lundi, 23 novembre 2015
II:b——{Toowoomba}
Deuxième neuvaine, 20-28 novembre 2015
Pour les cabalistes, 42 le nombre avec lequel Dieu a créé le monde ; selon le shintoïsme, nombre maudit étant donné son homophonie avec l'expression signifiant vers la mort.
Alors ?
Aujourd'hui, aussi, Galego a donné rendez-vous à Galago et Galoarihemino dans une petite ville d'Australie, à Toowoomba. Il leur faut décider qui est jaloux, qui est multimillionnaire, et qui jouera le faire-valoir dans cette histoire. L'un des trois est né en Picardie (c'est Galego, je crois). C'est lui qui semble prendre les décisions.
Pourtant, aujourd'hui, en échangeant des propos vifs et passionnés, à la cafétéria du Strand Theatre, ils découvrent que c'est Galoarihemino qui tire les ficelles. Il est blindé ! Plein aux as, le bougre ! Il a fini par contacter la Française des jeux... c'est vous, le multimachin... pan...! direct du droit... Blindé, richard, mégapognonneux... surtout si t'arrives à planquer... pardon... placer ton oseille...
Bref, c'est lui qui a gagné... combien ? 166 millions et des poussières le 20 novembre ??!?
Mais il a un projet.
09:28 Publié dans Fièvre de nombres, Kyrielles de Kaprekar, Les Murmures de Morminal, Tropographies | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 14 novembre 2015
I:d —— {Cythère}
Première neuvaine, 11-19 novembre 2015
« J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère. »
Il ne faut pas se méprendre toutefois, et la ruse autant que l'adresse, la joie autant que la tendresse, l'habileté autant que la tranquillité, toutes font des prodiges, ou, en tout cas, le corps y retrouve ses marques. La faconde paraissait, il y a six ans (boissons chambrées), inépuisable, et assurément la voix tranchée donne encore, après virage dans l'escalier de bois, de belles clameurs, je me perds et je donne tout en pâture. Pour ça, contrairement à l'alcool, toute résistance se raffermit, et je ne comprends pas encore les vieux vers. Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine, / Est d'ordinaire un peu gascon...
16:00 Publié dans Droit de cité, La 42e Clandestine, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 11 novembre 2015
I:a ——{yeux explosés}
Première neuvaine, 11-19 novembre 2015
Les yeux explosés, d'avoir trop écrit, ou lu, ou d'écrire encore, d'avoir encore à écrire, il leva les yeux de cet écran, cet énième écran, et de cet énième accent aigu. Il lui semblait que son cerveau était à l'arrêt, en prise avec quelque chose de nouveau, peut-être une vieillesse acceptée. Un vers de Mallarmé, peut-être, mais la barque de Charon n'avait pas grand rapport avec ce souvenir.
Parfois, en se regardant dans le miroir, il se trouvait blême, et d'autres fois rougeaud ou bistre.
Il n'oublait pas d'où il venait, de Gouy-les-Groseillers. Il lui avait fallu refaire le chemin, passer par-dessus de longues années d'amnésie pour réapprendre cela, aussi banal et terne que ce fût, et pour s'en réapproprier les mots. D'ailleurs, encore aujourd'hui, il lui arrivait de vérifier après avoir hésité à mettre un i après le double l de groseillers. On écrit, oui, mais on n'écrit jamais assez.
Les yeux explosés, d'avoir trop réfléchi (à son teint), il leva les yeux, chercha dans le ciel le vol de grues qu'il entendait par hallucination. Il devait chercher sa vie dans les interstices. Il le ferait.
Écrire encore, d'avoir encore à écrire, autant de plis par où se perd la voix, que l'on retrouve peut-être, au bout du chemin. Trop de peut-être. Il la retrouverait.
11:05 Publié dans Fall in Love, La 42e Clandestine, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 26 mai 2015
Bizzarerie (8'55")
Un train démarre difficilement, crachote. Locomotive maladive. Comme dans un vieux livre, comme dans un muet de Buster.
Et soudain me voici dans un caboulot, un estaminet, un claque peut-être.
Je danse le tango avec une rousse magnifique, ne devrait-il pas y avoir ici que des brunes empestant le tabac mais mi-onduleuses mi-andalouses ? La rousse forcément se lasse de moi qui danse comme une soupière. Je la suis du regard, j’allume un cigarillo (hein ?), je vais offrir un verre à la grand-mère rigolote accoudée au bar au fond comme à un ponton, elle est gentille, parle guarani et moi je lui réponds en guarani aussi.
Ce n’est pas un claque, figurez-vous. La rousse sort une guitare électrique avec trois amplis, branche tout ça fissa, en un tournemain elle se met à sortir des feulements insupportables de ses bidules, tout de même une belle fille comme ça. Remarquez, je comprends que le tango avec moi, ça ne la branchait pas. Qu’elle se mette à vociférer des lambeaux de phrases en anglais, genre “commuter’s home” et “feather-duster under yer elbow”, ça ne m’impressionne pas.
Je fume mon cigarillo, qui a un goût de pâte d’amande et de rhubarbe. Je vais aller lui prendre le micro, ça ne la désarçonnera pas, rien ne la désarçonne, une belle fille comme ça pensez, et je chanterai une longue litanie de prénoms, tous les prénoms que j’ai inventés dans tous les romans que je n’ai pas écrits, je porte sur mes épaules le fardeau des fictions, ne suis-je pas Morminal le porteur de mensonges, celui à la tronche charbonnée, gestes courts, qui ne supporte pas l’alcool sauf les bières belges les vins rouges le blanc sec le Vouvray et les digestifs genre armagnac ou poire ? Je chante je chante j’exulte je vitupère j’en suis au cinq-centième prénom je pense et elle elle fait feuler sa gratte.
On ne passera pas la nuit ensemble, hein, on passe la nuit ensemble.
texte improvisé en 8'55" sur le titre 11 de l'album de l'octuor du Lyonnais Daniel Letisserand (Poursuites infernales)
14:22 Publié dans J'Aurai Zig-Zagué, Les Murmures de Morminal, MUS | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 23 mai 2015
La stupeur perdue (Pong-ping, 9)
On a poursuivi la stupeur dans les rues d’Arras. Sans jamais la rattraper.
Sans jamais la rattraper, on a poursuivi la stupeur. On courait presque, le temps quoique censément printanier était frais ; malgré le soleil, le vent rabattait nos prétentions sur les façades refaites, repeintes, rebriquées. La stupeur nous devançait largement, sur les pavés.
Pas de géants, ni de foire. Pas de vieille histoire, pas d’encan. Le souffle du vent agitait les querelles vaines d’automobilistes énervés, tout retombait en girandoles après le passage d’Éole. Arras gardait son secret.
On n’a pas idée non plus !
On n’a pas idée, non plus !
Des voix d’hommes s’élevèrent, tandis que nous renoncions piteusement à poursuivre la stupeur. Un chœur sublime, un peu ridicule. Pourquoi Vølvens spådom dans les rues d’Arras ?
Quelque grande soit la foule, dans ces lieux désertés, on a le sentiment que jamais ces places ne pourront paraître autrement qu’immenses, traversées par le vent. Et la cité Vauban, on n’a pas idée, sans trompette ni cancans. Elle n’est pas fabriquée, pas rebriquée. Du gravier en pluie. Une jeune femme passe, collants noirs serrés et jupe à ras.
Reluquer n’aide pas à rattraper la stupeur, ni à donner un sens à sa vie.
On a poursuivi la stupeur dans les rues d’Arras. Sans jamais la rattraper.
14:53 Publié dans 1295, Artois, à moi, Les Murmures de Morminal, Pong-ping | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 08 janvier 2015
Mémoire de siamois
Une histoire me revient, se dit le revenant, une histoire me revient depuis les lointaines lettres de Mozaya, l’histoire de deux frères siamois dont l’un perdit, un jour, la mémoire.
Kossi Efoui. Solo d’un revenant, 2008, p. 197.
Son vrombissement de 405 gasoil pourrave me tape sur les nerfs, c’est idiot, idiot à, écrire, idiot de le ressentir. Si je compose un abécédaire à la manière de François Bon, ce sera uniquement avec des mots français s’achevant par la lettre g, et il y aura dedans le siamang. Autre chose encore de resserrer les fils de mon essai sur la mêmoire (en allant chez le coiffeur ce matin je songeai à l’intituler Les Accents).
17:06 Publié dans Droit de cité, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 05 décembre 2014
face aux yeux noirs du hibou
ce soir
n'en ai-je pas ma claque
d'écrire ce soir
(je veux dire "d'écrire "ce soir"")
et donc dans un fruste
document .txt avec un tout aussi fruste
netbook pas de guillemets appropriés
ce soir
j'écoute
face aux yeux noirs du hibou
qui me fixent de côté
face à la brûlure du mélèze
dont le cerne s'étend
à mes tempes
face au lampadaire de bois
dont les étoiles brunes figent
la mouvante constellation
face à ce que j'hallucine
sans me retourner (derrière
moi d'autres lattes
dessinent d'autres figures
comme dans un carnet de croquis)
j'écoute
la quatrième symphonie
de ce compositeur romantique allemand
dont je découvre l'existence
(il a eu pour disciples
rien moins que Grieg Fibich ou Albéniz
pour ne rien dire de
mon cher Čiurlionis
avec son caron décisoire)
et dont je pourrai peut-être
un autre soir
n'en ai-je pas assez
balayant les moutons sous un sommier taché
d'écrire un autre soir
découvrir les quintettes
le sextuor les quatuors
(n'en ai-je pas assez de noter
que beaucoup n'ont
composé qu'un seul sextuor
souvent des flopées de trios
de pleines brassées de quatuors
mais un seul sextuor)
son beau nom imprimé au fronton des portées
balayant l'amertume en de robustes songes
ce soir
fruste moi-même et si robuste
qu'un croquis
un seul trait de plume
me coucherait
d'un rien je fais
ma provende
artères et mélèzes comme dans Volodine
immortalité maladive aussi dans Volodine
prétextes cryptes et ténèbres
ta volonté de fer comme dans Volodine
tu fais d'un vaurien ton récit
provende à narrer
la folie
l'allemand qui n'a pas creusé
cette racine
en haut du mât
sur un vaisseau
où craille sur cinq hectares
onze siècles
un corbeau
où croasse où craillait
un corbeau comme dans
Volodine Salomon
le navire va d'avant d'artimon de galère
plaines à tous vents nucléaires
taïgas qu'on prend dans la figure
longs interminables rails
longues immortelles nucléaires vies comme
dans Volodine un long
cauchemar déployé en craillements
noirs
froids
de brûler à tout crin
j'écoute ce soir la quatrième symphonie
avec les chapitres 36 37 et quoi encore
à tout crin
nucléaire brûlé
en invoquant dans l'incantation
furieuse comme dans
V.
les noms
Anton Bon & John Chilembwe
Karl Domizlaff & Nora Exner
Jean-Henri Fabre & Rémy de Gourmont
Thomas Herbst & Clara Immerwahr
Miško Jovanović & Knud Knudsen
Francesco Lojacono & Albert Malherbe
Franz Xaver Neruda & Ramalho Ortigão
Haxhi Qamili & Felix Poppenberg
Upendrakishore Raychaudhuri & Scipio Slataper
Marius Thé & Ernst Ule
Salvador Viniegra & Samuel Witherspoon
Alois Alzheimer & Orestes Araújo
Oreste Zamor & bien sûr Þorgils Gjallandi
Ce sont de beaux noms,
mais ce ne sont pas les bons
comme
dans
Volodine
aussi ce soir j'écoute
après la symphonie
le quatuor avec piano
ni dans les steppes ni dans les
mélèzes balayés de vent
ni face aux yeux du hibou qui
ne craille pas ni de l'autre
côté des artères ni nucléaire
j'écoute
22:05 Publié dans Les Murmures de Morminal, MUS, Unissons | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 28 novembre 2014
Square Flandin
Rentrant d’un tour minuscule dans le Vieux-Tours, se saisir d’un des trois livres dans le sac plastique, ce recueil de Ryoko Sekiguchi que tu ne connaissais pas – pourtant paru il y a neuf ans –, lire la première page (impaire, les pages paires sont blanches et les marges sont variables) qui s’achève sur ces mots : la même chose nous est advenue. Et c’est vrai, la même chose advient, l’advenir n’est pas l’avenir, mais son contraire. On philosophe pour rien en traçant sa route dans les rues – et non l’inverse – et brouille les pistes en beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup plus de quatre-vingt sept mots (non, écris-le en chiffres : 87, voilà, c’est beau), vu que ceci devrait se trouver dans l’autre carnétoile, mais on s’en fout, ta vie est un foutoir, je m’écrie silencieusement à toutes les voix et avec des lettres n’existant dans aucun alphabet, la même chose est advenue, la même aventure continue, l’autre avenir n’a pas son pareil. Vu que je ne vois rien, écrire par terre tracé.
12:37 Publié dans 721, Les Murmures de Morminal, MAS, Self-Be/Portrayal | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 08 novembre 2014
Dans les limbes, avec Landru
05.07.2014.
Et je retrouvai mon souffle
Et je retrouvai mon foie
Et je retrouvai mon harmonie
Je trouvai mon équilibre
Et je retrouvai mon silence
Et je retrouvai mon chant
Et je retrouvai mon néant
« Pauvre petit salon ! Que de tristes et anxieuses journées passées entre ses murs, d'où l'ébranlement du canon faisait tomber les cadres, au milieu des livres ficelés en paquets, et près de ce feu de bois vert, le feu parisien des mois de décembre et de janvier 1870-1871 !
Ce salon était à la fois ma chambre à coucher, ma cuisine et tout, et j'y vivais en compagnie d'une poule, la dernière survivante de six volailles : toutes les provisions que j'avais faites, hélas ! — moi qui mange avec les yeux, et ne pouvais m'habituer au rose noirâtre de la viande des tire-fiacres. »
faudrait tout dire tout filmer
faudrait tout voir tout décrire
faudrait faudrait
faudrait tout sécher tout mouiller
faudrait tout aplatir faudrait tout punaiser
faudrait tout filmer tout capturer
faudrait captiver tout écrire
faudrait faudrait
faut dru faux drame
faudrait tout cramer tout stigmatiser
j'épingle un monde à mon veston
faudrait faudrait
faudrait un chant à fleur de peau
09:27 Publié dans Droit de cité, Formes singulières, Les Murmures de Morminal, Ma langue au chat, MAS | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 02 novembre 2014
Morminal en automne
Réveillé à 7 h par la lutte de chats dans le sous-sol (intrus revenu, la trappe fermée une quinzaine n'aura pas suffi à le déshabituer), puis lecture du nouveau Nuruddin des pages 48 à 76, café, petit déjeuner porté au lit à C* et Oméga, lessives, marché où je ne trouve pas grand chose sauf bien des fruits, un gros cageot de prunes rouges décalibrées ou fripées (8 kilos pour 3 euros, il s'avère à la pesée), de retour je fais des pommes au four et de la compote de prunes, vérifie mes mails (professionnels hélas), réponds, un truc un autre me voici prêt à faire du constructif alors qu'il n'est pas loin de midi.
11:19 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 01 juin 2014
2156 — En quarantaine (anticipée)
Voici pourquoi j'ai longtemps confondu Paul Guth et Jean Guéhenno :
Le Naïf aux quarante enfants
Journal d'un homme de quarante ans
→ J'ai lu, adolescent, ces deux bouquins, ça traînait en édition de poche, papier jauni, chez moi, adoncques chez mes parents. ← ╝ ╗ Moi, qui aurai bientôt quarante ans, serai bientôt quadragénaire, après des décennies à scribouiller sur papier quadrillé (ou pas), il me reste à lire un conte de Voltaire. Et je n'ai pas vu, de ma vie, le présidial de Guerlesquin.
11:33 Publié dans Les Murmures de Morminal, Self-Be/Portrayal | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 30 mai 2014
Elsa :: Boyer :: Mister
Les éditions P.O.L. viennent de publier le troisième livre d’une certaine Elsa Boyer, Mister.
Livre absolument époustouflant, c’est écrit d’emblée, et comme il paraît que même les lecteurs les plus perspicaces voraces attentifs amoureux-du-complexe ont tendance à décrocher des billets de blog après quatre phrases courtes, voilà, vous le savez, texte capital, précipitez-vous ô perspicaces, achetez.
Sur le site de l’éditeur, on vend un peu la mèche, le résumé voudrait qu’il s’agît du portrait d’un entraîneur de football, inspiré d’ailleurs par trois entraîneurs « réels » sont les noms sont donnés. Bien entendu, c’est un peu ça, et ce n’est pas ça du tout. Mieux qu’un “portrait de”, Mister est une plongée dans l’esprit (dérangé ? dérangeant à coup sûr) d’un entraîneur de football, façade ravalée, anxieux de voir ses pulsions animales prendre le dessus, planqué derrière des lunettes noires, écœuré par les monomanies pognonnières du “staff” et jamais autant inquiet et déçu que quand les autres voient (croient voir) exceller les joueurs.
Il n’est donc pas du tout question de football. Certes, on devine, en filigrane et passim [il m’a semblé que ce latinisme était très opportun ici, oh what a smart ass I am], que le club en question est le PSG ; certes, on reconnaît, dans le portrait de l’attaquant-vedette (pp. 103-4), le désormais tristement célèbre Zlatan. Mais ce n’est pas un roman. Et encore moins un livre sur le football. Elsa Boyer écrit à contre-pied.
Mister est plutôt un livre sur l’argent et l’animalité, sur la répression, le refoulement, par une écriture trempée à des sources volcaniques (Lautréamont, Duras, Savitzkaya), avec une perspective qui en fait, à ma connaissance, un des rares livres français que l’on puisse lire à l’aune du réalisme magique. Le réalisme magique est une notion galvaudée, généralement conçue comme un synonyme chic et choc du bon vieux fantastique (qui, lui-même, n’est pas toujours distingué du merveilleux). Ainsi, même un très bon roman comme Ladivine de Marie Ndiaye est très bon, mais ne relève pas du réalisme magique.
Mister est un texte où le style noue en permanence des éléments réels (hyper-réels même) et une vision anti-cartésienne du corps humain, des pouvoirs de l’esprit, de la subjectivité, et, donc, en marge, du sport. On n'est pas très loin d'un récit de Kafka, plus viscéral, plus exubérant, en noires songeries :
Le staff glapit, troue le corps du Mister de petites morsures. Mister sauve sa peau. Chez lui, entre les murs, il hurle dans le noir. Il creuse des cachettes où se terrer et dormir. Des proches rapportent à la presse que l'eau de sa piscine est croupie, envahie d'algues. D'ailleurs, on n'est plus tout à fait sûr que Mister habite encore ici. (p. 126)
Que le sport (divertissement, amusement – selon l’étymologie) soit ici l’objet d’une exploration du monstrueux, de la plus absolue noirceur, c’est le signe que Mister se situe pleinement en littérature : dans le revers, l’inversion, l’inscription en creux.
12:31 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (2)
vendredi, 27 décembre 2013
╩ Stature ╔
Trop de statuts, tue la stature.
Moins de statuts, s'évanouit l'instant.
22:49 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 26 novembre 2013
Minuit, ou quelques secondes avant l'avènement d'un lundi
laine élimée même pas laine
debout tête baissée
poème pas poème
nuit pesante de nèfles
lourdes,brunes,froissées
(sous le balai à gazon)
haine effacée même plus haine
poème devenu poème
13:03 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 20 novembre 2013
L'homme aux yuccas, I
L'homme aux yuccas lit les pages du merle bègue, il faut de la résistance à 23:13 et de la résignation à 11:11. Tout cela, l'homme aux yuccas le sait, ou ne le sait pas.
16:50 Publié dans Fièvre de nombres, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 18 novembre 2013
L'homme aux yuccas, ♦
Que veut donc l'homme aux yuccas ? L'homme aux yuccas se pose devant de grands volumes et attend la réponse. Il n'attend pas la "famine active du regard", un yucca peut crever l'œil.
Que veut donc, dans cette pénombre nauséeuse, l'homme aux yuccas ?
16:59 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 11 juin 2013
entends............
entends toujours
dans le vent de tes songeries
le coassement
glaireux des grenouilles
le raffût des merles
le labrador
angoissé
11:17 Publié dans Les Murmures de Morminal, MAS, Unissons | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 04 juin 2013
Quelle installation bizarre !
Quelle bizarre installation, et comme il faut toujours, pour rompre les habitudes du décor, inventer de nouvelles dispositions.
Il est essentiel de respirer par les pieds.
Maintenant qu'un mauvais rhume vous a épinglé, vous auriez mauvaise grâce à taquiner le cuir en sifflotant.
La chatte semble se dire : -- Quelle installation bizarre !
21:46 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 11 mai 2013
Like a Whiplash (104608)
J'ai, aujourd'hui, 38 ans 1/2.
Enfants, nous faisions tout un plat des demi-années. Mes fils, aussi, sont à un jour près, et me corrigent quand je leur attribue, pour aller vite, devant des tiers, l'âge qu'ils auront dans un mois ou deux semaines. Et, il y a huit jours, j'ai saisi le plus abstrait (si je ne m'abuse) de tous mes autoportraits tremblés (regroupés sous l'étiquette de bacons).
Le masque est devenu une traînée de lumière dans l'obscurité :
M E L A N ! C O L I E !
Ce que ne connaît pas la terreur, c'est la vérité de ce qu'elle redoute.
Si j'atteins le double de mes ans, je soufflerai 77 bougies.
......................................
15:03 Publié dans B x A, Brille de mille yeux, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 30 mars 2013
A Pole & a plot
À l’arrivée, nous fûmes défaits de ne voir arriver qu’une bande d’arrivistes.
Ça va barder, lançai-je alors, en voyant le barda que transportaient ces bardes hautains.
Un commentateur avisé me tira alors par la manche, et me suggéra de ne pas livrer le moindre commentaire – suggestion que je me contenterai de ne pas commenter.
Décidément, il fut décisif, ce moment dans cette gare surpeuplée.
D’un air entreprenant, l’un des arrivistes entreprit, folle entreprise, de me faire l’éloge des entrepreneurs. Folle entreprise, totale folie, digne d’un fou. Dans cette gare, je vis se garer le train à grande vitesse d’où étaient descendus les arrivistes, et pas sur une voie de garage. L’arriviste au dithyrambe s’enhardit alors et me fit un clin d’œil genre Journal du hard.
Dans son idiome, ce genre de clin d’œil – tout à fait idiomatique – valait idéalisme.
Pas un sou de jugeote, lui crachai-je à la gueule, sûr de mon jugement : il fut interloqué de voir un tel juge ainsi le juger. La livraison d’arrivistes, je n’ai pas de quoi en faire un livre. Dans mon malheur, pourtant, je ne fus pas malheureux de ce qu’il advint. Le sourcil nuageux et entouré d’une nuée de ses semblables, l’arriviste au dithyrambe leva les yeux aux nues et me dit : dissipons ce nuage entre nous.
Optimiste par profession, il opta pour un ton professoral, ce qui n’était qu’une option parmi d’autres : vous êtes professeur, et je professe, moi, la liberté d’entreprendre. Je trouvai son jargon plus inqualifiable encore, et pour le disqualifier de ce quai de gare, fort de mes qualifications, entrepris de lui démontrer la piètre qualité de ses propos. Il rua dans les brancards, tandis qu’autour de lui la nuée se faisait ruée, les arrivistes multipliant les ruades.
Je vois qu’il me faut stratifier mon récit, le nuage entre l’ultralibéral et moi ayant viré au stratocumulus, et en voici donc les dernières strates.
Terrifié par mes terrifiantes imprécations, l’arriviste, terrorisé, s’enfuit de la gare pour aller se terrer dans quelque terre accueillante. Une terre unie, baignant dans un universalisme niais. Voyons, le voyage de ce voyeur avait bien failli tourner saumâtre, pas à la revoyure, tous les voyageurs descendent du wagon. Du wagonnet, d’ailleurs, où tous vaquent en wagonnant. Toujours est-il que, ce xénophobe disparu, je pus, le sourire revenu, accueillir mes amis xénomorphes et reprendre l’écriture de mes Xénides.
L’écriture, yo man ! — ce doit être comme un yoyo qu’on yoyote.
À l’écrit, vous ne le sentez pas, mais le zézayeur ne cesse ses zézaiements qu’au zénith, à l’abri d’une verrière de gare… ou pas.
(Ill. : une des planches de G. Roux pour La Chasse au météore)
17:36 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 06 mars 2013
Last of the Chicken Wings
Si j'ai proclamé peu de choses, ces dernières semaines, disait l'orateur, le beugleur de Hyde Park, si je me suis résolu à reprendre le chemin de cette grille, vous me pardonnerez le raccourci, la brachylogie, disait-il en fanfaronnant du bout des lèvres, si je me suis décidé à revenir ici, en équilibre précaire sur ma caisse de McEwan's, ce n'est pas pour rien, pas par ennui ou désœuvrement, j'ai tout bonnement des révélations à vous faire, et ainsi, disait, dit, lança l'orateur improvisé au teint blafard, une information qui a échappé à tous jusqu'à ce jour doit être portée à votre connaissance – ne devrait-on pas plutôt moduler, what a muddle, pense le traducteur, ainsi : « il faut porter à votre connaissance une information de prime importance » – et vous en serez tous bien heureux, ravis même, l'orateur sourit, puis il se tait longuement, les badauds commencent à s'éloigner.
Il est possible aujourd'hui, murmure-t-il, de changer de lieu à la seconde même. Vous trouvez pénible cette pluie incessante, la bruine de chaque jour, Londres ou la Touraine, hein, vous consultez cette nouvelle application disponible sur Internet et sur vos téléphones portables (le traducteur s'interroge) et décidez de vous téléporter instantanément en un lieu ensoleillé. Il a forcé la voix, il répète ce qu'il vient de dire, les badauds se marrent. Ils ne se marrent pas doucement, ils rient ouvertement. Vous cliquez sur tel lieu de votre choix, le mieux est d'avoir un support de connexion mobile, afin de le faire suivre avec vous sur le lieu de téléportation, la voix de l'orateur est sans emphase, ça intrigue quand même certains des auditeurs, et donc vous voici au soleil, il fait beau, il fait doux, pour un peu vous vous désaperiez total, déloquage intégral au vu de tous, les auditeurs rigolent (le traducteur multiplie les surlignages en orange et les points d'interrogation en commentaire), attention toutefois de ne pas tous cliquer sur Ibiza ou Miami, on va risquer l'écrasement par surpopulation. Alors, je songe que je choisirais systématiquement un coin ensoleillé mais paumé, en Dalmatie ou loin des côtes australiennes, un jour de soleil en Tasmanie peut-être, le Quercy écrasé par la canicule.
Bam, bam, ça cogne fort, je chaloupe, je loupe toutes connexions neuronales, quelle invention curieuse, furieuse, terrible, formidable (non : terrifiante – le traducteur s'arroge d'étonnantes prérogatives), on retombe dans cet héliotropisme de façade, l'application permet aussi messieurs dames d'aller à la neige, de choisir un coin pluvieux, d'aller se rafraîchir, s'embruiner, vous ferez comme bon vous semblera (endrizzle yourselves, une réminiscence baudelairienne pointe le bout du nez, on n'est pas à Hyde Park pour rien), mais enfin voilà le début d'une nouvelle ère, l'ère des applications informatiques mobiles qui changent véritablement l'existence, ça sent le slogan, je vous jette mon gant au visage, l'orateur sur sa caisse de McEwan's ne s'emporte pas, on voit, à la douceur de ses expressions (faciales aussi ? hmmm, m'étonnerait), qu'il n'est pas fou, et que ce dont il parle existe vraiment, d'ailleurs il brandit une tablette numérique, il va faire la démonstration, hors langage, de son transport.
11:36 Publié dans J'Aurai Zig-Zagué, Les Murmures de Morminal, MUS | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 13 février 2013
Une demi-nuit à Aberfeldy
Mouche, comme ailleurs, qui bourdonne. Moustique tué, qui vibrionnait, sans trace de sang.
Hier, je me suis endormi à huit heures, temps local, du coup réveillé avant 3 heures, et pas moyen de se rendormir. Je ne peux accuser ni les hadida, qui se taisent toute la nuit, ni le vrombissement du frigo, ni rien d'autre. Le Zapata de Zalce ressemble un peu au Staline d'Aragon, la bonhomie en moins. Plus envie de lire même une ligne.
Réteindre.
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lundi, 07 janvier 2013
***
On honore mieux les morts dans la douceur que dans la colère. Saluer leur passage, habiller leur mémoire. Les mots, on ne doit pas les honorer : les malmener pour qu'ils s'enflament, voilà notre devoir. Avec frénésie, sans colère.
17:37 Publié dans Diableries manuelles, Ex abrupto, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 13 septembre 2012
Seven Dead Lies
Ta fougue ta ferveur ça monte en puissance. Tu te passeras de virgules désormais à chacun de voir comment rythmer. Cela a été fait, refait, usé et rabattu. Alors tu cognes de toutes tes forces, de ta fougue de ta ferveur, puis tu te renfermes, tu prends la mouche pour trop de fougue, la barre est trop subtile trop molle que faut-il dire, la barre d’espace est trop peu réactive (c’est ça ?). Alors adieu, sur trémolos, les remords.
Tu gambades, non tu regimbes, ou plutôt tiens : tu trottines au plafond, tu trottines pesamment, et en le faisant tu te dis que tu as bien de la chance d’être le seul être humain à pouvoir, comme ça, nonchalamment, d’un jeté négligé, trottiner pesamment, et trottiner pesamment au plafond encore plus étrange, mais tu le fais, et tu baves deux litres d’écume blanche sur ta bouffe.
Bon appétit les amis, et les remords vont course folle.
La fougue ne t’empêche de rien. Tu te retiens au bastingage, et c’est la barre d’appui qui te remonte dans la gorge tout ça c’est des mensonges, oh ce sont habiles menteries. Trottinements ténus, mais menaçants, et puis pesamment encore tu trottines, ta mémoire s’épuise de sorte que la barre te retient maintenant, et baste, lâcher sa gerbe dans les flots ce n’est pas rien, nausées sur le paquebot, tu te casses, je m’appuie à la barre. Mais elle est encore et toujours trop faiblement réactive, faut appuyer comme un sourd sur les touches, derrière ça y va à peaux mouchetées, normal, marche à la baguette, rien n’effleure.
Prendre vapeur et s’agripper, dans l’écume où tu lâchas ton dégueulis s’absorbent autant de rêves que de mensonges. Renoncer aux virgules n’était pas sérieux, mieux vaut comme un fou de toute sa fougue trottiner pesamment au plafond, comme un fou féru d’allers-retours. Ah comme c’est bon, bam bam, peaux flasques non peaux tendues, accords tacites sur le devant de la scène, elles prennent leur pied dans le creux de l’oreille, et ça tape ça cogne bam bam bom, donc allez, donc retours, retournez d’où vous venez, bam.
La porte de geindre sur ses gonds, on prend la mouche, alors quoi. Bavant deux litres d’écume blanche, il s’éloigna, sur la pointe des catachrèses.
À peaux feutrées.
À s’en rendre marteau.
13:04 Publié dans J'Aurai Zig-Zagué, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 06 septembre 2012
Echec et mat
Après un mardi Debussy, un jeudi Stravinsky.
Caché dans les orties, le petit campagnol s'entendait à merveille à débusquer les courtilières égarées. On ne l'y reprendrait plus. L'églogue le terrifiait, comme les longues plages complexes que nous devons élaborer (ce mot qui sent, plus que tout, la torture) nous affolent.
Tapie là, la bestiole devait pourtant, en fin de compte, aller aux graines.
Nous avons aussi fini par solder notre rapport au monde.
09:40 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 06 avril 2012
Un masque, encore
Matthieu
tartine la terrasse
ah qu'un félin passé vite ne se remplace
au pair du vide interne (oubli manque colonne)
et qu'on tartine en trombe
sans tambour ni trombone
la terrasse foutrebastre !
09:49 Publié dans Knobs & thorns, Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (2)
mercredi, 08 juin 2011
De l’empreinte à l’emprise
Un des presque innombrables textes de l’à la fois prolixe et secret Pierre Bergounioux, L’empreinte porte exclusivement sur l’enfance brivoise de son auteur, mais non dans une optique de « souvenirs d’enfance » ; il s’agit plutôt, pour Bergounioux, de démontrer, à son échelle, que le site d’une enfance détermine l’identité d’une personne sans changement possible. Tout éloignement, tout exil permet de faire la part de ce qui, dans cette construction identitaire, est fictionnel, mythopoïétique ou affabulé – mais il ne livre pas de nouvelle identité. Ainsi s’achève d’ailleurs l’opuscule : « Il est des lieux où la création tout entière semble s’être recueillie. J’en connais un, dans les collines. Il peut arriver qu’on le quitte et qu’on en soit changé. Je ne sais pas bien, alors, ce qu’on devient. On n’est qu’une fois. Je fus. Je suis de Brive. » (L’empreinte, Fata Morgana, 2007, p. 58).
Sous des allures de bref récit, d’écume d’écriture, de poème peut-être, un tel texte, s’achevant sur pareil postulat, n’explique – fût-ce dans ce que l’on va caractériser, par commodité, explicit – rien. Il pose des questions, et des réponses, plus denses que bien des extrapolations philosophiques de l’heure. Il m’a incité, pour ma part, dans une perspective que j’eusse peut-être dû confier plutôt à mes autres carnets, et – qui sait – à la rubrique Blême mêmoire, à revenir sur mon propre site d’enfance, au partage insolite que je pouvais faire entre la campagne de mes 6 à 16 ans et la vie de petite ville qui fut celle de mes premières années, mais surtout, de façon plus marquée, de la vie scolaire. Le petit ruisseau, à sec en été, et le bois qui était l’endroit que je préférais de la propriété de mes parents ont eu une influence essentielle sur ma façon d’aborder la topographie, le paysage, le voyage, l’existence, et peut-être même l’exil. Remontant le ruisseau en bottes, ou me hasardant même jusqu’aux champs de maïs mouillés et jonchés de vieux épis laissés par la batteuse, je m’étais déjà exilé de la maison, qui était déjà un tout autre univers. De la sorte, et de façon peut-être surprenante quand on songe de manière superficielle à ce que l’on nomme, avec force simplification, le climat méridional, c’est surtout l’automne et l’hiver landais qui ont façonné mon regard. De là, peut-être, que je ne vis jamais mal la froide saison, et ne l’ai pas même mal vécue sous d’autres climats, justement, et des plus gris (Oxford ou Beauvais, pour aller à l’essentiel).
Bergounioux dit que le tout se retrouve dans « le cercle étroit » « comme en abîme » (p. 23), ce que j’ai profondément ressenti aussi lorsque nous allions au bourg, derrière la mairie qui faisait office d’école, ou autour du vieux lavoir, près de l’église abbatiale (il n’y avait pas encore de court de tennis entre le lavoir et les champs), ou dans des villages voisins, Gaas, ou plus encore Bélus, dont j’ai toujours aimé le bourg, avec le fronton, le bâtiment blanc de la mairie, le monument à Francis Baco et l’étendue des prés et des cultures dans le lointain, vers le nord.
Aussi sais-je que chaque retour, là-bas, est un trait d’union impossible, plutôt un slash qu’un dash – un trait de désunion, un trait déliant – entre ce que je suis devenu, et dont effectivement je ne comprends pas grand-chose, et ce que j’étais enfant, que j’entrevois parfaitement, quoique dans la brume. Mon rapport à l’espace, et aux lieux, a beau s’être toujours nourri d’abstractions profondément senties (telle chanson, tel poème, tel texte que j’étais en train d’échafauder, telle personne que je côtoie, telle odeur surtout), il n’en demeure (verbe qui occupe ici une place éminente) pas moins que ce qui m’a situé, depuis toujours et sans possible (ni souhaitable) retour, c’est la butte sur laquelle mes parents avaient fait construire leur maison, l’orée du bois avec les asphodèles, le ruisseau à sec en été que je préférais arpenter à la saison des pluies, le chemin qui menait à l’enclos des moutons, le regard portant sur Sarraillot – et cette situation donnait plus de relief aux autres lieux dont je me nourrissais, par exemple, chez mes grands-parents maternels, les allées du potager – ponctuées par ces robinets d’arrosage auxquels nous (les enfants) n’avions droit de nous servir qu’avec parcimonie – le bosquet de chênes, au fond du terrain, sous lequel ma grand-mère installait des hamacs et des chaises longues, et (last not least) le poulailler où j’allais chercher les œufs sur lesquels j’étais chargé de noter le jour au crayon à papier, et près duquel, pyromane (comme à la maison, à Cagnotte, l’automne, devant la cheminée du salon), j’avais le droit, quand mon grand-père faisait du feu, de l’aider dans cette tâche. De l’écart – formateur – entre le lieu plat (le jardin de mes grands-parents) et semi-citadin (car situé dans les faubourgs de la préfecture) et le lieu abrupt, pentu, boisé, loin de tout (où j’ai passé le plus clair de mon enfance et de mon adolescence), il y aurait beaucoup à dire, mais c’est ce dernier qui a foncièrement et primordialement fixé le cadre de ce que je suis, pour toujours.
À présent, ayant lu L’empreinte et m’étant livré à cette ébauche essentielle autant que topographique, je comprends ce que, depuis la création de la rubrique Blême mêmoire (et même depuis que j’ai forgé le concept de mêmoire, c’est-à-dire il y a douze ou treize ans peut-être), je n’avais fait que sentir confusément : la mémoire, condamnée à relier, est condamnée aussi – et cette double condamnation est ce qui fait sa force, son charme, sa beauté – à affronter et conforter l’identité absolue, le fait que l’on ne devient jamais rien, puisque, si l’on a été, on n’est rien d’autre.
Du coup (« du coup » : expression dont je sais abuser (= « je sais que j’en abuse » et non « je sais comment en abuser savamment ») (hélas)), et c’est encore et toujours le cœur du projet qui sous-tend Blême mêmoire, seule l’écriture peut tenter, comme tant d’autres avant y ont magistralement échoué, à dire cette désunion qui est pont et rempart. Bergounioux, puisque je ne saurais clore ce billet sans revenir vraiment à lui, a le sens d’une telle écriture, explosante-fixe oui d’une certaine manière, une écriture qui lie, mue, émeut, saisit par des rapprochements qui sont autant de distinctions : « A trente pas de là, derrière l’attaque des poilus, les cannas du jardin public brandissaient des hampes écarlates. […] Les parfums, les saveurs, décalés, se trouvaient deux cents mètres plus bas, sous l’auvent d’un marchand de fruits qui rivalisait d’audace avec le jardinier du Palais de Justice. C’est là que j’ai respiré l’odeur d’ananas entiers, dûment pourvus de leur toupet, vu des mangues vêtues de papier de soie dans des couffes de sparterie, des pamplemousses et des noix de coco, comme des bêtes au pelage serré, des têtes aux cheveux drus. » (p. 41)
Ainsi sent-on, aussi, l'emprise de l'écriture.
15:35 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 01 mai 2011
Le Mât noir, dialogue
– Tu as lu ça ? tu as vu ça ?
– Et toi ? tu as vu ta tête ? qu’est-ce qui t’arrive ?
– Des blagues. Du blafard. Violent.
– Quoi ?
– Une pièce. De théâtre. Dans le petit manoir de Stanislaw Witkiewicz.
– Ah oui…
– Figure-toi qu’on y apprend que « toutes les chiennes sont castorisées », puis que « nous allons nous gaver comme des castors », et enfin, à l’acte III, un cocu veuf pardonne à un complice du cocuage « parce qu’il n’y a que vous pour sauver mes chiennes de la castorisation ».
– Castoriser ? castorisé ? castorisation ?
– Non, je ne sais pas.
– Sinon ?
– Sinon, quoi ?
– Sinon, quoi ? quoi ?
– C’est un drame spectral.
– Hein ?
– Une histoire de fantômes, de mort. Une sorte de Lorca tchekhovien en plus burlesque, assez Crommelynck quoi.
– Ah, je vois. Du Witkiewicz, donc.
– Oui. Très fin.
– Sinon ?
– Sinon, à l’acte II, « on aperçoit le manoir entre les arbres », puis Kozdron, un brave type qui prétend ne pas avoir trompé le cocu veuf alors qu’en fait il était bel et bien l’amant du fantôme (de la fantômesse si tu veux), lance que « le soleil brille, il fait beau, et j’ai l’impression que tout est recouvert d’un duvet noir », avant de dire, de manière dédoublée, figurée mais redondante : « j’ai un torchon noir devant les yeux ».
– Ah. Curieux, pour une histoire de fantômes. Ça me rappelle le dernier album de Fersen, spectres et loups-garous partout.
– C’est la mode.
– Non, mais lui, justement, se détache totalement du côté citationnel, post-moderne etc. pour assumer totalement le côté littéraire, presque littéral, de ce fonds de commerce.
– Ah ?
– Oui – et toi, tu comptes jouer la pièce ?
– Moi ? non ! pourquoi dis-tu ça ?
– Tu en connais pas mal par cœur, déjà.
– Oh, j’ai pris des notes. Et tu sais, ce qui me frappe…
– Quoi ?
– Par delà ce que tu disais, qui fait qu’à l’époque contemporaine les histoires de fantômes sont toujours des motifs, une spectralité au cube…
– Oui ?
– Les passages que je t’ai cités tout à l’heure, les citations de Kozdron… Ces phrases ponctuées de noir, pour une pièce dont le titre et le lieu d’action sont un manoir…
– Oui, quoi ?
– Eh bien, c’est en polonais. C’est forcément un hasard de la traduction.
– Oui.
– Ou un fantôme polyglotte qui joue des tours.
– Oh, dis donc, ça, c’est du théâtre !
– Oui.
21:09 Publié dans Les Murmures de Morminal, MAS | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 22 février 2008
Hantise hivernale
[ 13.02.2008.]
C’est la première fois – je pense – que je me retrouve à pianoter dans cette cuisine, où j’ai déjà, par le passé, installé l’ordinateur portable afin de montrer des photos à mon fils aîné, pendant son dîner, ou à mon beau-père, qui est mort il y a cinquante-deux semaines et une heure. C’est l’une des premières fois, aussi, que la table de la cuisine n’est pas recouverte d’une toile cirée, puisque la toile jaune, justement, je l’ai installée hier soir à la table du salon, pour le dîner, surtout par flemme de chercher une nappe dans les placards. Le bois clair de la table de la cuisine, avec ses nœuds plus bruns, me renvoie à des périodes hantées. Il est cinq heures et demie du matin, et je me suis tout de même fait chauffer un café, que j’accompagne de quatre « sablés des prés au pavot ».
La semaine prochaine, nous allons faire une petite virée de deux jours à Arcachon et sur le bassin, que je n’ai jamais visités de ma vie. Peut-être passerons-nous quelques heures à Bordeaux, histoire de montrer à notre fils le tramway, la cathédrale, le musée d’Aquitaine, les vieux quartiers, le jardin botanique – et peut-être même, si la nostalgie nous y conduit, le parc Peixotto, à Talence. C’est à Bordeaux, à l’hôpital Bergonié, que mon beau-père est mort il y a cinquante-deux semaines et une heure.
— Pourquoi le parc Peixotto ? me demanderez-vous.
— Pourquoi pas ? vous répondrai-je.
(Je n’arrête pas de tousser et de renifler depuis que je suis levé ; c’est agaçant.)
17:27 Publié dans Les Murmures de Morminal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Landes, Mémoire, Nuit, écriture