier, ça fait désordre.

« Moi, quand je suis dans le trouble de l’art, rien d’autre ne me touche ni ne m’atteint. Il pourrait pleuvoir des panthères ou des enclumes. Quand je suis dans le songe de m’art, le réel est une petite chose dure et sèche reléguée dans un coin du décor, qui s’empoussière. » (E. Chevillard. Au spectacle.)

 

Eh, avec le café, pourquoi pas un croissant ? Si t’arrêtais de te prendre pour Balzac ?

09:49 Publié dans Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (1)

Jardins de Valmer, 3 : Le scorpion de Jean-Luc Goupil

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    Créée à partir d’une table d’école, cette sculpture est une réflexion sur l’ambiguïté qu’entretient le système éducatif avec le développement individuel de l’être et la place que ce dernier aura à adopter face à l’ensemble du genre humain.

 

 

 

J’aime bien les insectes de Jean-Luc Goupil, étonnamment polis et reluisants. Mais qu’il est dommage que l’artiste se sente obligé de pontifier en expliquant, par de petits écriteaux, le sens de chaque sculpture, en bon petit militant altermondialiste et bien-pensant. Pourquoi la phrase citée ci-dessus en italiques me semble-t-elle le summum de la bien-pensance ? Parce qu’il est désormais convenu de dire que l’école brime le développement individuel des enfants, alors que cela n’a jamais été aussi faux : on ne s’est jamais autant soucié de pédagogie différenciée (afin de baisser le niveau), de rythmes scolaires (afin de permettre aux parents de coucher leurs gosses à onze heures du soir et de partir en week-end jusqu’au dimanche soir sans se soucier des éventuels devoirs scolaires de leurs enfants), de l’épanouissement en son sens non intellectuel (au point d’avoir soumis le système éducatif aux professeurs de sport, les nouveaux rois incultes des lycées, devant lesquels tremblent proviseurs et recteurs).

Ô laissez-nous imaginer vos œuvres !

09:15 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (1)

Place des Tilleuls

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    Verdure, adieu. Nous dormirons dans les criques. Narcisse aussi sera là, son reflet dans le lampadaire.

08:06 Publié dans Rues, plaques, places | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 09 septembre 2006

Épeautre, épisode IV

19 + 91 = 110

 

16 + 61 = 77

16 + 61 + 16 = 93

... sans oublier 411/501 ...

 

Cela ne nous dit pas ce que t’as foutu de ce pain d’épeautre !!!

19:10 Publié dans Fièvre de nombres | Lien permanent | Commentaires (0)

Épeautre, épisode III

    Ce matin, au marché de la place René-Coty, j’ai acheté un pain d’épeautre, qui a disparu.

De retour chez moi, je m’aperçois que le pain n’est pas dans le panier. Je ne l’ai pas pris. Je l’ai oublié à l’étal de la boulangère. Je l’ai pris, on me l’a volé. Je l’avais, on me l’a pris. Hypothèses multiples et toutes valables.

Ce matin, au marché de la place René-Coty, j’ai acheté un pain d’épeautre, qui a disparu.

18:05 Publié dans Soixante dix-sept miniatures | Lien permanent | Commentaires (1)

Épeautre, épisode II

    Ce matin, au marché de la place René-Coty, j’ai acheté un pain d’épeautre, qui a disparu.

De retour à la maison, je m’aperçois, en déballant fruits et légumes, viandes et fromages, coquillages et crustacés, que je n’ai pas ramené le pain d’épeautre avec moi. Je ne l’ai pas pris. Je l’ai oublié à l’étal de la boulangère. Je l’ai pris, on me l’a volé. Je l’avais, on me l’a pris. Je ne sais pas du tout, vraiment.

Ce matin, au marché de la place René-Coty, j’ai acheté un pain d’épeautre, qui a disparu.

17:00 Publié dans 410/500 | Lien permanent | Commentaires (1)

Épeautre, épisode I

    Ce matin, au marché de la place René Coty, j’ai acheté un pain d’épeautre (500 grammes ; 2,40 €).

15:55 Publié dans ABC*ACB, Minimalistes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Ligérienne

Éric :: Chevillard : Démolir :: Nisard

    Chevillard, rassure-toi, je ne vais pas te démolir. Lorsque j’ai lu ton roman précédent, Oreille rouge, j’avais été atterré, tant il était raté, mais j’avais observé un silence hébété. Si l’on ne tient pas compte de tes deux premiers romans, que j’ai offerts il y a deux ou trois ans à ma Métilde et que je n’ai pas lus, et à l’exception aussi de ton Thomas Pilaster, j’ai lu tout ce que tu as écrit. Ce n’est pas assez, diras-tu, et, si je t’avoue avoir découvert ton œuvre avec Palafox, encore boutonneux, quinze ans à peine, tu t’offusqueras certainement que j’aie pu laisser sur le bord du chemin certaines de tes pages. Je te prierai de te tenir tranquille et de me laisser écrire : tu n’es pas chez toi ici, et tu as assez d’espace chez Minuit sans venir envahir mon pauvre site. (Cela dit, tu as le droit de me démolir dans la rubrique commentaires prévue à cet effet.)

Chevillard, j’espère que tu apprécies à sa juste absurdité ma façon de m’adresser à toi par le patronyme, comme autrefois les francs camarades dans les lycées de garçons, ce qui est déplacé, puisque tu es né en Vendée en 1964 et que je suis de dix ans ton cadet, un peu normand sur les bords pour tout gâcher.

Chevillard, abordant ton dernier roman Démolir Nisard, qui est sur toutes les lèvres, ou, dans tous les cas, très en vue dans la presse littéraire, j’étais inquiet, un peu comme un amant éconduit après des années de stupre et de passion, et qui, invité au thé par sa maîtresse (je te prie de me pardonner mais je suis un hétérosexuel invétéré et je suis obligé, pour la forme, de t’affubler de bouclettes, d’appâts féminins et même d’une courte robe rouge (et rase-toi les jambes, s’il te plaît !)), se demande si les secrets d’alcôve vont reprendre du galon.

 

J’étais inquiet, donc, Chevillard, et me demandais si Oreille rouge était une parenthèse malheureuse, un flagrant manque d’inspiration (et aussi, à la rigueur, te l’avouerai-je, un léger manque de sens critique pour l’avoir quand même soumis à ton éditeur), ou si la mauvaise passe allait continuer. (Ne vois pas dans ce substantif passe une quelconque allusion méchante à la fois où tu me fis payer fort cher une de nos nuits d’amour. C’est oublié, je te l’assure.)

Eh bien, Chevillard, le thé était succulent. Pendant une cinquantaine de pages, nous avons ressenti le même malaise, car, ta timidité reprenant sans cesse le dessus, tu manquais d’assurance, tu cherchais tes mots et tu semblais vouloir retomber dans ce même travers qui m’avait rendu si douloureuse, au moment de notre petite fâcherie, la rougeur de tes esgourdes. Or, après cette première partie où ta légère tendance à rabâcher sans avancer se pose là (litanie des fausses dépêches et vrais supplices), Démolir Nisard est presque parfait. Comme le combattant, tu arbores tes superbes plumes printanières pile au bon moment. Puis c’est un juste rebond grâce au glyptodon de Dijon. L’épisode à la bibliothèque de Pales (paludes ? supplice du pal ? désir soudain de ventiler le récit ?) est savoureux, comme un Époisses porte-bonheur, juste avant ce bouquet final, cette farandole de fruits que te permettent les retrouvailles avec Le Convoi de la laitière. Miraculeuse, la dernière page n’est pas une pirouette : tout y préparait sans que j’eusse vu venir le coup, et tu as le goût exquis de ne pas tirer sur la corde, ni d’appuyer trop sur la lame.

 

Rabibochons-nous, Chevillard !

Maquillons-nous au plafond, avec la poudre d’escampette du capitaine Cook, lacérons-nous avec les piquants du hérisson, chaussons les bottes de sept lieues du vaillant petit tailleur, ouvrons les grottes avec notre lourde clef, peignons le girafon de couleurs Chaissac, vidons le tourteau et ramassons enfin les taupes dans le jardin de Samuel Beckett !

J’aime le malaise dodu qui naît en lisant, au fiel de la plume, cette haine si vraisemblable, les revirements qui font basculer l’aversion poudrée du matamore dans la tragédie.

Chevillard, rabibochons-nous !

 

13:45 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : Littérature

La boucle est bâclée

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    Il en était question hier. Calligramme, phrase à recomposer, fragment de récit : la page 18 d'Ars grammatica est tout cela. (Un lasso, aussi, pourquoi pas.)

(Sur l'image de mauvaise qualité, on devine les dessins du verso par transparence. On y verra, pompeusement, pédantiquement, un symbole de la lecture en contexte.)

Robe, encore et toujours voilure, misaine : récit maritime, naufrage érotique.

Brusque, le chef des pirates se lance à l'abordage.

Envie, de poursuivre la lecture, encore et toujours.

Déchirée, est-ce la page, si je mets à la voile ?

12:40 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature

Émaux & camées

    Elle dort sous la charmille,

mollement

allongée dans l’herbe :

une naïade au bord de l’eau

xénophonique

 

&

 

clapotante :

allant son chemin par vagues

miaulantes qui vont

étonnées —

elle dort

sous la charmille.

11:55 Publié dans Zézayant au zénith | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature

Gignon

    Ding dong !

Ping-pong ?

Bing, bong. Zing, zong.

Sing song.

King Kong !

11:35 Publié dans Minimalistes | Lien permanent | Commentaires (0)

Jacques : Rebotier :: Quelques ::: animaux de transport :::: & ::::: de compagnie

    Tout de même, ce n’est pas un hasard. Lui aussi fait partie des foules d’obsédés numérolâtres. Son opuscule de 2004 est composé de 36 fragments, répartis comme suit : 27 dans la partie principale, 8 dans l’“additif 1” et 1 dans l’“additif 2”.

Soit 33 + 23 + 13 = 62

 

(Si j’en crois David Wells, qui a raison, c’est parce que 36 est triangulaire tout en ayant pour racine carrée le troisième nombre triangulaire, 6, qu’il est la somme des cubes des trois premiers chiffres.)

Les rayures du poisson-clone sont certainement un clin d’œil à la collection des éditions Harpo & Co dans laquelle l’ouvrage est publié (‘comme dix raies blanches’*). Dix raies blanches et onze raies oranges : celui-ci. Dix raies blanches et onze raies roses : celui-là (47 autobiographies, 2003).

Le dernier texte s’intitule “Le lecteur à rayures”, aussi, mais Rebotier a évité d’évoquer le zèbre parmi ses animaux de locomotion.

Dans “Le Pipallon”, je me suis demandé s’il n’y avait pas une allusion à une phrase de Saint-Pol Roux que j’aime beaucoup : Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Rage, frimas, il y a des girafes, comme jadis dans Frasques.

 

J’ai bu ces quelques pages en lisant un verre de Chinon. Elles ne me trouvent pas très buvard bavard.

 

* Comme dirait Blanche… Mais qui est Blanche ? Est-ce Aragon ou Francis ?

10:34 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (0)

Marinières

Vendredi, 18 h 40.

    Superbe soirée de septembre. Bancs de Loire blancs sous le soleil. S’enfermer pourtant dans l’atmosphère feutrée du jazz club, gymnase reconverti en salle de concert moquettée où pas un rayon de soleil, pas un souffle d’air n’entre. Curieuse impression de descendre aux Enfers pour y reprendre langue avec la terre promise.

……………………

Ce sont les accordailles.

Ce son me bouleverse.

09:33 Publié dans 59 | Lien permanent | Commentaires (0)

vendredi, 08 septembre 2006

Quelle idée, vraiment...

    Quand je passe au Livre, je n'en ressors jamais les mains vides.

Certains esprits chagrins se plaignent de la pléthore de titres publiés. Abondance ne nuit pas. Ce dont il faut se plaindre, c'est que Nothomb, Houellebecq ou Marc Lévy soient les auteurs les plus vendus. Mais sinon, l'avalanche, elle, ne me gêne pas. Si on publiait moins de titres, ce seraient les livres les plus audacieux, les textes difficiles, les traductions du polonais ou du serbo-croate qui passeraient à la trappe.

Bref : quand je passe au Livre, je ne sors jamais les mains vides.

Aujourd'hui, ma moisson : Anthropologie d'Eric Chauvier, Lichen, lichen d'Antoine Emaz, Mémoire du mal d'Emmanuel Laugier, L'Aphonie de Hegel de Mathieu Bénézet et Quelques animaux de transport et de compagnie de Jacques Rebotier.

22:55 Publié dans Unissons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Ligérienne

David : Bessis :: Ars : grammatica

    Ars grammatica est composé de soixante-douze pages dont chacune est un dessin, ou un graphe. Ces dessins constituent une représentation, parfois topographique (comme à la page 71 qui est, en quelque sorte, le plan d’une station balnéaire en termes géométriques) mais toujours textuelle.

 

En dépit de son caractère farouchement expérimental, ce livre constitue un récit. Ce n’est pas, primordialement, de la poésie – même en s’en référant à la poésie-objet d’auteurs tels que Christian Prigent ou Nathalie Quintane. Prenons donc le pari que ce texte appartient au genre de la poésie narrative. Mais peu importe, ce qui compte, c’est cette dimension de récit. Les mots isolés de ce texte, reliés entre eux, sur chaque page autonome, par un système de lignes, droites ou courbes voire pointillées, forment progressivement une histoire, qui se suit assez bien, et, classiquement, ne manque ni de pathos (amour, maladie, suicide) ni d’humour. Ce que le système de représentation mis en place par David Bessis évacue, c’est la syntaxe, ce qui saute aux yeux puisqu’aucun de ces mots n’est ni objet ni sujet, ni relié selon une quelconque hiérarchie discursive.

Moins évidente me semble l’évacuation, dans ce récit, de la temporalité : en effet, aucun des mots-bulles d’Ars grammatica n’est un verbe. Les verbes, même sous leur forme infinitive, sont absents de ce texte. Ce qui permet de restituer un semblant de temporalité, c’est la lecture linéaire de ce texte comme un récit, justement. Ce qui permet, en parallèle, de restituer un semblant de syntaxe, c’est la lecture au sens fort, qui est ici interprétation des lignes et des réseaux de liens selon une sémiotique qui n’est pas principalement verbale.

 

La reconstitution d’une syntaxe par le lecteur est un phénomène susceptible d’intéresser linguistes ou philosophes cognitivistes : dans quelle mesure, me direz-vous, n’atteint-on pas là les limites de l’œuvre, c’est-à-dire de sa valeur esthétique ? C’est une bonne question, que le titre souligne fort à propos : cet essai de récit avant-gardiste composé de mots-bulles et de lignes énigmatiques est aussi, en un sens ancien, un art des lettres et du déchiffrage, donc un art de l’identification des liaisons manquantes.

J’aimerais vous donner l’exemple de la page 18. (Pour bien faire, il me faudrait photographier la page, pour que vous vous fassiez une idée, mais : 1) je crains d’outrepasser mes droits de citation et de me faire tancer par l’éditeur 2) je préfère que vous achetiez ce petit livre, qui vaut vraiment le coup et, de surcroît, ne coûte qu’une bagatelle.)

Page 18, donc, on trouve les quatre mots-bulles suivants (que je cite de gauche à droite et de haut en bas (sens de lecture arbitraire)) : robe, déchirée, brusque, envie. Le dessin pourrait être un calligramme : dans cette lecture, le mot-bulle robe serait la tête de la femme, et les ondulations qui relient les trois autres mots à cette tête son corps, sa robe, ses bras, que sais-je… Là n’est pas, pour le moment, ce qui me préoccupe. Ce dont je parle, hic et nunc, c’est la reconstitution d’une syntaxe par l’acte de lecture. On voit que, pour ces quatre mots (deux substantifs féminins (situés aux antipodes, d’un point de vue visuel) un adjectif et un participe passé adjectivé au féminin), plusieurs phrases sont possibles :

Ils furent pris d’une brusque envie [de faire l’amour], et la robe se trouva déchirée.

Elle eut une brusque envie de pisser et déchira sa robe.

Sa robe était déchirée ; elle eut une brusque envie de le gifler.

Etc.

 

On voit, que, pour chacun de ces trois exemples, l’interprétation consiste à ajouter des verbes, et même des relations de cause à effet. Reconstituer une syntaxe, c’est donc avant tout faire le choix d’un sens, ou, à défaut de choisir, tenir le pari de sens contradictoires et simultanés.

Par ailleurs, l’exemple placé en premier est celui qui est le plus plausible en fonction du contexte : en effet, les pages 19 à 23 décrivent, sans ambiguïté possible, l’acte sexuel. (Le contexte général du récit intervient évidemment dans la reconstitution d’une syntaxe et dans la restitution d’une temporalité.)

 

Venons-en à la tentative d’interprétation sémiotique des lignes droites et courbes, tout d’abord d’un point de vue général. En soi, les droites semblent s’opposer aux courbes et pourraient figurer un discours tranchant, par opposition à des situations moins nettes, ou plus empreintes de douceur. Ces lignes dessinent parfois des figures géométriques, et même, dans un cas très particulier, un diagramme très facilement reconnaissable : celui qui consiste à relier questions (placées dans la colonne de gauche) et réponses (placées dans la colonne de droite) par un système de traits (page 63). Cet effet de diagramme est renforcé par le choix des mots : cette page invite en effet le lecteur à reconstituer les titres d’œuvres importantes de Cioran, comme le Précis de décomposition, par exemple.

Il existe aussi, très certainement, une interprétation sémantique des relations spatiales figurées par les lignes. Ainsi, à la page 20, le dessin constitué par les trois mots-bulles et les deux lignes représente une balance déséquilibrée : le lecteur a tendance à comprendre « une euphorie plus puérile que tenace », puisque le mot-bulle puérile a l’air de peser plus lourd que le mot-bulle tenace.

 

Enfin, je ne rendrais guère justice à ce livre si je ne disais que l’un de ses traits les plus saillants est l’alliage subtil de l’humour et de l’autodérision. Le caractère formaliste de ce récit est rendu moins hermétique, mais aussi moins radical par l’humour : ainsi, à la page 68 (“formalisme creux”), à la page 62 (bière ; gorgée ; plaisir ; navrant), que l’on peut interpréter comme de l’autodérision ou comme une satire littéraire visant l’auteur de La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.

L’humour naît aussi du récit tel qu’il se constitue : ainsi, au feu d’artifice de pointillés qui connote, par la répétition tautologique du mot orgasme, une sexualité débridée ou débordante (p. 22), répond, dans la page d’en face, une suite minimaliste de lignes courbes presque horizontales dont le sens est clair (alors ; gros ; malin, p. 23).

Je ne suis pas certain que ces quelques paragraphes puissent donner la moindre idée de ce dont il est question dans Ars grammatica, mais sachez que rien ne remplace la découverte par soi-même de ce récit en graphes, et que je vous conseille, par conséquent, de vous le procurer et de m’en dire des nouvelles !

 

David Bessis. Ars grammatica. Paris : Allia, 2006. 6,10 €.

18:50 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature

Carême

3 septembre, 15 h 30.



    À peine as-tu nommé cette cruche fiolet

Qu’un univers entier tremble sous tes paupières

Et, le gosier brûlé par le pousse-râpière,

Te voici à même de manier le piolet.

 

Dans le jardin, un merle esquisse un triolet

Tandis que ton ennui trouve enfin sa lumière

À boire, délicieux, les flots de brune bière

Où s’extasie aussi un bref reflet violet.

 

Désastre ! Vilénie ! Brisé à coups de pioche,

Le cerveau envahi par la mer s’effiloche

Et, enivré, vampirisé, se terre, et l’œil

Aux vapeurs de l’oubli lentement substitue

Le plaisir de goûter l’image du cercueil

En miaulant, à l’âme une chienne battue.

17:50 Publié dans Sonnets de juin et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)

Écrit dans l’obscurité

7 septembre, neuf heures du soir.

Tout de même je veux écrire. Ces quatre chats criards me fatiguent. Je suis assis sur une chaise, au balcon : posture rare ici, si fréquente autrefois à Coppelia. (La résidence.)

Le peu de lumière que j’ai me vient d’un lointain lampadaire. Si j’étais gaucher, je ne cacherais pas le peu de lumière que j’ai. Tourne donc ta chaise, imbécile. Ta chaise rouge comme un chat. C’est vraiment s’abîmer les yeux, mais ces chats criards me fatiguent. M’usent le blanc. Quand passerai-je au verso ?

C’est fait.

J’y suis.

16:50 Publié dans Diableries manuelles, Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (0)

Toréador, prends garde à toi ?

    Intrigué par la naissance d'une petite polémique entre M. Pierre Jourde et l'auteur de ce site (tiens, pourquoi ne pas parler à la troisième personne ?), je (zut !) viens de faire une rapide vérification sur Dame Google*, qui, à la requête "empailler le toréador" :

1) suggère d'essayer avec l'orthographe "emballer le toréador" (mais je ne suis pas sûr que ça emballe M. Jourde, ou alors c'est mon côté tête de muleta...)

2) affiche en troisième position mon petit billet, effectivement mal fagoté, mais dont les critiques continuent de me sembler pertinentes.

 

Je comprends mieux la raison de l'atterrissage parmi nous de l'honorable essayiste et romancier, mais aussi son agacement, et son courroux. Vraiment, ces petits sites merdiques de Haut & Fort sont trop bien référencés...!

 

Autre chose, maintenant : je constate que les personnes dont je cite les oeuvres dans mes carnets ne laissent jamais de commentaires, à l'exception des très rares auteurs que j'égratigne. Face à ce constat, que dois-je penser ? Est-ce que seuls les auteurs que j'égratigne (et qui sont pourtant une minorité) cherchent des renseignements les concernant sur le Web ? Ou est-ce que ceux que je loue tombent aussi, parfois, sur ces pages et craignent de déposer ici leurs remerciements ?

Cela m'intrigue, vraiment...

 

* Oui, pour moi, Google est une dame... Les deux O, peut-être ;) (Vraiment, tu deviens incongru !)

15:50 Publié dans Narines enfarinées | Lien permanent | Commentaires (1)

Fini (midi pile)

    Après une discussion, fort technique, avec l'assistante de la directrice éditoriale, et quelques toilettages des fichiers, j'ai envoyé, à midi pile, le texte intégral de ma traduction, avec une proposition de quatrième de couverture et un exposé de certains choix. Bien entendu, il faut attendre les retours des relecteurs, l'approbation de la traduction (we'll keep our fingers crossed), la mise en pages, la relecture des épreuves, etc. De toute manière, j'ai appris que la publication n'était guère envisageable avant la mi-2008. (Aux dernières nouvelles, c'était le printemps 2007 !)

Enfin, on ne va pas se laisser abattre pour si peu, et on va quand même respirer un grand coup et trinquer !

12:08 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (0)

Approches de l'adversité en milieu universitaire

    La réunion commença, dans la petite salle à l'atmosphère viciée. La responsable de formation était assise face à moi. C'est une dame que je connais un peu, que j'aime bien, a priori. Je remarquai qu'elle avait les ongles des orteils peints de cinq couleurs différentes (rose, bleu, orange, vert, marron au pied droit, et bleu, marron, rose, vert, orange au pied gauche), dans des sandales de type oriental.

Au cours de son speech (car ce n'était ni un topo, ni un laïus, ni une prise de parole), qui a duré moins de cinq minutes, elle a notamment prononcé les phrases suivantes (liste non exhaustive) :

Les étudiants s'interrogent sur pourquoi ils sont là. (Et moi donc...)

Il faut donc des personnes référents, comme quelqu'un qui seront là... (Intéressant.)

Nous mettons cela en place afin qu'ils puissent faire le point sur où ils en sont de leur réflexion. (De la syntaxe, pas d'ombre.)

 

Une jeune collègue qui a un certain poids, apparemment, dans cette formation de didactique, prend à son tour la parole, et nous explique comment faire pour que les étudiants "inter-agissent entre eux" et pour que, par la suite, nous puissions "inter-agir avec eux".

Eh bien...

08:30 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Ligérienne

Lignes courbes

    Décidément, il sera dit que je n’écrirai pas. Mais non !

Après une nuit tourmentée, car mon fils s’est réveillé deux fois – il a le sommeil agité depuis quelques semaines, ce qui n’est pas dans ses habitudes –, je finis par me lever et par me rendre au bureau, allumer l’ordinateur de ma compagne, dont je m’aperçois qu’il refuse obstinément de se connecter au réseau : il faudrait vérifier la ‘Livebox’, mais elle est au rez-de-chaussée et, si je descends l’escalier, les craquements infernaux du bois vont suffire à écourter la nuit de sommeil des autres de la demi-heure qui leur reste.

Que se passe-t-il donc ? Hier soir, nous nous sommes aperçus que la ligne téléphonique qui est reliée à l’ADSL était en dérangement : j’avais essayé d’appeler mes parents autour d’une heure de l’après-midi, mais en vain car toujours cela sonnait occupé. En essayant d’utiliser le téléphone le soir, je me suis rendu compte que c’était notre ligne qui ne fonctionnait pas. Il était trop tard pour essayer de dénicher le numéro des services techniques, ou l’adresse du site Web. Tout cela, j’en ai conscience, n’est pas très intéressant, mais ces carnets portent nécessairement la trace de petits désagréments quotidiens. C’est dommage, bien sûr, en un sens, puisque je n’ai pas avec moi les notes griffonnées à la va-vite sur des feuilles volantes. J’avais notamment l’intention de consacrer un texte au petit livre de David Bessis, Ars grammatica, de dire quelques mots du dernier Chevillard, Démolir Nisard, dont j’ai achevé la lecture hier soir, tandis que traîne sur ma table de nuit The Captain & the Enemy de Graham Greene.
Tout à l’heure, avant de m’asseoir et de constater l’absence de réseau, j’ai ouvert les volets métalliques et ouvert les fenêtres, afin de faire entrer un peu d’air frais, qui n’a pas manqué cette nuit (nu sous le seul drap, au petit matin j’eus presque froid). Le murmure lointain de la voie rapide me parvient, troublé de temps à autre par l’accélération d’une moto, saloperie d’engin. Il a pu m’arriver d’envisager de consacrer, dans ces carnets, un billet à chacune des pièces de la maison, en essayant de décrire certains traits saillants, mais la force m’a manqué jusqu’ici ! Si cela ne me passionne même pas, moi… !


Le chauffagiste, avant-hier : Qu’est-ce que vous avez comme livres, dites donc ! (Il n’a vu que les rayonnages de la buanderie et du salon, soit moins du quart de notre bibliothèque.) Il me demande si je suis écrivain. Naturellement, je réponds non. Quand je lui dis qu’il n’en a pas vu le quart, il me dit, même pas sous forme de question : Mais vous ne les avez pas tous lus… Ah, ça ne m’était jamais arrivé. Que répond Renaud Camus, dans ces cas-là ? Quelque chose comme : « ce sont des faux livres, en fait ».

07:45 Publié dans MAS | Lien permanent | Commentaires (7)

jeudi, 07 septembre 2006

Sotanaht

    Au vieux troquet où je ne vais

Jamais sans me prendre une cuite,

On sert de la soupe aux navets

Avec un excellent civet :

Pas une goutte d'eau bénite !

 

Au vieux troquet où, quand je dors,

Dansent les lunes de mon rêve,

On sert de la quiche aux remords

Avec de la liqueur de sève :

Sait-on jamais ce qui nous crève ?

 

15:21 Publié dans Odelettes d'été | Lien permanent | Commentaires (0)

Me taraude

    Rétorquer du tac au tac. Répliquer du tac au tac. Les avions passent. L'enfer des avions passe. Rétorquer du tac au tac. Répliquer du tac au tac. Bientôt peut-être les mitraillettes. Rétorquer du tac au tac. Répliquer du tac au tac. Maudit soit l'aéroport militaire.

12:44 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (0)