dimanche, 20 mars 2016
L'oiseau qu'on accroche
En route pour la grand place d'Audenarde — balayée par le vent, avec son grand beffroi —, O***, planqué derrière un pochoir métallique représentant une bicyclette, m'a fait un clin d'œil, et A***, coupe-vent ouvert sur un énième sweater à rayures, a presque recouvert le reflet du photographe dans la vitrine d'une cambuse.
Du Cantal, on retiendra le vert — et d'Artois, le vent.
Avant cela, ce mardi matin, j'avais fait remarquer cette vache énorme comme assise sur son fessier, comme attendant qu'on lui distribue ses cartes. Une génisse à canasta, alors que, deux jours plus tard, Alban allait nous expliquer tout ce qu'il fallait savoir de la race bleu blanc belge... Rebelote.
Le vent traversait la grand place, et, le temps que l'averse nous trouve, nous nous étions réfugiés dans le musée.
Je me souviens surtout des tapisseries.
Au dernier étage, il y en avait une salle, sous la charpente en carène renversée.
→→→→→→→→→ Un oiseau colleté, pendu, qu'on va assommer cruellement, à coups de trique. Et que de poinçons pour le tissage, que de cals aux mains pour cette vision plus durable d'un instant d'affolement et de panique.
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jeudi, 25 février 2016
Ram Singh
Je commence par la fin du quatrième jour, mais il faut dire que le monument britannique déclinant les noms de tous les soldats de l'Empire morts à Ypres est particulièrement mémorable, de sorte que, quitte à faire défaut, je noterai seulement que, sur le tableau dressant la liste, par grades, de tous les tués du 9e régiment d'infanterie de Bhopal, il y a trois Ram Singh, que ne distinguent, du coup, que leurs numéros de matricule, dûment notés à la suite de leur nom : 2609, 3105, 3376.
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mercredi, 24 février 2016
La partie de hockey des éléphanteaux & autres considérations
Le pachyderme peut aussi user de sa trompe comme d'une crosse, pour extirper d'une sphère de métal le foin qui s'y trouve enfermé. Les éthologues nomment cela enrichissement. Le regard des humains ne s'en appauvrit pas.
Pour la dernière fois, on peut dire “l'hyène” ou “la hyène”, même si le second est l'effet d'un usage erroné. Leur colonne vertébrale est comme un signe de parenthèse posé à la verticale.
La robe du sitatunga était d'un beau brun uniforme.
Ces grands lézards ont l'air complètement idiot, qui chevauchent une carapace de tortue.
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mardi, 23 février 2016
Brève approche éthologique des macaques à crêtes
Tout autour du très beau temple bouddhiste, dans l'espace globalement (et plutôt sottement) nommé “royaume de Ganesha”, s'est déroulée la part la plus marquante de la visite, avec, notamment, ce groupe de macaques à crête, très en éveil, très sociables, que l'on a pu observer longuement, qui à épouiller l'autre, qui à fuir, qui tendant son fessier turgescent, qui frottant deux feuilles sèches l'une contre l'autre, qui se burclant, d'un doigt effilé, l'entre-deux-orteils dans un geste précis et très étonnamment humain.
Il y a aussi que le binturong, seul dans son enclos, on a pu enfin l'observer éveillé, alors que celui du Jardin des plantes, par exemple, est toujours endormi (c'est l'objet de plusieurs blagues de Chevillard), et ce grâce au timing impeccable, n'étions-nous pas arrivés là pile au moment où un soigneur lui apportait une assiette de légumes (de pommes et de raisins, dans une écuelle posée sur les rondins de bois), afin que, d'un pas précipité, il vînt s'en goberger et s'en lisser les moustaches blanches et frisées ?
On prit de nouveau appui sur des pierres. Combinatoire à ailerons. Sous le regard de multiples Ganesh, les macaques se livraient encore à de vétilleux rituels. Leur pelage et leur peau connaissent toutes les nuances du brun sombe au noir de jais — que Soulages n'a-t-il pris garde à eux, histoire de tenter un revirement vers la figuration (cela n'aura pas été).
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lundi, 22 février 2016
2400 — Des chauve-souris dans une cave
Dans une cave de l'ancienne abbaye, en-dessous de la tour en ruines dans laquelle on peut apercevoir un escalier livré aux caprices du temps, j'ai observé, été témoin direct même, frappé (ou plutôt : frôlé) de voir que ce que je croyais être une parfaite légende, une impossibilité biologique, pouvait s'accomplir : les chauve-souris n'ont pas des sonars si développés qu'elles ne puissent frôler vos cheveux.
Si je n'étais pas chauve comme un genou, d'ailleurs, j'aurais peut-être senti beaucoup plus nettement celle-ci.
Cette cave voûtée de Pairi-Daiza n'a pas manqué de rappeler la colonie de roussettes du château d'Arques (été 2011, un jour de faible chaleur et même de pluie). Que les chauve-souris puissent s'accrocher, se prendre aux cheveux des femmes, cela reste hautement improbable, mais peut-être pas impossible.
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dimanche, 21 février 2016
1379 “éléments”
La mémoire doit travailler, bien sûr, et travaille — et la déconnade supplée à ses manques, à ses manquements. Pourtant, copiant dans le disque D:/ le dossier des photos et vidéos “Artois et Flandre”, je suis mis au fait : cette semaine a donné lieu à 1379 “éléments”.
Le mot désigne photos et vidéos, et il ne faut pas s'étonner du nombre, car bien des doublons, des flous repris avec flash ensuite mais conservés dans le dossier princeps, pas mal de cartouches photographiés à la hâte aussi pour tenter de pallier, justement, les susdits manquements.
Le mot “éléments”, passé le premier agacement face au jargon informatique, a tout pour séduire : éléments d'une grammaire, éléments d'un système, éléments d'une philosophie — éléments pour une histoire monumentale d'un voyage d'une semaine en Artois (et en Flandre).
1379 est le septuple d'un nombre premier, 197, dont tous les chiffres sont repris en lui, avec l'ajout, en deuxième position, de 3 = 1 + (9–7).
Existe-t-il, pour a·b·c premier, d'autres 7(a·b·c)=a·(a+(b–c))·c·b ?
Ou tels que c(a·b·c)=a·(a+(b–c))·c·b ?
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samedi, 20 février 2016
Deux poids
Qu'y puis-je si je trouve le takin plus beau et plus émouvant que le panda, ce gros lourdaud qui ne sait rien faire d'autre que se vautrer, dépiauter des bambous et vaguement, un jour par an, se rappeler de tirer un coup (je crois que la femelle y est moins résignée que le mâle, c'est tout dire) et mérite, de la sorte, sa multiplication en millions de peluches, et toute une diplomatie peu ragoûtante, alors que le takin, avec sa toison aux couleurs si variables, avec sa bonne gueule de mercenaire pacifique, reste largement méconnu, ce qui lui va bien, à ce grimpeur des pentes raides sous des ciels arides, qu'y puis-je ?
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vendredi, 19 février 2016
Le bébé à deux têtes
Pairi-Daiza est un univers en soi, vaste monde clos. Les résurgences de cabinets de curiosités y trouvent aussi leur place, ainsi avec ce squelette d'un “bébé à deux têtes” exposé après les grands aquariums, étrange confrontation du regard avec ce qui épouvante tous nos efforts, et ce cartouche presque aussi étrange, qui parle de l'incendie du musée d'Orsay en 1871 – on ne s'est jamais renseigné, on n'a jamais vérifié, on dit qu'on va le faire, on ne le fait pas, pas toujours en tout cas, et là ni la chimère réelle ni l'incendie, on n'a jamais vérifié.
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jeudi, 18 février 2016
Balises
Dans les ruines d'une abbaye, entre les pampres d'une végétation presque luxuriante, par des chemins parfaitement balisés, parmi des flots d'enfants surexcités dont certains piaillaient d'une voix aussi suraiguë qu'hystérique, nous avons encore admiré le Sarcoramphe roi et le Nestor kéa. Rêves de Caracas et d'Auckland. Pourtant, c'est au cœur de la Wallonie, les rêves sont souvent des machines complexes.
Chacun son chèche, aussi : bleu avec la combinaison d'un jean's vert forêt et d'un blouson gris ; blanc avec une tenue presque entièrement noire.
Dans une serre gigantesque, observer le Savacou huppé. Songer fugacement que Caracas est au Honduras, au Costa Rica ; après tout, pourquoi pas, tu n'y iras jamais.
(Il y eut cette époque où tu tentas d'écrire des textes en regardant un film, en écrivant à partir du film. À partir : l'évasion.)
Je revois ces sortes de souchets à bec bleu, corps de fuligule mais vraie tronche de souchet, je n'ai rien noté, quelle idiotie, et quelle idiotie plus grande encore de tenter de mettre au propre de telles heures tant de mois plus tard.
Pavillons chinois, thaïlandais, superbes, cabane dans les arbres, chemin par la passerelle qui tangue.
Poissons d'aluminium et de bronze, et donc, dans les aquariums, après turbots, raies, poissons exotiques, coelacanthe inexpressif, le poisson pierre si difficile à discerner, et ces méduses d'une beauté extraordinaire, tu les regardes et en les regardant tu penses en même temps à l'impossibilité d'une peinture et à une écriture en mouvements graciles et à l'explosion nucléaire, où ça, hein, pourtant, où ça.
18:18 Publié dans Artois, à moi | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 04 février 2016
Fait divers
Entre deux moments d'affaissement, ou la rédaction sommaire du log book, ou peut-être une improvisation de saxophone, un exercice de hautbois, on pouvait regarder frontalement, puis sous toutes les coutures, cette statuette lobi (ou béti, peut-être), avant d'éplucher le journal local acheté le matin même à Hornu, et où s'étalait, quelque part dans les pages consacrées aux faits divers, ce titre improbable :
Un octogénaire s'étouffe avec un bout de viande
L'article était illustré d'une photo de steak frites, avec une légende plus cocasse encore que l'article lui-même :
Un bout de viande fatal
(Que n'a-t-on pas lu, de bribes, dans les gîtes ?)
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« Ce n’est pas avec des emprunts, c’est avec des épargnes que la compagnie a pu se créer un port en 1828, un chemin de fer en 1835 ; c’est encore au moyen de ses épargnes qu’elle va compléter ses lignes rapides par un embranchement qui rejoindra le réseau belge à Peruwelz, sur la frontière, en continuant le tronçon de 19 kilomètres qui lui donne par Somain une issue sur le réseau français. »
14:57 Publié dans Artois, à moi, Brille de mille yeux, Droit de cité | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 30 janvier 2016
Macroules à Belœil
Plus tôt dans la journée du dimanche — diable, si le scripteur se permet des ressacs, on n'en a pas fini (c'est le but : n'en pas finir) —, saisir une parade nuptiale de foulques, ou peut-être un combat de mâles, l'un cherchant à impressionner l'autre afin de prendre le dessus.
Cette scène eut lieu sur la grande pièce d'eau du château de Belœil.
Plus encore que l'oiseau, le mot foulque rappelle l'atmosphère des voyages en famille. (J'avais huit ans et demi, l'âge de mon fils cadet, et durant tout le voyage en Suisse et en Autriche, mon père ayant soutenu que foulque était masculin, ma mère et ma sœur lui avaient emboîté le pas, et ce ne fut que quelques semaines plus tard, rentrés dans les Landes, que je pus aller chercher un dictionnaire et leur remontrer à tous les trois qu'ils n'avaient pas raté une occasion de se moquer de mon entêtement au cours du voyage mais que j'avais raison.)
Ce dimanche-là, à Belœil, peu après avoir saisi ces images de foulques en début de printemps, avoir fait un portrait de nous quatre avec le retardateur (appareil calé sur un des piliers de la balustrade, sans doute), moi arborant mon ghesquière et mon chèche.
(Toujours pour l'humidité piquante, les printemps hésitants, l'eau partout dans les yeux, il y aura bientôt dix ans et nous n'avons pas remis les pieds, what a shame, dans la Brenne.)
08:45 Publié dans Artois, à moi, Brille de mille yeux | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 27 janvier 2016
Sans l'iguanodon
De si loin que nous reviennent les trajets, les déambulations ou les piétinements — ainsi devant les vitrines de paléontologie de Bernissart, ce musée qui devait être l'objet de ce récit, je voulais retarder le moment, et vlan ! vlà-t-y-pas que je me trahis moi-même —, il faudrait s'inspirer, par exemple, du petit cahier, celui où sont scotchées trois fourchettes en plastique de frituur composant artistement le drapeau belge, et tenter de cerner la trame de la façon la plus réelle.
Mais, après tout, est-ce là l'affaire, surtout quand j'arrive fourbu à ces carnets, me disant qu'il faut que j'essaie de tenir, cette année, l'à peu près quotidienneté, avec les cinq ou six fers au feu qui pis est, est-ce là l'essentiel ? De toute façon, le réel me fuira.
(Incise : non, rien. Finalement, demain.)
Il s'avère surtout que ce musée — avec son nom, Bernissart — continuera d'évoquer principalement un souvenir plus ancien, celui de la complainte de l'iguanodon, chanson contemporaine de la découverte de ****, dont une version assez ridicule, il faut bien le dire, accompagnait tel documentaire vu il y a fort longtemps à la télévision, et sur laquelle je ne me lassai pas, quelque temps, de broder variations, vocalises et réécritures improvisées sur les thèmes les plus variés.
Pour Bernissart, au moins, le passé aura appuyé son emprise.
Il n'en va pas forcément de même pour le « bout de viande fatal ».
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mardi, 19 janvier 2016
Faire pièce
Au château de Belœil, aucun risque de se surclasser, ni de s'en casser.
Un festival de glaïeuls sans véritable parfum, cohortes lourdes qui passent devant les superbes tapisseries sans paraître les voir. Eaux boueuses, gris plus que verdâtres, de la grande pièce d'eau dont je crois me rappeler qu'il y régnait une sorte de quasi imperceptible flot mouvant. (Pas de bouillon pourtant, cela eût été pour une autre fois, dans une autre dimension, après Sedan.)
La scène où des gueux bourrés à la moelle plantent un précaire mât de cocagne, des grenades éclatées peintes par Oudry, un Voltaire qui n'en était pas un et un Louis XVI qui ne pouvait se ressembler, des putti de granit rongés par la mousse regardaient qui vers le large d'une pièce d'eau comme à Ostende, et qui vers l'arrière, façade arrière du château où le vent donnait le la de cette semaine.
Parfum, qui rime avec fin chez Fersen — pourtant, ce n'est pas possible.
Les glaïeuls n'embaumaient rien ; d'ailleurs, je m'en avise, sot et infoutu d'y retenir goutte, en fleurs, c'étaient des amaryllis.
(Comme chez Paul West.)
Belœil, pourtant : il faudra creuser ça. Pas comme on écarquille un œil, ou comme on écale un œuf, pas comme on épouse une consœur. Pas pour l'œil, pour le mot. Pour les deux points du tréma —— tes baisers sont pointus comme l'accent aigu. Et moi je m'en bats l'œil.
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vendredi, 29 mai 2015
Se classer soi-même
Le dimanche matin, après une première incartade du côté des boules de graisse et un dialogue haut en couleurs sur les éviers bouchés et lave-vaisselle qui refoule, prendre la route — sous un ciel gris — de Mons, mais, après peu de kilomètres sur l'autoroute au revêtement inquiétant, bifurquer vers le Grand Hornu : oui, c'est aussi le nom d'une commune, et d'ailleurs on ne comprend pas bien comment s'emboîtent les deux ou trois bourgs qui forment ici le tissu urbain.
Au Grand-Hornu, près d'une rue à corons, on entre dans le site de l'ancien complexe minier. Nous y sommes venus pour faire le lien avec la saline royale d'Arc-et-Senans, visitée en août 2013, mais pas seulement — bien sûr, il y a Boltanski. L'architecture idéaliste et rigoureuse, plus épurée encore qu'à Arc, penche plus du côté de certaines réalisations soviétiques qu'elle ne relève des Lumières.
Déambulation entre des colonnes, tour du grand ovale où nous sommes presque seuls ; c'est le matin, il crachine.
Avant, passé un long moment dans l'installation permanente de Boltanski, les archives du Grand Hornu : on cherche à établir un plan d'ensemble, on scrute la rouille, on lit des dizaines de noms, on essaie de comprendre pourquoi certaines portent des photographies en plus du nom, on imagine un algorithme pour l'alternance, bref on se classe soi-même dans l'installation, on repense cette mine, des bribes de l'histoire minière finissent par te traverser, toi qui n'y comprends rien, mais par les noms et les regards tu es forcément de cet ensemble humain porté colossal là sur un mur de boîtes rouillées alignées.
L'ensemble des autres installations de Boltanski que l'on parcourt est tout à fait essentiel, car l'œuvre se prête mal au catalogue, au feuilletage : il faut être au milieu, circuler, écouter, toucher, se perdre et toujours finir par avoir découvert un itinéraire et une hiérarchie. Boltanski est un des compositeurs les plus émouvants de l'époque, je l'écris dans le même sens que l'extraordinaire “Coltrane is such a wonderful poet” de la nageuse, dans Sardines de Farah. Il compose l'époque, il travaille à côté d'elle et donc à côté de nous. Nous, ses arpenteurs, nous recomposons, participons, transformons (par exemple) de nos frôlements obscurs et incertains la salle incommensurable des infinitives voiles.
Visite de ça à quatre, donc, escaliers comme des montagnes russes, avant d'enregistrer avec difficulté les battements de mon cœur qu'on pourra ne pas entendre sur l'île de Teshima. On embarque un Cd-Rom, même pas écouté ; le déchet n'a pas d'horizon : seule compte l'idée qu'on y est audible avec des milliers d'autres cardiaques.
Plus tard, après l'éternelle question sur l'hippopotame de Tervuren, déjeuner seuls dans le restaurant chinois du Grand Hornu, dans une rue criblée de commerces désaffectés, aura une plus faible aura. Mon futur se défend, entièrement.
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mercredi, 27 mai 2015
Courte menace
Courtrai. Ce nom parle. Il se scinde pour offrir un signe de ponctuation primordial, le trait d'union (qui, à son tour, pourrait suggérer une contrainte d'écriture) ou le tiret court, regard vers des usages américains. Ce nom aussi ronronne, ou grasseye, plus encore en flamand : Kortrijk. La première nuit, un peu pris dans l'insomnie, j'ai ressassé quelques souvenirs, et quelques noms correspondant à des terra incognita. Courtrai, qui peut être futur ou passé simple, pourvu qu'on s'y attarde, alourdit le récit d'une possibilité opulente.
▬
J'en suis donc (nous en sommes (en câblant la copie-sosie)) à la première nuit. Avions, trains, peut-être voitures dans le virage près du tas de fumier (gigantesque, nous dormions près d'un gigantesque tas de fumier), puis tourterelles bien entendu à l'aurore, on a pensé que les nuits seraient bruyantes, alors qu'en fin de compte Beclers s'est avérée aussi rurale que dans les promesses.
La menace, donc, a tourné court. (Par ce jeu de mots pas très folichon je relie la méditation sur le nom de la ville flamande que nous avons fini par parcourir le mardi et cette brève explication de ce que fut, en un sens, la première nuit.)
▬
Tourner court, contourner (puisque le corps de ferme est fiché entre deux virages), imaginer –dans la nuit des prairies, et d'ailleurs les propriétaires de la ferme, nos logeurs, avaient aussi un ranch– un cheval de trait, et pas un cheval de course. Tirer à la ligne (est-ce que j'en suis coupable?), c'est se faire cheval de trait aussi.
Le trait peut être bref, mais épais aussi, comme la croupe du cheval.
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lundi, 25 mai 2015
Le lit de l'analogie
Pas d'autre possibilité que de commencer de nouveaux textes, de nouveaux projets, sans quoi la répétition finit par valoir tarissement, et on se prive de la surprise ou de l'exaspération fertile, comme ce samedi en fin d'après-midi, après avoir quitté l'autoroute, à traverser quatre fois de suite en moins de dix kilomètres la même voie ferrée, suivant aveuglément — on n'a plus le choix, on s'aveugle, on voyage sans cartes cette fois-ci — les indications du GPS.
La frontière traversée, on ne se rend pas compte de grand chose, pas de gamine boulottée par les renards rouges mais déjà une remarque sur ces grosses vaches qui m'ont frappé le regard, des vaches rosées, on y reviendra.
On doit donc franchir quatre fois la même voie ferrée, c'est comme un tricotage, pour le peu que j'y comprenne.
Après ces tergiversations, ou ces méandres (le lit de l'analogie est fécond), nous voici, non même pas à Beclers, on a quitté Beclers et on a l'impression que la maison est à Thimougies, puisque le bourg que nous traversons se nomme ainsi et que le GPS nous indique désormais tout proche le logis. Quand on arrive au logis, il n'y a personne, juste ce corps de ferme en quadrilatère à moitié seulement retapé, le portail clos et ce petit chien qui aboie comme un forcené devant. On passe outre, il pleuviote — ce Playmobil gigantesque et écaillé pour les lettres et le dépôt du lait ne nous barre pas la voie, nous voici avec K-Way et sacs devant la porte du logis du fond, la clé trouvée dans le barbecue, on s'installe.
Pendant plusieurs semaines, j'avais lourdement plaisanté sur le nom (Beclers), rappelant (d'on ne sait où — blême mêmoire qui vient tout relier, raccorder, rapiécer) la vieille pub (cette saveur, c'est Beuclère), mais le lendemain, je crois, on a compris que ça devait se prononcer bé-clé (comme la becquée, ou comme un B suivi d'une clef). ░▒▓░▒▓░▒▓ Ce n'est pas l'Artois, mais le Hainaut, je crois. Je crois que ce n'est pas l'Artois, mais comme je ne me suis pas intéressé de près à la question, je me saisis de ce mot, Artois, j'en fais une sorte d'abracadabra avec l'art, le toi, le toit, la dureté peut-être, à coup sûr le rassasiement (être hart). Nous n'avons donc pas vécu en Artois, plutôt dans le Hainaut, beau mot aussi, région singulière par son peu de traits saillants (à part les vaches roses ?).
12:10 Publié dans Artois, à moi | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 24 mai 2015
Vers le sandwich inévitable
Avant Arras, bien avant, on s'est emberlificotés dans les bouchons, parce qu'un poids lourd s'était “couché sur la voie” en “renversant sa cargaison”, de sorte que tous les véhicules devaient quitter l'autoroute, et donc, au pas, en perdant de précieuses minutes, on se dirigeait vers l'inévitable dégueulasse sandwich de région parisienne, qui est venu à point nommé, inévitable, dégueulasse.
07:05 Publié dans Artois, à moi, J'allaite le nouveau Kant, II | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 23 mai 2015
La stupeur perdue (Pong-ping, 9)
On a poursuivi la stupeur dans les rues d’Arras. Sans jamais la rattraper.
Sans jamais la rattraper, on a poursuivi la stupeur. On courait presque, le temps quoique censément printanier était frais ; malgré le soleil, le vent rabattait nos prétentions sur les façades refaites, repeintes, rebriquées. La stupeur nous devançait largement, sur les pavés.
Pas de géants, ni de foire. Pas de vieille histoire, pas d’encan. Le souffle du vent agitait les querelles vaines d’automobilistes énervés, tout retombait en girandoles après le passage d’Éole. Arras gardait son secret.
On n’a pas idée non plus !
On n’a pas idée, non plus !
Des voix d’hommes s’élevèrent, tandis que nous renoncions piteusement à poursuivre la stupeur. Un chœur sublime, un peu ridicule. Pourquoi Vølvens spådom dans les rues d’Arras ?
Quelque grande soit la foule, dans ces lieux désertés, on a le sentiment que jamais ces places ne pourront paraître autrement qu’immenses, traversées par le vent. Et la cité Vauban, on n’a pas idée, sans trompette ni cancans. Elle n’est pas fabriquée, pas rebriquée. Du gravier en pluie. Une jeune femme passe, collants noirs serrés et jupe à ras.
Reluquer n’aide pas à rattraper la stupeur, ni à donner un sens à sa vie.
On a poursuivi la stupeur dans les rues d’Arras. Sans jamais la rattraper.
14:53 Publié dans 1295, Artois, à moi, Les Murmures de Morminal, Pong-ping | Lien permanent | Commentaires (0)