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mardi, 21 mars 2006

Le Lot est tiré

[Lire le chapitre précédent.]

 

medium_hpim1516.jpg    Non, ce n'est pas possible ! On est en juillet. Je n'y crois pas, pense Laurent Laignaux. C'est une farce. Elle est venue, et je n'ai pas donné signe de vie.

Une foule d'hypothèses saugrenues se sont bousculées dans son esprit en lisant la lettre : mentir. Mentir : la lettre n'est jamais arrivée. Mentir : j'allais très mal, et je ne t'ai pas répondu - maintenant, je vais mieux, etc. Mentir...

À quoi bon mentir ?

Au contraire, il va écrire aussitôt la lettre la plus sincère possible. Dire toute la vérité. Repasser les mois écoulés. Raconter les moutons. S'endormir en pleurant, comme naguère.

M. Laignaux, brocanteur par correspondance, hôte de la section locale du P.C.F., sanglote. Pris de court, il ne comprend pas d'où viennent ces verres d'eau salée, de quelle mer ni à quelle sauce les accommoder. Il laisse aller les flots ; à quoi bon retenir ?

Elle vit dans le Lot. Je vais lui écrire.

 

 

[Bonus : la note évanouie.]

15:25 Publié dans Pauvres Pyrénées | Lien permanent | Commentaires (0)

Au Musée d’Ayala

    En rentrant d’accompagner mon fils à l’école maternelle, je songeais à deux choses très précises : la lettre Y ; les mots qui contiennent trois fois la voyelle A, et seulement elle. Quand je me trouvai face à notre maison, je constatai que la porte-fenêtre de la chambre à coucher, qui se trouve à l’étage, au-dessus du garage, était grande ouverte. Je l’avais ouverte pour aérer, avant de descendre préparer le petit déjeuner. Puis ma compagne est partie au lycée, j’ai habillé mon fils, fait la vaisselle – nous avons quitté la maison en devisant du Carnaval (qui a lieu cet après-midi dans son école) et j’ai oublié cette maudite porte-fenêtre, qui est restée ouverte à tous les vents et aux cambrioleurs pendant une bonne demi-heure. Je ne sais si c’est le signe que l’heure n’était pas propice aux larcins, que le quartier est sûr ou bien (hypothèse plus retorse) qu’une maison trop évidemment livrée désarçonne les éventuels cambrioleurs, mais toujours est-il que rien ne semble avoir disparu. Déjà, par le passé, j’ai dû remonter précipitamment à l’étage une fois dehors, afin de refermer cette même porte-fenêtre.

Cet incident m’interrompit dans mes songeries, rêveries autour des mots et des lettres, réflexions aussi autour des noms propres. Faut-il ajouter ici, quoique je n’y songeasse nullement il y a dix minutes en rentrant de l’école maternelle, que j’ai regardé avant-hier le film de Wim Wenders, Die scharlachrote Buchstabe, adaptation du roman de Nathaniel Hawthorne (The Scarlet Letter, bien sûr), dont l’héroïne se nomme, assez curieusement, Prynne avec un Y ? (Elle se prénomme, non moins curieusement, Hester, avec un déplacement du H. (Mais on ne voit pas tout cela à l’écran. On peut connaître les noms pour avoir lu le livre, mais on ne voit dans le film, en fait de lettre, que le A. Pouvoir du cinémA.))

L’incident est clos, je pense. Mais il n’en demeure pas moins qu’il a interrompu le cours de mes pensées, de même que, comme l’écrit si bien Andrés Pasavento, le narrateur du dernier roman paru d’Enryque Vyla-Matas, « il faut se dire qu’une aspirine change une pensée, bien que personne ne sache pourquoi ». Je songeais donc aux mots qui contiennent trois fois la lettre A, et n’ont pas d’autre voyelle. J’y insiste, une fois encore : je ne pensais pas du tout au film de Wenders, ni au roman de Hawthorne. Il s’agissait plutôt d’une rêverie autour du mot Carnaval, puis autour du e muet de mascarade, du jeu de baccarat, des hasards d’un tel jeu, la baraka, etc. Mais cette rêverie était née d’une simple constatation, idiote sans doute : des quatre livres que je suis en train de lire (et dont l’un est interrompu sine die), un seul ne contient pas du tout la lettre Y dans son titre et le nom de l’auteur, d’où ma décision de n’orthographier – le temps de lire Docteur Pasavento ou d’en parler dans ces carnets – le nom de l’écrivain barcelonais que j’admire par-dessus tout Enryque Vyla-Matas, afin de résorber cette fâcheuse dissymétrie. J’ai interrompu il y a deux semaines ma lecture de Mason & Dixon de Thomas Pynchon (dont il est question dans Docteur Pasavento) ; j’ai commencé hier soir la lecture de Suburban Blues, le roman du jeune écrivain franco-camerounais* Yémy ; enfin, j’avais commencé hier matin la lecture de Dynamo de Tariq Goddard. J’ajoute que, pour écrire ce billet, j’écoute les actes IV et V d’Atys, opéra de Lully. Il manquait donc un Y, au bas mot, au glorieux Barcelonais.

[* Ce genre d’adjectif est sujet à caution : on peut se retrouver accusé d’à peu près n’importe quoi, de “cosmopolitisme” par les ultra-nationalistes et de racisme par les anti-racistes. Je précise, comme s’il en était besoin, que j’emploie cet adjectif pour dire, tout bonnement, que Yémy réside en France, a peut-être même la nationalité française (on ne fiche pas encore la carte d’identité des écrivains sur la quatrième de couverture), mais qu’il est, nous dit l’éditeur, né en 1975 à Douala, et que son narrateur se dit “K-mérien”. Il se situe donc dans le champ de ce que la théorie postcoloniale anglo-saxonne qualifie de hyphenated identity, une identité nationale et culturelle double. Voilà. (Comme quoi, pour simplifier avec un adjectif à tiret, on se retrouve à écrire une note d’une demi-page !)]

 

Prenez un cachet d’aspirine. Ça change les idées.

Blanc comme une épreinte de loutre, je poursuis cette curieuse chronique, ne désespérant pas de lasser même les plus fidèles de mes lecteurs. Je poursuis en prenant la tangente. Vous parler de mon long rêve de cette nuit. Le texte ne sera pas ultra-court, c’est déjà trop tard pour cela, alors autant embrayer sur un rêve extra-long. Car j’ai rêvé d’œuvres peu connues, toiles d’artistes philippins déjà anciens, morts depuis belle lurette. Je revoyais l’autoportrait de Fernando Amorsolo (dont le nom même invite aux lectures alternativement les plus noires et les plus printanièrement idéalistes), ce curieux tableau qui représente l’artiste, à gauche, s’accrochant, de la main droite, au chevalet, qui occupe le tiers droit de la toile ; le peintre semble avoir une phalange manquante à l’index. Je revoyais Tampuhan, le célèbre tableau de Juan Luna, peint en 1895, quatre ans avant la mort de cet artiste à la vie mouvementée : il représente, vue de l’intérieur d’une maison, une terrasse qui donne sur une rue haute en couleurs et riche en lampions ; une jeune femme en robe, très agitée, fait face au spectateur ; un homme en costume beige clair lui tourne le dos, et semble regarder, la joue droite maussadement appuyée contre le poing, la rue. Je revoyais enfin une photographie prise par le grand Fernando Zobel lui-même dans les années 1950 : ce cliché en noir et blanc représente un ouvrier qui tire sur sa cigarette en s’abritant à l’intérieur d’une locomotive absurdement minuscule ; l’homme nous fixe, mais n’est-il pas lui-même surveillé par les deux globes laiteux du lampadaire à l’arrière-plan ? Le tirage a mal vieilli et s’intitule Man seated in a caboose ; il est conservé au Musée Ayala.

 

Mon rêve était comme une rue haute en couleurs et riche en lampions, un matin de carnaval, un cauchemar sans importance, un manque soudain de baraka, et je tournoyais dans les couloirs du Musée Ayala, où je ne suis jamais allé mais d’où j’ai ramené, en rêve, la conviction que j’étais épié par les lampadaires éteints de la rue où je vis. Peut-être le thé ou l’aspirine me délivreront-ils de ces tableautins.

 

[Bonus : la note évanouie.]

11:45 Publié dans MAS | Lien permanent | Commentaires (9)

Latréaumont

    En réponse au commentaire de Stéphane :

J'ai emprunté dès hier un exemplaire de ce roman, par ailleurs épuisé, à la Bibliothèque Universitaire. Il s'agit de la collection des Classiques Populaires Garnier, dont j'ignorais même l'existence. Le texte a été établi et (brièvement) introduit par Claude Cantégrit. L'introduction s'achève d'ailleurs sur un parallèle avec Maldoror, mais le plus amusant est que l'universitaire (ou le typographe) s'est emmêlé les pinceaux et orthographie Lautréamont en gardant le nom du héros du roman de Sue ! Ce qui donne quelque chose d'assez incompréhensible. Jugez plutôt :

On ne peut alors s'empêcher de songer, comme Sue, à Macbeth, mais aussi à tous les descendants maudits de la race romantique et, par-dessus tout, à Isidore Ducasse, comte de Latréaumont [sic]. Et non seulement pour la filiation nominale (qui a déjà été soulignée et établie et que nous ne discuterons pas ici), mais aussi pour le lien d'ordre spirituel qui unit le personnage historique et littéraire qu'est Latréaumont à celui de Maldoror.

 

Comme j'égratigne (gentiment) un collègue, je dois avouer

        1) n'avoir jamais lu un roman d'Eugène Sue

        2) n'avoir jamais entendu parler de cette influence au cours de mes études ducassiennes et n'être tombé par hasard sur le titre du roman que ce samedi

        3) avoir participé naguère, avec plusieurs amis, à un roman collectif qui empruntait tous ses titres de chapitre à La Vigie de Koat-Vën. Nous en sommes venus à bout, et ce fut une sorte de baggy monster à peu près farcesque et illisible, mais seul l'un d'entre nous a lu, une fois notre entreprise achevée, le roman de Sue.

10:25 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)

Salon du livre, sept

    Christian Bourgois, éditeur pour qui j’éprouve de l’admiration – du seul fait que maints auteurs qu’il publie ou publia comptent parmi mes préférés –, a conçu ces jours-ci un petit catalogue rétrospectif de 32 pages, composé intégralement en minuscules. C’est extrêmement irritant. Ainsi, tous les noms et prénoms d’auteur commencent par des minuscules : ridicule effet de mode.

Le pire, évidemment, est que le catalogue commence par un panégyrique à la gloire de christian bourgois, suivi d’un choix personnel du même, qui a sélectionné huit titres qui l’ont particulièrement marqué et dont il dit, pour chacun, quelques mots. Ce que dit christian bourgois (je ne l’écrirai plus qu’ainsi) est, au demeurant, fort intéressant. Mais comment adhérer sans une moue ironique, voire un flanc éclat de rire, à l’autoportrait (car n’est-ce pas lui qui a écrit le « chapeau » de préface ?) qui décrit cet « immense éditeur connu pour son élégance et son intransigeance » ?

J’en reviens à cette histoire des trente-deux pages composées intégralement en minuscules : voilà le contraire même de l’élégance (à moins de considérer comme élégantes les cravates orange sur chemise vert pomme) et de l’intransigeance (car si ce n’est pas sacrifier à la mode des pochettes d’album pop, je n’y comprends plus rien).

09:30 Publié dans 1295 | Lien permanent | Commentaires (0)

L’On du Livre

    On dit on. Pas par commodité, mais pour ne plus s’y retrouver, comme dans le labyrinthe de fer forgé. Or, une dame nous tendit un prospectus pauvrement ronéoté, après s’être assurée, nous scrutant un interminable instant, que nous écoutions Alain Mabanckou avec la déférence qui s’impose.

La feuille de format A4 annonce le Premier Printemps des Intellectuels, Poètes, Ecrivains et Artistes Noirs, à la Sorbonne, le 8 avril 2006 à 13 h 30 (amphithéâtre Richelieu), à l’initiative de Djibril Gningue, président de l’Association Internationale Cheikh Anta Diop.

04:45 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (2)

lundi, 20 mars 2006

Salon du Livre, 4

    Rassurons les matérialistes qui craindraient que la majuscule ici imposée au nom commun livre ne signifie une quelconque sacralisation : fort heureusement, le Salon célèbre surtout les bouquins de stars du show business, les éditeurs soucieux de vendre de la soupe, le Lion’s Club ou France Télévisions, qui sont, comme chacun sait, les officines de la bibliophilie contemporaine. Soyez donc rassurés : vous ne croiserez pas beaucoup d’éditeurs et de lecteurs aux paupières brûlées par les braises de l’Idéal. Les marchands du temple sont bien en place.

19:15 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (4)

Pierre-Alain Goualch Trio :: Anatomy of a Relationship

    Je ne compte pas écrire quarante paragraphes sur cet album au demeurant tout à fait délectable – tout au plus veux-je ici noter en vrac quelques remarques, un peu télégraphiques.

 

Disque acheté sur eBay. Exemplaire interdit à la vente. Not for sale, quoi.

 

Dès les premières notes, sous les doigts agiles de Rémi Vignolo, on sait que le contrebassiste va écraser cet album sous le poids de son excellence. (Pourtant, Ceccarelli et Goualch sont de sacrés clients.) On ne se trompe guère.

Standards (Not for sale, magistral), mais principalement d’intéressantes reprises de chansons françaises : mention spéciale pour Boum (syncopé), Elisa (mélancolique), De la joie (dilaté donc sévère).

 

Du fort bon « jazz français » (whatever that is).

Avec cet agacement qu naît des textes dits : entre deux morceaux, presque systématiquement, des voix disent des vers ou de belles phrases qui n’apportent rien, et, au contraire, déprennent de la musique.

Pas d’unanimité, mais unisson sur la qualité.

Univers sonore à suivre.

 

P.-A. Goualch Trio. Anatomy of a Relationship. Cristal Records, 2004.

17:55 Publié dans J'Aurai Zig-Zagué | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : TRES GRANDE MUSIQUE

Lavé rité

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On peut dire les deux.
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16:00 Publié dans Rues, plaques, places | Lien permanent | Commentaires (0)

Le lot est tiré

[Lire le chapitre précédent.]

 

    Mon cher Laurent,

Que d’eau coulée sous les ponts, hein ? J’ai le sentiment que tu t’ennuies plus encore dans ta vie de tous les jours qu’à l’époque de nos amours malheureuses. Tu t’encroûtes (j’ai mes espions). Pourtant, je subodore que l’enveloppe qui couvrira ce billet va rester des semaines intacte, à prendre la poussière peut-être. Je n’ose imaginer même le foutoir chez toi. Je te taquine, tu vois. Quel espoir ai-je même que tu continues à lire, le jour où tu auras enfin décacheté l’enveloppe – si je me gausse ? Bon, ce n’est pas méchant.

Je voulais seulement t’écrire que je viendrai dans ton coin le mois prochain. Un taudis pour touristes m’abritera à Cauterêts du 21 au 27 février, et j’aimerais qu’on se revoie. Ecris-moi. Don’t be shy.

De l’anglais maintenant ; il est temps que j’arrête. C’est le whisky, penses-tu, et tu ne te trompes même pas.

Je t’embrasse,

Queen Lili

15:20 Publié dans Pauvres Pyrénées | Lien permanent | Commentaires (5)

Ode naïve

    L’hiver n’est jamais si soudain que le printemps. Premier midi ensoleillé a déjà goût d’été. L’automne est une saison bien plus équivoque, à cet égard, sous nos latitudes.

Le bar du Musée, près de la place Anatole France, est l’un des établissements les plus hideux et les moins conviviaux de Tours, mais on s’y retrouve quand, à l’heure du déjeuner, on a raté le bus 8 et qu’on doit poireauter vingt-cinq minutes avant le suivant. Un sandwich et un demi ; la première terrasse, en bras de chemise.

13:33 Publié dans Onagre 87 | Lien permanent | Commentaires (0)

J

    Le cabriolet Régence baigne dans son jus ; Denise, je vous vis jouer Oh les beaux jours (à Beauvais) ; on ne va pas appeler le SAMU pour si peu.

(Où je me rêve en antiquaire urgentiste : il faudrait d'abord savoir ce que c'est.) 

12:20 Publié dans Arbre à came | Lien permanent | Commentaires (2)

Abdourahman : Waberi :: Aux : Etats-Unis : d’Afrique

    Le dernier roman paru d’Abdourahman Waberi est tout à fait recommandable. À partir d’une idée complètement casse-gueule (l’inversion, point par point, de la situation géopolitique), il réussit à tisser un récit fragmentaire, qui s’adresse principalement au tu de l’héroïne, Marianne / Maya.

***************

Le titre est assez connu ou compréhensible : l’expression est souvent utilisée par les panafricanistes les moins désenchantés ou les palabreurs les plus ironiques. Ici, Waberi part de l’idée que la situation de notre planète est exactement l’inverse de ce qu’elle est en fait, du point de vue du rapport des forces entre continents, entre religions, peuples, etc. Autrement dit, l’Afrique est l’eldorado où affluent des réfugiés de tous les coins du monde, Amériques et Europe déchirées par les guerres civiles sanglantes, les dictatures sanguinaires et sans espoir d’avenir. Les dirigeants africains commencent d'ailleurs à vouloir se débarrasser de toute cette racaille...

Il est à noter que Waberi, pour la commodité du sujet, fait l’impasse sur l’Asie, qu’il s’agisse des poches de pauvreté (Laos ou Sri Lanka) ou des nations les mieux émergentes (Inde) ou surtout d’une superpuissance comme la Chine, qui, ne l’oublions pas, est en train d’imposer ses codes et ses décisions à tout le monde. (Quand la Chine s’éveillera, qu’ils disaient… Ce n’est pas que la Chine ne se soit pas éveillée, c’est qu’elle est devenue de plus en plus active et subtile, en endormant et muselant, dans le jeu diplomatique et économique, tous ses éventuels rivaux. Enfin, ce n’est pas le sujet de ce billet.)

***************

J’avais été légèrement (oh, très légèrement, tout est relatif) déçu par les deux ouvrages précédents de Waberi, et en particulier par Transit, que j’avais trouvé légèrement redondant, emphatique, parfois à la limite du creux de la vague, comme si son auteur (que j’admire beaucoup et dont le sommet reste, à mon sens, la Trilogie de Djibouti (disponible en collection ‘Motifs’), en particulier Le Pays sans ombre) devenait tributaire d’un certain discours obligé.

Ainsi, Aux Etats-Unis d’Afrique me fait presque l’effet d’une renaissance. Waberi fait cavalier seul, sur la corde raide – et finalement, avec cette forme d’utopie très particulière, qui narre le retour au pays natal d’une Normande adoptée par des Africains de l’Est opulents et intellectuels, Waberi se trouve, non une autre voix (car le style est inimitablement le sien), mais un autre chemin, d’autres possibilités, des combinaisons multiples qu’il n’avait pas encore entrevues, ou que, à tout le moins, il n’avait pas encore suscitées sous sa plume. Ce qui le sauve, en fait, c’est son goût du fragment, qui le dissuade de vouloir donner une allure cohérente ou homogène à son roman : ici, le bris, la bribe, la fracture conviennent merveilleusement bien. L’inversion poussée au système eût été catastrophique.

***************

Peut-être n’ai-je rien dit du roman, et d’autres, moins au fait de l’œuvre de Waberi, ou plus tentés par une étude «objective» de ce livre, tireront-ils de tout autres conclusions. Peut-être n’ai-je souligné, dans ce billet, qu’une seule toute petite chose : ma bien subjective admiration grandissante pour les funambules, les danseurs de corde, les écrivains qui, d’une idée de départ bancale, d’un sujet audacieux, piégé, infaisable, font un livre inattendu, indéniablement réussi, et touchant.

 

A. WABERI. Aux Etats-Unis d’Afrique. Paris : Lattès, 2006.

11:45 Publié dans MAS | Lien permanent | Commentaires (0)

8

    Défilé rue Nationale

emportant tout sur

son nuage Un peu

 

de rêverie tourmentée

aux terrasses des cafés

 

10:20 Publié dans Tankas de Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)

Guerlinguet

Gare à cet écureuil
Une fois qu’on l’a vu sautiller
Elégamment
Repu d’œufs et d’oisillons

Le regard se porte
Ironiquement veule aux nues et glisse (un
Navire aux

Guérites-paupières)
Une fois qu’on l’a vu bondir
Elégamment comme sur un
Trapèze on n’en revient plus

09:50 Publié dans Zézayant au zénith | Lien permanent | Commentaires (0)

Salon du Livre, 2 : "Quel français écrivez-vous?"

    Les questionnaires soumis à des écrivains sont de bien curieuses choses. Toutefois, il faut rendre hommage à l’équipe du Monde des livres, qui a concocté, pour la première fois depuis bien longtemps, un numéro globalement fort intéressant, à commencer justement par la double page consacrée aux réponses de huit écrivains dits francophones à la question « Quel français écrivez-vous ? ». La réponse la plus excellente, la plus admirable (et en contraste total avec l’entretien tout aussi génial, dans son genre, accordé par Boubacar Boris Diop en page 8), est celle de Nimrod, écrivain rare et atypique, que j’avais eu la chance de rencontrer à Beauvais en octobre 2001.

Je ne résiste pas au plaisir (prohibé) de la citer in extenso.


Pour l'Africain que je suis, la question est suspecte, mais passons. Je préfère m'en remettre à Jorge Luis Borges, qui soutenait que le génie des écrivains français résidait dans leur capacité à interroger les voies et moyens qu'emprunte leur art. La création suppose génie et méthode, et je suis condamné à être le critique de ma propre cause. Au-delà des considérations relatives au métier, pareille posture vise l'être même de l'artiste. De fait, celle-ci l'enjoint à se demander : suis-je un créateur ? Suis-je un dieu ? Et il doit y répondre.
De temps en temps, au coeur du français que j'écris se fait entendre une langue inaudible et mystérieuse. Je ne saurais l'apparenter à aucune des langues que je parle. Elle est sauvage, rebelle ; elle est irréductible. Par là, je comprends que j'ai touché à une manière de dire qui contredit au sens qui devrait la rendre transparente. C'est toujours quand la phrase est longue que de semblables problèmes surgissent.
Comment résister à la séduction de deux périodes successives, suivies de deux incises, le tout couronné par une nouvelle période où, par miracle, se trouvent enchâssées deux ou trois syllabes comme ultime renfort à la basse fondamentale ? J'aime vraiment quand le sens épouse le rythme, dans une manière de décantation sui generis, laquelle me permet de percevoir, en même temps que les inflexions de la phrase, un soupçon de célérité propre à la prose du XVIIe siècle, ou bien les acquêts d'une exaltation romantique, ou bien la minéralité émouvante d'Albert Camus, ou bien l'exquise clarté de Paul Valéry. Mais je vous sens inquiet. "Où est passé l'Africain ?", demandez-vous. Mais que vous en semble ! C'est lui qui parle en ce moment, c'est encore lui qui souligne la phrase déployée sous vos yeux. Je suis fils de la littérature française, mais c'est là un aveu banal, je vous le concède.

Pourquoi ne poser cette question qu'aux seuls écrivains dits "francophones" ? Cette question est riche d'enseignements pour tous les écrivains, car tout écrivain recrée la langue.  Le fait de ne pas écrire dans sa langue maternelle, ou d'écrire dans l'une de ses langues de référence (au lieu d'une langue unique qui n'a pu même faire l'objet d'un choix), ou dans la langue des colons, etc., est un aspect primordial pour de nombreux écrivains célébrés à l'occasion de ce Salon du Livre, mais il ne faudrait pas oublier que cette question est pertinente pour tout écrivain. [Retrouver ce qu'écrit Bénézet à ce propos dans son Roman journalier.] 

06:40 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (1)

dimanche, 19 mars 2006

Colloque sentimental

    « – Ça va ?
– …
– Ça va, toi ?
– …
– Sinon, toi, ça va ?
– …
– Sinon, toi, ça va, à part ça ?
– …
– Sinon, toi, ça va, à part ça, en ce moment ?
– …
– Si ? Non ? »

21:35 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)

L’Ivre du salon

Quelqu’un ici connaît-il Latréaumont, roman d’Eugène Sue ? L’a lu ou le connaît par ouï-dire ?

GUERITE – Littré 5 : Terme de marine. Planche formant un petit rebord autour des hunes. Cela correspondrait à mon premier jet, puisque je ne retrouvais pas le mot vigie.

Larguez les ris dans les basses voiles !
Il titube et se vautre dans le canapé.

« En haut, dans la mâture, on essayait de serrer les huniers. » (P. Loti. Mon frère Yves.)

Marre de certains contrôleurs, s’ils n'acceptent pas les aléas d'un poste en vigie vitrée, qu'ils aillent vider des poulets en salle à température !

« Un pli qui par hasard est resté dans ses draps
Lui semble un guet-apens pour lui meurtrir les bras. »

Il va vomir ? Il va mourir ?

C’est cette mâle ritournelle, cette antienne virile…

L’attrait de l’inconnu, ou des piles de livres, ou des vracs de mots, n’est à considérer comme influence qu’avec minutie.

Hein ?

17:45 Publié dans Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (2)

Salon du Livre, 3 : Cassiopée Peca

    Il faut  – au Salon du livre, cette grand’messe où je ne vais jamais qu’à reculons mais où, pour des raisons personnelles, je suis allé quelques heures ce vendredi avec un grand plaisir –   s’attarder au stand du CIPM, dont le responsable éditorial est extrêmement gentil, de bonne conversation.

Lui, au moins, il sait ce qu’il y a dans son catalogue, contrairement à ces nuées de jeunes filles au teint clair et bien vêtues qu’emploient les maisons d’édition pour tenir la caisse, et tenir le crachoir aux importuns, ou servir d’escorte aux écrivains qui viennent pour les signatures ou les débats – lesquelles jeunes filles n’ont pas la moindre idée des publications un peu antérieures ou à venir, ni des noms de la plupart des auteurs, et encore moins, évidemment, de ce que peut bien être la ligne éditoriale de la maison qui les emploie. J’achève cette diatribe (je n’avais nullement l’intention de me laisser ainsi emporter) pour la relativiser, au moins pour ce qui est de l’appartenance des incompétents salonnards à la seule gent féminine : sur le stand d’Actes Sud, trois messieurs, âgés d’entre vingt-cinq et quarante-cinq ans, n’avaient pas la moindre idée de Jamal Mahjoub, de son éventuelle venue au Salon, ni de son dernier livre (qui vient de paraître), ni de la localisation éventuelle de ses ouvrages sur le stand (pourtant, ils étaient tous fort bien placés, sur les tables).

 

J’en reviens au CIPM ; je ne vous invite pas à consulter leur site Web, qui est totalement ridicule et donne une mauvaise idée de leurs publications, mais cet éditeur associatif publie de nombreuses œuvres expérimentales d’un très grand intérêt. Les plaquettes et les recueils sont bien faits, agréablement composés, et (cela mérite d’être signalé) c’est l’un des rares stands où l’on vous fait un prix d’ami, avec une petite réduction et un opuscule offert en sus. Je n’attends pas des éditeurs qu’ils « cassent » le prix de leurs ouvrages, d’autant que le Salon représente des frais importants pour les éditeurs – mais enfin, ceux qui le font n’en sont que plus louables !

 

J’ai acheté plusieurs livres, dont le très déroutant et fascinant Cassiopée Peca de Ryoko Sekiguchi, version française publiée en 2001 d’un poème très visuel et labyrinthique dont la version japonaise date de 1994. Je n’y ai peu près rien compris, mais la structure est très inspirante, sans compter que plusieurs des textes sont, tout de même, très émouvants.

Quand j’écris que je n’ai rien compris, c’est que l’énigme, comme elle dit, semble reposer sur un jeu de syllabes et d’interversions autour des noms de Cassiopée et d’Okapi. En français, si l’on soustrait les sons composant le nom Okapi du nom Cassiopée, il reste sait ou c’est (ou est-ce (ou la lettre S)). De même, l’énigmatique Peca semble avoir été arraché au nom de Cassiopée, pour laisser…quoi ? sio ? oise ? sois ? soi ? Enfin, ce n’est pas le seul intérêt, heureusement, de cet énigmatique itinéraire dans une constellation de phrases qui, pour emprunter sa métaphore typographique à l’univers mallarméen, a dépassé l’idée même d’une orientation du poème au profit d’une totale déroute du lecteur, peut-être plus proche d’une « parole en archipel » ou d’une forme très poussée d’origami textuel. (Je sais ce que la référence à l'origami peut avoir de clichéeuse, mais elle est loin d'être impertinente, ici, aussi la risqué-je.)

 

Tiens ! On s’y perd, au Salon du Livre. Il faudrait suggérer à un plasticien ami de Ryoko Sekiguchi de proposer l'an prochain une architecture des stands franchement bordélique, histoire que même le plan et l’index des éditeurs ne servent à rien, que les pages minables du programme en papier journal périssent définitivement délaissées dans une poche intérieure de veste. Nous serons bien obligés, tous, de déambuler à l’aveuglette.

17:15 Publié dans MOTS | Lien permanent | Commentaires (0)

Du balai !

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Tours, 9 mars 2006.
Sûr que les sorcières ménagères (plus que les tégénères) apprécieront.

16:25 Publié dans Rues, plaques, places | Lien permanent | Commentaires (0)

Jadis n’a guerre

    Tu fais quoi, avec cette épée ? Le ruban ne s’accroche pas au haut de l’armoire. Le pain d’épeautre fleure bon. Toute remarque est auxiliaire

À présent, et ne serait que subreptice, accessoire, vaine. Une violente envie saisit les tripes du poignard. Quelle calamité s’abat sur l’armée, trop ennuyée

D’attendre la relève ou le combat. Tu fais quoi, avec ce glaive ? Toute une armée moderne – que contemple, abasourdi, le général – muée en gladiateurs !

Il était dit que le ruban finirait mal, tombé dans le ruisseau.

 

 

[En bonus de ce sonnet : Je soupire un lai.]

 

15:50 Publié dans Sonnets de février et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)

Salon du Livre, 1

    Dans un carton de taille pourtant modeste se trouvent pas moins de 3500 exemplaires de la Déclaration des Droits de l’Union européenne, qui sont distribués à la sortie du métro, à la station Porte de Versailles. On ne pourrait faire tenir, dans un de ces cartons, les quatre volumes du Robert culturel.

Les passants saisissent machinalement les opuscules que leur tendent les jeunes hommes et jeunes femmes préposés à cette tâche.

C’est un ridicule gâchis de papier.

 

En bonus-miroir : Hommage bifide à Paris.

13:55 Publié dans Soixante dix-sept miniatures | Lien permanent | Commentaires (0)

Vikings

    Au mois de mars 846 les Normands naviguant à bord d’une puissante flotte, débarquent sur les rives de la Seine. Ils dévastent tout sur leur passage.

Voici, intime kleptomane : il naquit gueux.

12:00 Publié dans Hystéries historiées | Lien permanent | Commentaires (6)

Bien peu

    De Madame de Staël, à Lausanne, le 19 mars 1794 :

« Vous m’écrivez bien peu ; c’est une suite de la gêne établie entre nous. » (Lettres à Narbonne. Gallimard, 1960, p. 399)

 

[Disparition en miroir]

11:00 Publié dans Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (0)

Le diable et son train

Vendredi 17, dix heures du soir.

[Bonus : Note disparue.]

    Par une ironie qui se trouve être emblématique du roman à cet instant interrompu, les commandes des deux petites lampes situées au-dessus des sièges sont inversées*, et la lampe qui éclaire la place près de la fenêtre, où se trouve la tablette inamovible où poser feuille et stylo, ne marche pas. Je me suis déplacé d’un siège – maintenant que le compartiment est presque vide – pour mieux voir ; mais j’écris avec la feuille calée sur mon genou par le roman de Beyrouk (qui n’est pas le roman en cours de lecture, mais le roman lu auparavant).

 

* Rendre simple et aisément compréhensible une explication technique est ce que je trouve le plus difficile.

08:46 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 18 mars 2006

Piquants

    Vendredi 17, 21 h 55

J’ai très mal aux yeux, mais je continue de lire, et je préfère continuer d’écrire, je préfère cet aveuglement, me bousiller les yeux (ce n’est pas très malin, évidemment, et mon ophthalmologue n’en penserait rien de bien), à l’ennui atone qui naîtrait d’une cessation de toute action, oui, je veux lire et écrire, même s’il me serait doux de fermer les yeux. J’ajoute que tous les mots en gras sont écrits ce matin, samedi, et que là, ce sont mes os qui sont endoloris, et nullement mes yeux, je ne cille pas, même immobile et prostré face à l’écran de l’ordinateur, où vont les rêves, où voguent les sèves sans espoir d’un informe cortex (mais qu’est-ce qu’il raconte ???) Qui sème le vent…

22:30 Publié dans 721 | Lien permanent | Commentaires (1)

Dapper, 1

Lire un roman des éditions Dapper, c’est s’assurer du plaisir d’un livre imprimé sur beau papier, dans une belle encre, avec une typographie élégante, sans la moindre coquille. La typographie, surtout, offre cette découverte exquise : les points sont en fait des losanges. Depuis six ans qu’existe la collection, je prends à ces livres le même plaisir que me procurait, naguère, le Musée Dapper – avant que, déménageant, il ne cède aux sirènes d’une obscure « muséographie » à la mode.

 

[Avec le désormais traditionnel bonus.]

20:45 Publié dans Soixante dix-sept miniatures | Lien permanent | Commentaires (0)

7

    Le mot sizain a six lettres

et ses deux syllabes

sarrasines disent :

 

le mot tanka a cinq lettres

le quintil en compte sept.

 

[Voir 4.]

19:00 Publié dans Tankas de Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)

Ouistiti du treizième

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    À ma modeste dimension, je vous fais profiter, moi aussi, de dessins muraux.
........................................
(Cuisine interne : cette note avait été programmée avant-hier, selon la logique horaire et numérique propre à cette catégorie-ci. Du coup, elle se trouvait coïncider avec la publication d'une note au sein de l'autre série numérique, la sabbatique. C'est pourquoi j'en repousse la publication de vingt-cinq minutes, de sorte que ce gentil ouistiti bizarrement bigarré apparaît pile vingt-quatre heures après l'air du temps.
J'ajoute d'ailleurs que ces simagrées chronologiques sont bien puériles, de même que les titres des catégories, sur lesquels tout un chacun observe un silence pudique, alors [ou parce???] que les énigmes sont assez transparentes.)
...................
(Sans oublier la note etc.)

17:40 Publié dans Rues, plaques, places | Lien permanent | Commentaires (2)

I

    Vendredi, 22 h 15.

Les huniers vont virevoltant, ce qui est déjà onirique ; avec une verve ironique, le capitaine réclame son fauteuil Voltaire ; ce n'est pas rien de monter au poste de vigie par ce temps vêtu de lin blanc.

(Où je me rêve en marin, ce qu'affirment bien des poèmes.)

 

Hors-note : non, c'est trop long. Dans la (ou une) suivante.

Hors-note : Sans oublier la note qui disparaît de la page d'accueil avec la publication de ce message...

17:15 Publié dans Arbre à came | Lien permanent | Commentaires (0)