mardi, 24 octobre 2006
D'un ton patelin
Sonna l’heure du cinquième café, aussi d’arrêter de se crêper le Chinon. Endormie, appuyée nonchalamment sur la paume de sa main droite, elle eut un léger geste d’humeur – ou d’ennui – qu’aucun des convives ne put interpréter comme tel, si elle semblait dormir. Il régnait, sur la ville et ses pierres grises, un soleil brûlant d’octobre. Avant de se quitter, ils échangèrent encore quelques propos conventionnels – sur la tournure des événements ou le tanin de ce pichet – et, tandis que lui allait essayer de démêler quelques épais mystères prosodiques, à la demande (inopinée, inattendue) de trois jeunes filles studieuses, ses convives partaient bambocher de plus belle, au ciel navré des tapis rouges.
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samedi, 09 septembre 2006
Éric :: Chevillard : Démolir :: Nisard
Chevillard, rassure-toi, je ne vais pas te démolir. Lorsque j’ai lu ton roman précédent, Oreille rouge, j’avais été atterré, tant il était raté, mais j’avais observé un silence hébété. Si l’on ne tient pas compte de tes deux premiers romans, que j’ai offerts il y a deux ou trois ans à ma Métilde et que je n’ai pas lus, et à l’exception aussi de ton Thomas Pilaster, j’ai lu tout ce que tu as écrit. Ce n’est pas assez, diras-tu, et, si je t’avoue avoir découvert ton œuvre avec Palafox, encore boutonneux, quinze ans à peine, tu t’offusqueras certainement que j’aie pu laisser sur le bord du chemin certaines de tes pages. Je te prierai de te tenir tranquille et de me laisser écrire : tu n’es pas chez toi ici, et tu as assez d’espace chez Minuit sans venir envahir mon pauvre site. (Cela dit, tu as le droit de me démolir dans la rubrique commentaires prévue à cet effet.)
Chevillard, j’espère que tu apprécies à sa juste absurdité ma façon de m’adresser à toi par le patronyme, comme autrefois les francs camarades dans les lycées de garçons, ce qui est déplacé, puisque tu es né en Vendée en 1964 et que je suis de dix ans ton cadet, un peu normand sur les bords pour tout gâcher.
Chevillard, abordant ton dernier roman Démolir Nisard, qui est sur toutes les lèvres, ou, dans tous les cas, très en vue dans la presse littéraire, j’étais inquiet, un peu comme un amant éconduit après des années de stupre et de passion, et qui, invité au thé par sa maîtresse (je te prie de me pardonner mais je suis un hétérosexuel invétéré et je suis obligé, pour la forme, de t’affubler de bouclettes, d’appâts féminins et même d’une courte robe rouge (et rase-toi les jambes, s’il te plaît !)), se demande si les secrets d’alcôve vont reprendre du galon.
J’étais inquiet, donc, Chevillard, et me demandais si Oreille rouge était une parenthèse malheureuse, un flagrant manque d’inspiration (et aussi, à la rigueur, te l’avouerai-je, un léger manque de sens critique pour l’avoir quand même soumis à ton éditeur), ou si la mauvaise passe allait continuer. (Ne vois pas dans ce substantif passe une quelconque allusion méchante à la fois où tu me fis payer fort cher une de nos nuits d’amour. C’est oublié, je te l’assure.)
Eh bien, Chevillard, le thé était succulent. Pendant une cinquantaine de pages, nous avons ressenti le même malaise, car, ta timidité reprenant sans cesse le dessus, tu manquais d’assurance, tu cherchais tes mots et tu semblais vouloir retomber dans ce même travers qui m’avait rendu si douloureuse, au moment de notre petite fâcherie, la rougeur de tes esgourdes. Or, après cette première partie où ta légère tendance à rabâcher sans avancer se pose là (litanie des fausses dépêches et vrais supplices), Démolir Nisard est presque parfait. Comme le combattant, tu arbores tes superbes plumes printanières pile au bon moment. Puis c’est un juste rebond grâce au glyptodon de Dijon. L’épisode à la bibliothèque de Pales (paludes ? supplice du pal ? désir soudain de ventiler le récit ?) est savoureux, comme un Époisses porte-bonheur, juste avant ce bouquet final, cette farandole de fruits que te permettent les retrouvailles avec Le Convoi de la laitière. Miraculeuse, la dernière page n’est pas une pirouette : tout y préparait sans que j’eusse vu venir le coup, et tu as le goût exquis de ne pas tirer sur la corde, ni d’appuyer trop sur la lame.
Rabibochons-nous, Chevillard !
Maquillons-nous au plafond, avec la poudre d’escampette du capitaine Cook, lacérons-nous avec les piquants du hérisson, chaussons les bottes de sept lieues du vaillant petit tailleur, ouvrons les grottes avec notre lourde clef, peignons le girafon de couleurs Chaissac, vidons le tourteau et ramassons enfin les taupes dans le jardin de Samuel Beckett !
J’aime le malaise dodu qui naît en lisant, au fiel de la plume, cette haine si vraisemblable, les revirements qui font basculer l’aversion poudrée du matamore dans la tragédie.
Chevillard, rabibochons-nous !
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vendredi, 08 septembre 2006
Fini (midi pile)
Après une discussion, fort technique, avec l'assistante de la directrice éditoriale, et quelques toilettages des fichiers, j'ai envoyé, à midi pile, le texte intégral de ma traduction, avec une proposition de quatrième de couverture et un exposé de certains choix. Bien entendu, il faut attendre les retours des relecteurs, l'approbation de la traduction (we'll keep our fingers crossed), la mise en pages, la relecture des épreuves, etc. De toute manière, j'ai appris que la publication n'était guère envisageable avant la mi-2008. (Aux dernières nouvelles, c'était le printemps 2007 !)
Enfin, on ne va pas se laisser abattre pour si peu, et on va quand même respirer un grand coup et trinquer !
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mercredi, 06 septembre 2006
31.
Le soleil brûlant suffit à déclouer mon cercueil. Morbid kid.
Laurent m’a tenu la jambe pour me parler des Bienveillantes, un roman qu’il trouve médiocres et même douteux, en me soufflant la fumée de sa clope au bec. À l’aller, dans le bus 11, il y avait une jeune fille blonde vêtue d’une robe rose très courte, sac à main rose et tongs assortis, que j’ai d’ailleurs revue une heure plus tard place de Châteauneuf, accompagnée d’un brun mal rasé et portant beau.
Cette propriété, pourtant, est plus délabrée, paraît plus petite que celle appelée Les Petits Ciseaux – son bois fané.
Au retour, dans le bus 8, je lisais Ars grammatica.
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mardi, 05 septembre 2006
Point après chapitre 31
Oui, ce roman a trente et un chapitres – nombre qui me poursuit – et un Épilogue, que je traduirai ce soir, demain et/ou jeudi. Il me reste encore à traduire les épigraphes, la “Note de l’Auteur” (ce qui ne sera pas compliqué), et quelques réglages, dont une harmonisation nécessaire entre ma traduction du chapitre 1 et le texte de l’édition américaine (différent de celui de l’édition sud-africaine sur laquelle je travaillais en 2003, lors du premier contrat – avorté – de traduction). Le texte de la traduction devrait parvenir à l’éditeur en fin de semaine, et on sablera le Vouvray* !
Ce qui s’est passé, outre un hiver et un début de printemps (grèves et complications à l’université) qui ne m’ont pas laissé les plages de temps nécessaires (et qui, à dire vrai, ne m’ont rien laissé du tout, si ce n’est, pour mon temps libre, l’écriture de ces carnets), c’est que cette traduction, ébauchée il y a trois ans et reprise pour le compte d’un nouvel éditeur, a pâti de mes propres incohérences, de mes doutes, diverses avanies avec lesquelles il faudra bien que je continue de composer. Autrement dit : j’ai manqué de discipline, et, pour Knots (qui doit paraître en février prochain aux États-Unis, mais dont je devrais avoir le texte avant), je traduirai un chapitre par jour, en établissant un plan de travail serré, en ayant lu l’œuvre deux fois de manière rapprochée juste avant (au lieu des trois lectures espacées de Links (janvier et septembre 2003, décembre 2005) avant de me mettre au gros du boulot début mai 2006). Malgré tout, et malgré les innombrables frustrations qui naissent toujours des choix que l’on fait dans ces circonstances, je pense pouvoir assumer sans trop de honte cette traduction !
Je parlais hier (dans une note publiée aujourd’hui) de mon désir de tenir un carnet lors de ma prochaine expérience de traduction : ce sera dans un blog à part, mais nous n’en sommes pas là !
Sinon, le chapitre 31 est très beau. Mais si je commence…
* Ce d’autant plus volontiers que je n’ai pas avalé une goutte d’alcool depuis quinze jours…
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samedi, 02 septembre 2006
Jardins de Valmer, 1 (version 563/690)
Dans les jardins de Valmer – plutôt que de me transformer en l’un de ces insectes de ferraille – mante religieuse ou scarabée cherchant son samsara – ou en l’une de ces cigognes du grand carré potager – j’imagine qu’il faudrait tourner ici une nouvelle version – des Liaisons dangereuses – avec Jean-François Balmer dans le rôle de Valmont – et Rufus interprétant la marquise – sans pousser le bouchon, mais à condition de lui faire jouer toutes ses scènes près de la Charente, à Verteuil – surtout que – Cécile ne nous en tienne pas rigueur – il y a – non loin de Chançay, où défile la « pergola des cucurbitacées » – le château de Jallanges (vol plané) – où les cigognes pleurent Pascal.
20:30 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Ligérienne
jeudi, 31 août 2006
Petits crimes, Christin
Trébucher à Trébizonde. Trépasser à Trébeurden. J'ai mangé mon pain blanc, rien d'avance à une heure de septembre, et les ratures qui n'ont de cesse.
L'éléphanteau, à la naissance, pèse deux cents kilos. (Et le girafon, soixante-dix tout de même.) On s'instruit en lisant un fascicule des Animaux du Bois de Quatre Sous à haute voix chaque soir. Sinon, je peux dire que j'ai perdu trois heures, entre hier soir et cet après-midi, à lire le roman universitaire policier de Pierre Christin, Petits crimes contre les humanités. L'idée n'est pas mauvaise, mais mon ennui face au genre policier (même (surtout?) parodique) s'est allié au peu de goût que j'ai pour les campus novels et m'a fait trouver bien fade, terne, resucée, cette pochade bâclée, pataudement khâgneuse.
Il y a quelques scènes assez bien vues, très justes dans l'observation du monde universitaire, des caricatures outrancières et délibérées mais aussi des euphémismes massifs. Surtout, on sent bien que tout cela reste documenté de loin, car les inexactitudes, voire les erreurs grossières, abondent. Or, si le mécanisme d'un texte de fiction repose principalement sur une situation sociale réelle qu'il parodie ou brocarde, il me semble qu'un réalisme minutieux s'impose. Ici, rien de tel, car ce ne sont plus des hyperboles ni des approximations, mais bien de nombreuses erreurs : fonctionnement des jurys d'agrégation, incohérence totale du système des hiérarchies universitaires, références simultanées au fonctionnement actuel du doctorat et aux thèses des années 1960. Bref, si c'est lu par des gens du sérail, certaines scènes fort justes (siglite, comm' de spé, les rivalités entre trotzkystes rivaux, le matériel et les locaux délabrés) font sourire, mais les autres, tout simplement fausses, tombent à plat. La scène du train est, en ce sens, ridicule et, en aucune façon sauvable.
Ne disons rien du style, inexistant, et dont l'inexistence fait capoter la plupart des bons mots ou astuces. Ne disons rien de l'intrigue amoureuse, téléphonée et tarabiscotée. Ne disons rien de l'intrigue policière, grosse comme un hangar de Port-Aviation. Ce qui m'a surtout gêné, en fin de compte, c'est le côté bâclé. On sent que ce roman n'a pas été relu, ni par son auteur, trop content d'en avoir fini (tant les derniers chapitres sentent la fatigue (ou l'écurie)), ni par qui que ce soit de la maison d'édition : ainsi, un personnage secondaire, Florine, devient Francine à quatre pages de la fin, et il semble bien que je sois le seul à avoir été assez masochiste pour aller jusque là !
Un autre tout petit détail : dans un post-scriptum, l'auteur nous apprend, au détour d'une parenthèse et l'air de ne pas y toucher, genre je crache dans la soupe mais je peux me le permettre, qu'il est titulaire d'un doctorat de littérature comparée et qu'il a deux fils normaliens. Ben voyons...
Voilà... Comme je n'ai pas mes notes manuscrites avec moi, je n'ai toujours rien écrit sur certains très beaux textes lus cet été, et je gâche du temps, de l'encre, pour cette petite chose de rien du tout. Tout moi, ça. À l'orée de ce qui me semble bien être une nuit d'insomnie, j'ai posé Tokyo infra-ordinaire, pour écrire ces paragraphes. Pour quoi ? Pour me rappeler ce qui m'avait atterré dans ce roman ? Le fait est que, sans l'écriture, je risquerais de n'en avoir rien retenu d'ici quelques semaines...
Mais serait-ce dommage ?
23:30 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 05 juillet 2006
Au gui bleu l'an neuf
J'ai fini par me rabattre, faute d'autre choix, sur le Guide bleu du Limousin, alors que la collection s'est sérieusement détériorée, notamment dans sa présentation. Tout a été fait pour que ces guides ne se distinguent plus en rien - par la maquette, les polices de caractères, les choix de photographies, la structure même - des autres "produits" sur le marché. On a peut-être encore envie de s'y plonger, d'y chercher des renseignements, mais, pour ma part, je sais que je n'aurai plus envie de m'y perdre. C'est bien triste. Pourquoi la forme des guides touristiques change-t-elle plus vite, hélas, que les yeux des mortels ?
(Il faut enfin ajouter six mots.)
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lundi, 03 juillet 2006
Nathalie : Quintane : Cavale
2 juillet, onze heures du soir
Je n’aurais pas dû boire ce café, chez les W.
Longtemps avant de commencer à écrire ce texte, j’avais décidé que la première phrase serait : « Je n’aurais pas dû boire ce café, chez les W. » (Longtemps, c’est-à-dire une heure avant, tandis que ce texte mûrissait en moi. (La meilleure métaphore est-elle mûrir, germer ou un autre verbe ? La meilleure métaphore ne serait-elle pas tout autre verbe qui éviterait de tels clichés ?))
Tandis que je lisais la deuxième partie du dernier roman paru de Nathalie Quintane, Cavale, j’étais attentif au texte et je pensais aussi à des centaines d’autres choses. (Je ne pense pas que cela ait été vraiment fait, en littérature : noter avec autant de minutie que possible, selon le souvenir d’un passé proche, tout ce à quoi pense un lecteur pendant sa lecture. C’est une autre affaire, mais n’excluons pas d’y revenir.)
Je pensais notamment à la sueur de ma peau contre le drap de dessous, ou contre la chaise en plastique rouge – puisque je me suis déplacé dans la bibliothèque pour lire –, à la douche froide que je ne manquerai pas de prendre avant de me coucher pour de bon, au discours qu’Arbor nous avait tenus, il y a un an environ, à propos de son choix de ne plus manger de poissons, aux autres livres de Nathalie Quintane, à celui (son premier, Chaussure, lu à l’époque où j’étais littérairement obsédé par les chaussures) qui m’a fait découvrir cet écrivain inégal (inégal est l’anagramme de génial (je lis aussi l’essai de Pierre Bayard sur les œuvres ratées, please bear with me)), je pensais à bien d’autres choses que Nathalie Quintane ou ses livres, comme Thomas Bernhard, qu’elle pastiche brièvement, Glenn Gould, les notices encyclopédiques des Animaux du Bois de 4 Sous (en particulier celles du gloméris ou du crotale céraste), le mot pêche ou le mot fenêtre, les mots mensonge, démenti, dimenticar, mais aussi la polysémie de ce beau mot de cavale, que je n’ai pas essayé de rappeler mes parents, que l’île près du poney-club de Hagetmau est bien jolie, etc.
Je sais que je ne vais pas parler de Cavale. D’ailleurs, je ne l’ai lu qu’à moitié. Mon drame, ici : quand je n’ai pas fini de lire un livre, je meurs d’envie d’écrire de longs paragraphes dans ce blog, puis je suis pris, une fois le livre achevé, d’une plus grande inspiration à la lecture du suivant. Une sorte de donjuanisme de l’érotique littéraire, qui se mue, paradoxalement, en impuissance critique. Un peu de Viagra, et ça repart ? Je ne sais pas… Filons la métaphore (celle-ci, oui) et craignons que cette note ne soit un signe d’éjaculation précoce. (En tout cas, c’est peine à jouir. Nouveau paradoxe.)
Je sais que je ne vais pas parler de Cavale. (Tiens, je ne savais pas, avant d’écrire cette texte, que je céderais au charme facile de l’anaphore paragraphique, ni qu’une autre phrase que l’initiale, et aussi commençant par je, y serait répétée) mais je sais d’ores et déjà que ce roman est bien meilleur que les précédents de Nathalie Quintane, avec ses 21 débuts, son jeu trouble sur l’identité du narrateur et de son crime, la réflexion (jamais théorique) sur les codes culturels, ses personnages fuyants, plusieurs de ses audaces stylistiques, parfois pataudes ou malvenues mais toujours signifiantes.
Il y a une demi-heure, peut-être, parmi les nombreuses choses auxquelles je pensais en lisant Cavale, il y avait cette anecdote, dont je ne sais où je l’ai lue ou entendue mais qui m’a marquée car j’y repense souvent : P.O.L. ne demande jamais à « ses » auteurs de réécrire et il accepte qu’ils changent de registre ou de style ; selon cette anecdote, il déciderait, d’emblée, de faire signer un auteur chez lui, indépendamment du type d’ouvrages qui seront écrits. L’exemple de Renaud Camus doit inciter à réviser ce récit, sans doute partiel ou exagéré, puisque Renaud Camus a souvent dû retirer des paragraphes ou des passages à la demande de son éditeur (voir édition de P.A. (Petite Annonce) en livre, par exemple), mais il n’en demeure pas moins que, quel que soit son degré de véracité, cette anecdote revient me hanter régulièrement, pour ce qu’elle implique pour la notion de ratage. Que Pierre Bayard soit un des rares à essayer de la théoriser, cette notion, voilà qui est choquant, car je ne connais pas un seul écrivain dont telle ou telle œuvre n’est pas considérée comme mineure ou ratée ; cela est d’ailleurs formulé tel quel dans les conversations informelles qui ont lieu entre « spécialistes » dans les colloques. Curieux, non ? Je songe à Un rêve utile de Tierno Monénembo, dénigré par l’auteur lui-même a posteriori, c’est-à-dire sous l’influence de ses amis, des critiques, de la presse, etc. ; or, c’est un livre que j’aime beaucoup.
Dans cette perspective, l’anecdote (apocryphe, alors ?) relative à P.O.L. donne l’image d’un éditeur soucieux de donner aux auteurs qu’il publie la certitude que l’ensemble de leur œuvre sera un tout impur constitué de parties inégales, de moments creux, de ratages. À creuser, décidément. (Comme Cavale, dont je n’ai pas dit trois mots.)
Ajout : Vrai Procuste, je me dois d’ajouter pas moins de trente-trois mots à cette note écrite hier soir, yeux brûlés et cerveau en charpie, afin de publier ce billet dans la rubrique YYY.
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vendredi, 23 juin 2006
Quintette pour cor, violon, alti et violoncelle KV 407
22 juin, le matin.
C’est un peu ridicule d’égrener quelques notes au sujet de pièces de Mozart, surtout en cette année où nous avons les oreilles rebattues de Wolfgang Amadeus, mais, ayant reçu, en présent, l’intégrale Brillant – qui est meilleure encore qu’elle n’est dénigrée –, je multiplie, ces jours-ci, les découvertes, dont ce superbe quintette, ici interprété par le Quatuor Brandis et Gerd Seifert au cor. J’admire, je suis tout ébaubi, étourdi, trouve cela inouï, puis me mets à rêver d’une version plus baroque, avec une sonorité moins lustrale pour le cor.
Il n’est interdit à personne de jouer, de temps à autre – voire tout le temps – les Bouvard et Pécuchet. C’est hommage à Flaubert…
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mardi, 06 juin 2006
Embarquement
Il y a un an, très précisément, j’écrivais et publiais la première note de mon premier carnétoile, signant ainsi mon entrée dans la blogosphère. Cette note s’intitulait « Débarquement ».
Quelque 1 700 notes (ou 1 095 tiers de journées) plus tard, je me retourne avec surprise sur cette année, ni civile ni religieuse, ni rien de dicible, d’ailleurs. Une année d’écriture… une année en écriture ?
Il se trouve des jardins fleuris de cerises, des rires poussant en cascade, des fleurs en pagaille creusant leurs pétales – mais ne me demandez pas de chanter vos louanges, merles ou mésanges pris dans les feuillages.
Une année en écriture creuse la terre, et ce songe d’équipages est indolore.
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mercredi, 31 mai 2006
Un : scorpion :: en ::: février
De ces dix-neuf brèves nouvelles, dont il est question d’écrire bientôt des accourcis, j’ai lu hier soir les cinq premières, et ce matin dans la cour donnant sur la rue – pendant que mon fils nettoyait la cage du varan et arrachait des adventices pour nourrir icelui – les six suivantes. La nouvelle mexicaine est-il un genre à part entière, qui recoupe l’extrême brièveté, l’ellipse fulgurante et un imaginaire corrosif ou sordide, qui mêle ironie et cruauté ? Peut-être pas, car cette écriture me rappelle quelques nouvelles de Manuel Vazquez Montalban lues en 1990 (j’avais trouvé l’exemplaire relié des deuxièmes épreuves non corrigées dans une poubelle, à Dax). Donc, mexicain, bon, plus ou moins.
Guillermo Fadanelli. Un scorpion en février. Traduction par Nelly Lhermillier.
Paris : Christian Bourgois, 2006, 140 pp., 15 €.
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mardi, 23 mai 2006
Avant
Encore le palais tapissé du café très fort bu à sept heures, il décide de passer outre cette sensation de lourd velours et de se préparer une pleine théière de thé vert, moins excitant mais plein de saloperies. Sinon, jamais il ne s'y mettra. Il doit couper court à la cascade de sons qui, le parcourant, demandent à lui sortir par les doigts, les dents, les orteils. Comme s'effondre son monde, encore le soleil perdu dans les nuées, il coupe le gaz sous la bouilloire qui siffle d'albionesque façon. Il lui reste à accomplir des efforts titanesques pour se remettre de cette bouffée charnue qui s'était emparée de son corps, avant.
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mardi, 02 mai 2006
Hédonisme dissonant ?
Il y avait tout à l’heure, sur France Info, un entretien avec une dame dont je n’ai retenu, occupé que j’étais à une manœuvre délicate, ni le nom ni la fonction, et qui parlait, au sujet de la mode des objets miniatures, du zapping généralisé et du « tout petit », d’une forme d’hédonisme dissonant. Comme je crois savoir assez bien ce que sont l’hédonisme et la dissonance, je ne m’explique guère cette formule. Toutefois, ce qu’elle disait était très intéressant, car elle estimait que cette tendance très contemporaine révélait un profond mal-être, dans la mesure où l’on préférait les morceaux choisis aux œuvres complètes (à en croire son vocabulaire, elle devait songer à l’opéra ou à la musique classique), le snacking aux vrais bons repas, et, généralement, le saupoudrage à l’approfondissement.
Je ne peux qu’opiner. Cette tendance est très nettement perceptible en art et en littérature, dans la mesure où de nombreux lecteurs préfèrent les « vies minuscules » et autres « gorgées de bière » (suivez mon regard) à des ouvrages plus exigeants. Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mon propos : il y a des textes brefs ou aphoristiques qui sont de pures merveilles, et des pavés (assez nombreux) qui sont de fades soupes populaires. Toutefois, on ne sort pas indemne des Démons de Dostoïevski, d’un roman de Dickens ou de la fréquentation assidue de Proust, de Tristram Shandy, ou encore de l’Exhortation aux crocodiles. J’ai plus souvent la mémoire courte pour les récits brefs, les proses distillées par les experts de l’écriture blanche et de l’ellipse à répétition (si j’ose dire). Un bon exemple de cela est une toute petite chose sans corps et sans vie, minimaliste et fade, qu’un ami libraire avait voulu me faire passer pour un chef d’œuvre de toute beauté : Elisa d’un certain Jacques Chauviré. Mon admiration pour des écrivains contemporains tels que Renaud Camus ou Breyten Breytenbach vient du fait qu’ils n’hésitent pas à en faire trop, et c’est toujours dans l’excès qu’ils se révèlent sublimes.
Mon père est d’avis qu’un écrivain doit se donner la peine d’être concis, ce qui est une opinion que je ne partage pas du tout. La littérature n’est pas le journalisme, et la vie ne sera jamais si courte qu’il ne faille pas se délecter des vers monumentaux de la Divine Comédie. D’ailleurs, cela fait trente ans que mon père n’a pas ouvert un livre qui soit de la littérature : CQFD ou QED, en quelque sorte. (Je précise ici que ce désaccord avec mon père porte sur la littérature, point barre, et qu’on peut fort bien aimer en ne partageant pas les goûts).
Ah ! affreusement infusée, ma tisane d’oranger est excellente !
15:45 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (1)
Aide-mémoire
8 h 35.
Tout juste rentré de l'école maternelle, au lieu de m'affairer aux diverses bricoles qui m'attendent aujourd'hui, je fonce sur ce carnet pour y parler de ces bricoles. Grand fou, va. Je dois passer à la Poste, à la banque, au pressing, à la gare (pour réserver des billets pour Paris en vue de la journée d'études du 19 mai à l'E.H.E.S.S.), chez le boucher, au supermarché, essayer encore d'appeler Alexis, vider le carton de verre à recycler, faire tirer les photographies de vacances, prendre rendez-vous pour le contrôle technique de nos deux véhicules, rendre les livres à la bibliothèque universitaire, mais aussi documents sonores et imprimés à la médiathèque de la Riche, acheter des enveloppes matelassées, sans parler, évidemment, d'un passage obligé par l'université, afin de voir si la situation se débloque. Hier soir, couché tard, je me disais que j'ai beaucoup progressé, en cinq et même en trois ans, dans mon travail de traducteur, à moins que le roman ne soit plus facile (mais je ne le pense pas). Jardin des délices / Tourne comme une hélice. Je dois réserver une chambre d'hôtel en Vendée, à Noirmoutier, et, parmi les billets qu'il me faut écrire, rendre hommage à Wittgenstein's Mistress, à Marcel Jouhandeau, à Yémy (depuis le temps...), transposer ma recension de Dynamo en anglais. Où l'a-t-on rangé ?
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vendredi, 28 avril 2006
Charybde et Scylla
Jeudi dernier – plutôt jeudi de la semaine dernière (c’est aujourd’hui vendredi) – je me faisais la réflexion suivante, en lisant le cahier « Livres » de Libération : ces quelques pages, si dénuées de style soient-elles, si branché que ce quotidien s’efforce d’être, m’ont plus souvent donné le goût de découvrir de nouveaux auteurs que le Monde des livres, qui sombre dans la fadeur, la poussière et le copinage. Ce matin, me voilà détrompé, comme je lis le Libé d’hier, dont il restait un exemplaire chez Laffitte, et le Monde daté d’aujourd’hui : les douze pages du Monde des livres regorgent d’articles passionnants (quoique fort mal écrits), alors que j’ai survolé Libé en cinq minutes…
15:19 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (0)
Mal hêtre
Hagetmau. Dans l’écuelle près de la bouilloire, vingt radis (dans mon ennui de fou, je viens de les compter) se morfondent. Dans la maison de mes parents, à Cagnotte, dans ma chambre, devenue maintenant la chambre de mon fils, dans la bibliothèque où se trouvent ceux de mes livres restés là-bas, en souffrance, abandonnés, orphelins peut-être, mes yeux sont tombés sur l’exemplaire de Malevil, roman de Robert Merle lu vers mes treize ou quatorze ans (après ou avant d’avoir vu le film ?) et que j’avais beaucoup aimé, sans comprendre son titre, en quelque sorte bilingue. Nous n’avons pas vu de dauphins, avant-hier, à Ibirratz, mais je sais que j’ai lu Un animal doué de raison à douze ans, car notre professeur de quatrième, Mme Scotto (je revois la salle de classe, et l’endroit précis d’une des allées où elle se tenait au moment de poser la question), qui voulait nous faire dire le nom de Céline, en nous suggérant un écrivain qui s’était livré à des triturations inédites de la syntaxe française et de la forme des paragraphes, n’avait pu me tirer que ce seul nom de Robert Merle, à son dépit évident. Si demain le monde finissait, s’il n’y avait qu’un nombre infime de survivants, et si j’en étais, si je me retrouvais dans l’une de ces maisons de mon enfance où je reviens parfois, je n’aurais d’autre choix que de retrouver ces ouvrages ou ces textes oubliés, voués à la poussière, comme le guide des reptiles et amphibies que j’ai déniché tout à l’heure, à la demande de mon fils, sur les rayonnages, à Hagetmau, ou ce Folio de Malevil, dont je parle inlassablement mais sans savoir pourquoi, vraiment, à moins d’ajouter que, lors de ma première année à Normale Sup’, quand l’époque où j’aimais beaucoup Robert Merle me semblait révolue et même (sottise de jeunesse) appartenir à une époque indigne, enfantine ou infantile, de mon existence, je fus très étonné, lors d’une conversation avec un ami, de l’entendre louer Malevil, lui qui me paraissait le summum de l’exigence littéraire, et bien sûr Malevil reprit du galon dans mes pensées, oui, alors que j’aurais pu douter de mon ami, c’est lui qui au contraire redora le blason de mon bon vieux Robert Merle, quoique je n’aie toujours pas relu Malevil, onze ans après. Et c’est à Hagetmau que j’égrène ces mots, dans la maison du quartier Terminus, de nom fatal, à Hagetmau, nom qui en gascon signifie « la mauvaise hêtraie », que j’aligne ces phrases. Ce nom, avec son mau, n’a pas empêché l’industrie du meuble en bois (chaises rustiques, canapés, tables, fauteuils) de prospérer, ni moi de me perdre en vils fayotages.
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jeudi, 27 avril 2006
XV
Dans l’édition 1983 du grand Robert des noms propres, il y a trois Ferrari : Ludovico, mathématicien italien du XVIème siècle ; Benedetto, compositeur et poète italien du XVIIème, proche de Monteverdi et auteur notamment d’une Andromède ; Luc, compositeur français du XXème, ami de Schaeffer et auteur de musique concrète électronique.
J’ai retrouvé ici, à Hagetmau (j’écris ces lignes le 17 avril, même si elles ne seront publiées que le 27), mon vieil exemplaire de Watt aux éditions de Minuit, et, comme je le feuilletais hier soir, je suis tombé sur une page dont une phrase se terminait par « dans la raie ». Je ne parviens pas à la retrouver. Qui éclairera ma lanterne ?
13:05 Publié dans Comment je n'ai pas célébré le centenaire de S.B., YYY | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 17 avril 2006
Nubian : Indigo
17 avril, 10 h 50.
Hier soir, c’était a fini de lire Nubian Indigo, le dernier roman de Jamal Mahjoub, qui vient de paraître en français. Je suis assez embarrassé, car il va de soi que, comme toujours, j’aimerais lire ce livre en anglais. Or, Jamal a fort gentiment répondu à mon courrier électronique du début de la semaine en précisant que son éditeur anglais était d’une lenteur désespérante (autant dire qu’il entend par là qu’il n’a pas d’aussi âpres défenseurs outre Manche qu’ici en France, qui n’est pourtant pas sa matrie, comme l’Angleterre), mais il a dû mal comprendre ce que je lui écrivais, car il me dit être très heureux que le roman me plaise, alors que j’essayais de faire de la lumière en évoquant combien j’avais hâte de connaître le texte par l’original.
Il ne fallait pas rêver : malgré nos bonnes relations, il ne m’enverra pas un exemplaire du tapuscrit… et c’est parfaitement compréhensible. Malgré tout, je me trouve face à ce dilemme : attendre des mois, peut-être une ou deux années, pour découvrir ce roman en anglais, ou le découvrir dans une version qui me paraîtra nécessairement amoindrie (non que la traduction en soit mauvaise, car je crois, au contraire, Madeleine et Jean Sévry très compétents, mais parce que savoir que j’apprécierais tout autant – et même plus – le texte original me frustre, et me gâche la lecture d’une traduction).
Dans l’intervalle, on peut toujours se perdre dans d’innombrables rêveries, une fois encore, en scrutant la carte de la Brenne, en cherchant les chemins, en admirant le maillage des « mille étangs », en se faufilant par la pensée dans les interstices de telle église romane, à l’orée de telle mince forêt, en fronçant les sourcils comme deux accents circonflexes jumeaux, en furetant dans les dictionnaires, les guides divers, en traquant les moindres recoins des cartes routières, géologiques, hydrologiques, des atlas historiques. On sait aussi que la dernière phrase d’un billet comme celui-ci doit nécessairement compter autant de mots que l’alphabet français compte de lettres (accents non compris).
21:15 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 10 avril 2006
Trois minutes pour un vers
Croisant, au milieu de la rue Ronsard, deux garçons, dont l’un récitait à l’autre le poème qu’il devait savoir, je pense, pour un cours de français ce lundi, j’entendis
Qui m’est une province, et beaucoup davantage.
le huitième vers de « Heureux qui comme Ulysse », le plus célèbre des Regrets de Du Bellay.
Le garçon s’arrêta, car il ne devait pas apprendre les tercets. Je retrouvai aussitôt l’ensemble du sizain anaphorique, à l’exception du troisième vers, qui ne me revint que trois minutes plus tard, presque rentré chez moi :
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine.
Les habitants de Trélazé, doux village angevin connu pour ses ardoises, apprécieront mon amnésie !
09:05 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (5)
vendredi, 07 avril 2006
Tentative d’écriture en simultané d’une première écoute de la Cinquième Symphonie (en ré majeur) de Ralph Vaughan Williams
Ce que j’aime le moins, dans la musique, après n’avoir – en quelque sorte – connu que cela, ce sont les symphonies.
Je découvre la Cinquième de Vaughan Williams, et, après un premier mouvement à l’allegro limite dégoulinant, je suis séduit par le scherzo (Presto misterioso : tout un programme, ou même un oxymore ?) et franchement charmé par la romance, d’influence clairement romantique (comme son nom l’indique) mais douce, ô combien, comme un rêve de berger arcadien. (Je suis encore sous le coup des pages insulaires de Rannoch Moor, je pense.) Le hautbois nasille avec tendresse, et des frondaisons se balancent, bientôt gagnées par l’orage ; on se croit dans les bois.
La passacaille, composée de trilles, de rafales, de grands envols, n’est pas loin de l’emphase du premier mouvement. Mais ce sont aussi d’infimes sautillements, d’infinis regards perdus dans l’horizon. Pour être profondément symphonique, post-romantique, cette musique me plaît, par son unité, ses hésitations et ses retours de flamme. (Ce n’est qu’à première écoute. (Je dois me dépêcher de publier cette note, qui me semblera demain avoir été écrite par un autre. (Et ce sera vrai.)) L’effet en est saisissant.)
Le grondement lointain est toujours maintenu ; jamais la passacaille n’explose en feu furieux, à moins que le finale (j’écris ceci en simultané) ne démente cette assertion. (Pauvre dément ! Closes tes parenthèses.)
Le finale est accompli.
16:02 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : TRES GRANDE MUSIQUE
dimanche, 02 avril 2006
Visions d’avril, 3
Un monde gris, fait des tourbillons de fumée, des volutes de poussière que ne suscite même pas un Dieu vengeur. Voilà ce que je vois.
J’entends les heurts des embrasements, le jeune homme fou se cogne aux encoignures, une musique lente et pénétrante, douce, finit par fendre les tympans de ces ruines aperçues. Longue errance noire au milieu des pas pressés porte aux nues ta déchéance, si la syntaxe encore s’abîme, fruit talé par la grisaille.
Soudain, comme le corpulent barbu te violente au milieu du flux des passants masques de carnaval posés sur de tristes gouttières de poussière, me revient en mémoire cette scène répétitive et sans nulle musique d’un film de Sharunas Bartas.
Le grabat est-il battu par les vents dans la prison de l’âme, ou dicte-t-il ses confessions à de subalternes ombres ? Un manteau trop serré qui pétrit la silhouette défait l’espoir du fou. Le fou a chanté dix-sept fois. Il ne faut pas faire grincer sa plume, même pour la plus grinçante confession. Je me cache le visage avec un journal jauni, comme ça on ne me fera pas passer par le Pont des Soupirs. Notez six objets. On meurt pour moins que ça, dans le bourdonnement des mouches. Les yeux fous n’ont pas de paupières, à n’être glabres qu’au grabat. Ce n’est pas grave (dira-t-on).
Ce l'est.
21:48 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (0)
Poissons d'avril à La Péniche
La Péniche, où se tenait hier et aujourd'hui, dans une atmosphère de patronage bon enfant, l'exposition "Poissons d'avril", n'est pas un lieu très facile à trouver, car le portail se trouve dans un renfoncement de la rue du Docteur Fournier. Toutefois, le dit portail étant surplombé, pour l'occasion, d'un immense espadon rouge, je me dis que je vis en aveugle, d'être ainsi passé devant le lieu sans le voir.
La "Péniche" en question est une sorte de bâtisse rectangulaire en bois, de trente mètres carrés, assez semblable à un préfabriqué d'école primaire. Diverses œuvres piscicoles occupaient la cour et la petite pelouse ; les murs intérieurs de la "péniche" proprement dite étaient ornés de peintures, toiles, mobiles, objets, sans compter un grand carton à dessin avec diverses lithographies, et le petit film de Renaud Lagorce, dont le titre, déjà oublié, consistait en un jeu de mots sur "l'amer" /"l'amer". Le film, qui dure moins de quatre minutes, compte d'ailleurs parmi les réussites de cette mini-manifestation, avec sa mise en scène glaciale, son petit retournement prévisible mais digne dans sa cruauté. Il se trouve que je l'ai regardé en conversant avec l'acteur himself, qui m'a confirmé que la bouillie de poisson rouge qu'il sauçait dans la dernière scène était bel et bien de la soupe de tomates froide. L'acteur, dans le film, n'était pas sans me rappeler certains autoportraits de Man Ray des années 1925-26, alors que l'être en chair et en os debout à mes côtés n'entretenait en rien cette illusion. (Peut-être en raison de l'absence de noir et blanc dans la vie réelle ?)
Il y avait d'autres réussites, mais assez peu, somme toute, l'essentiel se réduisant à de gentils clins d'œil humoristiques, comme les billes qui, accrochées dans un arbre, devaient être scrutées au moyen de loupes sur lesquelles était écrite, au feutre, la formule "Poisson d'avril". Je n'ai pas retenu, ni pu noter, les noms des deux ou trois artistes dont le travail m'a paru plus intéressant, mais il faut dire que rien, là, ne respirait de quelconque prétention. Cela s'entend positivement, en ce sens qu'aucun de ces artistes ne prétend à lui seul réinventer l'art moderne et la philosophie occidentale, à l'inverse des jean-foutre du C.C.C. (voir note d'hier), mais aussi de manière plus dubitative : comment, si l'on ne vise pas plus haut, espérer construire une œuvre vraiment digne de passer à la postérité, ou de susciter l'intérêt par delà sa paroisse ?
Dans la rue du Docteur Fournier, plus loin, il y a un trompe-l'oeil assez réussi, dont je publierai prochainement une photographie, en nouvel hommage au site des Dessins muraux de Tinou. Il sert de décoration murale, mais aussi, en cela, d'enseigne particulière pour l'atelier d'un charpentier (mais je peux avoir mal compris, car je suis vraiment épuisé, ou lent du cerveau, en ce moment).
Nous avons aussi remarqué, à l'orée du domaine privé de la S.N.C.F., un curieux pigeonnier de bois, flambant neuf. D'après mon père, ces pigeonniers sont construits afin d'abriter les pigeons, de les y attirer, puis d'y récolter les œufs afin d'éviter que ne pullulent les bisets. Cela semble d'un machiavélisme bien dérisoire, mais, depuis que l'on a achevé d'exterminer la plupart des rapaces diurnes, en particulier les faucons pèlerins ou les autours, qui sont de grands chasseurs de colombidés, l'équilibre entre proies et prédateurs a été réduit à néant.
De retour à la maison, après un passage par la gare de Saint Pierre des Corps, où nous raccompagnions mes parents (et où leur train était finalement annoncé avec un retard d'une demi-heure), mon fils a aussitôt insisté pour que soit dûment découpé et accroché au mur son poisson bleu de Béatrice Ronfaut. (J'entretiens délibérément l'énigme.)
Entre quatre et cinq, même sans m'envier de thé, profitant du soleil qui donnait sur les cabriolets, quel plaisir j'eus à jouer, pour mon fils, le rôle du pilote d'avion... un pilote d'avion avachi et lisant les journées d'octobre du journal 2003 de Renaud Camus en écoutant l'Alceste de Haendel (une déception).
18:03 Publié dans YYY | Lien permanent | Commentaires (2)
dimanche, 26 mars 2006
Visions de printemps, VIII
Verdure désormais investie par les chasseurs, mais toujours lumineuse. Regret des ailes planes du vautour n'est rien ici. (Reviendra-t-il ? (Le reverra-t-on ?)) Dans la splendeur du conte de verdure, les oliviers comme des éventails prolongent le froncement de l'ombre. Une carriole bourgoise encore clapote. Voici une demeure pas massacrée, que flatte complaisamment (ironie) le regard (ironique) du cinéaste (violons ironiques). Violence onirique.
Puis Jésus et les apôtres échangent
Achtung
ou To be or not to be
avant du latin d'église (car prononcé en son sein).
Elle était vêtue d'une robe de faille couleur puce. La chasuble verte et d'or tourne le dos, dans la vérité moirée de son mensonge murmuré. Puis
la jeune fille de famille, dans son chemisier jaune à carreaux et son pantalon, demande une cigarette au chauffeur qui nettoie les fiacres. Elle grimpe sur le siège du chauffeur et l'agace de la pointe douce du fouet. Comme ça le chatouille à peine, il ne fait pas de foin. Sa casquette impeccable a pris un air soucieux. Il nettoie (ou le dit) les selles. Très jolie (mais sans poitrine, presque, sous son chemisier jaune à carreaux), elle honore le cuir, demande au chauffeur de venir.
Ils s'embrassent (bien sûr).
Au dîner pérore posément le prêtre. Un immense cierge décoiffe le maître de maison (le bourgeois fermier), sans le secours des grands gestes de mains du prêtre, avec ses lunettes d'intellectuel des pays de l'Est. Je ne vois que le col empesé de la domestique.
La mort
la torture
le massacre .........
......... il n'est question que de cela, dans le malaise des mots qui percent et fouaillent. Elle parle, au soleil couchant, dit ne plus pouvoir marcher sur l'air, car la magie s'éteint, aux atrocités bourgeoises. La femme parle, bouc émissaire, mouton noir (pourtant, en français, les expressions ne sont que masculines, suprême ironie (en anglais : scapegoat)). Des pleurs d'enfant dehors, ou hors les murs ? La mer étale, chèvre détale. L'enfant en bas âge est dressé, près de l'arbre colossal en fleurs.
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Visions de printemps III
C'est la douceur de la parfaite jeune fille.
Rendre les habits (sans rancune) au regard mûr de complots. Oui, mais, au brasero du dieu citrouillard le presque plus tellement vrai berger s'humilie, de ne pouvoir faire naître le vin. La fileuse de quenouille menace. Il ne reste qu'à se lover entre les cuisses de la robe bleu ciel de la parfaite jeune fille. Ton monde mûr au marronnier va y perdre sa substance. Mon enfant rousseur, c'est le déclenchement du conte de frais.
Farine & cuves. Grappigrappigrappons le vin. Le balai de sorcière enfourne. Fanfare & cuivres (même pas).
Rapporte-moi une guitare que j'ai laissé choir au fond de la mer.
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