dimanche, 23 octobre 2022
Namatjira (Oodgeroo Noonuccal)
Toi, l’homme aborigène, à la démarche altière,
Tes pinceaux enchantaient* la contrée toute entière.
Toi l’homme original, si vite renommé :
On te reconnaissait partout où tu passais.
Hommages et honneurs, tout cela du néant :
Tu as suffoqué face aux principes des blancs,
Pour avoir suivi la loi de ton clan sauvage**
Qui dicte à tous le grand principe du partage.
À quoi pouvaient bien rimer leurs acclamations ?
Ils t’ont lancé des fleurs, puis jeté en prison.
Namatjira***, ton art, ils l’ont porté aux nues ;
Ils ont dit « quel génie » puis t’ont brisé le cœur****.
(traduction Guillaume Cingal)
______________________________________
* 1er jet : « réjouissaient », plus proche mais un peu étrange
** wild est un adjectif très complexe dans le contexte autochtone australien
*** Le poème est un hommage à Albert Namatjira (1902-1959).
**** Pour rappel, cette rubrique est un carnet de traductions en chantier. Je ne suis pas satisfait de l’absence de rime pour ce dernier distique.
10:37 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 20 octobre 2022
the bird cage : Ali Cobby Eckermann : la cage aux oiseaux
La cage aux oiseaux
la porte a claqué, premier
temps d’un chant nouveau
tap-tap de pattes d'oiseaux
résonnant sur des chemins de ciment déserts
tristesse fondant lentement
devenue l’astre à son zénith
d’où tu viens, ma reuss
la nouvelle ligne de chant
c’est l'âme à l’état brut
le coolamon tout neuf
le crayon sur la feuille
le pétroglyphe d'aujourd'hui
les courlis se sont envolés
à l’arrivée des pies
le soleil colorant
en rouge les feuilles des arbres
qu’avons-nous déclenché
ce jour-là ?
22:25 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 17 octobre 2022
Mother : Kirli Saunders : Mère
Mère
j’ai fini par passer des heures
à me chercher
dans les traits symétriques de ta peau
dans les traces bleu-vert de tes rides profondes.
Je regarde danser le sable au rythme de tes marées
et les tanins
couleur thé
couvrir de leurs pavés la glaise de ton corps.
Voici mes pieds posés dans les traces de pas
de ceux de notre clan
partis depuis longtemps
et je sais
que c’est ici
que je suis chez moi.
*********
Kirli Saunders est une poète de la nation Gunai (Australie). D'autres poèmes d'elle à découvrir sur le Red Room Project.
08:28 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 13 octobre 2022
Joy Harjo ::: Ce matin je prie pour mes ennemis
Ce matin je prie pour mes ennemis
Qui donc désigner ainsi – « mon ennemi » ?
Un ennemi, ça mérite qu’on s’y attaque.
Je me tourne vers le soleil et je marche sans m’arrêter.
C’est le cœur qui m’interroge, pas mon esprit enragé.
Le cœur est le petit cousin du soleil.
Il voit tout, il sait tout.
Sous les propos amènes il entend les dents grincer.
Le cœur devrait être la seule voie pour accéder à l’esprit.
Un ennemi qui s’y introduit court le risque de devenir ton ami.
(traduction G. Cingal, 13/10/2022)
08:24 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 25 mai 2020
annas katz ::: le chat d'anna
annas katz' (kleine Hommage an Ernst Jandl)
le chat d'anna, petit hommage à Ernst Jandl (trad. G. Cingal)
annas katz' kratzt
le chat d'anna gratouille
annas katz' scharrt
le chat d'anna patouille
anna ratzt
anna roupille
anna: nana
anna : allons, allons
annas katz' knarzt
le chat d'anna couine
annas katz' tatzt
le chat d'anna farfouine
anna schnarcht
anna ronflote
anna: lass katz' lass
anna : laisse-moi, le chat
annas katz' klagt
le chat pousse un chouinement
anna ahnt
anna a un pressentiment
annas katz' kackt
le chat d'anna a chié, vraiment
anna wacht
anna s'éveille
anna: aah
anna : haaan
absatz//
à la ligne //
nachsatz:
post-scriptum :
(anna liebt otto)
(anna aime otto)
10:45 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 24 mai 2020
Herbstmanöver ::: Manœuvre d'automne
Herbstmanöver (Jutta Over)
Manœuvre d'automne (trad. G. Cingal)
leicht der Spinnen Taubenetztes zu bewundern
facile de s'émerveiller devant les filets tissés par les araignées
ihre Hungerstunden fließen zäher als die
dont les heures de jeûne filent plus lentement que ne se
Morgennebel schwinden
dissipent les brumes matinales
trifft der erste Feuerstrahl die Panzer klammer Käfer
la première salve contre les chars des scarabées engourdis
heißts noch einmal Freiflug übers Minenfeld
= synonyme d'un vol libre au-dessus du champ de mines
11:05 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 23 mai 2020
kuckuck ruft ein vogel laut ::: coucou, l'appel d'un oiseau
kuckuck ruft ein vogel laut (Christine Rainer)
coucou, l'appel d'un oiseau (trad. G. Cingal)
kuckuck ruft ein vogel laut
coucou l'appel d'un oiseau, sonore
sehen kann ich ihn nicht
je ne le vois pas du tout
dann noch einmal leiser
puis le revoici plus doux
fernere rufe die gewandt
des appels lointains diffractés
durchs fenster schlüpfen
par la fenêtre s'immiscent
ins ohr den kopf das innenauge
dans l'oreille la caboche l'œil intérieur
formt einen prächtigen kuckuck
se forme un coucou splendide
schräg auf einer astgabel
en travers à la fourche d'un arbre
die flügel aufgeplustert legt er
plumes gonflées voilà il pond
der eine sie ist ein dickes ei
lui qui est elle un gros œuf
ins fremde knochennest meine
dans ce nid d'ossements mais il
hirnschale lässt es dort ungestört
ne touche pas à ma boîte crânienne
brüten wochenlang ist es still
ce n'est rien couver des semaines
nachts träume ich von wäldern
la nuit je rêve forêts
flügelschlägen käfern und rinde
battements d'ailes écorces scarabées
dann leises knacken splittern
puis ça craque en douceur se fendille
ich spür kleine trippelschritte
je perçois des trottinements
wie mich jemand gereift verlässt
comme si on me laisse mûrir
übers rechte außenohr
de mon oreille droite libre
schwingt er sich ins freie
il se balance dans le vide
eine feder bleibt zurück
il m'a laissé une plume
schwebt versonnen im morgenlicht
qui plane songeuse dans la lumière de l'aube
08:49 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 22 mai 2020
Hurrah, heil! ::: Viva, hourra !
Hurrah, heil! (Maria Janitschek, 1859-1927)
Viva, hourra ! (trad. G. Cingal)
Rote Locken umflattern mein Angesicht,
Des boucles rousses flottent autour de mon visage,
hüpfende Flammen.
des flammes bondissantes.
Hurrah, heil!
Viva, hourra !
Meine schlanken Hüften umgürtet ein Schleier;
Un voile ceint mes hanches minces :
wer ihn löst, erblindet.
qui le dénoue en perd la vue.
Hurrah, heil!
Viva, hourra !
Brennender Mohn und blaublumiges Giftkraut
Le coquelicot brûlant et l'aconit d'azur
sprießt unter meinen Fersen auf.
germent sous mes talons.
Hurrah, heil!
Viva, hourra !
Meine Lippen sind heiß wie der Schrei der Lust,
Mes lèvres brûlent comme un cri de désir,
süß wie weinende Sünde.
douces tels des péchés plaintifs.
Hurrah, heil!
Viva, hourra !
Feuer ist mein Hauch, mein Nein der Tod
Le feu est mon haleine, mon non signe la mort,
mein Ja die wiehernde Hölle.
mon oui c'est le diable et son train.
Hurrah, heil!
Viva, hourra !
Weißt du, weißt du, wer ich bin?
Sais-tu, sais-tu donc qui je suis ?
es rauchen die Wälder vor mir,
à mon approche les forêts crépitent
und die Himmel betrinken sich in meinem Laut:
et le ciel s'enivre en entendant ma clameur :
ich bin die Liebe!
je suis l'amour !
07:34 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 21 mai 2020
Schwüle ::: Temps d'orage
Schwüle (Hedwig Dransfeld)
Temps d'orage (trad. G. Cingal)
Kein Ruf kann die Erde wecken,
Aucun appel ne peut éveiller la terre,
Sie schläft im Totenreiche,
Elle dort au royaume des morts,
Sie schläft unter goldenen Decken
Sous des brocarts dorés elle dort
Wie eine Königsleiche.
Comme le cadavre d'un roi.
Im Wald die Gräser und Farren
Fougères, plantes, dans les bois,
Beben in letzter Pein,
Tremblent : c'est l'agonie ultime.
Sie müssen im Lichte erstarren,
Se figent dans le jour infime.
Sie tranken vom Todeswein.
Le vin des morts les désaltère.
In tausend Sonnenflüssen
En mille fleuves de soleil
Ergoß der Himmel Verderben,
Le ciel a déversé la dégénérescence,
Von tausend Sonnenküssen
Et mille baisers de soleil
Ein großes Welken und Sterben.
Ont tout décimé, tout flétri.
Im Gold verschmachten die Felder,
Dans cet or les champs agonisent,
Im Gold verzehrt sich die Luft ...
Dans cet or l'air se raréfie...
Und durch die träumenden Wälder
Et il se répand, de par les forêts endormies,
Ein schwerer Verwesungsduft.
Une forte odeur de pourri.
06:54 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 20 mai 2020
Schweigen ::: Le silence
Schweigen (Lisa Baumfeld, 1877-1897)
Le silence (trad. G. Cingal)
... Und rings das Schweigen ... tödlich schweres
... Et tout autour le silence... mortellement lourd
Schweigen,
silence,
Als wär' der stumme, blasse Lebensgeist
Comme si la vitalité, pâle et muette,
So straff geschwellt mit lauten Schmerzensworten,
gonflée à se rompre par des paroles blessantes,
Dass er daran erstickend würgt und schweigt.
en vient à s'étouffer, s'étrangler, à se taire.
Er ringt in mir nach Athem, keucht danach,
Haletante, essoufflée, elle lutte en moi
In einen gellen Schrei zu pressen all
afin de rassembler en un seul hurlement
Das stumpfe Elend ...
toute la grise misère...
Einen Schrei, der klirrend
Un cri, qui en retentissant,
Die Seelenfasern auseinandersprengt,
fasse éclater les fibres de l'âme,
Dass mir die blonde, traumumwehte Psyche
tant que mon esprit blond nimbé de rêveries
Verhauchend aufgeh'n darf im blauen All ...
puisse aller respirer au profond de l'azur...
... In kühler Kelche Duft sich wiegend,
... Bercé au sein du frais calice des parfums,
In leisem Wohlklang weich sich schmiegend,
blotti au chaud dans une calme harmonie
Endlich befreit ...!
Enfin libéré...!
06:31 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 19 mai 2020
Morphina ::: Morphine
Morphina (Francisca Stöcklin)
Morphine (traduction G. Cingal)
Im Traume fand ich dich,
En rêve je t'ai découverte,
Mädchen, in mondener Nacht
Jeune fille, par une nuit de lune,
Kamst du mir zögernd entgegen.
Tu es venue vers moi à contrecœur.
Auf deiner Stirne träumte ein Stern,
Sur ton front rêvait une étoile,
Deine kleinen Schritte klangen wie Glas,
Tes petits pas comptés tintaient comme du verre,
Um deinen Mund ein überweltliches Lächeln.
Un sourire d'outre-tombe autour de ta bouche.
Deine schmalen Schultern froren im Wind.
Tes épaules frêles gelaient dans la brise.
Ich umschlang dich, deinen eisigen Körper.
Et je t'ai enlacée, toi, et ton corps glacial.
Schwester! wie lange bist du gestorben...
Ma sœur, depuis combien de temps es-tu morte...
Wir sanken, wir fielen.
Et nous sommes tombées, et nous avons sombré. .
Mohn umblühte unser Sterben.
Autour de notre mort ont fleuri des pavots.
09:10 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 18 mai 2020
entfasst ::: démantibulé
entfasst (Sina Klein)
démantibulé (trad. G. Cingal)
schschsch / mach die stimmen drinnen still
ch-ch-ch-ch / fais taire les voix du dedans
sei diese walnussschale auf den wassern.
sois cette coquille de noix qu'emporte l'eau.
die nacht verlangt nicht viel,
la nuit n'exige pas grand chose
nur einlass in die spröde hülle.
que se glisser sous la couette sèche.
der fluss wiegt gegen mich
le fleuve pèse contre moi
als weicher körper, venusleib.
corps tendre, chair de vénus.
sie sucht den zeitvertreib und treibt
elle cherche un passe-temps et me bouscule
in mein gehölz, denn es ist willenlos –
le bosquet, car il est docile –
es: dient als floß nur nacht, dem mond
lui : ne sert de radeau que la nuit, sous la lune
und wabert trunken vom likör der sonne,
et chancelle le jour saoul de liqueur solaire,
– er grub mir falten in die tagesstirn
– il a creusé des rides dans mon front diurne
die übrig bleibt – hier auf den venuswassern,
qui seul me reste – ici sur les eaux de vénus
in ihren armen: ausgehöhlt und still.
dans ses bras : vidée et silencieuse.
06:33 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 17 mai 2020
Traum : Rêve
Traum (Emmy Hennings)
Rêve (traduction G. Cingal)
Ich bin so vielfach in den Nächten.
Toutes les nuits je me fais si nombreuse
Ich steige aus den dunklen Schächten.
Et je sors des bouches d'aération :
Wie bunt entfaltet sich mein Anderssein.
Mon double s'épanouit bigarreuse.
So selbstverloren in dem Grunde,
Totalement perdue dans la raison,
Nachtwache ich, bin Traumesrunde
Hors du sanctuaire je me nuitlève
Und Wunder aus dem Heiligenschrein.
Veilleuse-étonnement je fais rondederêve.
Und öffnen sich mir alle Pforten,
Toutes les portes s'ouvrent devant moi,
Bin ich nicht da, bin ich nicht dorten?
Ne suis-je pas ici, suis-je là-bas ?
Bin ich entstiegen einem Märchenbuch?
Suis-je donc sortie d'un conte de fées ?
Vielleicht geht ein Gedicht in ferne Weiten.
Un poème, qui sait, vogue dans les lointains.
Vielleicht verwehen meine Vielfachheiten,
Et qui sait si mes multiples moi s'évaporent,
Ein einsam flatternd, blasses Fahnentuch . . .
Un étendard pâle qui voltige aux nuées.
14:53 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 16 mai 2020
Der Dichter ::: Le poète
Der Dichter (Kathinka Zitz)
Le poète (trad. Guillaume Cingal)
Nur dem Dichter ist das Loos geworden,
C'est le sort du poète en ce bas monde ici
Über And're hoch sich zu erheben,
De s'élever au-dessus du commun vulgaire,
Denn er lebt ein Phantasieenleben,
Car en vivant sa vie toute d'imaginaire
Näher steht er an des Himmels Pforten.
Il se tient plus près des portes du Paradis.
Sprach' der Gottheit tönt aus seinen Worten,
La langue divine s'exprime en ses écrits,
Genien der Wehmut ihn umschweben,
Autour de lui planent les esprits nostalgiques ;
Was der Himmel Schönes ihm gegeben,
Ce que le Ciel lui a donné de magnifique,
Haucht er aus in sehnenden Akkorden.
Il le murmure sur sa lyre, ardent, transi !
Seiner Lipp' entströmen sanfte Lieder,
De sa lèvre s'écoulent des chants débonnaires,
Alle seine Worte sind Gefühle
Et toutes ses paroles sont des sentiments
Die der Scherz und auch die Lust empfunden.
Qui expriment la joie ainsi que l'amertume.
Niedriges zieht nimmer ihn hernieder,
Jamais rien ne le ramène ici bas, sur terre :
Denn er wandelt frei zum schönen Ziele,
Seul le Beau lui importe, il erre librement,
Mit des Nachruhms schönem Kranz umwunden.
La tête couronnée de sa gloire posthume.
11:41 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 15 mai 2020
Betrunkene Nacht ::: Nuit d'ivresse
Betrunkene Nacht (Hertha Kräftner)
Nuit d'ivresse (trad. Guillaume Cingal)
Der Gin schmeckt gleich um elf und drei,
Le gin est goûtu à onze heures trois
das Soda nur wird schaler.
et la limonade n'en est que plus fade.
Wer will, der kann mich haben
Qui le désire peut m'obtenir
für einen alten Taler.
pour un sou et une œillade.
Mein Bräutigam, mein Bräutigam
Mon fiancé, mon fiancé
war einer von den sieben Raben,
était l'un des sept corbeaux qui
der flog am Haus vorbei,
a survolé la maison,
da war es zwölf vorbei,
et c'était juste après minuit,
mein Bräutigam, mein Bräutigam
mon fiancé, mon fiancé
tat einen dunklen Schrei
a lancé un cri sombre et sec
und wollte seinen süßen Schnabel
et voulait s'abreuver le bec
an meinem Herzen laben,
si doux en becquetant mon cœur,
da spießte ihn ein fremder Mann
un inconnu l'a embroché
auf eine Silbergabel.
sur une fourchette en argent.
Nun kann mich jeder haben
Maintenant le premier venu
für einen alten Taler.
peut m'obtenir pour quatre francs.
Das Herz, mein Freund,
Mais le cœur, mon ami,
ist aber nicht dabei
n'est pas inclus
bei diesem Preis,
dans le prix,
dem Herzen, Freund, wird kalt und heiß
non, mon ami, ce cœur, s'il a froid, s'il a chaud,
nur bei den Zärtlichkeiten eines Raben.
ce n'est que d'être cajolé par un corbeau.
Darum auch haben
Et c'est pour ça, mon beau,
meine Freunde mich ertränkt . . .
mes amis m'ont noyée...
Versprecht, daß ihr das Glas Chartreuse verschenkt,
Jurez-le moi, cette chartreuse, c'était votre tournée,
in dem ich schwimme als ein gelbes Ei.
ce verre où pareille à un jaune d'œuf je nage.
18:14 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 14 mai 2020
Die gelbe Schlange ::: Le serpent jaune
Die gelbe Schlange (Gertrud Kolmar)
Le serpent jaune (trad. Guillaume Cingal)
Ich war ein Mädchen auch im Traum.
Dans le rêve j'étais aussi une jeune fille.
Und meine Brüste lagen, helle Inseln,
Et mes seins gisaient, îles lumineuses,
Auf jeder eine kleine braune Stadt
Et sur chacun d'eux une petite ville sombre
Mit spitzem Turm
Avec un beffroi pointu
Und rot geheimer Ströme unterirdnem Rinseln.
Et rouges les ruissellements souterrains de fleuves cachés.
Wann werden weiße Quellen aus den Steinen brechen?
Quand des sources blanches sourdront-elles des pierres ?
Die Schlange zuckte
Le serpent avançait invisible
Ungesehn durch Kraut.
en se tortillant dans les plants de choux.
Ach, alle Moose, die sie grüßte,
Toutes les mousses qu'il salua
Verrotteten.
Pourrirent aussitôt.
Ihr Leib ließ eine Wüste.
Derrière lui son corps laissait un désert.
Baumgrün vergilbte vor der gelben Haut.
Vert tendre de jaunir devant sa tête jaune.
Die gelbe Schlange kam.
Le serpent jaune est arrivé.
Sie zog sich über Meer
Il a couvert la mer
Und sank in Grund,
Avant de s'enfoncer dans le sol
Wo seltsam bunt und schwer
Où d'un poids singulier, vives couleurs étranges,
Tierblumen an verfallnen Schiffen saugen
Des fleurs animales suçaient les navires naufragés
Mit zähnelosem Mund.
De leur bouche édentée.
Sie schlich
Il s'est immiscé
In meine roten Grottenflüsse ein.
Dans mes ruisseaux souterrains aux flots rouges.
Sie lächelte.
Il a souri.
Die kleine Stadt ward krank,
La petite ville est tombée malade
Zermürbte, wich.
Epuisée, affaiblie.
Ihr stolzer Wartturm sank
Sa fière tour de guet
Tief in ein Weiches ein.
S'est enfoncée profondément dans la terre molle.
Die Insel, einmal glücklich schön
L'île, jadis belle et fortunée,
Mit Hügelkuppe und mit sanfter Bucht
Avec sa collinette et sa baie si douce
Um vieler Wellen blitzendes Getön,
Au murmure éclatant au fil de tant de vagues,
Hing müd in See.
Tomba, lasse, dans la mer.
Wie überreife, halbvermulschte Frucht.
Comme des fruits trop mûrs à moitié remâchés.
12:05 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 13 mai 2020
Trauriger Tag ::: Jour triste
Trauriger Tag (Sarah Kirsch)
Jour triste (trad. Guillaume Cingal)
(Pour écouter aussi le poème)
Ich bin ein Tiger im Regen
Je suis un tigre sous la pluie
Wasser scheitelt mir das Fell
L'eau me raye le pelage
Tropfen tropfen in die Augen
Des gouttes dans les yeux dégouttent
Ich schlurfe langsam, schleudre die Pfoten
J'avance à pas feutrés, mes coussinets
Die Friedrichstraße entlang
Prennent leur essor sur la Friedrichstraße
Und bin im Regen abgebrannt
Et la pluie me calcine
Ich hau mich durch Autos bei Rot
Je me faufile au feu rouge parmi les autos
Geh ins Café um Magenbitter
Vais au café m'envoie un picon bière
Freß die Kapelle und schaukle fort
Boulotte l'église repars en me dandinant
Ich brülle am Alex den Regen scharf
Pour appeler Alex dru je rauque la pluie
Das Hochhaus wird nass, verliert seinen Gürtel
Le building de s'imbiber en perd sa ceinture
(ich knurre: man tut was man kann)
(Moi je grogne, on fait ce qu'on peut)
Aber es regnet den siebten Tag
Mais le septième jour voici qu'il pleut encore
Da bin ich bös bis in die Wimpern
Et moi méchant jusqu'aux sourcils
Ich fauche mir die Straße leer
À force de feuler je fais fuir tout le monde
Und setz mich unter ehrliche Möwen
Et je m'installe avec de braves goélands
Die sehen alle nach links in die Spree
Qui regardent la Spree la tête vers la gauche
Und wenn ich gewaltiger Tiger heule
Et moi tigre puissant quand je rugis
Verstehn sie: ich meine es müsste hier
Comprenez bien : ce que je veux dire c'est qu'ici
Noch andere Tiger geben.
il devrait y avoir d'autres tigres.
16:30 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 12 mai 2020
Sag mir ein Wort ::: Dis-moi quelque chose
Sag mir ein Wort (Christine Lavant)
Dis-moi quelque chose (trad. Guillaume Cingal)
Sag mir ein Wort, und ich stampfe dir
Dis-moi quelque chose, et je te ferai sortir
aus dem Zement eine Blume heraus,
une fleur du ciment rien qu'en piétinant
denn ich bin mächtig geworden vor Schwäche
car la faiblesse et l'attente vaine
und vom sinnlosen Warten,
m'ont donné un surcroît de force,
magneten in allen Sinnen.
aimantée dans tous les sens du terme.
Sicher wirst du erscheinen müssen!
Sans doute il faudra que tu te montres !
Über dem Bahnhof zittert die Luft,
Au-dessus de la gare soufflent des bourrasques
und die Taubenschwärme erwarten
et les vols de pigeons attendent
den Einbruch der großen Freude.
l'avènement de la grande joie.
Das Licht hat sich sanft auf die Schienen gelegt,
La lumière s'est posée doucement sur les rails,
weg von den Haaren der Mädchen
loin des cheveux des jeunes filles,
und aus den Augen der Männer.
hors de portée des yeux des hommes.
Ich habe aufgehört zu weinen,
Et moi j'ai cessé de pleurer
aufgehört auch, auf das Wunder zu warten,
et j'ai cessé aussi d'attendre le miracle
denn eines ereignet sich immerwährend
car toujours un miracle advient pendant que moi
im Wachstum meiner Schwäche,
je sens s'accroître ma faiblesse,
die da steigt und steigt hoch über die Tauben hinauf
qui monte et s'envole plus haut que les pigeons,
und hinunter in schwarze Brunnen,
avant de redescendre au fond des puits sombres,
wo auch tagsüber noch sichtbar sind
où l'on voit tout le jour
die verheimlichten Sterne.
les étoiles cachées.
Dort unten wechselt nicht Tag und Nacht,
En effet, là en bas, jour et nuit se confondent,
dort unten begehrst du noch ununterbrochen
et là en bas tu convoites sans répit
die sanfte Blume meines Willens.
la douce fleur de ma volonté.
08:35 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 11 mai 2020
An einen Baum am Spalier ::: À un arbre en espalier
An einen Baum am Spalier (Sophie Mereau, 1770-1806)
À un arbre en espalier (trad. Guillaume Cingal)
Armer Baum! - an deiner kalten Mauer
Pauvre arbre, coincé contre cette paroi froide
fest gebunden, stehst du traurig da,
qui t’entrave, te voilà éploré, maussade,
fühlest kaum den Zephir, der mit süßem Schauer
sans sentir le zéphyr ni l’averse clémente
in den Blättern freier Bäume weilt
qui, berçant les feuilles des arbres moins captifs,
und bei deinen leicht vorübereilt.
ne touche tes rameaux qu’en des instants furtifs.
O! dein Anblick geht mir nah!
Ô, te voir seulement me saisit et m’enchante !
und die bilderreiche Phantasie
L’imagination aux infinis reflets
stellt mit ihrer flüchtigen Magie
en un tour de magie devant les yeux me met
eine menschliche Gestalt schnell vor mich hin,
vite, à la dérobée, comme une forme humaine
die, auf ewig von dem freien Sinn
qui, coupée pour toujours de la nature pleine
der Natur entfernt, ein fremder Drang
et de la liberté, contraint un feu torride
auch wie dich in steife Formen zwang.
à prendre, comme toi, des formes plus rigides.
11:09 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 10 mai 2020
Winterwanderung ::: Errance hivernale
Winterwanderung (Thekla Lingen)
Errance hivernale (trad. G. Cingal)
Verschneit der Weg,
La sente enneigée
Vom Wind verweht.
Par le vent effacée.
Wegweiser stehn und weisen,
Des écriteaux indiquent
Wo meine Strasse geht.
Où se trouve ma rue.
So still der Wald,
La forêt, sans un bruit,
In weissen Schleiern
Enveloppée de voiles blancs :
Still und kalt.
Silencieuse, engourdie.
Schneeflocken wehen durch die Luft –
Des flocons flottent dans le ciel :
Kein Menschenlaut,
Pas un son humain,
Kein Vogel ruft.
Et d'oiseaux, aucun appel.
Der Schnee webt mir ein weisses Kleid,
La neige me tisse une robe blanche,
Ich wandre still, ich wandre weit,
Je marche loin et en silence,
Mag keinen Weiser am Wege sehn,
Ah si je ne voyais plus le moindre écriteau...
Mag meine eigene Strasse gehn
Ah, si ma rue pouvait disparaître bientôt...
Im weissen Winterfrieden.
Dans la paix blanche de l'hiver.
08:27 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 09 mai 2020
Zwei Bäume ::: Deux arbres
Zwei Bäume (Luise von Plönnies)
Deux arbres (trad. G. Cingal)
Zwei Bäume hab' ich einst im Wald gesehn,
Un jour, dans la forêt, j’ai vu deux arbres
Die wollten sich einander nahe stehn.
Qui désiraient s’approcher l’un de l’autre.
Sie schau'n sich an voll Sehnsucht, möchten gern
D’une triste ardeur ils se regardaient,
Sich fest umschlingen; doch sie stehn zu fern,
Désireux de l’étreinte, mais trop éloignés
Denn andrer Grund ist Jedem angewiesen,
Car chacun a reçu une place assignée
Darin des Lebens starke Wurzeln sprießen.
Où poussent dru les racines de l’existence.
So neigt sich Jeder still zum Andern hin,
Pourtant chacun vers l’autre se penche ;
Der Eine scheint den Andern anzuzieh'n,
Tel paraît attirer l’autre vers lui
Bis es zuletzt gelingt den schlanken Zweigen,
Jusqu’à pouvoir enfin nouer ses maigres branches
Sich in den Kronen liebend zu erreichen.
À la cime de l’autre, amour épanoui.
Wie sie die Aeste in einander flechten,
Et comme ils ont tressé ensemble leurs rameaux
Sind sie beschirmt von liebevollen Mächten;
Les voilà protégés par de tendres puissances.
In blauen Lüften, wo die Wolken jagen,
L’azur, où les nuées vont en troupeaux,
Da dürfen sie sich ihre Sehnsucht klagen.
Peut entendre leur plainte et leur désespérance.
Sie dürfen Blüth' um Blüthe selig tauschen,
Ils entrefrôlent leurs bourgeons, si vivement,
An ihren Düften wonnig sich berauschen.
Et s’enivrent de leurs parfums charmants.
Sie stehn, vom Licht des Abendroths umglüht,
Là, sous les rougeoiements du crépuscule,
Gleich wie von tausend Rosen überblüht;
Ils s’éclairent de l’éclat de milliers de roses ;
Verklärend weben aus der Himmelsferne
Du fond des cieux les astres éternels
Ihr heilig Licht darum die ew'gen Sterne.
Leur tissent une sainte lumière.
So möcht' ich mich mit dir zur Höhe schwingen,
C’est ainsi qu’avec toi je voudrais m’envoler
Mit tausend Liebesarmen dich umschlingen,
Vers les cieux, et de mes mille bras t’enlacer,
Mit meines Herzens innigsten Gedanken
Des pensées les plus cachées au-dedans
Dich unauflöslich fassen und umranken.
De mon cœur, te saisir, t’agripper fermement.
So möcht' ich deinem höchsten Leben lauschen,
C’est ainsi que je voudrais boire à ta vie même
So möcht' ich Seel' um Seele mit dir tauschen,
Et échanger mon âme avec la tienne,
Hoch über'm düstern Nebelreich der Erden,
Par-delà les nuées sombres qui tout envoilent
Im Himmelblau mit dir vereinigt werden,
M’unir à toi enfin dans le ciel azurin,
Wo keines Menschen Augen auf uns sehn,
Où aucun œil humain ne nous atteint,
Wo nur die Sterne auf und niedergehn.
Où seule va et vient la course des étoiles.
____________________________
Liens :
- Bibliographie des œuvres de Lise von Plönnies
- Deux sonnets de Shakespeare traduits par Luise von Plönnies
- Répertoire de traductions allemandes des Sonnets de Shakespeare
____________________________
NdT :
Par ailleurs, je commente ou justifie rarement mes traductions, mais je veux ici indiquer que j'ai compensé l'absence de respect strict de la forme (distiques de rimes plates) par une alternance d'alexandrins et décasyllabes ainsi que par le recours ponctuel aux rimes croisées, ou, pour les 4 derniers vers, de façon assez appropriée je trouve, aux rimes embrassées.
10:33 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 08 mai 2020
Ich will dich erschlagen! ::: Je vais t'abattre !
Ich will dich erschlagen! (Lisbeth Eisner)
Je vais t'abattre ! (trad. G. Cingal)
Ich will dich erschlagen!
Je vais t'abattre !
Ich! Pentesilea!
Moi, Penthésilée !
Sie sprengt heran.
La voilà qui part à l'assaut.
Im Todessprung steigt
Dans cet assaut fatal bondit
hufblitzend ein Roß.
à perdre haleine un destrier.
Achilles schaudert: sein Geschoß
Achille frémit : son épée
färbt sich in heißem Herzblut.
de ce sang bouillonnant rougit.
Zwei nackte Arme,
Deux bras nus
ringgeschmückt,
décorés de bagues
fallen zur Seite –
retombent au sol :
Nie wieder reitet,
Plus jamais ne cavalera
nie wieder streitet
ni ne bataillera
Pentesilea.
Penthésilée.
Achilles barg sich in seinem Zelt
Achille s'enferma sous sa tente
drei Tage lang.
trois longs jours durant.
Sein Herz blieb ihm für immer krank.
Son cœur à tout jamais en demeura blessé.
So schlug den Helden
Ainsi l'a-t-elle abattu,
Pentesilea.
Ce héros, Penthésilée.
17:42 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 07 mai 2020
Unsere Welt ::: Notre monde
Unsere Welt (Helene von Engelhardt)
Notre monde (trad. G. Cingal)
Wir fragen nicht nach Weltgetrieb',
Non, nous ne réclamons pas l'agitation,
Nach bunter Lust und lautem Glück.
Ni plaisirs éclatants ni bonheurs bruyants.
Denn uns're Welt ist uns're Lieb',
Car notre monde, c'est notre amour :
Wir zieh'n uns still darein zurück.
C'est là que nous nous retirons, là, en-dedans.
Die Welt für uns in Nichts zerfällt
Pour nous le monde se désintègre et sombre,
Mit ihrem wirren Wechsellauf,
En coups de canons confus, dans le néant.
Und aus dem Nichts steigt eine Welt
Et de ce néant s'élève un nouveau monde
Voll Liebesseligkeit uns auf!
Tout de béatitude et d'amour débordant !
09:54 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 06 mai 2020
Abzählen der Regentropfenschnur ::: En comptant les tresses de gouttelettes
Abzählen der Regentropfenschnur (Hilde Domin)
En comptant les tresses de gouttelettes (trad. G. Cingal)
Ich zähle die Regentropfen an den Zweigen,
Je compte les gouttes de pluie sur les branches,
sie glänzen, aber sie fallen nicht,
elles brillent sans tomber,
schimmernde Schnüre von Tropfen
tresses scintillantes de gouttes
an den kahlen Zweigen.
sur les branches nues.
Die Wiese sieht mich an
La prairie me regarde
mit großen Augen aus Wasser.
avec ses grands yeux d'eau.
Die goldgrünen Weidenkätzchen
Les chatons du saule, d'un vert d'or,
haben ein triefendes Fell.
ont le poil dégoulinant.
Keine Biene besucht sie.
Autour, pas la moindre abeille.
Ich will sie einladen
Je veux les inviter
sich an meinem Ofen zu trocknen.
à se sécher près de mon poêle.
Ich sitze auf einem Berg
Assise en haut d'une montagne,
und habe alles,
j'ai tout ce qu'il faut,
das Dach und die Wände,
le toit et les murs
das Bett und den Tisch,
le lit et la table,
den heißen Regen im Badezimmer
la pluie brûlante dans la salle de bains
und den Ofen mit löwenfarbener Mähne,
et le poêle avec sa crinière de lion
der atmet wie ein Tier
qui ahane comme une bête
oder ein Mitmensch.
ou comme un compagnon.
Und die Postfrau
Et jusqu'à la factrice
die den Brief bringen würde
qui m'apporterait la lettre
auf meinen Berg.
au sommet de ma montagne.
Aber die Weidenkätzchen
Mais les chatons du saule
treten nicht ein
n'osent pas entrer
und der Brief kommt nicht,
et la lettre n'arrive pas,
denn die Regentropfen
car les gouttes de pluie
wollen sich nicht zählen lassen.
refusent de se laisser compter.
07:08 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 05 mai 2020
Ich wollte so gern ein Stern sein ::: J'aimerais tant être une étoile
Ich wollte so gern ein Stern sein (Zehra Çirak)
J'aimerais tant être une étoile (trad. G. Cingal)
Seelenklimawandel
Changement climatique de l'âme
Das Dasein ist ein Riesenrad
L'existence est une grande roue
Wir Menschen sind nur Zwerge
Nous, les humains, rien que des nains
Trotzdem geht der Mond
Et pourtant la lune
auf und ab
monte et descend
im Nehmen
au fil du temps
und die Sterne schauen
et les étoiles nous fixent
ab und zu
de bas en haut
mit halbblinden Augen
de leurs yeux à moitié aveugles
der sorg-
malgré leurs
losen Ohren wegen
oreilles négligentes
Manchmal sie blinken
Parfois elles clignent des yeux
und tönen
avec fracas comme si
als ob sie lauthals Leben wären
elles prétendaient haut et fort être la vie même
Ach man möcht so gerne
Ah comme on aimerait que
der Sterne Wegen
la piste des étoiles
nur
ne soit
ein lautlos Lichtlein sein
qu'un faible halo silencieux
08:05 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 04 mai 2020
Joseph Beuys ::: Joseph Beuys
Joseph Beuys (Eva Zeller)
Joseph Beuys (trad. G. Cingal)
als er sich in den
quand il s'est coupé
Finger schnitt
le doigt
hat er das
il a fait un
Messer verbunden
pansement au couteau
als er aus aller-
quand en clouant des objets
geringstem Material
totalement insignifiants
eine Kreuzigung nagelte
il a bricolé une crucifixion
ein Balken eine Latte
une poutre une planche
ein Kabel zum Schnüren
un câble pour ficeler ça
setzte er zwei
et voilà qu'il avait figuré
Rückenfiguren davor
deux personnages vus de dos
weiße Flaschen die
des fioles blanches contenant
Blutkonserven enthalten
du sang en conserve
Stellprobe für
un échantillon de lieu
fast so etwas
pour quelque chose comme
wie Erbarmen
de la pitié
08:17 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 03 mai 2020
ASSOZIATIONEN ::: ASSOCIATIONS
ASSOZIATIONEN (Ilse Blumenthal-Weiss)
ASSOCIATIONS (trad. G. Cingal)
Die STEINE reden.
Les PIERRES bavardent.
Der Laternenpfahl leistet
Le réverbère tient
Dem GALGEN Gesellschaft.
Compagnie à la POTENCE.
Zigarette und Tabak
La cigarette et son tabac
Lösen sich in ASCHE auf.
Se décomposent en CENDRE.
Fahnen aus RAUCH
Des drapeaux de FUMÉE
Verhängen den Himmel.
Cachent le ciel.
STERN um STERN martert
Tant d'ÉTOILES supplicient
Blick und Gewand.
Le regard et l'habit.
Man sagt im Schlaraffenland
On dit qu'au pays de cocagne
Ist der gelbe Fleck
La tache jaune
Unsichtbar.
Est invisible.
09:41 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 02 mai 2020
Nachts ::: Nocturne (Sophie Albrecht)
Nachts (Sophie Albrecht)
Nocturne (trad G. Cingal)
Alles ruht - nur meine Seele
Tout repose et seule mon âme
Ist noch ihrem Kummer wach;
Veille, lourde de souci ;
Schmerzlicher, weil ichs verhehle,
Plus douloureusement, malgré moi, elle exhale
Drückt sie ihr gepreßtes: Ach!
Son soupir tenu, comme un cri.
Schwüle liegt auf meinem Herzen,
Mon cœur est lourd de sombres nuages,
Schwerer Ahndung bange Last -
Suffoque sous le poids de noirs pressentiments :
Nie verschwinden diese Schmerzen,
Toujours de ces douleurs je subis les outrages —
Nur im Grabe wohnet Rast -
Dans la tombe : là est la trêve, seulement !
Gott! mein Gott! o gieb mir Stille,
Mon Dieu, donne-moi le repos !
Sprich zu meinem Geiste: Ruh!
Ordonne à mon esprit de fuir le tourment.
Bey dir ist des Friedens Fülle,
Près de toi pleinement on se trouve dispos —
Wink mir süßen Schlummer zu.
D'un geste accorde-moi de dormir doucement.
08:34 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 01 mai 2020
Weisse Pause ::: Pause blanche (Elke Erb)
Weisse Pause (Elke Erb)
Pause blanche (trad. G. Cingal)
Als ich in das blühende Bäumchen sah,
Pendant que je regardais l’arbuste en fleur
stand sein Tausendweiß still und starrte,
son infinie blancheur immobile me fixait,
als prange es vor dem Himmel,
comme si dans le ciel il se balançait,
starr und fremd hielt die Stille,
le silence durait, étrange, obstiné,
und nachher, oben im Zimmer,
et ce n’est qu’après, dans la chambre à l’étage
habe ich mich erinnert,
que je me suis rappelée
wie ich selbst im Kindesalter
comment lorsque j’étais enfant
auf dem Land aus der Küche starrte
de la cuisine à la campagne je fixais
exzessiv in das Schneien
obstinément la neige tomber
und Schneien. Ein wenig Droge.
et tomber. Un peu comme une drogue.
Ein Reiz. Er zehrt und dauert.
Une fascination. Qui mine et n’a de cesse.
Ein unverwandtes Schauen
Un regard implacable
zurück in das nicht Traute.
qui fixe ce dont il se méfie.
Freiheit gleich Fremde gleich Tausend,
La liberté comme l’étranger comme la multitude
denn da starrte ja alles,
car alors tout me fixait de ce regard fixe :
Steinrücken, Apfelrund, Graslauf.
pierres retournées, rondeur des pommes, herbes folles.
Jedoch gewann sich das Auge
Cependant, l’œil a su s’emparer de
das Hausige des Hauses...
ce qui, de la maison, faisait la quintessence...
______________________________
En ce premier jour de mai si particulier, sans défilé ni manifestation, à dix jours de la fin (définitive ?) du confinement, je commence une nouvelle série de traductions de poètes ou d'autrices germanophones. Le projet est de tenter de traduire un texte à chaque jour de mai, et d'une écrivaine différente chaque jour. Je le rappelle, je suis piètre germaniste et j'essaie surtout, par ce biais, de me contraindre à pratiquer un peu mon allemand si rouillé. Toutes critiques constructives sont les bienvenues.
Ici, il s'agit d'un poème en distiques non rimés, et j'ai tenté d'en rendre le caractère étrange, obstiné et volontiers bancal au moyen de vers principalement impairs : 11, 13, 7 et 9. Les deux distiques “pairs” (8/12 et 10/12) correspondent aux moments de maîtrise (distiques 4 et 9). Je suis assez content des vers à structure ternaire et impairs (4/5/6 pour le vers 14 et 5/5/3 pour le vers 16).
Tout cela est un peu arbitraire, mais m'a permis d'avoir un cadre autre que celui des rimes, et du sens (qui m'a en partie échappé, cela se remarque sans doute).
11:07 Publié dans Germaniques de mai | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 30 avril 2020
Sommernacht ::: Nuit d'été
Sommernacht (Johanna Wolff)
Nuit d’été (trad G. Cingal)
Klee und Nachtviolen duften
Du trèfle et des giroflées le parfum puissant
süß bedrängend durch das Dunkel.
s’exhale finement de par l’obscurité.
O wie lieb ich diese Düfte
Ô comme j’aime ces senteurs
und wie lieb ich diese Nacht!
et comme j’aime cette nuit !
Und mein Ruder gleitet leise
Et ma rame lentement glisse
durch die Wellen mondumflimmert.
par l’onde aux reflets de la lune.
O wie lieb ich diese Wellen
Ô comme j’aime cette onde
und wie lieb ich diesen Glanz!
et comme j’aime cet éclat !
Wenn aus dunkelblauen Tiefen
Quand, venu des profondeurs bleutées,
mit den Lüften, mit den Düften
avec ces parfums et ces vents coulis,
ein Vergessen und Verlieren
un sentiment de perte et d’oubli
mich umdämmert weich und sacht
m’enlace doucement et délicatement,
und mein Nachen lautlos gleitet
mon esquif glisse sans bruit
durch die Nacht.
et s’enfonce dans la nuit.
08:11 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 29 avril 2020
Das ist die Zeit ::: Voici le moment
Das ist die Zeit (Johanna Wolff)
Voici le moment (trad. G. Cingal)
Wenn der Wald im Nebel steht,
Quand la forêt, embrumée, blêmit,
wenn der Wind mit müdem Streichen
quand le vent, mollement,
durch verschlafne Föhren weht,
souffle sur les pins endormis,
ringsum will der Tag verbleichen:
le jour se lève et veut arracher les pigments :
das ist die Stunde, das ist die Zeit,
voici l’heure et le moment
wann die Einsamkeit
où la solitude
aufs Wandern geht.
se fait vagabonde.
Wenn der Wald im Bluste bebt,
Quand la forêt tremble sous les rafales
Maienwind mit scheuem Schweigen
et que le vent de mai, timidement,
um die jungen Knospen webt
tisse autour des bourgeons sa toile,
und die Säfte drängend steigen:
quand la sève monte ardemment :
das ist die Stunde, das ist die Zeit,
voici l’heure et le moment
wann die Sehnsucht schreit
où la mélancolie éclate,
und Liebe zur Liebe strebt.
où l’amour aspire à l’amour.
Wenn der Wald im Reife blinkt,
Quand la forêt scintille sous le givre,
Sonnenlicht mit hartem Scheinen
que le soleil de ses rayons ardents
durch kristallne Zweige klingt,
fait tinter les ramures cristallines,
dir im Auge friert das Weinen:
que les pleurs dans ton œil glacés se figent :
das ist die Stunde, das ist die Zeit,
voici l’heure et le moment
<>die das Herzeleid
où les tourments
zur Ruhe bringt.
t’apportent le repos.
08:19 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 28 avril 2020
Du bist der Klang ::: Tu es le son
Du bist der Klang (Johanna Wolff)
Tu es le son (trad. G. Cingal)
Sing ich ein Lied, du bist der Klang,
Si je chante, le son, c'est toi —
auf den gestimmt mein ganzes Leben.
Le son auquel s'accorde ma vie entière.
Frag nicht was dein in dem Gesang,
Ne me demande pas ta place dans mon chant,
wo alles dein,
tu y es tout entier,
mein ganzes Sein, das mühsam rang,
mon être tout entier s'épuisant à chanter
um Wohllaut dir zu geben.
pour te donner le la.
Und bin ich reich, du bist mein Gut,
Et si je suis riche, tu es mon bien ;
und bin ich still, bist du mein Frieden.
si je suis calme, c'est toi qui m'apaises.
Du bist der Schrein, darinnen ruht
Tu es le sanctuaire où repose
die Seele mein.
mon âme.
Die Seele mein ist gut und ruht
Mon âme est bonne ; elle repose
im Himmel schon hienieden.
au ciel déjà le ciel ici-bas.
08:52 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 26 avril 2020
Und rinnt mein Leid ::: Ma souffrance s'écoule
Und rinnt mein Leid (Johanna Wolff)
Ma souffrance s'écoule (trad G. Cingal)
Und rinnt mein Leid durch perlende Lieder
Ma souffrance s'écoule en chansons chatoyantes
ganz sacht,
sans fracas
es kommt das Leben und lockt sie wieder
la vie pour les attirer se fait caressante
und lacht!
et rit aux éclats !
Und dunkeln Tränen den Glanz meiner Lieder
Des pleurs viennent ternir mes chansons éclatantes
zur Nacht,
la nuit,
wie leuchtende Vögel aufflattern sie wieder
comme oiseaux leur envol aux plumes rutilantes
mit Macht!
est sans répit !
Und sind mit Singen und Klingen erst wieder
Toujours la lyre ou le tambour les réenfante
erwacht,
au temps qui va,
die Tränen geben dem Klang meiner Lieder
mais ce sont les pleurs qui leur donnent, si brillantes,
die Pracht!
leur éclat !
08:33 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 08 avril 2020
Wie es war ::: Passé – comment
Wie es war (Johanna Wolff)
Passé – comment (trad. G. Cingal)
Du und ich, wir beide wissen,
Toi et moi, nous le savons,
was man einmal hat umfangen,
ce qui jadis nous a saisis
wird man immerdar vermissen
nous manquera à tout jamais,
und mit Tränen auf den Wangen
et les joues baignées de larmes
immer träumen, wie es war -
nous rêvons toujours du passé – comment –
über hundert Jahr.
qui a duré au moins cent ans.
Du und ich, wir beide wissen,
Toi et moi, nous le savons,
was uns band, kann nicht verblassen,
ce qui nous unissait ne peut pas disparaître,
goldne Fäden, die zerrissen,
des fils dorés qui, même déchirés,
können nicht vom Leuchten lassen,
ne cessent pas d'étinceler
leuchten über hundert Jahr -
et brillent pour au moins cent ans :
wie es war.
ce passé – qui brillait – comment.
08:20 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 07 avril 2020
Mein Brüderchen hab ich erschlagen ::: Ô, mon pauvre frangin…
Mein Brüderchen hab ich erschlagen (Johanna Wolff)
Ô, mon pauvre frangin… (trad. G. Cingal)
Mein Brüderchen hab ich erschlagen,
Ô, mon pauvre frangin, je l’ai assassiné,
das war wohl schlimmer Dank.
action de grâces funeste.
Nun höre ichs wimmern und klagen,
Maintenant je l’entends gémir, se lamenter
wie Totengesang.
comme une oraison funèbre.
Meine Laute höre ich beben
Mon luth, je l’entends frissonner
mit irrem Kling und Klang,
et le son qui en sort est de pure folie,
geisternde Lieder umschweben
les voix des spectres font tourner
mich jahrelang.
virer mon moi à l’infini.
Die Laute, die mußte sterben,
Il fallait bien que meure ce luth, certes,
sie wußt von uns beiden zu viel.
car il en savait trop sur lui et moi.
Mag ich nun selber verderben -
Comme j’aimerais courir à ma perte :
kein Weg - kein Ziel!
pas d’issue, pas de voie !
11:43 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 06 avril 2020
Dir sang ich meine Lieder! ::: Pour toi j’ai chanté mes chansons
Dir sang ich meine Lieder! (Johanna Wolff)
Dir sang ich meine Lieder!
Pour toi j’ai chanté mes chansons,
Du und ich, du und ich
toi et moi, toi et moi
wandern zusammen diesen Weg
ensemble arpenter ce chemin
weltenlang nicht wieder.
en tous sens, cela ne se reproduira pas.
Mein Herz hatt sich gegeben
Mon cœur s’est livré à toi
in deine Hand, in deine Hand,
et placé dans ta main, dans ta main,
das war wohl wert ein Leben.
ce cœur qui valait une vie.
Nun steht mein Licht ganz tief gebrannt
Mon flambeau désormais est calciné,
und zittert hin und wieder
sa lumière vacille au vent,
im kalten Wind - den deine Hand
au vent froid dont ta main a fait
zum Sturm entfacht.
une tempête.
Ich gab dir Lieb und Lieder,
Je t’ai donné mon amour et mon chant,
was hast du aus mir gemacht!
et ma vie par toi s’est défaite !
09:48 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 05 avril 2020
Da sang eine graue Nachtigall ::: Un rossignol gris chantait
Da sang eine graue Nachtigall (Johanna Wolff)
Un rossignol gris chantait (trad G. Cingal)
Da sang eine graue Nachtigall
Un rossignol gris chantait
von Sonne und blauendem Flieder,
aux lilas bleus et au soleil resplendissant :
sang mit so süßem schwerem Laut
il chantait d’une voix tendre autant que sonore
als wie ein Bräutigam der Braut
tout comme un amoureux à celle qu’il adore,
allerschönste Lieder.
susurre les plus sublimes de tous les chants.
Grabt unter blühendem Busch ein Grab,
Dans l’ombre du lilas en fleur, sombre, une tombe :
ich misse ihr zärtliches Singen;
elle me manque tant, sa chanson gaie et folle.
wenn sie nicht singt, dann ist sie tot,
si je ne l’entends plus, c’est donc qu’elle a péri
sollt eine Krone rosenrot
on doit déposer une couronne fleurie
der kleinen Nachtigall bringen.
rouge et rose pour la petite rossignole.
11:35 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 03 avril 2020
Das bissel Leben ::: La vie rabougrie
Das bissel Leben (Johanna Wolff)
La vie rabougrie (trad. G. Cingal)
Warum man’s immer weiter trägt,
Pourquoi continue-t-on à le porter
warum man’s nicht zerbricht, zerschlägt,
sans le briser, sans le détruire,
es hat ja so wenig zu geben,
Ce rien qui ne peut rien nous donner :
das Leben - das bissel Leben.
la vie, cette vie rabougrie.
Man hält den Strick schon in der Hand,
Déjà on tient la corde, et on la serre,
und wirft ihn wieder in den Sand
avant de la laisser tomber par terre
und meint es ginge noch eben -
en se disant qu'on peut continuer un peu
das Leben - das bissel Leben.
la vie, cette vie rabougrie.
Es hat uns allesamt genarrt,
Elle nous a tous rendus fous,
am Ende wird man eingescharrt,
Et à la fin on finira au fond du trou :
so läßt man’s verblassen, verschweben -
on la laisse flotter, elle s'évanouit –
das Leben - das bissel Leben.
la vie, cette vie rabougrie.
Lacht’s dir hier unten Morgenrot,
La santé, le soleil et le pain : si
Gesundheit, Sonne und dein Brot,
tout cela au beau matin te sourit,
dann hat es sein Bestes gegeben
tu ne peux rien attendre de mieux
das Leben - das bissel Leben.
de la vie, cette vie rabougrie.
Vielleicht hebt’s jenseits wieder an,
Peut-être qu’au-delà c’est un commencement,
so irgendwie und wo und wann:
n’importe comment, partout et de tout temps :
Alles Weiden, Wachsen und Weben -
tissus, cultures et prairies –
ein bissel ewiges Leben!
et pour l’éternité une vie rabougrie !
18:23 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 02 avril 2020
Nicht zerbrechen ::: Qui plie mais ne rompt pas...
Nicht zerbrechen (Johanna Wolff)
Qui plie mais mais ne rompt pas... (trad. G. Cingal)
Wie sind der Schmerzen so viel
Quel excès de douleurs,
und der unerträglichen
et comme vivre fait
Lasten des Daseins!
peser des fardeaux insupportables !
Binsen gleich
Pareils à des joncs,
schwanken die Menschen unter der Wucht
les hommes ploient sous le poids
des Lebens,
de la vie
das ihnen zu schwer wird.
qui les écrase toujours davantage.
Nur nicht zerbrechen!
Mais il ne faut pas rompre !
Ohne Knick und Schaden
Garder vierge d'accrocs
bewahren
et de meurtrissures
die Lichtseele,
l'âme légère,
die unsterbliche!
l'âme immortelle !
Daß Same der Überwindung
Afin que la graine de l'opiniâtreté
sich weiter baue
continue de se fortifier
in junggrüne,
dans le vert de l'espérance
hoffende Weltgründe.
pour y fonder un monde neuf.
10:58 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 01 avril 2020
Alt werden ::: Vieillir
Alt werden (Johanna Wolff)
Vieillir (trad. G. Cingal)
Alt werden heißt sich bescheiden,
Vieillir : se contenter de peu ;
alt werden heißt einsam sein -
vieillir, c'est se sentir seul...
sie hingen dir einst an der Schürze
jadis accrochés à vos basques
und ließen dich dann allein.
ils ont fini par vous abandonner.
Sie tanzten dir auf dem Schoße,
Eux qui sautaient sur vos genoux,
jetzt treten sie dir aufs Herz -
à présent vous piétinent le cœur :
alt werden heißt sich bescheiden,
vieillir, c'est se contenter de peu,
ein Lächeln ohne Schmerz.
un sourire sans douleur.
Alt werden heißt still verzichten,
Vieillir, c'est abdiquer tranquillement
wenn Jungsein zu Jungsein hält,
quand les jeunes restent entre eux : ils ont grandi
sie wuchsen, entwuchsen dem Neste
au point d'être trop grands pour le nid
und flogen fort in die Welt.
et se sont envolés pour parcourir le monde.
Sie atmen mit purpurnen Lippen,
Ils respirent de leurs lèvres bien rouges,
die Augen so blink und so blank -
les yeux brillants et bouillants :
alt werden heißt still verzichten,
vieillir, c'est abdiquer tranquillement
nicht warten auf Menschendank.
et sans attendre aucun remerciement.
Alt werden heißt Leben, Sterben
Vieillir, c'est vivre et mourir
und fröhliches Auferstehn,
avant l'heureuse résurrection,
heißt segnen, wenn neue Geschlechter
et c'est bénir les nouvelles générations
auf Wegen von heute gehn.
qui marchent sur les chemins d'aujourd'hui.
Fern Wiegengesänge und Märchen,
Contes, berceuses sont bien loin,
die Zeiten stehen nicht still -
les temps ne s'arrêtent jamais :
alt werden heißt leben und sterben,
vieillir, c'est vivre et puis mourir,
wie Gott es will.
là est de Dieu la volonté.
15:56 Publié dans Johanna Wolff | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 26 mars 2020
Cynthia Atkins — Social Distancing ::: Distanciation sociale
Cynthia Atkins — Social Distancing
(anthologie publiée par Vox Populi, éd. Michael Simms)
Distanciation sociale
My ex-brother-in-law died this week
Mon ex-beau-frère est mort cette semaine
in the middle of a Tsunami pandemic, this illness
en plein cœur d’une pandémie tsunami, ce virus
of global might. And at this moment, when
de force planétaire. Pile au moment où
the world is shutting down of each last concert
le monde clôt la porte aux concerts
and diner— I’m remembering that it was he
et aux restaus, je me rappelle que c’est lui
that taught me about Jazz. At 15, my friends
qui m’a initiée au jazz. J’avais quinze ans, mes potes
listening to Peter Frampton, as I inhaled
écoutaient Peter Frampton, et moi, dans mes poumons
Miles Davis, Stanley Turrentine, Coltrane’s
soufflaient les longues voyelles sonores de Coltrane,
long vowels of sound. Today, the news is bleak,
Miles Davis et Stanley Turrentine. Triste nouvelle,
and it’s not too far-fetched to imagine
et il n’est pas exclu que nous respirerons
all of us breathing with masks on. We will not be
bientôt un masque sur la figure. Nous ne porterons
getting dressed for weddings or funerals
plus de longtemps nos plus beaux habits pour
any time soon—all markers of life—be damned.
enterrements ou noces, ces jalons de nos vies—au diable !
Nocturnes in the moon light, where people
Des nocturnes au clair de lune : les gens
are singing Acappella out their windows.
chantent a cappella à leurs fenêtres.
Stitch by stitch, we pick up where
Petit à petit, nous reprenons le fil
we left off. Now file this under
où nous l’avions laissé. Qu’importe si la veine
biblical or epic---Our daily rituals
est épique ou biblique : nos rituels quotidiens
parted like an ocean. Invisible venom
se sont ouverts en deux comme la mer. Venin invisible
in the snake’s jaw--now, human laws keep us
sous les crochets du serpent : force de loi nous empêche
six inches apart, keep us from touch.
de nous toucher et nous tient à six pouces.
Awash in all our natures, this will be
À nous baigner en nous-mêmes nous saurons
the portent of who we really are. A new normal—
enfin qui nous sommes. Voici la norme à présent :
comedians without laughter, jazz without
des comédiens mais aucun rire, du jazz sans
smoky rooms, burying my ex-brother-in law
salles enfumées—les obsèques de mon ex-beau-frère :
with a prayer and lethal hands.
une prière, et des mains qui portent la mort.
(traduction Guillaume Cingal)
17:32 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 03 février 2020
Imtiaz Dharker : Eggplant : Aubergine
Eggplant
Aubergine
Impossible to hold,
Impossible à tenir,
you have to cradle it,
il te faut la bercer
let it slide against your cheek.
et la laisser glisser, là, tout contre ta joue.
If this could speak,
Si elle pouvait parler,
this eggplant,
elle, cette aubergine,
it would have the voice
elle aurait la voix d'un
of a plump child-god,
petit dieu grassouillet,
purple-blue and sleek
bleu garance et et tout lisse
with happiness,
de bonheur,
full of milk,
replet, repu de lait,
ready to sleep.
et prêt à s'endormir.
Imtiaz Dharker (1994) — Traduction française : Guillaume Cingal
16:50 Publié dans Darts on a slate | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 29 mai 2019
Der Seher / Le guetteur
Der Seher
Le guetteur
sieht
voit
die schwarze Fahne
le drapeau noir
auf halbmast
en berne
Das Haus ist gestorben
Tout dans la maison a péri
die Straße begraben
la rue est ensevelie
die Stadt war
la ville était
eine wahre Erfindung
une vraie découverte
Der Seher
Le guetteur
sieht
voit
Moos
de la mousse
06:58 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 28 mai 2019
Antennen / Antennes
Manchen Antennen
Je me fie
vertrau ich
à pas mal d'antennes
Mondfinger
Le doigt de la lune
auf meiner Haut
sur ma tête
Mit den Fingerspitzen
De la pointe du doigt
drück ich die Nacht
je place la nuit
an die Sterne
près des étoiles
um mich von ihrem
afin de me libérer
Magnet zu befreien
de son attraction
Zu welchem
À quelle mauvaise
Unstern
étoile suis-je
gerissen
arrachée
06:40 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 27 mai 2019
Meine Tochter / Ma fille
Meine Tochter zürnt mir
Ma fille est fâchée contre moi
weil ich ihr nicht schenke
car je ne lui offre pas
was sie sich wünscht
ce qu'elle voudrait avoir
Mond und Sterne
la lune et les étoiles
Ich biete ihr Sonnenstrahlen an
Je lui offre les rayons du soleil
nein sagt sie
non dit-elle
die Sonne mag ich nicht
je n'aime pas le soleil
ich kann ihr nicht ins Auge sehn
je ne peux pas le regarder dans les yeux
Ich erzähle ihr das Märchen
Je lui raconte l'histoire
von Dornröschen
de Ronce-Rose
Gib mir
Donne-moi
den Prinzen
le prince
er soll mich heiraten
il doit m'épouser
befiehlt sie
elle l'ordonne
Warte ein Weilchen
Attends un petit instant
antworte ich
lui réponds-je
inzwischen erzähl ich dir Märchen
en attendant je vais te raconter
aus tausendundeiner Nacht
des contes des Mille et Une Nuits
Dies ist die erste Nacht
Voici la première nuit
06:29 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 26 mai 2019
Magnolienbaum /Magnolia
So schön
Jamais tu n'avais
warst du noch nie
été aussi beau
Magnolienbaum
magnolia
Ja
Oui
ich sag es dir
je te le dis
jedes Jahr
chaque année
Du wiederholst dich
Tu te renouvelles
in mir
en moi
06:26 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 25 mai 2019
Zeichen I / Signes I
Wir erkennen dich
Nous te reconnaissons
an der Schrift des
à l'écriture
Himmelsbuchstaben
de l'alphabet du ciel
Regenbogen
l'arc-en-ciel
am Feuerstrich des Meteors
au trait de feu de la météore
an deiner heimlichen Hand
à ta main furtive
die den Zeiger zückt
qui dégaine son aiguille
gegen das Schmetterlingsherz
contre le coeur de papillon
gegen unser Herz
contre notre coeur
erkennen wir dich
nous te reconnaissons
06:20 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 24 mai 2019
Sag ja / Dis oui
In uns
En nous
fließt das Blut
coule le sang
unsrer Zeit
de notre époque
Wir kaufen
Nous achetons
die Wahrheit
la vérité
mit Silberlingen
à renforts de deniers
Sag ja
Dis oui
auch der Tod
la mort aussi
ist dein Bruder
est ton frère
In einer Sekunde
En une seconde
nimmt dich
l'éternité
die Ewigkeit
t'embarque
mit in ihr Reich
dans son empire
_____________________________
NdT : Comme en anglais (et ce problème se pose notamment pour traduire les grands poètes romantiques), la mort, en allemand, est masculine. J'ai choisi, pour cette traduction, de maintenir en français la demi-incohérence qui en découle, plus fidèle au moins à l'image.
06:12 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 23 mai 2019
Verlust III / Perdre III
Die Stille hat eine
Le silence parle
schrille Stimme
d'une voix stridente
Mit leerem Schnabel
Le bec vide
kommt die Taube
s'en revient la colombe
Wer hat
Qui a intercepté
dit Botschaft aufgegangen
la bonne nouvelle
06:06 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 22 mai 2019
Brücken / Ponts
Verleugne nicht
Ne renie pas
den Hahnenschrei
le chant du coq
Er schlägt
Son cri fait
eine Brücke zur Sonne
d'un pont le soleil
Sie schlägt
Le soleil fait
eine Brücke zu dir
un pont de toi
06:01 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 21 mai 2019
Nichts bleibt wie es ist / Rien ne reste tel quel
Ich träume mich satt
En rêves je me repais
an Geschichten
d'histoires
und Geheimnissen
de secrets
Unendlicher Kreis aus Sternen
Cercle infini d'étoiles
ich frage sie
je leur demande
nach Ursprung Sinn und Ziel
l'origine le sens le but
sie schweigen mich weg
par leur silence elles me chassent
Den Orten die ich besuche
Les lieux que je visite
gebe ich neue Namen
je leur donne de nouveaux noms
nach den Wundern
en m'inspirant des enchantements
die sie mir offenbaren
qu'ils me dévoilent
Nichts bleibt wie es ist
Rien ne reste tel quel
es verwandelt sich
ça se et me
und mich
transforme
06:09 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 20 mai 2019
Nie / Jamais
Nie
Jamais
werde ich
je n'égalerai
die Drossel erreichen
la grive
nie mit drei Lauten
jamais je ne saurai
umzugehn wissen
moduler sur trois notes
als wären sie
comme si c'était
alles
tout
08:17 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 19 mai 2019
Rilke
Holt ihn wieder zurück
Qu'il ressuscite encore
jenen
celui
der mit Göttern sprach
qui parlait avec les dieux
wie mit seinesgleichen
comme avec ses semblables
Ekstatisch
En extase
elegisch
élégiaque
heiter
enjoué
atmete er
il insufflait
das Leben
la vie
und seine
et ses
Wandlungen
métamorphoses
ins Gedicht
dans le poème
09:23 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 18 mai 2019
Dreizehn Knospen / Treize bourgeons
Dreizehn Knospen
Treize bourgeons
das Zimmer blüht
La chambre est en fleurs
Mit Silberaugen
De ses yeux argentés
sieht die Nacht
la nuit voit
durchs Fenster
par la fenêtre
Ruft ein Vogel oder
Est-ce un oiseau qui appelle
meine innere Stimme?
ou ma voix intérieure ?
Die Freundin kam
L'amie est venue
und brachte mir
et m'a apporté
das Universum
l'univers
Es atmet
Il respire
in meiner Hand
dans ma main
Die Knospen öffnen sich
Les bourgeons s'ouvrent
Es blüht mein Traum
Mon rêve est en fleurs
05:36 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 17 mai 2019
Vergiß II / Oublie II
Vergiß die
Oublie la
poetische Wahrheit
vérité poétique
Es gibt nur
Seule existe
die Wirklichkeit
la réalité
sagen die Klugen
disent les savants
Vergiß die Wirklichkeit
Oublie la réalité
Es gibt nur die
Seule existe la
poetische Wahrheit
vérité poétique
sagen die Träumer
disent ceux qui rêvent
der wahren Wirklichkeit
de la réalité vraie
17:37 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 16 mai 2019
Das Märchen vom goldnen Buch / Le conte du livre d'or
Mit goldnen Deckeln
Avec sa couverture d'or
das Buch
le livre
hat seine Blätter verloren
a perdu ses feuilles
Der Wald wuchs in den
La forêt poussait dans les
Blättern
feuilles
im Wald
dans la forêt
lebte das Eichhorn
vivait l'écureuil
ritt auf einer Wolke
qui chevaucha un nuage
fiel in den Regen
tomba dans la pluie
der fällt
qui tombe
So sind die
Et c'est ainsi que les
Blätter
feuilles
ertrunken
se sont noyées
06:02 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 15 mai 2019
März I / Mars I
Ich bin ein Kind
Je suis un enfant
Schneemänner
des bonshommes de neige
Windfurien
le vent et ses furies
Speere aus Eis
des épées de glace
Ich bin ein Kind
Je suis un enfant
und spiele
et je joue
März
mars
mit Kinderschatten
et ses ombres d'enfants
im mutterlosen
dans le pays
Land
sans mères
09:46 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 14 mai 2019
Der Baum / L'arbre
Aus seinen Wurzeln
Depuis ses racines
wächst er
il croît
dem Himmel zu
jusqu'à toucher le ciel
Ringe
Des anneaux
umschlingen sein Herz
lui enlacent le cœur
erzählen seine Jahre
racontent ses années
Vögel verstehen
Les oiseaux comprennent
seine Laubsprache
le langage de son feuillage
Wer ihn fällt
Celui qui l'abat
erkennt sein Alter
découvre son âge
nicht
mais pas
seine Jugend
sa jeunesse
06:31 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 13 mai 2019
Der Brunnen III / Le puits III
Ich komme zurück
Je m'en reviens
zum Brunnen
au puits
noch hängt an der Kette
à la chaîne pend encore
der Eimer
le seau
Ich tauche ihn
Je le plonge
in die Tiefe
dans les profondeurs
hole ihn hoch
puis le remonte
trinke Erinnerung
je bois un souvenir
über den Himmel
penchée
gebeugt
au-dessus du ciel
13:55 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 12 mai 2019
Der goldne Berg / La montagne dorée
Der goldne Berg
La montagne dorée
im Gedächtnis
dans ta mémoire
strahlt
étincelle
Sein Gipfelgruß
Son salut depuis le sommet
umarmt das Tal
étreint la vallée
Öffne deine Fenster
Ouvre la fenêtre
laß die Sonne herein
laisse entrer le soleil
Wirf deine Masken
Jette tes masques
ins Feuer
dans le feu
empfange das Licht
accueille la lumière
07:02 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 11 mai 2019
Der Himmel II / Le ciel II
Meine Mutter
Ma mère m'a
schenkte mir die Erde
offert la terre
und hat mir
et m'a
den Himmel vermacht
légué le ciel
der mir die Mutter
que la mère m'a
gab
donné
und nahm
puis repris
07:58 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 10 mai 2019
Der Seher / Le guetteur
Der Seher
Le guetteur
sieht
aperçoit
die schwarze Fahne
le drapeau noir
auf halbmast
en berne
Das Haus ist gestorben
La maison est morte
die Straße begraben
la rue ensevelie
die Stadt war
la ville était
eine wahre Erfindung
une vraie trouvaille
Der Seher
Le guetteur
sieht
aperçoit
Moos
de la mousse
07:49 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 09 mai 2019
Heimat II / Patrie II
Du schwimmst
Tu nages
auf dem Meer
sur la mer
der Unendlichkeit
de l'infini
Glückt es dir
Si tu as la chance
eine Küste zu erreichen
d'atteindre une côte
wird ein Stückchen Erde
un lopin de terre
deine Heimat
devient ta patrie
09:59 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 08 mai 2019
Briefe II / Lettre II
Jeden Tag
Chaque jour
kommt der Briefträger
le facteur passe
und bringt mir ein Stückchen Welt
et m'apporte un morceau d'univers
Viele Unbekannte
Tant d'inconnus
erzählen mir
me racontent
ihre Geschichten
leurs histoires
schenken mir
m'offrent
Freundschaft und Liebe
leur amitié et leur amour
Ihre Worte umarmen
Leurs paroles étreignent
meine Worte
mes paroles
07:37 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 07 mai 2019
Baum / Arbre
Ich bin ein Baum
Je suis un arbre
voller Vögel
couvert d'oiseaux
trinke ihren Gesang
je bois leur chant
Aus den Wurzeln
Depuis les racines
wächst mein Schicksal
monte ma destinée
Schmerz und Sprache
la souffrance et la parole
ins Staunen
devenues enchantement
07:39 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 06 mai 2019
Ballspieler / Joueur de ballon
Gefühl des Abstands
Sens de la distance
Angriff und Schwung
attaque et course d'appel
Jedes Vielleicht
Au moment du tir il
wägt er im Wurf
soupèse chaque hypothèse
Wenn der Ball kommt
Quand le ballon
aus der Sonne —
descend du soleil —
das Licht ist ein Spiel
la lumière est un jeu
roter Bälle
de ballons rouges
Unter allen Sonnenbällen
De tous ces ballons du soleil
den festen
la main
fängt die magnetische
magnétique attrape le
Hand auf
seul ballon solide
06:05 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 05 mai 2019
Entfernt / Eloignée
Ich bin weit entfernt
Je suis très éloignée
von mir
de moi-même
Komme mir
Viens au-devant
selber entgegen
de moi-même
und erwarte mich
et attends-moi
Die Erwartung bleibt
L'attente demeure
hinter mir zurück
en arrière de moi
15:19 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 04 mai 2019
Dulcinea / Dulcinée
Wo
Où
schläft mein Ritter
dort mon chevalier
Ich Dulcinea
Moi, Dulcinée,
Kuhmagd
qui suis vachère,
dien ihm im Stall
je le sers à l'étable
Spanische Königstochter
princesse espagnole
vor der Gerburt
de par ma naissance
Das weiß
Cela, il le sait,
Don Quichotte
Don Quichotte
beweist es den Mühlen
il le démontre aux moulins
die mich verspotten
qui se gaussent de moi
Viele Tode gestorben
De tant de morts pour moi
für mich
il est mort
Melk ich die Zeit
Je trais le temps
schwimmt
son visage
sein Gesicht
flotte
im weißen Spiegel
dans le miroir blanc,
verjüngt
rajeuni
Ich melke
Je trais
für Spanien
pour l'Espagne
für dich
pour toi
Die Toten werden nicht alt
Les morts ne vieillissent pas
06:34 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 03 mai 2019
Der Tag / Le jour
Der Tag ist ein Berg
Le jour est une montagne
Du mußt ihn täglich besteigen
Chaque jour tu dois l'escalader
Lawinengeröll
éboulis d'avalanches
Taugras Wipfel die
herbe-rosée & cimes qui
den Himmel im
tiennent le ciel
Gleichgewicht halten
en équilibre
08:03 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 02 mai 2019
Don Quichotte II
Ich Dulcinea
Moi, Dulcinée
warte auf meinen Ritter
j'attends mon chevalier
der zarten Gedanken
aux douces pensées
Einst kam er
Autrefois il est venu
auf einem Flügelroß
sur un cheval ailé
und ritt mit mir
et nous avons cavalé
zu den Sternen
jusqu'aux étoiles
Wir fielen
Nous sommes tombés
er starb
il est mort
Ich liege in einer Wüste
Me voici étendue dans un désert
ohne Oase
sans la moindre oasis
warte auf meinen
j'attends mon
auferstandenen Ritter
chevalier ressuscité
06:31 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 01 mai 2019
Regenwörter / Mots de pluie
Regenwörter
Des mots de pluie
überfluten mich
m'inondent
Von Tropfen aufgesogen
Gorgée de gouttes
in die Wolken geschwemmt
flottée sur les nuages
ich regne
je pleus
in den offenen
et j'atterris dans la
Scharlachmund
bouche ouverte écarlate
des Mohns
du coquelicot
________________________________________
Ce poème, comme les autres que je traduirai en mai, est extrait du recueil Die Sonne fällt (1984, Fischer Verlag, 2001, p. 123).
Il n'y a aucun marqueur de genre dans le poème, et l'instance qui dit "je" n'est pas forcément identique à la poète. Toutefois, je choisis le féminin, car traduire au masculin "par défaut" me semble fort peu satisfaisant également. Je n'ai jamais lu de traductions françaises d'Ausländer, donc j'ignore comment procèdent les autres.
"je pleus" : faut-il conjuguer le verbe pleuvoir comme émouvoir (j'émeus) ou comme pouvoir (je peux) ?
EDIT du 2 mai : suite aux explications et conseils de Lionel-Edouard Martin, j'ai changé mes vers 3 et 4 ; je n'ai pas osé suivre toutes les émendations de mon éminent collègue, mais qu'il soit ici remercié.
06:49 Publié dans Rose Ausländer | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 20 avril 2018
DSF15 (#Braddon1868)
Chapitre III. [version intégrale]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses. L'auteur de la lettre ne cessait de répéter qu'il avait eu le cœur meurtri de lui voir verser des larmes, et combien il lui était quasiment insupportable d'imaginer sa peine. Il était pourtant parvenu à surmonter cela et avait maintenu ses plans, quels qu'ils fussent, car la dernière lettre contenait toutes les instructions indispensables à la fuite de la jeune fille. Elle devait rejoindre son amoureux à la nuit tombée au bureau de la malle-poste ; ils feraient la première étape de nuit ; ensuite, ils s'arrêteraient dans un relais et arriveraient à Londres en empruntant une autre route ; de la sorte, ils étaient assurés de semer quiconque tenterait de les suivre ou de s'enquérir à leur sujet sur la route principale.
Rien de plus... et bien assez, pourtant, pour le jeune homme assis à ruminer sur cette dernière lettre, la mine sombre. C'était une histoire tellement banale, et si facile à reconstituer : la belle fille de province, fragile et pauvre, qui se laisse arracher à sa petite famille sous la promesse d'une mariage clandestin, une union qui n'est jamais célébrée, et dont l'officialisation n'avait jamais été prévue, puis un bref intervalle de bonheur, comme en rêve, l'escapade à midi dans un nouveau jardin d'Éden, et ce fatal serpent, le Remords, toujours tapi sous les fleurs ; enfin, l'épilogue abrupt sur lequel s'achève ce rêve enfiévré de bonheur : amertume et noir désespoir ! Voilà quel petit roman sans originalité Eustace Thorburn retrouvait dans le paquet de lettres signées de cette initiale, H., histoire si cruelle, si humiliante que le jeune homme laissa choir sa tête recrue de fatigue parmi les papiers amoncelés pour y pleurer à chaudes larmes.
Il s'était plus ou moins remis de cet accès de chagrin et s'occupait à ranger les lettres lorsque la porte s'ouvrit ; un homme entra. L'homme avait dans les quarante-cinq ans, et d'une figure à ne pas passer inaperçu. Il avait été beau, cela ne faisait aucun doute, mais la fleur de sa jeunesse avait fané dans un environnement malsain, et les brises glaciales d'un automne précoce l'avaient flétri quand il eût dû encore resplendir de toute la gloire d'un flamboyant été. Il avait un nez cramoisi, et des yeux noirs également incandescents ; ses cheveux noirs étaient plus longs que ne le permettait la mode de l'époque. Ces mèches noires désordonnées étaient parsemées de fils d'argent, et sa moustache noire avait de ces reflets pourpre qui trahissent la main de l'apothicaire. C'était un homme grand et robuste, d'allure imposante ; et quoique les grâces habituelles de l'homme moderne lui fissent défaut, il avait quelque chose de racé, un style bien à lui. En ce jour, il portait le deuil, et ses manières avaient une douceur inaccoutumée. C'était Daniel Mayfield, un homme dont le génie avait bien servi les autres, mais été de peu de secours pour lui-même, un homme qui contemplait le visage de son pire ennemi à chaque fois qu'il regardait dans un miroir.
Oui, M. Mayfield ne s'était pas fait d'autre ennemi que lui-même. Il était aimé de tous. C'était lui, le vrai bohémien, l'Arabe typique arpentant le grand désert londonien. L'argent, comme de l'eau, lui filait entre les doigts. Il avait eu plus de réussite, et travaillé davantage que des hommes dont le labeur s'était traduit en terres et demeures, chevaux et calèches, fins linges brodés et porcelaines de Sèvres. Les gens qui le connaissaient passaient leur temps à calculer ses revenus et à se demander ce qu'il en faisait. Dépensait-il tout au jeu ou dans des spéculations boursières ? Ces quinze cents livres de revenu annuel, les buvait-il dans les tavernes ? Daniel lui-même eût été dans l'impossibilité de répondre. Cette énigme mystérieuse l'intriguait autant que les autres. Il n'avait jamais compris où passait son argent. L'argent filait, d'une manière ou d'une autre ; voilà tout. Son ami Jack lui empruntait quelques livres sterling, et puis un soir, aux cartes, la chance n'était pas du côté du pauvre Dan, puis on donnait un dîner à Greenwich pour fêter l'anniversaire de Tom, et puis il s'enviait d'une édition ancienne fort rare du Diable boiteux, de grand format, que vendait le libraire Willis & Sotheran's, et puis il y avait des périodes passagères de disette, pendant lesquelles Dan devait faire appel à un usurier fort aimable, qui ne lui faisait, in fine, payer son charitable service qu'à un taux de 150%. Ainsi filait l'argent. Daniel était la dernière personne au monde à se soucier de la façon dont l'argent disparaissait. Quand il se trouvait désargenté, il demandait qu'on lui apportât du papier, de l'encre et une plume afin de se remettre à flot.
Désormais son génie téméraire avait un peu pâli. La férocité des yeux noirs était atténuée par un air de continuelle tristesse, et la démarche arrogante du bohémien avait laissé la place à une figure et à un maintien inhabituellement calmes. Il demeura quelque temps sur le seuil à regarder son neveu. Le jeune homme leva les yeux brusquement et étira les mains.
— Cher oncle Dan ! s'écria-t-il en saisissant les mains que lui tendait son visiteur.
Il ne reçut, pour toute marque de compassion de la part de son oncle, qu'une pression énergique de ses doigts robustes. Les deux hommes se comprenaient trop bien pour avoir besoin de se répandre en paroles.
Daniel fixa le bureau avec sa planchette relevée.
— Alors, dit-il doucement, tu as examiné les papiers de ta mère... As-tu découvert quelque chose ?
— Plus qu'il n'est nécessaire, et pas la moitié, malgré tout, de ce que je dois savoir. Cela viendra. Oncle Dan, je ne t'ai jamais posé de questions. Je n'en trouvais pas la force. Mais maintenant... maintenant qu'elle n'est plus...
— Je te comprends, mon garçon. J'en sais moi-même assez peu, car je n'ai jamais trouvé la force de l'interroger (que Dieu la bénisse !), mais tu as le droit de savoir ce peu de choses, et si tu es en mesure de nouer les fils de l'histoire avec ce que tu as trouvé là-dedans...
En disant ces mots, Daniel lui montrait le bureau.
— Je comprends ce qui s'est passé ; ce que je veux savoir, c'est le nom de cet homme ! s'emporta Eustace.
— Cela fait vingt ans que je désire le savoir.
— Alors tu ne peux rien me dire ?
— Je peux t'en dire fort peu. Quand je suis parti de chez moi pour effectuer un stage dans un cabinet d'avocats londoniens, j'ai laissé derrière moi la plus belle et la plus lumineuse de toutes les créatures dont jamais frère ait pu se dire fier. Tu le sais, Eustace, nous étions les deux seuls enfants d'un couple de commerçants prospères dans une petite ville d'eaux. Nous habitions une maison de briques carrée qui donnait sur la mer. Mon père tenait une bibliothèque ambulante avec salon de lecture, et ma mère faisait dans la chapellerie. À eux deux ils avaient un revenu tout à fait confortable. Bayham était une petite ville endormie, loin du tumulte du monde ; un commerçant qui réussit à s'y établir finit par y bénéficier d'un bon petit monopole. Je sais que nous avions du bien et qu'à notre façon nous étions des gens importants. Ma sœur était, de Bayham, la plus belle fille. Elle a fané si vite, elle est devenue une telle épave qu'il t'est difficile d'imaginer quelle beauté c'était alors. Elle avait honte que sa beauté lui valût autant d'attention, et ses timidités d'enfant la rendaient plus charmante encore. Un grand échalas empoté de dix-huit ans ne sait guère ce qu'est la beauté, mais je savais que ma sœur était adorable ; je l'aimais et je l'admirais. Je me rappelle que je n'arrêtais pas de vanter ses mérites auprès des autres clercs, et qu'à force de dénigrer leurs sœurs du haut de mon ignorance j'avais fini par me rendre insupportable. J'étais si fier de notre petite Cely.
Il s'arrêta de parler, se couvrit les yeux de ses mains pendant quelques minutes, cependant qu'Eustace attendait impatiemment.
— Pour aller à l'essentiel, poursuivit-il, mon père a fini par m'écrire une lettre, au ton très perturbé, aux formulations presque incohérentes, afin de me dire que la maison était sens dessus dessous, et que je devais rentrer sur-le-champ. Bien sûr, je pensai d'abord à des problèmes d'ordre pécuniaire (je gage que la nature a fait de nous des êtres mesquins) et, me figurant que le commerce était ruiné, j'ai songé, rongé par le remords, à tout l'argent que j'avais coûté à mon père, et à la façon dont, depuis toujours, j'avais été un bien piètre fils. En rentrant à Bayham, j'ai découvert qu'une chose plus grave que le manque d'argent avait frappé d'affliction notre famille. Celia avait disparu en laissant une lettre dans laquelle elle disait à mon père qu'elle partait se marier ; il y avait des raisons de tenir secrets quelque temps le mariage et le nom même de son époux ; mais il avait promis de la ramener à Bayham dès qu'il serait libre de révéler son nom et son rang. Bien entendu, nous savions ce qu'il fallait comprendre par là ; mon père et moi partîmes en quête de notre pauvre fille dupée, le cœur frappé d'un désespoir aussi noir que si nous étions partis la chercher au royaume de Pluton.
— Et vous avez échoué...?
— Oui, mon garçon, nous avons ignoblement échoué. En ce temps-là, il n'y avait ni télégraphe ni détectives privés ; et après avoir suivi plusieurs fausses pistes, et dépensé pas mal d'argent, nous sommes rentrés à Bayham, mon père avec dix ans de plus pour tribut de ses peines. Il mourut trois ans plus tard, et ma mère ne tarda pas à le suivre, car c'était un de ces couples de l'ancien temps, qui s'accrochent l'un à l'autre si passionnément leur vie durant qu'il leur faut bien descendre ensemble à la tombe. Ils moururent, et la pauvre fille, à qui ils avaient pardonné dès la minute où ils avaient appris son offense, ne put soulager leurs derniers instants. Ils étaient morts depuis plus d'un an lorsque je vis un visage de femme me frôler dans la partie la plus animée du Strand. Je poursuivis mon chemin en ressentant au fond de mon cœur une étrange et subite douleur, avant de rebrousser chemin et de me lancer à la poursuite de cette femme, car je savais que j'avais vu ma sœur.
Il y eut une nouvelle pause, durant laquelle on n'entendit que la respiration haletante d'Eustace, et un long soupir, poussé par Daniel.
— Eh bien, mon garçon, elle vivait à Londres depuis plus de trois ans, cachée dans cette même immense jungle qui m'abritait, et pas une fois la Providence ne m'avait placé sur son chemin. Elle avait mené la vie qui est celle de tant d'autres créatures solitaires à Londres, en vivotant, tantôt grâce à telle besogne, tantôt grâce à telle autre. Je la raccompagnai chez elle ; nous rassemblâmes ses quelques menus biens, nous les emportâmes dans un fiacre, avec toi... et tu connais la suite. Elle a vécu avec moi jusqu'à ce que tu atteignes l'âge où les mauvaises influences sont à craindre : alors, elle prit quelque excuse pour s'en aller ; la pauvre âme, elle avait peur que ce débauché de Daniel ne contaminât son petit agneau. Pendant tout le temps où nous vécûmes ensemble, je me retins de l'interroger. J'étais persuadé qu'elle finirait par se confier à moi, et, espérant cela, j'attendais patiemment. Une fois, elle m'apprit qu'elle s'était rendue par deux fois à Bayham : la première, quand ses parents étaient encore en vie ; elle avait attendu et guetté, dissimulée par l'obscurité hivernale, jusqu'à parvenir à les apercevoir tous deux ; la seconde, quand ils reposaient déjà dans le cimetière paroissial. Elle ne m'a jamais rien dit d'autre. Un jour, je lui ai demandé si elle me dirait le nom de ton père. Mais elle m'a regardé d'un visage aussi triste qu'effrayé, la pauvre enfant, et m'a dit que non, elle ne pourrait jamais me dire cela ; il n'était pas en Angleterre... il était, à ce qu'elle croyait savoir, à l'autre bout de la terre. C'est la seule tentative que j'aie jamais faite pour deviner le secret de ta naissance.
— Mais les lettres, les lettres de cet homme, regorgent d'allusions à un mariage. Crois-tu qu'il n'y a pas eu de mariage ?
— Pas de mariage. Je suis catégorique.
Eustace eut un râle. Longtemps, il s'était douté de cela ; mais son amertume grandissait à entendre ses doutes confirmés par quelqu'un d'autre, de sorte qu'il demanda :
— Tu as une bonne raison de dire cela, Oncle Dan ?
— Eustace, j'ai la conviction absolue que si ma sœur avait pu revenir à Bayham, elle l'aurait fait. Sa peine a dû être bien amère pour qu'elle reste éloignée de ses parents.
Le jeune homme ne répondit rien à son oncle. Il alla à la fenêtre et se mit à observer le spectacle lugubre de la rue, où l'inévitable joueur d'orgue, qui, avec sa manivelle à musique, a toujours l'air de mouliner nos peines, égrénait ses ritournelles à sa place habituelle. Pour le commun des mortels, sa mélodie était un air d'Éthiopie, mais, par la suite, Eustace ne devait jamais, en entendant cet air, oublier ces instants malheureux, ni l'histoire infortunée de sa mère.
Il s'en retourna près de son oncle. Que le Ciel le prenne en pitié, il n'était pas jusqu'à la loi qui ne lui déniât ce lien, et s'il pouvait dire de cet homme que c'était son oncle, c'était pure courtoisie. S'éloignant de la fenêtre, il se jeta contre la poitrine de son oncle, l'honnête Daniel, et fondit en larmes.
— Emmène-moi sur la tombe de ma mère.
10:39 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 17 avril 2018
DSF14 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses. L'auteur de la lettre ne cessait de répéter qu'il avait eu le cœur meurtri de lui voir verser des larmes, et combien il lui était quasiment insupportable d'imaginer sa peine. Il était pourtant parvenu à surmonter cela et avait maintenu ses plans, quels qu'ils fussent, car la dernière lettre contenait toutes les instructions indispensables à la fuite de la jeune fille. Elle devait rejoindre son amoureux à la nuit tombée au bureau de la malle-poste ; ils feraient la première étape de nuit ; ensuite, ils s'arrêteraient dans un relais et arriveraient à Londres en empruntant une autre route ; de la sorte, ils étaient assurés de semer quiconque tenterait de les suivre ou de s'enquérir à leur sujet sur la route principale.
Rien de plus... et bien assez, pourtant, pour le jeune homme assis à ruminer sur cette dernière lettre, la mine sombre. C'était une histoire tellement banale, et si facile à reconstituer : la belle fille de province, fragile et pauvre, qui se laisse arracher à sa petite famille sous la promesse d'une mariage clandestin, une union qui n'est jamais célébrée, et dont l'officialisation n'avait jamais été prévue, puis un bref intervalle de bonheur, comme en rêve, l'escapade à midi dans un nouveau jardin d'Éden, et ce fatal serpent, le Remords, toujours tapi sous les fleurs ; enfin, l'épilogue abrupt sur lequel s'achève ce rêve enfiévré de bonheur : amertume et noir désespoir ! Voilà quel petit roman sans originalité Eustace Thorburn retrouvait dans le paquet de lettres signées de cette initiale, H., histoire si cruelle, si humiliante que le jeune homme laissa choir sa tête recrue de fatigue parmi les papiers amoncelés pour y pleurer à chaudes larmes.
Il s'était plus ou moins remis de cet accès de chagrin et s'occupait à ranger les lettres lorsque la porte s'ouvrit ; un homme entra. L'homme avait dans les quarante-cinq ans, et d'une figure à ne pas passer inaperçu. Il avait été beau, cela ne faisait aucun doute, mais la fleur de sa jeunesse avait fané dans un environnement malsain, et les brises glaciales d'un automne précoce l'avaient flétri quand il eût dû encore resplendir de toute la gloire d'un flamboyant été. Il avait un nez cramoisi, et des yeux noirs également incandescents ; ses cheveux noirs étaient plus longs que ne le permettait la mode de l'époque. Ces mèches noires désordonnées étaient parsemées de fils d'argent, et sa moustache noire avait de ces reflets pourpre qui trahissent la main de l'apothicaire. C'était un homme grand et robuste, d'allure imposante ; et quoique les grâces habituelles de l'homme moderne lui fissent défaut, il avait quelque chose de racé, un style bien à lui. En ce jour, il portait le deuil, et ses manières avaient une douceur inaccoutumée. C'était Daniel Mayfield, un homme dont le génie avait bien servi les autres, mais été de peu de secours pour lui-même, un homme qui contemplait le visage de son pire ennemi à chaque fois qu'il regardait dans un miroir.
Oui, M. Mayfield ne s'était pas fait d'autre ennemi que lui-même. Il était aimé de tous. C'était lui, le vrai bohémien, l'Arabe typique arpentant le grand désert londonien. L'argent, comme de l'eau, lui filait entre les doigts. Il avait eu plus de réussite, et travaillé davantage que des hommes dont le labeur s'était traduit en terres et demeures, chevaux et calèches, fins linges brodés et porcelaines de Sèvres. Les gens qui le connaissaient passaient leur temps à calculer ses revenus et à se demander ce qu'il en faisait. Dépensait-il tout au jeu ou dans des spéculations boursières ? Ces quinze cents livres de revenu annuel, les buvait-il dans les tavernes ? Daniel lui-même eût été dans l'impossibilité de répondre. Cette énigme mystérieuse l'intriguait autant que les autres. Il n'avait jamais compris où passait son argent. L'argent filait, d'une manière ou d'une autre ; voilà tout. Son ami Jack lui empruntait quelques livres sterling, et puis un soir, aux cartes, la chance n'était pas du côté du pauvre Dan, puis on donnait un dîner à Greenwich pour fêter l'anniversaire de Tom, et puis il s'enviait d'une édition ancienne fort rare du Diable boiteux, de grand format, que vendait le libraire Willis & Sotheran's, et puis il y avait des périodes passagères de disette, pendant lesquelles Dan devait faire appel à un usurier fort aimable, qui ne lui faisait, in fine, payer son charitable service qu'à un taux de 150%. Ainsi filait l'argent. Daniel était la dernière personne au monde à se soucier de la façon dont l'argent disparaissait. Quand il se trouvait désargenté, il demandait qu'on lui apportât du papier, de l'encre et une plume afin de se remettre à flot.
Désormais son génie téméraire avait un peu pâli. La férocité des yeux noirs était atténuée par un air de continuelle tristesse, et la démarche arrogante du bohémien avait laissé la place à une figure et à un maintien inhabituellement calmes. Il demeura quelque temps sur le seuil à regarder son neveu. Le jeune homme leva les yeux brusquement et étira les mains.
— Cher oncle Dan ! s'écria-t-il en saisissant les mains que lui tendait son visiteur.
Il ne reçut, pour toute marque de compassion de la part de son oncle, qu'une pression énergique de ses doigts robustes. Les deux hommes se comprenaient trop bien pour avoir besoin de se répandre en paroles.
Daniel fixa le bureau avec sa planchette relevée.
— Alors, dit-il doucement, tu as examiné les papiers de ta mère... As-tu découvert quelque chose ?
— Plus qu'il n'est nécessaire, et pas la moitié, malgré tout, de ce que je dois savoir. Cela viendra. Oncle Dan, je ne t'ai jamais posé de questions. Je n'en trouvais pas la force. Mais maintenant... maintenant qu'elle n'est plus...
— Je te comprends, mon garçon. J'en sais moi-même assez peu, car je n'ai jamais trouvé la force de l'interroger (que Dieu la bénisse !), mais tu as le droit de savoir ce peu de choses, et si tu es en mesure de nouer les fils de l'histoire avec ce que tu as trouvé là-dedans...
En disant ces mots, Daniel lui montrait le bureau.
— Je comprends ce qui s'est passé ; ce que je veux savoir, c'est le nom de cet homme ! s'emporta Eustace.
— Cela fait vingt ans que je désire le savoir.
— Alors tu ne peux rien me dire ?
— Je peux t'en dire fort peu. Quand je suis parti de chez moi pour effectuer un stage dans un cabinet d'avocats londoniens, j'ai laissé derrière moi la plus belle et la plus lumineuse de toutes les créatures dont jamais frère ait pu se dire fier. Tu le sais, Eustace, nous étions les deux seuls enfants d'un couple de commerçants prospères dans une petite ville d'eaux. Nous habitions une maison de briques carrée qui donnait sur la mer. Mon père tenait une bibliothèque ambulante avec salon de lecture, et ma mère faisait dans la chapellerie. À eux deux ils avaient un revenu tout à fait confortable. Bayham était une petite ville endormie, loin du tumulte du monde ; un commerçant qui réussit à s'y établir finit par y bénéficier d'un bon petit monopole. Je sais que nous avions du bien et qu'à notre façon nous étions des gens importants. Ma sœur était, de Bayham, la plus belle fille. Elle a fané si vite, elle est devenue une telle épave qu'il t'est difficile d'imaginer quelle beauté c'était alors. Elle avait honte que sa beauté lui valût autant d'attention, et ses timidités d'enfant la rendaient plus charmante encore. Un grand échalas empoté de dix-huit ans ne sait guère ce qu'est la beauté, mais je savais que ma sœur était adorable ; je l'aimais et je l'admirais. Je me rappelle que je n'arrêtais pas de vanter ses mérites auprès des autres clercs, et qu'à force de dénigrer leurs sœurs du haut de mon ignorance j'avais fini par me rendre insupportable. J'étais si fier de notre petite Cely.
Il s'arrêta de parler, se couvrit les yeux de ses mains pendant quelques minutes, cependant qu'Eustace attendait impatiemment.
— Pour aller à l'essentiel, poursuivit-il, mon père a fini par m'écrire une lettre, au ton très perturbé, aux formulations presque incohérentes, afin de me dire que la maison était sens dessus dessous, et que je devais rentrer sur-le-champ. Bien sûr, je pensai d'abord à des problèmes d'ordre pécuniaire (je gage que la nature a fait de nous des êtres mesquins) et, me figurant que le commerce était ruiné, j'ai songé, rongé par le remords, à tout l'argent que j'avais coûté à mon père, et à la façon dont, depuis toujours, j'avais été un bien piètre fils. En rentrant à Bayham, j'ai découvert qu'une chose plus grave que le manque d'argent avait frappé d'affliction notre famille. Celia avait disparu en laissant une lettre dans laquelle elle disait à mon père qu'elle partait se marier ; il y avait des raisons de tenir secrets quelque temps le mariage et le nom même de son époux ; mais il avait promis de la ramener à Bayham dès qu'il serait libre de révéler son nom et son rang. Bien entendu, nous savions ce qu'il fallait comprendre par là ; mon père et moi partîmes en quête de notre pauvre fille dupée, le cœur frappé d'un désespoir aussi noir que si nous étions partis la chercher au royaume de Pluton.
— Et vous avez échoué...?
— Oui, mon garçon, nous avons ignoblement échoué. En ce temps-là, il n'y avait ni télégraphe ni détectives privés ; et après avoir suivi plusieurs fausses pistes, et dépensé pas mal d'argent, nous sommes rentrés à Bayham, mon père avec dix ans de plus pour tribut de ses peines. Il mourut trois ans plus tard, et ma mère ne tarda pas à le suivre, car c'était un de ces couples de l'ancien temps, qui s'accrochent l'un à l'autre si passionnément leur vie durant qu'il leur faut bien descendre ensemble à la tombe. Ils moururent, et la pauvre fille, à qui ils avaient pardonné dès la minute où ils avaient appris son offense, ne put soulager leurs derniers instants. Ils étaient morts depuis plus d'un an lorsque je vis un visage de femme me frôler dans la partie la plus animée du Strand. Je poursuivis mon chemin en ressentant au fond de mon cœur une étrange et subite douleur, avant de rebrousser chemin et de me lancer à la poursuite de cette femme, car je savais que j'avais vu ma sœur.
Il y eut une nouvelle pause, durant laquelle on n'entendit que la respiration haletante d'Eustace, et un long soupir, poussé par Daniel.
— Eh bien, mon garçon, elle vivait à Londres depuis plus de trois ans, cachée dans cette même immense jungle qui m'abritait, et pas une fois la Providence ne m'avait placé sur son chemin. Elle avait mené la vie qui est celle de tant d'autres créatures solitaires à Londres, en vivotant, tantôt grâce à telle besogne, tantôt grâce à telle autre. Je la raccompagnai chez elle ; nous rassemblâmes ses quelques menus biens, nous les emportâmes dans un fiacre, avec toi... et tu connais la suite. Elle a vécu avec moi jusqu'à ce que tu atteignes l'âge où les mauvaises influences sont à craindre : alors, elle prit quelque excuse pour s'en aller ; la pauvre âme, elle avait peur que ce débauché de Daniel ne contaminât son petit agneau. Pendant tout le temps où nous vécûmes ensemble, je me retins de l'interroger. J'étais persuadé qu'elle finirait par se confier à moi, et, espérant cela, j'attendais patiemment. Une fois, elle m'apprit qu'elle s'était rendue par deux fois à Bayham : la première, quand ses parents étaient encore en vie ; elle avait attendu et guetté, dissimulée par l'obscurité hivernale, jusqu'à parvenir à les apercevoir tous deux ; la seconde, quand ils reposaient déjà dans le cimetière paroissial. Elle ne m'a jamais rien dit d'autre. Un jour, je lui ai demandé si elle me dirait le nom de ton père. Mais elle m'a regardé d'un visage aussi triste qu'effrayé, la pauvre enfant, et m'a dit que non, elle ne pourrait jamais me dire cela ; il n'était pas en Angleterre... il était, à ce qu'elle croyait savoir, à l'autre bout de la terre. C'est la seule tentative que j'aie jamais faite pour deviner le secret de ta naissance.
18:56 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 16 avril 2018
Hafenkneipe ::: Joachim Ringelnatz ::: Bistrot portuaire
Depuis une semaine, je traduis, à raison d'un par jour sur Facebook, des poèmes de Joachim Ringelnatz.
En voici un en supplément.
14:26 Publié dans Darts on a slate, Pong-ping | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 14 avril 2018
DSF13 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses. L'auteur de la lettre ne cessait de répéter qu'il avait eu le cœur meurtri de lui voir verser des larmes, et combien il lui était quasiment insupportable d'imaginer sa peine. Il était pourtant parvenu à surmonter cela et avait maintenu ses plans, quels qu'ils fussent, car la dernière lettre contenait toutes les instructions indispensables à la fuite de la jeune fille. Elle devait rejoindre son amoureux à la nuit tombée au bureau de la malle-poste ; ils feraient la première étape de nuit ; ensuite, ils s'arrêteraient dans un relais et arriveraient à Londres en empruntant une autre route ; de la sorte, ils étaient assurés de semer quiconque tenterait de les suivre ou de s'enquérir à leur sujet sur la route principale.
Rien de plus... et bien assez, pourtant, pour le jeune homme assis à ruminer sur cette dernière lettre, la mine sombre. C'était une histoire tellement banale, et si facile à reconstituer : la belle fille de province, fragile et pauvre, qui se laisse arracher à sa petite famille sous la promesse d'une mariage clandestin, une union qui n'est jamais célébrée, et dont l'officialisation n'avait jamais été prévue, puis un bref intervalle de bonheur, comme en rêve, l'escapade à midi dans un nouveau jardin d'Éden, et ce fatal serpent, le Remords, toujours tapi sous les fleurs ; enfin, l'épilogue abrupt sur lequel s'achève ce rêve enfiévré de bonheur : amertume et noir désespoir ! Voilà quel petit roman sans originalité Eustace Thorburn retrouvait dans le paquet de lettres signées de cette initiale, H., histoire si cruelle, si humiliante que le jeune homme laissa choir sa tête recrue de fatigue parmi les papiers amoncelés pour y pleurer à chaudes larmes.
Il s'était plus ou moins remis de cet accès de chagrin et s'occupait à ranger les lettres lorsque la porte s'ouvrit ; un homme entra. L'homme avait dans les quarante-cinq ans, et d'une figure à ne pas passer inaperçu. Il avait été beau, cela ne faisait aucun doute, mais la fleur de sa jeunesse avait fané dans un environnement malsain, et les brises glaciales d'un automne précoce l'avaient flétri quand il eût dû encore resplendir de toute la gloire d'un flamboyant été. Il avait un nez cramoisi, et des yeux noirs également incandescents ; ses cheveux noirs étaient plus longs que ne le permettait la mode de l'époque. Ces mèches noires désordonnées étaient parsemées de fils d'argent, et sa moustache noire avait de ces reflets pourpre qui trahissent la main de l'apothicaire. C'était un homme grand et robuste, d'allure imposante ; et quoique les grâces habituelles de l'homme moderne lui fissent défaut, il avait quelque chose de racé, un style bien à lui. En ce jour, il portait le deuil, et ses manières avaient une douceur inaccoutumée. C'était Daniel Mayfield, un homme dont le génie avait bien servi les autres, mais été de peu de secours pour lui-même, un homme qui contemplait le visage de son pire ennemi à chaque fois qu'il regardait dans un miroir.
Oui, M. Mayfield ne s'était pas fait d'autre ennemi que lui-même. Il était aimé de tous. C'était lui, le vrai bohémien, l'Arabe typique arpentant le grand désert londonien. L'argent, comme de l'eau, lui filait entre les doigts. Il avait eu plus de réussite, et travaillé davantage que des hommes dont le labeur s'était traduit en terres et demeures, chevaux et calèches, fins linges brodés et porcelaines de Sèvres. Les gens qui le connaissaient passaient leur temps à calculer ses revenus et à se demander ce qu'il en faisait. Dépensait-il tout au jeu ou dans des spéculations boursières ? Ces quinze cents livres de revenu annuel, les buvait-il dans les tavernes ? Daniel lui-même eût été dans l'impossibilité de répondre. Cette énigme mystérieuse l'intriguait autant que les autres. Il n'avait jamais compris où passait son argent. L'argent filait, d'une manière ou d'une autre ; voilà tout. Son ami Jack lui empruntait quelques livres sterling, et puis un soir, aux cartes, la chance n'était pas du côté du pauvre Dan, puis on donnait un dîner à Greenwich pour fêter l'anniversaire de Tom, et puis il s'enviait d'une édition ancienne fort rare du Diable boiteux, de grand format, que vendait le libraire Willis & Sotheran's, et puis il y avait des périodes passagères de disette, pendant lesquelles Dan devait faire appel à un usurier fort aimable, qui ne lui faisait, in fine, payer son charitable service qu'à un taux de 150%. Ainsi filait l'argent. Daniel était la dernière personne au monde à se soucier de la façon dont l'argent disparaissait. Quand il se trouvait désargenté, il demandait qu'on lui apportât du papier, de l'encre et une plume afin de se remettre à flot.
Désormais son génie téméraire avait un peu pâli. La férocité des yeux noirs était atténuée par un air de continuelle tristesse, et la démarche arrogante du bohémien avait laissé la place à une figure et à un maintien inhabituellement calmes. Il demeura quelque temps sur le seuil à regarder son neveu. Le jeune homme leva les yeux brusquement et étira les mains.
— Cher oncle Dan ! s'écria-t-il en saisissant les mains que lui tendait son visiteur.
Il ne reçut, pour toute marque de compassion de la part de son oncle, qu'une pression énergique de ses doigts robustes. Les deux hommes se comprenaient trop bien pour avoir besoin de se répandre en paroles.
Daniel fixa le bureau avec sa planchette relevée.
— Alors, dit-il doucement, tu as examiné les papiers de ta mère... As-tu découvert quelque chose ?
— Plus qu'il n'est nécessaire, et pas la moitié, malgré tout, de ce que je dois savoir. Cela viendra. Oncle Dan, je ne t'ai jamais posé de questions. Je n'en trouvais pas la force. Mais maintenant... maintenant qu'elle n'est plus...
— Je te comprends, mon garçon. J'en sais moi-même assez peu, car je n'ai jamais trouvé la force de l'interroger (que Dieu la bénisse !), mais tu as le droit de savoir ce peu de choses, et si tu es en mesure de nouer les fils de l'histoire avec ce que tu as trouvé là-dedans...
En disant ces mots, Daniel lui montrait le bureau.
— Je comprends ce qui s'est passé ; ce que je veux savoir, c'est le nom de cet homme ! s'emporta Eustace.
— Cela fait vingt ans que je désire le savoir.
— Alors tu ne peux rien me dire ?
— Je peux t'en dire fort peu. Quand je suis parti de chez moi pour effectuer un stage dans un cabinet d'avocats londoniens, j'ai laissé derrière moi la plus belle et la plus lumineuse de toutes les créatures dont jamais frère n'ait pu se dire fier.
23:33 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 13 avril 2018
DSF12 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses. L'auteur de la lettre ne cessait de répéter qu'il avait eu le cœur meurtri de lui voir verser des larmes, et combien il lui était quasiment insupportable d'imaginer sa peine. Il était pourtant parvenu à surmonter cela et avait maintenu ses plans, quels qu'ils fussent, car la dernière lettre contenait toutes les instructions indispensables à la fuite de la jeune fille. Elle devait rejoindre son amoureux à la nuit tombée au bureau de la malle-poste ; ils feraient la première étape de nuit ; ensuite, ils s'arrêteraient dans un relais et arriveraient à Londres en empruntant une autre route ; de la sorte, ils étaient assurés de semer quiconque tenterait de les suivre ou de s'enquérir à leur sujet sur la route principale.
Rien de plus... et bien assez, pourtant, pour le jeune homme assis à ruminer sur cette dernière lettre, la mine sombre. C'était une histoire tellement banale, et si facile à reconstituer : la belle fille de province, fragile et pauvre, qui se laisse arracher à sa petite famille sous la promesse d'une mariage clandestin, une union qui n'est jamais célébrée, et dont l'officialisation n'avait jamais été prévue, puis un bref intervalle de bonheur, comme en rêve, l'escapade à midi dans un nouveau jardin d'Éden, et ce fatal serpent, le Remords, toujours tapi sous les fleurs ; enfin, l'épilogue abrupt sur lequel s'achève ce rêve enfiévré de bonheur : amertume et noir désespoir ! Voilà quel petit roman sans originalité Eustace Thorburn retrouvait dans le paquet de lettres signées de cette initiale, H., histoire si cruelle, si humiliante que le jeune homme laissa choir sa tête recrue de fatigue parmi les papiers amoncelés pour y pleurer à chaudes larmes.
Il s'était plus ou moins remis de cet accès de chagrin et s'occupait à ranger les lettres lorsque la porte s'ouvrit ; un homme entra. L'homme avait dans les quarante-cinq ans, et d'une figure à ne pas passer inaperçu. Il avait été beau, cela ne faisait aucun doute, mais la fleur de sa jeunesse avait fané dans un environnement malsain, et les brises glaciales d'un automne précoce l'avaient flétri quand il eût dû encore resplendir de toute la gloire d'un flamboyant été. Il avait un nez cramoisi, et des yeux noirs également incandescents ; ses cheveux noirs étaient plus longs que ne le permettait la mode de l'époque.
23:28 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 12 avril 2018
DSF11 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses. L'auteur de la lettre ne cessait de répéter qu'il avait eu le cœur meurtri de lui voir verser des larmes, et combien il lui était quasiment insupportable d'imaginer sa peine. Il était pourtant parvenu à surmonter cela et avait maintenu ses plans, quels qu'ils fussent, car la dernière lettre contenait toutes les instructions indispensables à la fuite de la jeune fille. Elle devait rejoindre son amoureux à la nuit tombée au bureau de la malle-poste ; ils feraient la première étape de nuit ; ensuite, ils s'arrêteraient dans un relais et arriveraient à Londres en empruntant une autre route ; de la sorte, ils étaient assurés de semer quiconque tenterait de les suivre ou de s'enquérir à leur sujet sur la route principale.
Rien de plus... et bien assez, pourtant, pour le jeune homme assis à ruminer sur cette dernière lettre, la mine sombre.
23:34 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 11 avril 2018
DSF10 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur. En effet, j'avais pris grand soin de cacher mon identité. Mais en vous entendant faire l'éloge de mon livre, je jetai toute prudence par-dessus les moulins. Quel plaisir de vous voir rougir, de voir votre embarras si envoûtant quand je vous ai dit que tout le bonheur était pour moi.
Oh, Celia, si vous aimez tant mon livre, pourquoi m'éviter et vous méfier de moi ? Permettez que je vous voie, ma chère... peu importe quand et où... vos conditions seront les miennes... Je passe mes journées à attendre dans cette ville sans charme, cela dans l'espoir de vous voir. Je suis requis ailleurs par cent tâches diverses, et pourtant j'attends ici ! Une fois que j'aurai posté cette lettre, j'attendrai une semaine ; si je ne reçois, dans ce laps de temps, aucun signe de vous, je quitterai Bayham pour ne plus jamais m'aventurer dans ses rues fatales.
Votre ami sincère à tout jamais,
H.
Six semaines s'étaient écoulés entre la deuxième lettre et la troisième, et il s'était produit un changement considérable dans le ton de leur auteur. Il n'implorait plus d'entrevue avec la fille du papetier. Il ne faisait aucun doute qu'il l'avait vue à maintes reprises, et la lettre regorgeait d'allusions à des rendez-vous passés.
— Mon tendre Amour (ainsi commençait-il — comme la situation avait évolué promptement en six semaines, après le "chère mademoiselle" des débuts),
ma chère à tout jamais,
il n'y a pas, entre de nous, de fossé aussi large qu'il ne puisse être comblé. Pourquoi avoir la cruauté de douter de moi et de me fuir ? Tu sais que je t'aime. Hier soir, quand nous étions ensemble près de la mer sous le doux crépuscule, tu m'as dit que tu croyais à mes sentiments, et le calme alentour était si solennel que nous eussions aisément pu nous croire naufragés sur quelque île déserte. Tu me parles de ton humble naissance, comme si la naissance d'un ange ou d'une déesse pouvait être humble, et tu m'implores de retourner dans le monde, d'y reprendre mon esclavage, et d'oublier cette brève illumination qui m'a fait entrevoir mieux que le monde. Celia, j'ai seulement vingt-cinq ans, et pourtant j'étais certain de ne plus pouvoir ressentir un amour tel que celui que j'éprouve pour toi.
Samedi, tu m'as dit que ton père entrerait dans une colère noire s'il apprenait notre relation. Je mettrais volontiers fin à toutes tes craintes, ma chérie, en allant voir M. Mayfield pour lui demander la permission de te dire mienne pour le restant de nos jours, si je n'étais pas pieds et poings liés par des entraves d'une nature sociale. Tu as quelque motif de te défier de moi, Celia, et si tu n'étais pas la plus généreuse des femmes je craindrais de te parler avec franchise. Quand nous serons mariés, notre union doit demeurer secrète jusqu'à tant que mon père, en mourant, me délivre de cette servitude. Peut-être me trouveras-tu lâche en m'entendant avouer que je n'ose défier ouvertement mon père, mais tu ne peux guère imaginer le degré d'esclavage auquel un fils est réduit lorsqu'il est fils unique et que son père nourrit de somptueux projets pour sa carrière. Je t'écris au sujet de ces obstacles à notre bonheur, ma douce, car lorsque tu es avec moi je ne peux évoquer les difficultés qui nous assiègent. Mes déboires s'évanouissent quand je vois ces yeux si chers se tourner vers moi. J'oublie ce monde laborieux et ses plaies ; je pourrais m'imaginer que la terre est encore la demeure des dieux et que la boîte de cette sotte de Pandore n'a pas été ouverte. Quand je suis loin de toi, tout est changé, et il ne me reste que l'espoir. Ainsi à notre prochaine rencontre je ne ferai pas d'allusion à cette lettre. Nous serons des enfants qui s'imaginent le monde à neuf. Nous marcherons, bras dessus bras dessous, le long de cette grève délicieuse qui s'étend au-delà de la baie, bien loin du tohu-bohu de la ville. Nous oublierons nos peines quotidiennes, nous oublierons que les dieux nous ont abandonnés.Ah, si seulement nous avions vécu en ces temps mythiques où Eros lui-même se fût peut-être ému de nos chagrins, et nous eût emportés vers quelque île enchantée où la fougue de notre amour fût demeurée aussi immortelle que sa divinité ! Voyons-nous à sept heures, mon cher amour. J'attendrai ta venue près du lieu habituel ; tu te débarrasseras sans mal de ta confidente, Mlle K. Aurais-tu d'ailleurs quelque idée d'un petit objet féminin qui fît plaisir à Mlle K. ? Je voudrais lui offrir un témoignage de mon admiration respectueuse ; elle a été si indulgente à notre égard, toute guindée qu'elle soit. Tu me diras si ce sera un collier, un bracelet, des boucles d'oreilles, et je verrai ce que le bijoutier de Bayham peut nous bricoler. Et maintenant, ma chère, mon adorable, adieu pour quelques heures ; et que Phaéton pousse ses coursiers vers l'ouest et qu'il colore notre lieu préféré de la douceur crépusculaire d'une lumière violine.
H, à toi pour toujours,
Il y avait bien d'autres lettres — plus passionnées, moins primesautières —, sur un laps de temps qui était de six ou sept semaines, suivi d'une fort longue interruption, puis deux lettres écrites en janvier de l'année suivante. L'auteur des lettres était parvenu à obtenir de sa très chère Celia qu'elle consentît à un mariage clandestin. Elle devrait partir de chez elle en secret pour se rendre à Londres en sa compagnie ; tout avait été arrangé. Il était tout à fait manifeste que son consentement n'avait pu être obtenu qu'avec bien des manœuvres. Les lettres étaient pleines d'objurgations et de promesses.
_________________
Texte intégral du chapitre II.
19:19 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 10 avril 2018
DSF9 (#Braddon1868)
Chapitre III. [en cours de traduction]
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
Au George Hotel, le 15 juin 1843.
Ma chère mademoiselle,
si vous saviez le temps que j'ai perdu depuis jeudi de la semaine passée, en tentant vainement d'apercevoir, entre les partitions et les lithographies que votre père a disposées en vitrine, votre visage, vous croiriez plus volontiers ce que je vous ai dit ce jour-là. Je vous ai dit que si je ne vous voyais pas je vous écrirais, et je vous ai dit quelle serait l'adresse de ma lettre. Vous m'avez interdit d'écrire et dit sans ambages que ma lettre resterait à la poste sans qu'on vînt l'y chercher. Mais, à vous qui êtes si douce, il vous serait impossible de maintenir une telle résolution. J'ose formuler l'espoir que ces mots vous parviennent et que vous me pardonnerez de vous avoir désobéi.
Je désire tant vous revoir, ne serait-ce qu'une fois, oui, même une seule fois encore. Jour et nuit me hante l'image de ce doux visage penché sur l'un de mes livres. Vous souvenez-vous de ce jour ? c'était il y a trois semaines seulement, et pourtant c'est comme si une nouvelle existence avait commencé pour moi ce jour-là, et comme si j'avais vieilli de la moitié de mon âge. Ce visage si doux, si tendre, avec ses yeux foncés et son teint d'églantine, pourrai-je jamais l'oublier ? Cessera-t-il jamais de s'interposer entre mes livres et moi ? Hier soir je tentais de lire une sublime tragédie classique, mais vous m'en empêchiez. Électre, c'était vous : je vous voyais penchée sur l'urne cinéraire de votre frère, comme je vous avais vue penchée sur ce volume idiot dont vous avez eu la douceur de faire l'éloge. Cette tragédie grecque m'a rappelé cette théorie du destin dont on se moque en notre époque. Pourtant, dans la conduite de nos vies, le destin est assurément à la manœuvre. Le jour où je vous ai vue pour la première fois, j'étais occupé à écrire des lettres, et on m'avait donné du papier et des stylos si médiocres que je suis parti, plein d'entrain, m'en acheter de meilleure facture. Si on m'avait fourni de quoi écrire, je ne vous aurais peut-être jamais vue. Il y avait trois autres boutiques où j'eusse pu m'enquérir de ce que je désirais, mais le Destin m'a mis la main au collet et m'a conduit jusqu'à la papeterie de votre père. Je suis entré tranquillement, mes pensées à cent lieues de Bayham. Je vous ai vue, assise derrière la caisse, un livre sur les genoux, et toutes mes pensées sont revenues à Bayham, afin de se fixer sur vous à tout jamais.
Vous étiez si absorbée qu'il a fallu répéter trois fois mon humble requête d'une liasse de papier à lettres, tandis que je prenais le temps de déchiffrer le titre du livre qui vous intéressait tant. Tous les écrivains sont capables, je pense, de lire le titre de leur propre livre même à l'envers. Vous avez levé les yeux, avec un air chaste et timide ; c'est alors que vos joues se sont colorées de cette fraîcheur d'églantine. Alors je vous ai demandé ce que vous pensiez de ce livre ; vous en avez fait l'éloge avec une éloquence envoûtante, tout en vous demandant quel genre d'homme était l'auteur. J'avais entendu bien des gens louer le livre, et davantage encore l'accabler d'injures ; jamais encore je n'avais ressenti la moindre tentation de m'en avouer l'auteur.
19:24 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 07 avril 2018
DSF8 (#Braddon1868)
Chapitre III.
« Reprends ces lettres qui sont l'image du bonheur. »
Dans le paquet suivant, il y avait beaucoup de billets et de lettres qu'Eustace Thorburn passa beaucoup de temps à lire, en relisant certaines, en reprenant d'autres qu'il avait d'abord parcourues rapidement. Le papier à lettres était épais, de belle facture, et il en émanait un parfum presque évanoui de mille-fleurs, imperceptible au point d'être comme le fantôme évanescent d'une fragrance disparue. Les lettres et les billets, tous datés, avaient tous la même signature : une simple initiale, la lettre H.
Eustace les lut dans l'ordre chronologique.
L'auteur du livre que lisait Mlle Mayfield ce mardi est revenu trois fois depuis à la bibliothèque, mais n'a pas eu l'heur de l'y voir. Miss Mayfield aura-t-elle la bonté d'écrire ne serait-ce qu'une ligne pour signifier quand on peut la voir ? L'auteur, qui songe ne pas devoir mériter ses louanges éloquentes, souhaite vivement un entretien avec elle, même de quelques minutes.
Au George Hotel, 6 juin 1843.
— L'auteur du livre ? répéta Eustace. Quel livre ? Cet homme était-il écrivain ?
Cette lettre avait été remise directement. La lettre suivante avait été envoyée à Bayham, cette ville de bains dans le Dorset où Daniel avait aussi envoyé ses missives.
« C. M.
En poste restante à Bayham. »
« C'est l'adresse que préfèrent les séducteurs » marmonna Eustace en dépliant la lettre.
20:41 Publié dans #Braddon1868 | Lien permanent | Commentaires (0)